Des enfants syriens déplacés assistent à un cours dans le camp de Bab al-Salama pour les personnes fuyant la violence en Syrie, à la frontière avec la Turquie, le 27 octobre 2014 |
La nouvelle génération de réfugiés syriens en Turquie préfère parler turc plutôt qu’arabe afin de ne pas être discriminée.
Des milliers d’enfants syriens fréquentent chaque jour l’école en Turquie aux côtés d’élèves turcs et communiquent dans une langue différente de leur langue maternelle. Cette situation a touché un grand nombre d’élèves syriens, en particulier les jeunes, qui commencent à perdre la capacité d’utiliser la langue arabe.
Le gouvernement turc met en œuvre depuis près de deux ans une politique d’intégration des réfugiés syriens, qui a largement contribué au déclin de la langue arabe parmi les enfants syriens. Les écoles arabes agréées en Turquie coûtent cher, cela oblige la plupart des parents syriens à s’inscrire leurs enfants dans les écoles publiques turques gratuites.
Le 3 octobre 2016, le ministère turc de l’Éducation a publié une décision stipulant l’intégration dans les écoles turques des enfants syriens soumis à la loi sur la protection temporaire, obligeant les élèves qui suivaient les programmes du gouvernement intérimaire de l’opposition syrienne à être transférés dans les écoles publiques turques.
Ainsi, la nouvelle génération syrienne en Turquie maîtrise parfaitement la langue turque, négligeant du même coup sa langue maternelle. Alors que la plupart des enfants syriens sont capables de parler le dialecte syrien, ils n’ont pas les compétences nécessaires pour lire et écrire en arabe littéraire, la forme écrite de l’arabe.
Pendant ce temps, les enfants syriens s’efforcent parfois de maîtriser le turc au détriment de l’arabe, peut-être pour échapper à la discrimination, à la xénophobie et aux brimades, qui ont augmenté dans la société turque au cours des deux dernières années.
Rana Chalhoub, une réfugiée d’Alep, a déclaré à Al-Monitor qu’elle avait cherché refuge en Turquie il y a neuf ans avec ses deux filles, Lama et Sarah, qui étaient alors respectivement en troisième et deuxième année, et avait décidé de les inscrire dans une école turque dans la province de Konya, l’antique Iconium au centre du pays.
« Mes enfants ne savent ni lire ni écrire l’arabe. J’ai du mal à communiquer avec eux maintenant ou à leur expliquer le travail scolaire. Mais tous les parents syriens ici savent que les enfants doivent maîtriser la langue turque pour éviter les brimades des étudiants turcs. C’est pourquoi je préférerais qu’ils ne parlent pas l’arabe à l’école ou en public, car certains Turcs les appelleraient “Souriali”, un sobriquet qui désigne les Syriens d’une manière très humiliante », a-t-elle déclaré.
Chalhoub a ajouté : « Au début, nous étions ravis que nos enfants apprennent une nouvelle langue. Mais ensuite, il y avait un fossé entre les langues, d’autant plus que toutes les matières scolaires et les émissions de télévision sont en turc, et que tout ce qui nous entoure est en turc. Mes filles ont trouvé plus facile d’apprendre leurs cours, surtout depuis qu’elles se sont désintéressées de l’arabe. J’ai essayé de leur lire des histoires en arabe et de leur faire regarder des dessins animés en arabe, mais en vain. »
Les enseignants syriens en Turquie mettent en garde contre les dangers de ne pas pouvoir enseigner l’arabe en Turquie. L’ignorance de la nouvelle génération de sa langue maternelle peut avoir des répercussions sociales et culturelles, ainsi que des problèmes identitaires et un sentiment accru d’aliénation et d’isolement par rapport à la société, qu’il s’agisse de la société arabe dont sont issus les enfants ou de la société turque au sein de laquelle ils se trouvent actuellement.
Un enseignant syrien de Gaziantep (Aïntap en français avant 1920, proche de la Syrie) a déclaré à Al-Monitor sous couvert d’anonymat que la langue arabe avait commencé à s’estomper progressivement avec la fermeture des centres éducatifs syriens temporaires qui enseignaient le programme syrien, et que le problème a été exacerbé par la décision d’intégration du gouvernement turc.
« Tout s’est détérioré lorsque les enseignants syriens n’ont plus été autorisés à donner des cours d’arabe et d’islam. Ce sont maintenant des professeurs turcs qui enseignent maintenant de telles classes », a-t-il déclaré.
Il a noté que la Turquie a commencé à fermer progressivement les centres éducatifs syriens temporaires en 2016 et a expulsé de nombreux enseignants syriens, en particulier après l’arrêt du programme par l’UNICEF en 2021.
Enas al-Khatib, une enseignante de langue arabe basée en Turquie, a déclaré à Al-Monitor qu’elle avait lancé son propre projet pour enseigner la langue arabe aux enfants syriens en ligne et en personne.
« Ce projet était très important pour moi, surtout après la fin de mon contrat avec l’un des instituts privés d’Istanbul. J’avais un poste administratif et je ne pouvais pas croire ce que j’allais entendre. Les étudiants arabes essayaient de parler arabe entre eux et se retrouvaient avec un seul mot arabe dans une phrase complète en turc. C’est pourquoi j’ai décidé de faire quelque chose pour résoudre ce problème », a-t-elle expliqué.
Au début de la pandémie de coronavirus, elle a commencé à enseigner la langue arabe aux enfants en ligne tout en exhortant les parents à encourager les enfants à parler arabe, dans le but de renouer les liens entre les enfants syriens et leur langue maternelle.
Khatib a déclaré : « Mon objectif initial était d’enseigner aux jeunes enfants, car la plupart d’entre eux sont venus en Turquie à un très jeune âge et ont grandi ici en entendant principalement le turc. Ils méprisent la langue arabe et n’ont aucun intérêt à l’apprendre. Oui, c’est leur langue maternelle, mais leur environnement turc et leur haine de la langue arabe les découragent. »
Elle a noté : « J’ai demandé une fois à l’un de mes élèves de 16 ans pourquoi il ne parle pas l’arabe alors qu’il est syrien et que c’est sa langue maternelle. Il m’a dit qu’il avait honte de parler arabe à l’école ou ailleurs parce qu’il ne voulait pas que les Turcs sachent qu’il était syrien pour éviter d’être moqué et intimidé. »
Khatib a ajouté : « C’est ainsi que j’ai appris la principale raison pour laquelle la nouvelle génération ne veut rien avoir à faire avec l’arabe. C’est le discours xénophobe turc contre les Arabes en général et les Syriens en particulier.
Des données récentes du ministère turc de l’Éducation sur le nombre d’enfants syriens scolarisés dans des écoles turques montrent qu’il y a 1,124 million d’enfants syriens en âge scolaire en Turquie ; 65 % d’entre eux, soit 730 000, sont inscrits dans des écoles turques, tandis que les 35 % restants, soit 393 547, ne sont pas inscrits dans des écoles.
Source : Al Monitor