jeudi 19 février 2009

Espagne — non à l'objection de conscience et non au prosélytisme

Se penchant sur quatre jugements de cours inférieures contre lesquels se pourvoyait le gouvernement socialiste espagnol, la Cour suprême espagnole a conclu dans quatre arrêtés similaires que le contenu du programme d’Éducation à la citoyenneté (EC) était compatible avec le droit à la liberté de conscience et de religion garantie par la Constitution espagnole et qu’il n’existe donc pas, par conséquent, un droit à l’objection de conscience à son encontre.

Toutefois, la Cour suprême permet aux parents de recourir aux tribunaux s’ils considèrent qu’un manuel ou un professeur commet de l’endoctrinement ou du prosélytisme, plus particulièrement pour des sujets qui ne font pas l’objet d’un consensus moral dans la société espagnole. La Cour ne permet « ni au Ministère, ni aux écoles, ni aux professeurs d’imposer ou inculquer, même de manière indirecte, des points de vue particuliers sur des questions morales controversées dans la société espagnole. »

Le tribunal justifie sa décision en déclarant qu’elle découle du pluralisme, consacré comme valeur supérieure de notre ordre juridique, et du devoir de neutralité idéologique de l'État, qui interdit à celui-ci de se livrer à toute forme de prosélytisme.

Dix des 29 juges de la Cour suprême ont émis des opinions particulières, sept d’entre elles tranchent avec la décision majoritaire quant au droit à l’objection de conscience et le droit des parents de choisir la formation de leurs enfants. Les trois autres juges sont globalement d’accord avec la majorité des magistrats, mais apportent des nuances. Les critiques de la minorité portent principalement sur le contenu des arrêtés royaux des régions autonomes espagnoles, à savoir le programme officiel dans ces régions, « qui contiennent des appréciations morales qui frisent l’inconstitutionnalité ». Ces juges considèrent que la neutralité idéologique du programme d’Éducation à la citoyenneté n’est pas garantie.

Raisonnement de la majorité

« Au moment d'examiner s'il existe un droit à l'objection de conscience en ce qui concerne le cours d’Éducation à la citoyenneté, il faut commencer par une explication : l'idée même d'objection de conscience a seulement un sens, en principe, quand on s’oppose à des devoirs juridiques valables, c'est-à-dire qui émanent d'une loi qui ne nuit à aucune autre loi de rang supérieur. Si la loi qui impose le devoir juridique est inconstitutionnelle – ou, s'agissant d'un règlement, illégal – la réponse ne peut jamais être l'objection de conscience, mais l'activation des procédures prévues dans notre ordre juridique pour l'annulation de cette règle : le recours et la motion d'inconstitutionnalité quand il s’agit d’une loi; la contestation directe ou indirecte devant la juridiction du contentieux administratif pour ce qui est des règlements. Bref, dans un État démocratique de droit, il est clair que la réaction à adopter face à une loi invalide ne peut consister à en réclamer la dispense, mais à en réclamer l’annulation. »

Devoir de l'État d'intervenir dans l'instruction publique

Le programme d’Éducation à la citoyenneté s’inspire de la Recommandation Rec (2002) 12 du Comité des ministres aux États membres relative à l'éducation à la citoyenneté démocratique. Dans celle-ci, le comité des ministres se disait « préoccupé par le niveau croissant d'apathie politique et civique, et par le manque de confiance dans les institutions démocratiques, ainsi que par l'augmentation des cas de corruption, de racisme, de xénophobie, de nationalisme agressif, d'intolérance à l'égard des minorités, de discrimination et d'exclusion sociale, qui constituent des défis majeurs à la sécurité, à la stabilité et au développement des sociétés démocratiques » et affirmait que « que, dans son acception la plus large, l'éducation à la citoyenneté démocratique devrait être au centre des réformes et de la mise en œuvre des politiques éducatives ».

