Texte d’Olivier Rey, le philosophe et polytechnicien, auteur de Leurre et malheur du transhumanisme
paru en octobre 2018. Arrêter d’avoir des enfants par égard pour l’environnement est un raisonnement malsain, qui supprime d’autant plus les raisons de préserver notre planète, explique Olivier Rey.
À la fin du XVIII
e siècle et au début du XIX
e, en Angleterre, les aides aux pauvres, garanties par la loi, faisaient l’objet d’âpres débats : fallait-il les maintenir, ou les supprimer ? En faveur de la suppression, Thomas Malthus avança cet argument :
les aides distribuées aux pauvres encouragent ceux-ci à avoir davantage d’enfants, ce qui entraîne un accroissement exponentiel de la population, plus rapide que ne peut l’être l’accroissement global des richesses, d’où, finalement, un accroissement du nombre des pauvres. Le seul moyen de résorber la pauvreté, selon Malthus, était que les pauvres réduisissent considérablement leur progéniture.
La quasi-totalité des économistes du XX
e siècle a estimé que l’événement avait définitivement réfuté les vues de Malthus : globalement, on avait vu une croissance exponentielle de la population mondiale aller de pair avec une augmentation du « niveau de vie » moyen. Miracle reposant, toutefois, sur une exploitation toujours plus intense des ressources de la terre. Au point que celle-ci, aujourd’hui, demande grâce : et
voilà que le malthusianisme, qui avait été repoussé dans les marges, redevient à la mode.
Ce nouveau malthusianisme, cependant, se révèle bien différent de l’original. Malthus, en rigoriste pasteur anglican qu’il était, se refusait à concevoir d’autre moyen de limiter les naissances que la chasteté : le nouveau malthusianisme autorise la sexualité la plus débridée, pourvu qu’il n’en résulte aucune naissance. Par ailleurs,
c’est aux pauvres que Malthus demandait de diminuer le nombre de leurs enfants, alors qu’aujourd’hui, ce sont les riches qui sont sommés de ne pas engendrer. Avec cet argument : le dérèglement et l’épuisement de la Terre ne sont pas seulement dus à un nombre trop grand d’êtres humains, mais aussi, et surtout, au mode de vie des ressortissants des pays riches. Ce sont donc eux qui devraient, en priorité, réduire drastiquement leur descendance (le mieux étant de ne pas en avoir du tout).
[Ce suicide des Occidentaux ne servira à rien, s’ils sont remplacés par des masses jeunes venues du Sud pour pallier le « manque de main-d’œuvre » ou payer les retraites.]
La science le prouve : en juillet 2017, deux chercheurs ont publié dans la revue scientifique britannique
Environmental Research Letters un article passant en revue les différents moyens dont disposent les individus pour réduire leur « empreinte carbone ». Un an plus tard, l’AFP a donné en France un large écho à cette publication en diffusant une infographie inspirée par l’article en question, où les effets des différentes actions possibles se trouvent quantifiés - depuis les mesures à très faible impact, comme s’éclairer avec des ampoules basse consommation, celles à impact modéré, comme laver son linge à l’eau froide, et celles à impact élevé, comme renoncer à des vols long-courriers. Toutes ces mesures se trouvent néanmoins ridiculisées, ravalées à un bricolage pitoyable en comparaison d’une proposition phare : alors qu’abandonner complètement la voiture culmine à 2,4 tonnes de rejet CO
2 par an, avoir un enfant en moins en épargne 58,6 ! La conclusion à en tirer est claire : toute personne inquiète du devenir de la Terre doit en priorité, pour mettre en accord ses actes avec sa pensée, s’abstenir d’engendrer. Un tel raisonnement appelle deux remarques.
D’abord, il y a quelque chose de profondément malsain à mettre sur le même plan, dans un graphique, d’une part des modes de consommation et d’autre part le fait d’avoir des enfants — comme si cela relevait du même ordre.
Par ailleurs, pourquoi l’enfant s’avère-t-il aussi coûteux en émissions de gaz à effet de serre ? Parce qu’il est admis que ses parents dépenseront sans compter pour l’élever (lui fournissant du reste, à travers cette débauche consumériste, moins une éducation qu’une antiéducation), et qu’adulte il adoptera le même genre de vie qu’eux - qu’il aura des écrans Full HD géants, roulera en VUS, prendra l’avion, sera connecté à la énième G, etc.
Au fond, ce qui est proposé aux riches, ce n’est pas de mener une vie qui ne dévaste pas la Terre, c’est de ne pas avoir d’enfants afin de continuer à vivre avec bonne conscience une vie qui dévaste la Terre. Sans enfant, je peux tout me permettre puisque, du seul fait de ne pas avoir de descendance, j’accomplis ce qui peut se faire de mieux pour la « planète » !
Ensuite, les habitants des pays riches se voient soumis à une double injonction.
D’une part ils ne doivent pas avoir d’enfant, par égard pour l’« environnement », d’autre part ils doivent accueillir des flux énormes d’immigrés en provenance des pays pauvres — flux qu’on leur présente comme d’autant plus nécessaires qu’il faut rééquilibrer, par ces apports étrangers, une pyramide des âges rongée à la base par la dénatalité. Comme le disait Jean-Paul Delevoye, grand ordonnateur de la réforme des retraites (avant que son statut de « cumulard » ne l’oblige à démissionner) lors d’un débat tenu fin novembre à Créteil : « La démographie européenne et son vieillissement font que si l’on veut garder le même nombre d’actifs dans la machine économique, il va falloir 50 millions de populations entre guillemets étrangères pour équilibrer la population active en 2050, en Europe. »
Autrement dit : les Européens doivent remplacer leurs enfants par des immigrés. Et cela, pour un « bilan carbone » qui ne s’en trouvera en rien amélioré ! En effet, les immigrés en provenance des pays pauvres gagnent les pays riches non pour demeurer aussi pauvres qu’ils l’étaient en partant, mais pour vivre comme on le fait dans les pays riches — aussi leur « empreinte écologique » est-elle vouée à rejoindre rapidement celle qu’auraient eue les enfants que les Européens sont invités à ne pas engendrer
(à quoi s’ajoute que l’immigration massive contribue à entretenir la natalité explosive dans certains pays pauvres, en lui offrant un débouché). Si certains modes de vie sont toxiques, il convient de les réformer, non de convier d’autres populations à nous rejoindre pour les adopter.
En résumé, ce n’est pas en se suicidant démographiquement que les Européens amélioreront quoi que ce soit. Au contraire, car, comme l’écrivait Charles Péguy dans le Porche du mystère de la deuxième vertu :
« Tout ce que l’on fait on le fait pour les enfants.
Et ce sont les enfants qui font tout faire.
Tout ce que l’on fait. »
Ce sont les enfants qui nous rendent souhaitable que la Terre demeure belle et accueillante. À quoi bon prétendre la préserver, si c’est en ruinant les raisons qui rendent si vital de le faire ?