mardi 1 janvier 2013

Broyer du noir sous la neige et les cotillons : le sentiment de solitude ne ferait que croître

Noël et le nouvel an sont l'occasion de se retrouver, en famille, entre amis, entre amants. Les fêtes sont aussi l'occasion de redécouvrir un sentiment de solitude toujours plus présent chez les Français. Un sentiment de solitude qui pourrait être l'effet indésirable direct... de notre éternelle recherche de liberté. Atlantico s'entretient avec le philosophe Pierre-Henri  Tavoillot à ce sujet. Extraits.

— Les fêtes de fin d'année sont l'occasion d'évoquer la solitude. En 2012, 4.8 millions de personnes déclarent souffrir de ce sentiment en France, 20% de plus qu'en 2010. Les 30-39 ans sont de plus en plus touchés par le phénomène (selon le rapport de la Fondation de France).Y a-t-il vraiment de plus en plus de personnes qui souffrent de la solitude dans notre société moderne ?

Pierre-Henri Tavoillot — Oui. Toutes les enquêtes et études (et notamment celles de l’INSEE) convergent vers ce constat. Il faut, cela dit, préciser de quelle solitude on parle. Il y a trois niveaux.

D’abord le simple fait d’habiter seul. Aujourd’hui environ 15 % de la population française est « mono-habitante » et ce chiffre ne cesse de croître. Mais les profils peuvent être très variés et les motifs aussi : ce sont les jeunes, les étudiants, les mono-parents, les veufs, les célibataires, … et ceux, en grande majorité, qui vivent dans les villes de plus de 200 000 habitants.

On distingue ensuite « la personne isolée » qui se définit par un nombre réduit de contacts d’ordre privé par semaine. En-dessous de 4, on parle d’isolement absolu, ce qui reste très rare. Mais la proportion de personnes relativement isolées s’élève tout de même à environ 10 % en France  : l’âge, le statut social, le niveau de diplôme, le handicap sont déterminants en la matière.

On définit ensuite un troisième niveau qui est « le sentiment de solitude ». Elle concerne ce qu’on pourrait appeler non plus l’isolement, mais la « désolation », c’est-à-dire l’impression d’être délaissé, voire abandonné par les autres. On quitte ici l’objectivité des observations pour entrer dans la subjectivité des représentations. Les indicateurs qui ont été développés pour la mesurer à partir d’entretiens qualitatifs (et notamment celui de la Fondation de France) montrent que les individus contemporains déclarent éprouver de plus en plus souvent ce sentiment de mal-être.

— Quel effet ont les fêtes de fin d'année sur ces perceptions de la solitude ? Le rapprochement familial exceptionnel de cette période atténue-t-il ce sentiment ? Les personnes isolées se sentent-elles encore plus seules ?

— Les fêtes sont des réunions de familles. Si la famille est absente ou si le lien familial fait défaut, effectivement, c'est une vraie tragédie pour les personnes concernées. Il est intéressant de noter d'ailleurs que les quelques semaines qui suivent les fêtes sont des semaines de déprime assez généralisée. On dit, que la fin de semaine du 21 janvier est celui de la déprime la plus totale en Europe : les fêtes sont passées, l'hiver est encore long... ce n'est pas très gai ! Les fêtes se retrouvent donc bien un temps d’exacerbation du sentiment de solitude.

Pour ceux qui voient leurs familles à ce moment des fêtes, il faut voir que c'est bien souvent un moment où les tensions émergent. Une enquête récente montre que les gens, se voyant une fois par an à cette période, entre discussions politiques et comparaisons des réussites respectives, alcool aidant, se retrouvent régulièrement à se crêper le chignon ! Il y a donc un mélange complexe entre la joie de voir la famille et la difficulté de cohabiter. Il ne faut pas avoir une vision édulcorée qui résumerait ce temps à un resserrement des liens familiaux : la réalité est bien souvent autrement plus ambivalente !

Au cours des dernières décennies, les familles ont beaucoup changé. Il y a longtemps eu une logique communautaire très forte au sein de la famille. En parallèle, la dimension commerciale a explosé : il y avait auparavant moins d'importance attachée aux cadeaux. La famille est passée d'un groupe communautaire à une somme d'individualités. De plus, on ne fête plus Noël en famille mais des Noël avec les familles : une fois avec les parents, une fois avec les grands-parents, déclinable autant de fois qu'il y a de parents dans des familles éclatées et recomposées. Il y a une sorte de pluralisation, de complexification des rites au sein des familles. [...]

— Comment interpréter ces phénomènes ?

— C’est en fait assez simple. Nous vivons dans une société d’individus où l’encadrement communautaire et institutionnel tend à s’effacer. Pour faire vite, cela s’appelle « les Droits de l’homme » : il existe une sphère — ma vie privée et intime — dans laquelle nul n’a le droit d’intervenir, ni de près ni de loin. C’est là une excellente nouvelle : nous sommes libres !  [Nous ne sommes pas si sûr de cette liberté : voir les livres de J.-L. Beauvois. Il reste encore à savoir si la liberté sui generis est une bonne chose ou ne serait-ce pas plutôt la liberté de faire le bien ?] Mais le prix à payer peut être lourd : nous sommes seuls ! Comme le disait une humoriste dans un excellent sketch — Muriel Robin pour ne pas la citer — « j'ai une vie privée... privée de tout, c'est vrai, mais privée quand même ! ».