[Soit dit en passant, il est intéressant de noter que la réaction de ces ministres devant l’apathie de la population vis-à-vis de la politique et une montée de la xénophobie n’est pas de considérer la possibilité d’un déficit démocratique, d’une trop grande emprise de la technocratie et de mauvaises politiques migratoires, mais un renforcement de l’éducation des jeunes…]

Pour le tribunal suprême espagnol, l’État se doit d’intervenir dans l’éducation, il s’agit de la concrétisation du droit à l’éducation. Cette intervention n’a pas pour seul but d’assurer la transmission de connaissances sur le cadre institutionnel de l’État, mais également de proposer une formation sur les valeurs nécessaires au bon fonctionnement du système démocratique.

La liberté de conscience et de religieuse est protégée par l’article 16.1 de la Constitution espagnole en ces termes : « La liberté idéologique, religieuse et des cultes des individus et des communautés est garantie; elle n’a pour seule limitation, dans ses manifestations, que celle qui est nécessaire au maintien de l’ordre public protégé par la loi. »

En ce qui a trait à ce droit, la majorité des magistrats affirment qu’il « n’est pas nécessairement incompatible avec l’éducation au pluralisme pour autant que celle-ci se fasse dans la neutralité et sans endoctrinement. »

« Cela signifie que, lors de cette formation et l’exposition de différentes conceptions, il faut s’assurer de ne pas exercer de pression en faveur d’une de ces conceptions et cela sera le cas quand l’enseignement sera donné de façon à aiguiser le sens critique de l’élève auquel on laissera très clairement le choix d’évaluer ces différentes conceptions selon sa réflexion et ses critères personnels. »

« Tout ce qui vient d'être exposé devrait suffire pour établir que l'existence du programme d’Éducation à la citoyenneté ne contrevient pas au droit, car il n'est pas correct de soutenir, comme l’affirme la sentence [andalouse] contestée [par le procureur de la Couronne], que l'État n'ait rien à dire en matière de formation des mineurs ou qu’il ne doive pas transmettre de valeurs par le biais du système éducatif. On a déjà dit quels sont les équilibres que la Constitution exige dans ce domaine. »

Par ailleurs, la Cour suprême affirme qu’il est évident que « la Constitution espagnole ne proclame pas un droit à l’objection de conscience à portée générale », mais qu’il existe bien explicitement, par contre, dans le domaine du service militaire.

Avis dissidents

L’avis de la Cour suprême n’était pas unanime, comme nous l’avons dit ci-dessus, 10 des 29 juges n’ont pas approuvé l’avis majoritaire. Le juge Juan José Gonzalez Rivas reproche ainsi que la majorité de ses collègues ait omis de considérer les critères d’évaluation mentionnés dans les arrêtés royaux (plus particulièrement celui du 29 décembre 2006) où il apparaît qu’on évalue la conscience morale des élèves, même si les parents s’y opposent, pour vérifier que l’élève « accepte » certaines valeurs morales (on prétend ainsi vérifier s’il reconnaît les sentiments et les émotions des personnes qui l’entourent, s’il accepte les différences interpersonnelles, s’il reconnaît l’importance et les limites éthiques des accords [« límites éticos de los acuerdos »]) alors que l’article 27.2 de la Constitution espagnole n’exige que le « respect » : « L’éducation a pour objet le plein épanouissement de la personnalité humaine, dans le respect des principes démocratiques de la vie en commun et des droits et libertés fondamentales. »

Selon le juge Gonzalez Rivas, les parents objecteurs tirent la conclusion que le programme d’Éducation à la citoyenneté va au-delà de l’article 27.2 et porte atteinte à l’article 27.3 (« Les pouvoirs publics garantissent le droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent une formation religieuse et morale en accord avec leurs propres convictions ») en raison de plusieurs risques patents dans le programme d’Éducation à la citoyenneté.

Le premier risque d’infraction apparaît dans le régime pédagogique pour l’école secondaire obligatoire (ESO) où l’on expose l’élève à des dilemmes moraux parce qu’« ils permettent aux élèves de former un jugement éthique qui leur est propre fondé sur les valeurs et les pratiques démocratiques » (arrêté royal 1631/2006). Il ne s’agit pas uniquement d’une exposition qui empiète sur les compétences des parents en matière de formation morale de leurs enfants, mais cette formation morale est indépendante des convictions des parents et établit d’autres critères et d’autres références morales.

