jeudi 28 novembre 2024

Histoire du premier réseau d'écoles publiques aux É.-U.

Samuel Blumenfeld dans son livre Is Public Education Necessary? — ouvrage sur lequel nous reviendrons — nous rappelle comment le premier réseau d'écoles publiques vit le jour aux État-Unis.

Couverture de Is Public Education Necessary?,
enlèvement par la police d'un enfant éduqué
à la maison sous les yeux effarés de sa mère.
Vers 1817, un mouvement apparut à Boston dont le but était d’étendre le système d’écoles financées par les contribuables aux écoles primaires. Pour déterminer si un tel réseau se justifiait le Comité scolaire de Boston commanda une enquête.

« [L']enquête eut lieu en novembre 1817, elle révéla que Boston, alors peuplée d’environ 40 000 habitants, avait 8 écoles publiques [qui n’accueillaient que les enfants sachant déjà lire, leur fréquentation était libre, en partie payante et était en partie contrôlée par les parents], y compris l’École latine, une école africaine pour les enfants des Afro-Américains et une école dans l’Hospice pour les enfants des pauvres. L’effectif total de ces 8 écoles était de 2 365 élèves. Il s’agissait là d’approximativement 33 pour cent de la population d’âge scolaire. L’enquête révéla également que 154 écoles privées pour garçons et filles avec un effectif total de 3 757 étaient réparties à travers toute la ville. Il existait également 8 « écoles gratuites de la charité » avec un effectif de 365 élèves. Tout compris, plus de 4 000 étudiants âgés de 4 à 14 ans fréquentaient des écoles privées d’un type quelconque au prix total de près de 50 000 $ payés par les parents. L’enquête signalait que seuls 283 enfants âgés de 7 ans et moins ne fréquentaient aucune école. Ainsi, un pourcentage étonnant des enfants de la ville fréquentait bien l’école et les quatre pour cent qui n’en fréquentaient pas, pouvaient aller aux écoles de la charité si leurs parents le voulaient » (p. 43 de Is Public Education Necessary?)



Le grand architecte Bulfinch déclara en conclusion de ce rapport que l’imposition d’un système d’écoles primaires publiques complet pour y inclure les premières années d'apprentissage était inutile. En effet, non seulement 96 % des enfants fréquentaient déjà une école à l’époque, mais, au besoin, il vaudrait mieux aider financièrement les parents des 4 % restants, la plupart pauvres, à fréquenter une école de leur choix grâce à des bourses plutôt que de mettre en place un nouveau système d’écoles publiques financé par les contribuables, système dispendieux qui dédoublerait le réseau des écoles déjà en place. Bulfinch expliquait que « la plupart des parents qui envoient leurs enfants à l’école privée payante ne considèrent pas cette dépense comme une charge : il paie volontiers les frais, mus par l’amour de leur progéniture et par un sens du devoir. Ceci en fait de meilleurs parents. Ils sont, en effet, plus enclins à se préoccuper des affaires liées à l’éducation quand ils doivent verser une petite contribution que lorsque cette dépense est complètement prise en charge par le trésor public. » Bulfinch laissait, en outre entendre, que l’utilisation d’argent public pour usurper une compétence manifestement du domaine privé ne pouvait mener qu’à la dégénérescence morale. La solidarité familiale serait affaiblie par l’action d’un gouvernement qui prendrait en charge ce qui revenait de droit aux familles. Il ne faut pas oublier – devait-il ajouter – que la charge d’éducateur revient aux parents et que ceux-ci ne délèguent au maître d’école qu’une partie du rôle de parent et des droits afférents.

Malgré ce rapport et cette analyse de Bulfinch, la ville de Boston, principalement à l'instigation des unitariens, se décida à étendre le réseau des écoles publiques subventionnées par les contribuables pour y inclure désormais des écoles élémentaires.

L’instauration du premier système d’école publique aux États-Unis, celui de Boston, ne trouve donc pas sa cause dans un échec des nombreuses écoles publiques et privées qui couvraient Boston pas plus que dans une défaillance du libre marché. Il s’agit plutôt du résultat de l’action conjointe – et en apparence contradictoire – de plusieurs groupes de pression qui cherchaient tous à utiliser l’éducation publique pour accroître leur influence politique ou pour renforcer la puissance de l’État, qu’ils espéraient maîtriser. Les conservateurs religieux, les unitariens (des hérétiques ariens pour les calvinistes et les congrégationalistes) et les socialistes considéraient tous que l’éducation publique était une prise idéale dont il fallait à tout prix se rendre maître. Chacun de ces groupes avait plus à cœur de modifier les sentiments et les idées des enfants de leurs concitoyens selon des normes gouvernementales (qu’ils édicteraient) que de prodiguer un enseignement de base de qualité à ces enfants.

