samedi 15 avril 2023

Québec — La haine du passé et de l'effort ? (alias les participes passés fatiguent des enseignants)

Chronique d’Antoine Robitaille paru dans le Journal de Montréal.

Dans les débats au sujet du déclin de la langue française et de la culture québécoise, un verbe revient souvent : « dépoussiérer ».

Cela pose selon moi une série de problèmes. Dernier exemple, un titre dans « La Presse » d’hier : « Les profs de français veulent dépoussiérer les participes passés. »

L’article portait sur les doléances des enseignants de français, transmises au ministre de l’Éducation, Bernard Drainville.

L’idée de ne plus enseigner les exceptions de l’accord des participes passés n’est pas nouvelle. En 2019, le Journal rapportait que des experts ès langue française, comme Mario Désilets, didacticien du français, et Marie-Éva de Villers, auteure du Multidictionnaire, y étaient favorables. Peut-être faut-il en passer par là.

Face à la désaffection pour le français dans les jeunes générations, le réflexe est souvent de dire que notre langue est trop « complexe ». D’où l’engouement pour la simplification, un des avatars du « dépoussiérage ».

Il y a quelques années, la réforme de l’orthographe devait être embrassée au plus vite. Le passage d’« oignon » à « ognon », la suppression d’accents circonflexes (connaître, etc.), promettait de rendre le français illico irrésistible. Cela a-t-il fonctionné ? Qu’importe, on remet ça avec les participes passés.

Le coupable

 
Le « passé », la « poussière », justement, voici ce qui dérange, aujourd’hui : « Quand un élève me dit : “Madame, je ne comprends pas pourquoi on l’accorde comme ça”, la seule réponse que je lui donne est que des gens ont décidé des règles il y a 400 ans », témoignait une enseignante, dans « La Presse ».

Permettre de ne plus accorder « en genre et en nombre le participe passé employé avec avoir lorsque le complément direct est placé avant le verbe » va-t-il vraiment freiner le déclin du français ?

J’en doute. [Ce n’est pas la simplicité qui fait l’attrait d’une langue, mais son utilité, son poids économique, son prestige. Le français a été la langue de l’Europe cultivée au Grand Siècle grâce à la puissance démographique, culturelle, économique et militaire de la France, pas parce qu'il aurait été plus simple à l'époque. (En fait avec les vérificateurs d'orthographe c'est peut-être bien l'inverse.) Le latin qui n’est pas une langue particulièrement facile a conquis l’Europe… Ceci dit des complications inutiles dans l'orthographe ou la grammaire pourraient être éliminées, par exemple des lettres muettes irrégulières non étymologiques. Le participe passé avec avoir, par contre, se fait parfois entendre : les règles que j'ai apprises...] 

Il me semble que les sources profondes du déclin sont ailleurs. D’abord dans l’ubiquité et l’omnipotence des applications et plateformes numériques américaines ou anglophones, entre autres.

Mais aussi dans notre passion excessive pour le « dépoussiérage ». En mars, les ministres Drainville et Lacombe (Culture) se sont rendus dans une école pour échanger sur le français. Les élèves, paraît-il, ont accueilli favorablement l’idée de « recourir à des livres, des chansons et des films québécois pour l’apprentissage du français ». Oh joie ! Mais plusieurs jeunes auraient « insisté pour que les œuvres proposées soient contemporaines ». Le ministre Mathieu Lacombe s’est déclaré « sensible à ça ».

Notre époque a décidé qu’elle n’avait rien à apprendre du passé, sur lequel elle pose un regard méprisant : il s’agit pour elle d’une « grande noirceur », la seule altérité peut-être qui mérite une attitude de fermeture.

Pourtant, « étant donné que le monde est vieux, toujours plus vieux que [les élèves], le fait d’apprendre est inévitablement tourné vers le passé », soulignait la philosophe Hannah Arendt.

Dans le monde d’aujourd’hui, les adultes, les ministres, sont semble-t-il, prêts à céder à l’approche client (« c’est ce que les jeunes veulent »), jeter la culture avec le porte-poussière. Le contraire, s’intéresser au passé, aux œuvres qu’il nous a léguées, pourrait pourtant donner un sens riche aux apprentissages et développer l’esprit critique face à notre époque.

Devrait-on simplifier l’accord des participes passés dans la langue française ? C’est une question que soulève l’association des professeur. e. s [sic !] de français.

La question a initialement été scrutée par le Conseil international de la langue française qui propose une réforme afin de diminuer le temps qu’on y consacre en classe. L’AQPF appuie cette réforme et souhaite en profiter pour moderniser la langue française.


« En ce moment il existe un très grand nombre de règles de participe passé ainsi que d’exceptions », explique Alexandra Pharand, professeure de français et vice-présidente aux communications de l’AQPF.

Présentement, le participe passé employé avec l’auxiliaire avoir s’accorde en genre et en nombre avec le pronom ou le nom noyau du groupe nominal qui occupe la fonction de complément direct si ce dernier est placé avant le verbe.

S’il n’y a pas de complément direct ou s’il est placé après le verbe, le participe passé employé avec l’auxiliaire avoir ne s’accorde pas.

« Avec la réforme, on ne se poserait plus cette question », affirme Mme Pharand. « Avec l’auxiliaire avoir, ça resterait invariable. »

Le français a-t-il besoin d’être dépoussiéré ?

L’AQPF a rencontré le ministre de l’Éducation Bernard Drainville la semaine dernière à ce sujet. Selon sa vice-présidente Alexandra Pharand, il est grand temps de moderniser la langue française.

« Pour que cette langue reste en vie et évolue, elle doit s’actualiser », estime-t-elle. « Les différentes règles de participe passé sont figées dans le temps et elles sont basées sur des règles d’accord qui ont été déterminées au quinzième ou seizième siècle. »