dimanche 21 juin 2020

Statistiques : discrimination systémique contre les francophones au Canada ?

De Guillaume Marois :

Selon les activistes intersectionnels avec qui j’ai discuté récemment, dès qu’il y a une différence statistique entre deux groupes ethniques au profit du groupe dominant, c’est qu’il y a racisme systémique. Je n’abonde pas dans le même sens, mais poussons le raisonnement : au Canada, la différence entre les francophones de langue maternelle et les allophones en termes de revenu d’emploi est nettement moins grande que celle entre les anglophones et francophones, comme en témoigne le tableau ci-joint. Les anglophones gagnent en effet environ 25 % de plus que les francophones, qui sont pratiquement à égalité avec les allophones.



Cela s’implique en partie par la localisation géographique, le Québec étant plus pauvre et étant le lieu de résidence de la majorité des francophones… mais le fait que le Québec soit plus pauvre que le reste du Canada (notamment l’Ontario qui a des ressources similaires) n’est-il pas en lui-même une preuve d’une discrimination institutionnelle dont les francophones minoritaires furent (et sont toujours) victimes, bénéficiant de beaucoup moins de pouvoir politique et économique et d’investissements fédéraux ?

L’écart s’explique aussi sans doute partiellement par des différences dans l’éducation, les francophones étant moins nombreux à avoir des études postsecondaires. Mais encore une fois : n’est-ce pas là la conséquence d’une forme de discrimination étatique à leur égard, le réseau scolaire anglophone étant surfinancé par rapport au réseau francophone, et bénéficiant de surcroît d’un avantage historique (l’éducation postsecondaire francophone étant pratiquement inexistante jusqu’à récemment) ?

Il y a sans doute aussi une question de capital social : les francophones étant sous-représentés dans l’élite économique, ils n’ont pas accès au même réseau de pouvoir que les anglophones leur facilitant l’accès à des emplois prestigieux et bien rémunérés.

Finalement, on peut sans doute expliquer l’écart par une forme de discrimination systémique. Les francophones, pour obtenir un bon emploi, doivent mettre un effort que les anglophones n’ont pas à faire : celui d’apprendre une seconde langue.

Bref, au sein du Canada, les francophones sont victimes d’à peu près des mêmes désavantages que les allophones. Peut-on les considérer comme victimes d’un racisme systémique ? Et dans le cas contraire, selon quel critère en seraient-ils exclus ?

Réécrire l'Histoire avec une grande hache communautariste

Texte de Jean Christophe Buisson paru dans Le Figaro Magazine du 19 juin 2020.

Parti des États-Unis, le mouvement consistant à effacer toute trace et tout symbole d’un passé jugé raciste, esclavagiste ou colonialiste s’étend jusqu’en France. Relayé parfois par l’université, amplifié par l’affaire Traoré, il menace non seulement les statues, les monuments, les noms de rue, mais aussi la littérature, le cinéma, la littérature, le cinéma et la musique, c’est-à-dire la culture, la mémoire, l’histoire de France.

Quand certains veulent manipuler ou réécrire le passé à l’aune de la morale contemporaine.

La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues. » Après le Premier ministre britannique Boris Johnson (« Je suis très circonspect sur la grande campagne visant à photoshoper entièrement notre paysage culturel ») et le président américain Donald Trump (« Mon Administration n’envisagera jamais de renommer nos superbes et légendaires bases militaires »), Emmanuel Macron est entré dimanche dernier dans l’arène folle ouverte par les activistes du mouvement antiraciste #BlackLivesMatter. En prononçant ces mots lors de son allocution solennelle, le président de la République a relayé le souhait de l’immense majorité des Français. Importé des États-Unis, prolongé aux Antilles, au Royaume-Uni et en Belgique essentiellement, le nouvel iconoclasme visant à détruire des statues ou des monuments dédiés à des grandes figures de l’Histoire jugées, au choix, racistes, esclavagistes ou colonialistes, a été condamné par la quasi-totalité de la classe politique. Mais non sans réserves. Certains, à gauche, s’interrogent malgré tout sur l’opportunité de conserver par exemple devant l’Assemblée nationale une statue de Colbert, grand ministre des Finances de Louis XIV, mais aussi instigateur du Code noir, qui fixa dans notre pays un cadre juridique à l’esclavage au XVIIe siècle. C’est le cas de l’ancien premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault, qui a soudain retrouvé la mémoire après s’être assis durant vingt-six ans dans la salle Colbert en tant que député et après avoir fréquemment arpenté la rue Colbert à Nantes, dont il a été maire pendant vingt-trois ans…