Université — Votre maîtrise est-elle inutile ?

Dans les mois à venir, des millions d’étudiants dans l’hémisphère nord vont s’inscrire à des études de deuxième et troisième cycles. La plupart d’entre eux complèteront leur diplôme de premier cycle par une maîtrise d’un ou deux ans, dans l’espoir de se démarquer sur un marché de l’emploi encombré de licenciés (diplômés d’un baccalauréat au Québec).

« La première raison pour laquelle les gens obtiennent ces diplômes est l’insécurité », estime Bob Shireman de la Century Foundation, un groupe de réflexion de gauche sis à New York. « Ils ont le sentiment que s’ils veulent obtenir un emploi — ou le conserver —, ils ont besoin d’une maîtrise. » Pourtant, en moyenne, ces diplômes entraînent une augmentation salariale nettement moins importante qu’un diplôme de premier cycle. De plus, un nouveau corpus de données et d’analyses suggère qu’une proportion scandaleusement élevée de cours de maîtrise entraîne une détérioration de la situation des diplômés.

Aux États-Unis, près de 40 % des travailleurs titulaires d’une licence ont également obtenu un diplôme de deuxième ou troisième cycles. Au cours de la décennie jusqu’à 2021, le nombre d’étudiants de deuxième et troisième cycles a augmenté de 9 %, alors que le nombre d’étudiants de premier cycle a baissé de 15 %. Les doctorats exigés par les universitaires et les diplômes professionnels de longue durée, comme ceux dont ont besoin les médecins et les avocats, sont de plus en plus populaires. Mais ce sont les cours de maîtrise qui continuent de représenter la majeure partie de la croissance.

Ils représentent une activité encore plus importante pour les universités britanniques, qui délivrent quatre diplômes de deuxième et troisième cycles pour cinq diplômes de premier cycle. Cela s’explique en grande partie par l’explosion du nombre d’étudiants en maîtrise originaires de pays tels que l’Inde et le Nigeria. Les Britanniques ne sont pas en reste. Le nombre d’étudiants inscrits à des cours de maîtrise a augmenté d’environ 60 % en 15 ans.

Cette évolution s’explique en partie par le fait que les employeurs exigent des qualifications plus poussées à mesure que les emplois dans les domaines de la science et de la technologie, en particulier, deviennent plus complexes. Mais les universités ne sont pas en reste. En Grande-Bretagne, les frais d’inscription aux études de premier cycle sont plafonnés par le gouvernement et n’ont pratiquement pas augmenté depuis dix ans. L’inscription d’un plus grand nombre d’étudiants de deuxième et troisième cycles — qui peuvent être facturés en fonction du marché — est un moyen de faire face à la situation. Aux États-Unis, la population en âge d’aller à l’université commencera bientôt à diminuer. Les présidents des établissements d’enseignement supérieur américains espèrent que les diplômés qui poursuivent leurs études pourront maintenir leurs établissements à flot.

Depuis 2000, le coût des études supérieures aux États-Unis a plus que triplé en termes réels, selon le Centre on Éducation and the Workforce de l’université de Georgetown. L’emprunteur médian s’endette aujourd’hui d’environ 50 000 dollars pour obtenir son deuxième diplôme, contre 34 000 dollars 20 ans plus tôt (en dollars de 2022). Près de la moitié de l’argent que le gouvernement américain prête aux étudiants va aux étudiants de deuxième et troisième cycles, alors qu’ils ne représentent que 17 % des étudiants. En Grande-Bretagne, les étudiants nationaux en maîtrise paieront environ 9 500 livres sterling (13 000 dollars) par an en 2021, soit 70 % de plus qu’en 2011 après prise en compte de l’inflation.