Le second risque se présente, par exemple, quand figure parmi les objectifs du programme « la reconnaissance du droit des femmes, la valorisation des différences entre les sexes et l’égalité des droits entre ceux-ci et le refus des stéréotypes et préjugés qui entraînent la discrimination entre les hommes et les femmes » ou qu’on y trouve des références au sexisme et à l’homophobie qui impliquent des jugements de valeur négatifs dans la conception de l'homme et de la femme alors que ces jugements de valeur peuvent être fondés sur des conceptions légitimes, mais qui sont d'emblée qualifiées comme des préjugés et de la discrimination.

Réaction du Centre juridique Thomas More

Le Centre juridique Thomas More a émis ces commentaires (sous bénéfice d’un examen ultérieur plus complet) :

« 1. – Les membres de ce Centre juridique ont rarement eu l’occasion d'étudier des sentences de notre Cour suprême aussi déroutantes du point de vue logique. En effet, il est difficile d’arriver aux conclusions juridiques de ce jugement à partir des fondements juridiques invoqués dans ce même jugement.

2. – Les [quatre] jugements prononcés par la Cour suprême démontrent que le programme d’Éducation à la citoyenneté y a suscité la même polarisation qui existe dans la société espagnole. Le nombre, la profondeur et la profusion des opinions minoritaires démontrent que ce programme ne s’accompagne pas du consensus indispensable à son enseignement dans les établissements scolaires.

3. – L'interprétation restrictive que [la Cour suprême fait] de l’objection de conscience présente un danger pour la démocratie espagnole, car la Cour suprême laisse le citoyen désarmé devant l’arbitraire des pouvoirs publics. L'ampleur de la reconnaissance du droit fondamental à l'objection de conscience est le véritable thermomètre pour mesurer la santé d’une démocratie. L'histoire nous montre que toute restriction à l'objection de conscience restreint implicitement la liberté.

4. – La Cour suprême abdique son rôle, car sa mission principale est celle de protéger les droits des citoyens et non de faire des recommandations aux pouvoirs politiques. Les avertissements constants que la Cour suprême adresse aux pouvoirs politiques pour qu'ils s’abstiennent de tout endoctrinement ne sont qu’autant de démonstrations tacites du danger de manipulation que le Haut Tribunal a détecté dans les contenus du programme en question; malgré cette alarme la Cour suprême n'a pas donné raison aux parents objecteurs.

5. – Les citoyens, à tort ou à raison, n’accorderont pas à ces arrêtés [de la Cour suprême] le respect qu’il leur est dû, car de nombreux Espagnols soupçonnent que des pressions politiques ont été exercées sur les magistrats. En effet, depuis qu’on a appris que la déclaration télévisée de la ministre socialiste de l’Éducation où elle se réjouissait de la décision du tribunal avait été enregistrée avant que celui-ci n’ait fait connaître publiquement cette décision, le sentiment général est que la ministre de l’Éducation avait rendu un bien mauvais service aux libertés civiques, à l’indépendance des tribunaux et à la modération politique.

La ministre de l'Éducation espagnole, Mme Cabrera, à gauche une heure et demie après la décision de la Cour suprême et à droite sur Youtube, sous-titrée, deux jours avant, se réjouissant déjà de cette même décision.


[La vidéo de la ministre Cabrera était disponible sur Youtube le 26 janvier alors que la décision orale de la Cour suprême n’a été rendue que le 28 janvier ! Il a fallu attendre le 17 février pour que le jugement écrit soit disponible. Voir Libertad digital.]

Pour tous ces motifs, et après avoir pris connaissance du contenu du jugement de la Cour suprême, ce Centre juridique considère qu’il est de son devoir moral et civique de continuer à soutenir, encourager et stimuler l'objection de conscience quant au programme d'Éducation à la citoyenneté et de continuer à approfondir la possibilité d’utiliser d’autres moyens pour garantir la liberté des parents qui refusent de livrer leurs enfants à la manipulation idéologique. »

Réaction des évêques espagnols

La décision motivée de la Cour suprême a été publiée mardi alors que les évêques espagnols étaient réunis en leur Commission permanente de la conférence épiscopale. Ceux-ci ont réitéré leur position : «  l’État ne peut supplanter la société comme éducateur moral ; il lui faut plutôt promouvoir et garantir l’exercice du droit à l’éducation par les personnes dont c’est la fonction, dans le cadre d'un ordre démocratique respectueux de la liberté de conscience et du pluralisme social.