Le roi de France a aidé les Insurgents durant la guerre d’Indépendance. Raison pour laquelle une ville du Kentucky a été baptisée Louisville. Jugé complice des colons européens ayant conquis le territoire amérindien, sa statue locale a été prise d’assaut par une foule le 30 mai. Un manifestant a arraché sa main droite. Réalisée par un sculpteur français, offerte par le maire de Montpellier, elle avait été installée là en 1967.

D’autres se demandent si les noms de Faidherbe, Bugeaud ou Gallieni, figures militaires de la colonisation de l’Afrique, ne doivent pas être effacés des plaques de rues ou descendus de leur piédestal, quels qu’aient été leurs autres mérites (pendant la Première Guerre mondiale, par exemple). De même, on s’interroge sur Napoléon « qui-rétablit-l’esclavage-et-méprisait-les-femmes ». On grince à propos de Louis XIV, qui œuvra certes très modérément pour l’entente franco-allemande et poussa les protestants à fuir la France. On souligne que le général de Gaulle était chef du gouvernement provisoire quand la rébellion de Sétif, en Algérie, fut réprimée en mai 1945…

Outre qu’elle ranime l’éternel débat entre mémoire et histoire, qu’elle invite à une détestable repentance collective (« Il ne faut pas permettre à l’homme de se mépriser tout entier », disait le sage Bossuet), qu’elle détourne le message universaliste jusque-là porté par le discours antiraciste et qu’elle émane de minorités très agissantes, mais guère représentatives, cette polémique est stérile et dangereuse pour deux raisons principales : d’une part, elle est sans fin ; d’autre part, elle ouvre la porte, dans tous les domaines culturels, à d’évidentes censures, des réécritures de l’histoire permanentes et des négationnismes coupables. Elle promet tout simplement l’avènement d’une société totalitaire, sur le modèle de celle décrite dans 1984 par George Orwell : dans celle-ci, « les livres avaient été réécrits… les statues, rues et immeubles avaient été renommés… ».


Destruction des deux statues de l’abolitionniste Victor Schœlcher que compte la Martinique, le 22 mai 2020. Journaliste et militant antiesclavagiste, il est nommé sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies après la révolution de février 1848. Il fait adopter un décret proclamant, le 27 avril de la même année, l’abolition de l’esclavage sur tout le territoire français. Il est élu ensuite député de la Martinique et sera panthéonisé à la demande du président guyanais du Sénat, Gaston Monnerville. Le 22 mai dernier, deux de ses statues ont été renversées à Fort-de-France par des activistes « antibéké » (blancs des Antilles arrivés avant les esclaves) et « anti-héritage colonial ». Ce qui lui est reproché : il n’est pas noir, vient de la métropole et la célébration de son action jette dans l’ombre les révoltes locales.