Si les étudiants supportent ces frais, c’est en partie parce qu’ils partent du principe que des diplômes prestigieux augmenteront généralement leurs revenus. « L’obtention d’un rendement financier n’est pas la seule raison de poursuivre des études », reconnaît Beth Akers, de l’American Enterprise Institute, un groupe de réflexion de droite. Mais « pour la grande majorité des étudiants, c’est l’ambition ». À première vue, ils font un pari raisonnable. Aux États-Unis, les travailleurs à temps plein titulaires d’une licence gagnent environ 70 % de plus que les diplômés de l’enseignement secondaire. Et ceux qui ajoutent une maîtrise peuvent espérer gagner 18 % de plus.

Cependant, les revenus varient énormément en fonction de la matière et de l’établissement. En outre, les diplômés de second et troisième cycles sont généralement issus de familles plus aisées et ont obtenu de meilleures notes que leurs camarades au cours de leurs études de premier cycle. Ils ont donc tendance à bien réussir dans la vie, indépendamment de leurs diplômes supplémentaires. Pour déterminer le rendement réel, il faut comparer les résultats de cette cohorte de doués avec ceux de personnes tout aussi impressionnantes qui ont décidé de ne pas poursuivre leurs études.

De ce point de vue, l’étudiant moyen en maîtrise ne gagnera pas plus de 50 000 dollars de plus au cours de sa vie grâce à son diplôme, estime Preston Cooper, analyste du FREOPP, un groupe de réflexion d’Austin, au Texas, qui a également pris en compte les frais de scolarité et les revenus potentiels perdus pendant les études. Pire encore, les étudiants inscrits à environ 40 % des cours de maîtrise américains ne gagneront pas d’argent supplémentaire ou subiront une perte financière. Il s’agit d’un risque plus élevé que pour les cours de premier cycle, qui, selon M. Cooper, offrent un rendement positif dans environ 75 % des cas.

Les données américaines étant encore assez fragmentaires, il faut encore beaucoup de suppositions pour parvenir à de telles conclusions. Les choses sont un peu plus claires en Grande-Bretagne, où les chercheurs qui le demandent gentiment peuvent exploiter une base de données croisant les déclarations d’impôts et les résultats scolaires de millions de jeunes adultes. En 2019, les analystes de l’Institute for Fiscal Studies, un groupe de réflexion londonien, ont conclu qu’un cinquième des étudiants de premier cycle (licence donc) s’en sortiraient mieux s’ils ne fréquentaient pas l’université.

Plus récemment, l’institut a étudié le rendement des cours de maîtrise, avec des résultats encore plus frappants. Il a constaté qu’à l’âge de 35 ans, les titulaires d’une maîtrise ne gagnent pas plus que les titulaires d’une simple licence (compte tenu de leur milieu plus aisé et de leur niveau d’études plus élevé). Ce résultat est « réellement surprenant », déclare Jack Britton, l’un des auteurs de l’étude. Elle diffère aussi nettement des recherches utilisant des données moins précises.

Des deux côtés de l’Atlantique, le choix de la matière est le facteur le plus important pour déterminer si une formation de maîtrise augmente les revenus. En Amérique, les gains sont particulièrement importants dans les domaines de l’informatique et de l’ingénierie. Ils sont légèrement inférieurs dans d’autres disciplines scientifiques, en partie parce qu’un diplôme de premier cycle dans ces domaines fait déjà grimper les salaires de manière significative. Les enseignants titulaires d’un diplôme d’études supérieures en éducation ont tendance à gagner davantage, même si les salaires de l’ensemble de la profession sont assez bas, parce que de nombreux districts scolaires américains augmentent automatiquement le salaire de ceux qui sont titulaires d’un tel diplôme.

Ce qui est encore plus frappant, c’est l’importance des rendements négatifs dans certaines matières. Les Britanniques qui obtiennent une maîtrise en politique gagnent 10 % de moins au milieu de la trentaine que leurs homologues qui étudient la même matière au niveau de la licence uniquement. Pour l’histoire, l’impact sur les revenus est d’environ 20 % ; pour l’anglais, il est proche de 30 % (voir graphique ci-dessous). Beaucoup de ceux qui suivent ces cours se destinent à des carrières dont ils savent qu’elles seront peu rémunératrices, mais qu’ils pensent apprécier, explique le Dr Britton. Mais d’autres s’orientent vers des études supérieures parce qu’ils n’ont pas encore décidé de la profession qu’ils allaient exercer. Il n’est sans doute pas surprenant que ces personnes aient tendance à gagner moins à moyen terme que leurs homologues qui sont passés directement de la licence à l’emploi.