Si, par contraste, on regarde les sociétés traditionnelles : on y était jamais seul. Tout — même le plus intime — se passait sous le regard pesant de la communauté ; il n’y a qu’à se souvenir de l’architecture des habitations de jadis, même à la Cour de Versailles : toutes les pièces ont plusieurs portes et on y circule sans arrêt, sans qu’il soit jamais possible de s’isoler. Quand la Reine Marie-Antoinette tente de le faire, elle se fait détester. L’intimité est donc une conquête récente et son autre face est la solitude. C’est la raison pour laquelle le rapport à la solitude est profondément ambigu dans nos sociétés contemporaines. D’un côté, on aspire à une solitude libérée des contraintes, nourrie par le fantasme du « self made man », tellement auto-suffisant qu’il ne doit rien à personne et n’a besoin que de lui-même ; de l’autre, on aspire aux affinités électives, à l’amour, à la passion, peut-être comme jamais dans l’histoire humaine : l’indépendance absolue, d’un côté ; l’amour éternel, de l’autre. La solitude est à la fois le paradis et l’enfer de nos sociétés contemporaines.

— Comment résoudre alors cette contradiction ?

— C’est là sans doute une des plus vieilles questions de la philosophie. Depuis bien longtemps, on note que l’homme n’est jamais content : il se sent seul quand il est avec les autres ; et, dès qu’il est seul, il ne cesse de penser aux autres ! Pour résoudre ce dilemme, la philosophie faisait l’éloge de la solitude. Seule la solitude (si je puis dire) permet de faire le tri entre les différents liens que nous tissons dans notre vie ; entre ceux qui comptent et ceux qui ne valent rien. Une fois ce tri effectué, il devient possible cultiver le lien qui est le plus important, parce qu’il nous sauve de la vraie solitude, celle à l’aune de laquelle toutes les autres sont dérisoires : la mort. Pour les penseurs grecs, ce lien salutaire est celui que le sage tisse avec l’harmonie du monde (le cosmos) ; pour les théologiens, c’était avec la splendeur de Dieu.

Pour ceux qui ne sont ni grecs ni théologiens, c’est-à-dire pour la plupart de nos contemporains, le seul lien qui vaut, c’est le lien affectif avec d’autres humains : nos conjoints, nos enfants, nos parents, nos amis… C’est celui qui mérite d’être cultivé ; celui qui fait que la vie mérite d’être vécue. C’est donc notre salut qui se joue-là. D’où la déception, la dépression, le désespoir même qui nous étreint quand ça ne marche pas … voilà comment on peut interpréter ces enquêtes. Et on perçoit aussi qu’il nous manque encore le remède qui permettrait de nous persuader — contre le mythe du self-made-man (magnifiquement présenté dans un film tel que Into the wild) — que l’on ne peut pas être un individu tout seul ; nous avons besoin des autres pour devenir des individus ; et nous avons aussi besoin d’être des individus pour aimer les autres.






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La Chine oblige les enfants à rendre visite à leurs vieux parents


À tes vieux parents tu rendras visite. Fréquemment. Ceci n'est pas un conseil, mais bien une obligation légale. La Chine a adopté vendredi 28 décembre une législation visant à protéger les droits des personnes âgées.

Les parents chinois auront donc maintenant une arme plus puissante que la culpabilité pour s'assurer que leurs enfants adultes leur rendent visite: la menace d'un procès. Le législateur national a adopté vendredi un amendement à une loi de protection des personnes âgées exigeant que les enfants adultes rendent visite à leurs parents âgés « souvent » sous peine d'être poursuivi en justice, rapporte l'Associated Press.

Il n'est pas indiqué ce que veut dire «souvent», ni quelles pourraient être les sanctions, souligne Le Monde, qui reprend l'AFP.

Le China Daily explique:
« La loi intervient alors que le gouvernement fait des efforts pour trouver des solutions globales aux problèmes auxquels font face les personnes âgées, le nombre de personnes âgées chinoises ayant connu une croissance rapide ces dernières années. »
La mesure semble en effet être une réponse claire à de nombreux faits divers révélant les histoires de parents âgés abandonnés ou que les enfants font vivre dans des conditions horribles.

Le sort des personnes âgées est l'un des grands défis de la Chine dont le développement rapide de l'industrialisation a conduit à l'éclatement de la structure familiale traditionnelle, sans que l'État ne fournisse un filet de sécurité suffisant et adéquat.

La BBC rapportait également que la Chine voulait mettre en place une législation pour contraindre les enfants à rendre visite à leurs parents âgés de plus de 60 ans. Le site britannique soulignait qu'un huitième de la population chinoise avait plus de 60 ans et que la moitié d'entre eux vivaient seuls.

Un article du Shanghai Daily de juillet 2012 rappelait un sondage de la Télévision centrale chinoise (CCTV) selon lequel 11,9 % des personnes déclaraient ne pas avoir rendu visite à leurs parents depuis des années et 33,4 % ne revenaient à la maison qu'une fois par an.

Le même article reprenait les déclarations d'un sociologue de Shanghaï interrogé par CCTV, Zuo Xuejin, qui doutait de la mise en place de la législation :
« Comment définissez-vous une "fréquence raisonnable" à laquelle les enfants devraient rendre visite à leurs parents ? Si quelqu'un sacrifie son temps privé à travailler pour le pays et le public, est-il juste qu'il soit puni par la loi pour n'avoir pas rendu visite à ses parents ? »


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