Cette polémique est sans fin, car nos rues, nos places et nos parcs regorgent de milliers de statues de chefs politiques et militaires à qui notre époque peut en effet tout reprocher, à commencer par la mort de leurs prochains — car oui, la guerre fait des morts. Mais aussi des gestes et des paroles qui, à l’aune de la morale contemporaine, font d’eux des monstres. Faut-il nettoyer l’espace public de toute représentation d’hommes ou de femmes possédant une part d’ombre ? Faut-il leur substituer des personnes irréprochables ? Mais si oui, lesquelles ? Et surtout, qui en décide ? Au nom de quoi, de quelle valeur, de quelle autorité incontestable ? La tâche n’est pas immense, elle est impossible. Tant de victimes ou de héros auront été aussi des bourreaux. Clovis et Vercingétorix ? Ils massacraient avec allégresse leurs ennemis. Tel chef protestant, victime des exactions des Guise et de la Ligue ? On trouvera à son actif des massacres de catholiques. Danton ? Un prévaricateur. Robespierre, au prétexte qu’il œuvra pour l’abolition de l’esclavage (février 1794) ? Ce serait faire fi de son discours du 17 novembre 1793 où, à l’occasion de son Rapport sur la politique extérieure, il justifiait l’élimination des Girondins abolitionnistes en des termes où on chercherait en vain quelque tendresse pour les Noirs et les esclaves : « La même faction qui voulait réduire tous les pauvres à la condition d’hilotes et soumettre le peuple à l’aristocratie des riches, voulait en un instant affranchir et armer tous les nègres pour détruire nos colonies. » François Mitterrand ? Il était d’extrême droite dans sa jeunesse, protégeait Bousquet et fut décoré de la francisque par le maréchal Pétain. À ce propos, sait-on que les dernières rues portant le nom du chef de l’État français n’ont été débaptisées qu’il y a dix ans — à Tremblois-lès-Carignan (Ardennes), Parpeville (Aisne) et Dernancourt (Somme) ?

Car non, l’histoire n’est pas manichéenne, elle est complexe, dans la mesure où ceux qui la font sont des hommes, traversés de contradictions, de paradoxes, d’accès de violence et de bienveillance, de vices et de vertus. Raison pour laquelle aucune des grandes figures déjà honorées par l’érection d’une statue au cours des décennies et des siècles passés n’échapperait aux promoteurs d’une histoire écrite non avec un grand H, mais avec une grande hache. Même ceux qu’on croirait au-dessus de tout soupçon.

Voltaire tenait des propos odieux sur les Juifs. Lazare Hoche a participé au génocide vendéen. Le révolutionnaire et père de l’indépendance haïtienne Toussaint Louverture possédait lui-même des esclaves avant de se lancer dans la lutte abolitionniste. Arthur Rimbaud était un trafiquant d’armes et peut-être d’esclaves. Jules Ferry, tout inventeur de l’école laïque, gratuite et obligatoire qu’il était, justifiait sa politique de colonisation du Tonkin en 1885 par des mots qui font frémir en 2020 : « Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Léon Blum ne faisait pas mieux en 1925, devant ses collègues de l’Assemblée nationale : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture, et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l’industrie. » Édouard Herriot, incarnation bonhomme du radical-socialisme et de la IIIe République, avait fait venir des Sénégalais et des Chinois pour reconstituer des villages exotiques lors de l’exposition universelle de Lyon en 1914.

On en passe. À moins de vouloir, comme les communistes jadis, faire du passé table rase, impossible d’entamer une revisitation de notre passé sans nous suicider. Mais ce qui est valable pour les statues l’est tout autant pour tous les arts en général. La chose n’est pas nouvelle. Depuis des années, des associations tentent de faire interdire les rééditions de Tintin au Congo au motif que la vision des Noirs que Hergé propose dans sa bande dessinée est raciste. On peut l’admettre, mais là aussi, interdire toute œuvre reflétant son époque au motif que celle-ci est jugée indigne par la nôtre relève des méthodes staliniennes consistant à effacer des photographies de la révolution de 1917 les visages de ses acteurs devenus gênants — à commencer par Trotski. Les États-Unis sont, il est vrai, déjà entrés dans ce cycle.

Le mot « extermination » et l’adverbe « abominablement » ont aussi été grimés, comme effacés. Le chiffre 4 115 a également été effacé, il correspond au nombre d’enfants de moins de 16 ans impliqués dans cette rafle organisée en juillet 1942 et plus tard tués dans les camps nazis.

En 2018, le prix littéraire Laura Ingalls, du nom de la célèbre petite fille à nattes qui fit les belles heures de la série télévisée La Petite Maison dans la prairie a été débaptisé. Motif : le roman autobiographique en huit tomes de Laura Ingalls Wilder paru dans les années 1930, et dont elle était tirée, véhiculait « des sentiments anti-Amérindiens et anti-Noirs ». Encore plus délirant, Huckleberry Finn, La Case de l’oncle Tom et Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, de Harper Lee (un des livres préférés de Barack Obama…) ont subi les foudres de mouvements antiracistes au point d’être retirés de programmes scolaires et de bibliothèques en raison de l’usage du mot « nègre » par des personnages racistes dans ces romans.

