lundi 5 mars 2018

France — dédoublement des classes en banlieues, fermeture de 200 à 300 classes en milieu rural

Jean-Michel Blanquer a annoncé des fermetures de classes tout en assurant qu’il y aurait plus d’ouvertures que de fermetures. Le monde éducatif craint de voir la campagne lésée.

Environ 200 à 300 classes « grand maximum » en milieu rural fermeront pour la rentrée prochaine, a déclaré lundi 5 mars le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, au micro de France Inter, après des semaines de contestation en zones rurales. M. Blanquer a ensuite assuré qu’on « ouvrait plus de classes que l’on en fermait ».

« J’ai été interpellé à l’Assemblée par des députés qui protestaient contre ce soi-disant sacrifice du rural et c’étaient des départements où on crée des postes », a précisé le ministre. « On parle de ce que l’on ferme, mais on peut parler de ce que l’on ouvre », a-t-il renchéri.

Les syndicats, des enseignants et des élus locaux disent que les ouvertures de classe, notamment grâce au dédoublement des CP et CE1 [deux premières années du primaire] en éducation prioritaire, ont lieu dans les banlieues prioritaires [immigrées]. Ils craignent que cette politique de dédoublement en éducation prioritaire [12 élèves par classe plutôt que 24], qu’ils soutiennent, s’effectue au détriment des classes à la campagne.

Le ministre a assuré être « le premier fervent partisan des écoles rurales » et qu’il travaillait « justement pour préserver » ces écoles. « Je suis engagé en ce moment dans une politique de reconquête du monde rural, on va créer des internats ruraux », a-t-il ajouté.

Dédoublement des classes en banlieues immigrées une mesure gourmande en ressources

Car la mesure phare de Jean-Michel Blanquer dans le primaire, le dédoublement des CP [1re année du primaire] de REP et REP+ [éducation prioritaire] — mesure qui devait être progressivement étendue au CE1 [deuxième primaire] dès septembre — est gourmande en postes. Certes le ministre en crée : 3 881 pour l’année prochaine, a-t-il annoncé, alors, souligne-t-il, que la démographie des élèves est en baisse. Pourtant, des classes vont fermer, voire des écoles entières. C’est le cas chaque année, et chaque année c’est la même émotion. Mais cette année, l’accusation de déshabiller Paul pour habiller Jacques revient comme un leitmotiv.

En Moselle [Nord-Est de la France], par exemple, 88 fermetures de classes sont envisagées, pour vingt ouvertures. Les postes supplémentaires créés ont tous été « avalés » par le fameux dédoublement. Le cas le plus emblématique est celui de Havange, un village de la vallée de la Fensch coincé entre le Pays-Haut (bassin de Longwy) et la frontière luxembourgeoise. La classe unique de la commune, qui compte 450 habitants, sera supprimée en septembre, faute d’un effectif suffisant. Là où il aurait fallu dix-neuf élèves pour son maintien, quinze enfants, seulement, ont été comptabilisés dans la perspective de la prochaine rentrée. « Fermer une classe revient ici à fermer l’école et ce n’est pas acceptable, car ce serait la mort du village », se désole Alain, parent d’élèves.

Au Sénat, l’élu lorrain Jean-Louis Masson (divers droites) a interpellé Jean-Michel Blanquer, mardi 20 février, lors de la séance de questions au gouvernement. « Dans la ruralité, on exige dix-neuf élèves pour maintenir une classe unique alors que dans certains quartiers urbains dits “sensibles”, le gouvernement a fixé le seuil à douze élèves pour [les CP et les CE1, les deux premières années du primaire]. Eh bien, je le dis, c’est une honte ! » s’est étouffé le sénateur, dénonçant « une logique absurde et purement comptable ». Quant au maire d’Havange, Marc Ferrero, il ne décolère pas : « Je suis maire depuis 2001, j’ai moi-même fréquenté l’école du village, tout comme mes enfants. J’ai connu, en tant qu’élu, des périodes où les élèves étaient douze ou treize et jamais nous n’avons été inquiétés ! » et de conclure sévèrement : « Victor Hugo voulait fermer des prisons et ouvrir des écoles. Ce gouvernement fait tout le contraire. »

Tous les moyens sont en réalité phagocytés par les dédoublements de classes en zone REP et REP+ et les effectifs moyens des autres classes explosent

Les banlieues immigrées : des élèves « en retard » malgré un meilleur encadrement

Dans sa dernière note d’information, le Département d’études statistiques de l’Éducation nationale (DEPP) publie un « état des lieux » de l’éducation prioritaire (EP).

Dans le document, l’organisme rappelle avant toute chose qu’il ne s’agit « pas d’une évaluation » de l’EP, mais que cette étude « vise à faire un point » dessus, « aussi complet que possible » — puisque le dispositif REP+ n’est entré en application qu’à la rentrée 2015.

Premier constat : près de trois collégiens de REP+ sur quatre sont « très défavorisés socialement ». À la rentrée 2017, l’éducation prioritaire regroupe 6700 écoles, ainsi que 1097 collèges publics, dont 365 en réseaux d’éducation prioritaire renforcés (REP+). Or, selon le DEPP, « 9 collèges sur 10 en REP+ accueillent plus de 60 % d’élèves d’origine sociale défavorisée », contre « seulement 6 % des collèges hors EP ».

Par ailleurs, les enseignants qui exercent en éducation prioritaire sont « en moyenne jeunes », avec peu d’ancienneté dans le même collège — ce qui « met en évidence leur taux de rotation » dans les établissements. Selon le DEPP, en 2016-2017, 45 % des professeurs enseignent en EP depuis deux ans ou moins, contre 33 % pour les autres collèges publics. « Les enseignants y sont par ailleurs plus jeunes que leurs homologues des autres établissements publics : 38 % des professeurs de collège en REP+ ont 35 ans ou moins ; cette part est de 36 % en REP et de 22 % hors EP », indique l’étude.

Deuxième constat : les collégiens en REP+ sont « plus fragiles » scolairement. « Près d’un élève sur cinq est en retard à l’entrée en 6e » — la maîtrise par les adolescents d’EP des compétences du socle commun de connaissances et de compétences étant « moins solide », selon le DEPP.

« Toutefois, l’éducation prioritaire ne concentre qu’une minorité des élèves en retard : 13,3 % des élèves de 6e en retard sont scolarisés en REP+ et 19,5 % en REP. Près de 7 élèves en retard sur 10 sont ainsi scolarisés hors EP », relativise l’étude.

Enfin, selon le DEPP, la situation est « similaire » en primaire, avec un taux d’encadrement « un peu meilleur » dans les écoles de l’éducation prioritaire (20,6 élèves par classe en REP+ et 22,3 en REP, contre 23,8 pour les écoles hors EP).

« Ces taux d’encadrement n’incluent pas les enseignants relevant du dispositif Plus de maîtres que de classes. De tels écarts entre les écoles de l’éducation prioritaire et les autres sont structurels. Ils ont été augmentés avec la mise en place des CP dédoublés [12 élèves par classe] en REP+ : 95 % des classes de CP en REP+ sont des classes uniques et 89 % d’entre elles comptent 15 élèves ou moins », conclut l’étude.

Sources : Le Monde, Le Point, DEPP