Mais, depuis l'introduction de ce programme – tel qu’il est défini dans les arrêtés royaux –, l’État s’arroge un rôle d’éducateur moral qui ne lui revient pas dans un État démocratique de droit. Il en aurait été tout différemment d’un cours qui n’aurait pas empiété sur la formation de la conscience et qui se serait limité, par exemple, à l’explication de l’ordre constitutionnel et des Déclarations universelles des droits de l’homme. Cette formation aurait été acceptable et, peut-être, même désirable. »

Sur le front des objecteurs de conscience

Depuis le jugement de la Cour suprême qui ne portait que sur 4 jugements de tribunaux régionaux, de nouvelles mesures conservatoires, notamment en Andalousie et en Castille-La Manche, ont été rendues en faveur des parents objecteurs : leurs enfants ne doivent pas assister au cours d’Éducation à la citoyenneté. Trois magistrats parmi les dix-sept qui ont voté en faveur de la décision majoritaire de la Cour suprême ont admis que l'objection de conscience est recevable quand des contenus précis du cours de l'Éducation à la citoyenneté ne sont pas neutres et vont au-delà d'un enseignement des libertés fondamentales et des institutions démocratiques.

Diverses stratégies sont actuellement évoquées par les objecteurs :
  1. Continuer à demander le statut d’objecteur de conscience (il y a près de 50 000 demandes qui n’ont pas été entendues) ;
  2. il reste encore près de 1500 jugements favorables aux parents à casser par les gouvernements (bien que certaines régions autonomes aux mains du PSOE ont dit vouloir les ignorer et forcer les élèves à désormais assister aux cours d'EC) ;
  3. demander par la voie juridique de modifier les programmes, les manuels en invoquant explicitement ce jugement de la Cour suprême pour éliminer les parties les plus litigieuses sur la lutte contre l’homophobie, la théorie du genre, etc. quitte à engorger les tribunaux de la sorte ; certains évoquent même que des demandes similaires puissent être faites à l’encontre d’autres cours à fort contenu idéologique comme les Sciences sociales et du monde contemporain et l’Histoire ;
  4. présenter un recours devant le Tribunal constitutionnel espagnol et la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg.

Préfet de la Congrégation pour l'éducation catholique : l'imposition du cours ECR viole le droit des parents

Traduction d'un extrait d'une dépêche de l'agence de presse Zenit.org :
« ROME, 19 février 2009 (Zenit.org) — Le nouveau programme sur la diversité religieuse imposé aux écoles québécoises constitue une violation des droits parentaux et frôle l'« anticatholicisme » selon le préfet de la Congrégation pour l'éducation catholique.

Le cardinal Zenon Grocholewski a discuté du programme québécois d'Éthique et de culture religieuse avec l'agence ZENIT lundi, après la tenue d'une conférence à l'université pontificale Antonianum sur « le financement public des écoles catholiques » organisée par l'Institut Acton.

En septembre 2008, le ministère de l'Éducation du Québec a introduit un nouveau programme dans toutes les écoles publiques et privées de la province. Le nouveau cours obligatoire remplace le « programme d'enseignement moral et religieux catholique », l'« enseignement moral et religieux protestant » et l'« enseignement moral » parmi lesquels les parents pouvaient choisir.

Le nouveau programme confronte les élèves à une diversité de religions et à une éthique laïque.

« Aborder toutes ces religions viole le droit des parents à pouvoir éduquer leurs enfants conformément à leur propre religion » a expliqué le cardinal polonais qui se fait ainsi l'écho des parents qui affirment que les manuels ne sont pas neutres sur le plan idéologique.

« Parler de toutes les religions de la même manière, a poursuivi le cardinal Grocholewski, est quasiment une éducation anticatholique, car ceci crée un certain relativisme. » Il a conclut en soulignant que cette méthode d'instruction pourrait en fin de compte être antireligieuse puisque les jeunes ont l'impression que chaque foi est un récit imaginaire. »

Le cardinal Grocholewski a commenté la récente élimination des heures de cours de religion sur le catholicisme et le protestantisme au Québec