Et tant pis si ceux-ci, en décrivant la réalité, visaient justement à les dénoncer. Tout se passe comme si on estimait les lecteurs insuffisamment intelligents, formés ou éduqués. Incapables de comprendre, dans une œuvre de fiction, où est le mal entre un raciste et un esclave, un nazi et un résistant, un voleur et un policier, un pédophile et un enfant, un mari brutal et une femme battue. Ainsi la plate-forme de cinéma payante américaine HBO a-t-elle retiré de son catalogue Autant en emporte le vent, le film aux huit oscars (dont le premier à une actrice de couleur noire, elle-même fille d’esclaves, Hattie McDaniel), le temps de rédiger un texte de « contextualisation ».

Va-t-on demain devoir en faire autant avec Le Cuirassé Potemkine, Octobre et tous les grands films de propagande soviétique du génial Eisenstein et de ses épigones ? Va-t-on diffuser des avertissements avant la diffusion de chaque western montrant les Apaches, les Navajos ou les Sioux comme des sauvages féroces et assoiffés de sang ? Va-t-on « expliciter » trois quarts des répliques de Clint Eastwood et de Charles Bronson ? Va-t-on interdire Mary Poppins notamment parce que la scène des ramoneurs relève du procédé désormais condamnable du « blackface » ?

Va-t-on organiser des débats sur les chaînes de télévision programmant les séries Nord et Sud ou Shérif, fais-moi peur, dont les héros pilotent une Dodge Charger orange baptisée « Général Lee » et flanquée, sur son toit, d’un drapeau confédéré ? Chaque concession à ce mouvement d’essence totalitaire drapé dans sa bien-pensance morale (qui n’est pas antiraciste ?) en appelle d’autres. On préférera, comme la salle de cinéma parisienne Le Grand Rex avec le film de Victor Fleming, ôter de son affiche une œuvre (donc la censurer), sans lutter, à la demande de son distributeur (Warner), plutôt que de subir les foudres (ou les assauts physiques) de groupes associatifs accusateurs. Et on se moquera de la réaction outrée d’un ministre de la Culture aussi impuissant que son homologue de l’Intérieur à endiguer les flots de haine et de bêtise. Un autre exemple ? La tentative de vol, au musée du quai Branly-Jacques Chirac, la semaine dernière, d’un poteau funéraire bari du XIXe siècle afin, dixit l’un de ses auteurs, « de le ramener à la maison » (comprendre en Afrique ; quant à savoir dans quel pays…). Affaire d’autant plus pitoyable quand on se souvient du discours du président de la République en 2006, pour l’inauguration de ce bâtiment destiné à célébrer la grandeur des arts premiers : il y rendait un vibrant hommage « à des peuples brutalisés, exterminés par des conquérants avides et brutaux », stigmatisant au passage « l’ethnocentrisme, cette passion déraisonnable de l’Occident à porter, en lui seul, le destin de l’humanité ». Une manière de demander pardon qui, manifestement, ne suffisait pas.

Mais sans doute les quatre activistes — dont un Congolais — arrêtés puis relâchés par la police ignoraient-ils ces propos. Comme la plupart de ceux qui ne voient l’histoire et la mémoire que comme un combat entre des victimes et des bourreaux, le Mal et le Bien, ignorent le passé. Et pour cause. Le connaître dans ses détails oblige à la nuance. À l’étonnement. Au doute. Il conduit à parler de l’esclavage généralisé dans la Grèce antique et dans l’Amérique du Sud, bien avant l’arrivée de Christophe Colomb, autre cible des #BlackLiveMasters ces derniers jours. À rappeler l’ampleur de l’esclavage entre tribus africaines depuis la nuit des temps. À raconter l’histoire de ces deux princes d’Old Town, dans l’actuel Nigeria, qui, après avoir été capturés par des négriers anglais, puis vendus comme esclaves aux États-Unis, avaient racheté leur liberté avant de revenir sur leur terre natale pour devenir… négriers. À mentionner la mise en esclavage à grande échelle de Noirs et d’Européens par les Arabes, et ce jusqu’au milieu du XXe siècle (l’Arabie saoudite ne l’a aboli officiellement qu’en 1962 et la Mauritanie en 1980). À se souvenir surtout de ce qu’écrivait Jean Bodin dans Les Six Livres de la République en 1576 : « Tout le monde est rempli d’esclaves, hormis un quartier de l’Europe. » Faut-il le préciser : la France faisait partie de ce quartier.

[Au VIIe siècle, la reine des Francs Bathilde, elle-même ancienne esclave et par la suite canonisée, aurait, selon la tradition, jugulé l’esclavage dans les royaumes francs en interdisant le commerce sur ses terres. Plus tard, Louis X le Hutin, roi de France, publie un édit le 3 juillet 1315 qui affirme que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc ». Officiellement, depuis cette date, « le sol de France affranchit l'esclave qui le touche ».]

Voir aussi

« Tyrannie des minorités » avec le changement de population en Occident « Les revendications deviendront de plus en plus stridentes » (Statue de Cervantés vandalisée, il a été esclave des Barbaresques pendant 5 ans)






BIEN : Actrice noire joue Marguerite d’Anjou : nécessaire diversité, MAL : chants d’esclaves chantés par une blanche

Californie : un professeur de UCLA suspendu pour avoir refusé de favoriser les étudiants noirs dans leur notation

Nouvelle traduction « antiraciste » d'Autant en emporte le vent












Timbre d'un inconnu émis par Postes Canada pour le mois de l’Histoire des Noirs (commémoration importée des États-Unis) [bas du billet]





« L'Allemagne s'abrutit »

« L’Allemagne s’abêtit », affirme Michael Winterhoff dans son livre « Deutschland verdummt ». Le pédopsychiatre, souvent traité de pédagogue populiste par la gauche, décrit sans détour ce qu’il considère comme l’avenir de la République fédérale. Les enfants d’aujourd’hui ne seront pas en mesure de travailler à moins que l’Allemagne ne corrige immédiatement son système scolaire.

Nous reproduisons ci-dessous un entretien de Michael Winterhoff paru dans l’hebdomadaire Focus (tirage de 441 805 exemplaires par semaine).

FOCUS. — M. Winterhoff, dans votre nouveau livre, vous critiquez le système éducatif allemand. Vous avez intitulé votre livre « l’Allemagne s’abrutit ». De quoi s’agit-il ?

Michael Winterhoff. — Le titre de mon livre concerne la performance psychologique des étudiants. Leur développement n’a plus d’importance dans les crèches ou les écoles. Les compétences non techniques, l’attitude envers le travail, la capacité de faire la distinction entre le travail et la vie privée : de moins en moins de jeunes qui quittent l’école sont capables de la faire de nos jours.

Ils n’ont pas le sens de la ponctualité. Il leur est difficile de reconnaître les structures et les processus de travail. Beaucoup manquent de connaissances de base en allemand et en mathématiques. La priorité absolue aujourd’hui est le téléphone portable — bien plus que la connaissance. De plus en plus d’étudiants abandonnent leur formation, plus d’un tiers des étudiants diplômés ne survivent pas à la période d’essai dans l’entreprise ; ils manquent de compétences sociales ou ont une forte surestimation de soi (étude Konrad-Adenauer).

FOCUS. — Et le système éducatif serait à blâmer ?

Winterhoff. — Oui. Les enfants ont besoin de quelqu’un pour les guider, les encourager. Quelqu’un qui leur montre qu’il faut parfois faire un effort — et qui en est récompensé, par exemple avec des éloges. Surtout en garderie, les enfants ont besoin de personnes pour les aider à s’orienter. Ils ne développent l’intelligence sociale et émotionnelle qu’avec la présence d’autrui.

Mais c’est précisément ce type d’attachement qui n’est plus dispensé à l’école de nos jours — les enfants n’y peuvent plus à dessein compter que sur eux-mêmes.



FOCUS. — Les éducateurs et les enseignants se comportent-ils donc mal ?

Winterhoff. — Le problème n’est pas les enseignants et les éducateurs. Le problème se situe plus haut.
Le système éducatif a été modifié il y a environ 20 ans — malheureusement pour le pire. À l’instigation de l’OCDE et des idéologues, l’apprentissage autonome a été poussé par les politiciens de l’éducation auprès des enseignants et des parents. À la maternelle, l’enfant doit choisir dans quelle pièce aller et ce qu’il y fait. À l’école, l’enfant doit apprendre par lui-même autant que possible. Ces idées n’ont jamais été testées pour leur efficacité.

Si un médecin développe une nouvelle méthode de traitement, celle-ci doit être testée plusieurs fois. Cependant, si vous avez une nouvelle idée en éducation, elle est simplement mise en œuvre avec toutes ses conséquences pour les enfants.

FOCUS. —  L’apprentissage autonome serait donc est quelque chose de mal ?

Winterhoff. — L’apprentissage autodéterminé : oui ! Un enfant ne peut pas décider ce qu’il faut apprendre. Les enseignants ne sont désormais que des « organisateurs d’apprentissage » qui animent un  buffet de connaissances où les enfants viennent se servir. Pour ce qui est de l’apprentissage même, l’enfant est seul responsable.

Dans certaines écoles primaires, des contrats scolaires sont conclus avec les enfants et pendant les pauses, des élèves de quatrième année agissent comme médiateurs. De nombreux enfants doivent porter des écouteurs insonorisés pour travailler en paix. De nombreux États fédéraux ont désormais aboli l’écriture cursive (liée) et l’imposition de l’orthographe.

FOCUS. — Les enseignants et les éducateurs devraient-ils être plus stricts ?

Winterhoff. — Non ! Vous devez être un enseignant et non un compagnon d’apprentissage. L’enfant ne peut s’orienter et se développer qu’avec cette assistance. Les compétences sociales et une bonne attitude ne se développent qu’à l’aide d’une pratique fréquente. Ce n’est que lorsque les éducateurs et les enseignants guident et accompagnent étroitement les enfants que leur psychisme émotionnel et social se développe. Par conséquent, nous avons besoin d’un enseignement axé sur la personne et non sur l’apprentissage.

Rien ne s’oppose à diverses formes d’enseignement telles que le travail en groupe ou en partenariat. Cependant, des groupes beaucoup plus petits sont nécessaires pour mettre en œuvre ces types d’enseignement.

En outre, l’élève ne va à l’école pour lui-même qu’à l’âge de 15 ans, avant c’est pour ses parents. De même, un enfant ne se brosse les dents que si les parents l’accompagnent.

FOCUS. — Quelles sont les conséquences de la politique éducative actuelle à votre avis ?

Winterhoff. — Si nous ne virons pas de bord, notre société sera dans une position désastreuse. Nos enfants deviennent des adultes narcissiques et égocentriques qui ne prêtent pas attention aux autres, se contentent de ce qui les concerne, vivent au jour le jour pour assouvir leurs envies.

L’estime n’est plus une valeur pour eux. Dans un État providence, les gens doivent être là les uns pour les autres. Mais les gens qui agissent comme de petits enfants et sont incapables de travailler font éclater ce système.

FOCUS. — Vous mentionnez dans votre livre comment gérer la numérisation.

Winterhoff. — Nous avons complètement tort dans le domaine de la numérisation. D’une part, c’est une mauvaise idée de donner des téléphones intelligents ou des tablettes aux enfants de moins de dix ans — cela brime leur développement psychologique. Grâce à la satisfaction permanente qu’offre Internet, ils sont confirmés dans leur vision du monde des tout-petits : je glisse le doigt sur l’écran et il se passe quelque chose.

Le résultat : l’idée enfantine selon laquelle on peut s’en sortir tout seuls et tout contrôler à tout moment est établie jusqu’à l’âge adulte. Pire encore, l’idée actuelle selon laquelle nous devrions rendre ces appareils accessibles aux enfants de la maternelle et du primaire. Les enfants doivent d’abord appréhender le monde, le comprendre de façon tactile pour favoriser un développement psychologique sain. De nos jours, nous les envoyons dans un monde parallèle irréel.

Travailler avec cette technologie devrait avoir une place dans l’enseignement secondaire, avant cela, il nous faut des oasis sans numérique.

Source : Focus