jeudi 23 juin 2022

Qu'est-ce que le wokisme ? Décryptage d'un phénomène mondial

Mathieu Bock-Côté, 17 juin 2022, à Bruxelles (le lieu de conférence a dû être déplacé à la dernière minute à la « suite de pressions exercées par des personnes opposées au pluralisme démocratique.»


« Ils ont une haine de la langue, de l’effort de réflexion » : Sylvie Germain répond aux lycéens qui la harcèlent

Un texte de Sylvie Germain, tiré de son ouvrage Jours de colère (Gallimard), a été proposé aux candidats du bac de français 2022. Sur les réseaux sociaux, les élèves se sont déchaînés sur l’extrait qu’ils ont jugé trop difficile à analyser et ont insulté l’auteur.

Sylvie Germain a récolté un torrent d’insultes sur les réseaux sociaux. Son tort ? Avoir eu le malheur de voir un extrait de son roman Jours de colère — prix Femina en 1989 — proposé au commentaire du bac de français il y a quelques jours.

Le texte d’une vingtaine de lignes donnait la description de neuf frères, sorte d’hommes des bois, élevés dans les forêts du Morvan, « dans un passé indéterminé ». L’atmosphère sylvicole de l’extrait, l’opacité de certaines images et le champ lexical de la nature en ont, semble-t-il, déstabilisé plus d’un. Les « élèves neuneu » en question n’ont rien trouvé de mieux à faire qu’exprimer leur frustration sur Instagram dans un vocabulaire douteux et l’orthographe qui va avec. « Tu prend le commentaire tu ressors de la salle avec une formation de garde forestier », « On peut connaître le nom des 9 fils svp ? » « Ça m’avait pas manquer le livre de la jungle ». Sans compter les injures et les fulgurances des plus malins, autrement plus inspirés dans l’invective que face à leur copie.

Des professeurs en colère

De nombreux internautes ont pris la défense de l’écrivain, dénonçant sur Tweeter la violence gratuite de cette minorité bruyante tout en pointant du doigt le faible niveau scolaire des candidats concernés. « Bonjour l’intelligence des jeunes qui passent le bac de français et qui en veulent à #sylviegermain parce qu’elle possède plus de trois mots de vocabulaire… », se désole un étudiant. Des professeurs expriment leur inquiétude sur le réseau social. « Les lycéens qui se déchaînent sur #sylviegermain sont-ils vraiment les adultes et les électeurs de demain ? » « Je suis effarée de voir la réaction des élèves… Ils font preuve d’une violence inadmissible à l’encontre de cette autrice (qui en outre n’est en aucun cas responsable de leur inculture). Il serait plus prudent de ne plus choisir d’auteur vivant pour l’EAF. »

Le Figaro s’est entretenu avec Sylvie Germain au sujet de cette polémique.

LE FIGARO. — Qu’avez-vous ressenti en apprenant que votre texte avait été choisi au bac de français ?

Sylvie GERMAIN. — Je n’avais pas été prévenue, pour préserver la confidentialité de l’épreuve. Lorsqu’on accepte d’être publié et que notre texte devient public, on doit s’attendre à des surprises, bonnes ou mauvaises. J’ai été étonnée, et touchée par le choix d’un de mes livres, et aussi légèrement perplexe devant cet extrait peut-être peu évident hors contexte. Et puis, dès le lendemain, la polémique est arrivée, des lycéens mécontents ont déversé leur colère.

— Comprenez-vous ce déferlement de haine sur les réseaux sociaux ?

— Je ne suis qu’un prétexte, je ne me sens pas concernée personnellement. Je suis plutôt inquiète du symptôme que cela révèle. C’est grave que des élèves qui arrivent vers la fin de leur scolarité puissent montrer autant d’immaturité, et de haine de la langue, de l’effort de réflexion autant que d’imagination, et également si peu de curiosité, d’ouverture d’esprit. Le passage à analyser n’était pas délirant, le vocabulaire était accessible, mais certains se contentent d’un vocabulaire si réduit, riche seulement en insultes et en invectives, que tout écrit un peu élaboré leur est un défi, un outrage.

 Les plus « vénères » se sont donc défoulés (propos grossiers, goguenards, agrémentés parfois d’intimidations…, et montages photos et vidéos visant à me ridiculiser). Je n’éprouve même pas de colère, seulement de la désolation devant tant d’aveuglement et d’absence de remise en cause (s’ils ratent leur épreuve de français ce sera à cause de mon texte « de m... qui va niqué leur bac » [sic], pas du tout à cause de leur manque de travail et de réflexion), devant aussi leur rejet hargneux de la culture qui leur est dispensée au lycée. Ils veulent des diplômes sans aucun effort, se clament victimes pour un oui pour un non et désignent comme persécuteurs ceux-là mêmes qu’ils injurient et menacent. Quels adultes vont-ils devenir ?... J’espère que cette flambée de rage, où comme toujours le mimétisme et le goût de la surenchère électrisent la meute, va retomber aussi vite qu’elle a éclaté. Tout cela est aussi absurde qu’affligeant.

— Quels conseils auriez-vous pu donner aux élèves pour analyser votre texte ?

— Je n’ai pas de conseils à donner pour étudier ce texte, je n’écris pas pour proposer des analyses, juste des histoires susceptibles de faire rêver, imaginer, penser. Je ne peux que souhaiter aux élèves d’apprendre à lire, à s’efforcer de penser par eux-mêmes, et à aimer les mots, et aussi à en peser le poids, la justesse et les possibles conséquences quand ils les utilisent.


Découvrez l’extrait à commenter à l’écrit du bac de français 2022 :

Sylvie Germain (née en 1954), Jours de colère, Chants, « Les frères », 1989

Situé dans un passé indéterminé, le roman de Sylvie Germain Jours de colère prend place dans les forêts du Morvan. Le texte suivant est extrait d’un chapitre intitulé « Les frères ». Il présente les neuf fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse.

« Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce socle de granit d’un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources, troué d’étangs, partout saillant d’entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, — des étés écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que leurs colères.

Car tout en eux prenait des accents de colère, même l’amour. Ils avaient été élevés davantage parmi les arbres que parmi les hommes, ils s’étaient nourris depuis l’enfance des fruits, des végétaux et des baies sauvages qui poussent dans les sous-bois et de la chair des bêtes qui gîtent dans les forêts ; ils connaissaient tous les chemins que dessinent au ciel les étoiles et tous les sentiers qui sinuent entre les arbres, les ronciers et les taillis et dans l’ombre desquels se glissent les renards, les chats sauvages et les chevreuils, et les venelles que frayent les sangliers. Des venelles tracées à ras de terre entre les herbes et les épines en parallèle à la Voie lactée, comme en miroir. Comme en écho aussi à la route qui conduisait les pèlerins de Vézelay vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils connaissaient tous les passages séculaires creusés par les bêtes, les hommes et les étoiles.

La maison où ils étaient nés s’était montrée très vite bien trop étroite pour pouvoir les abriter tous, et trop pauvre surtout pour pouvoir les nourrir. Ils étaient les fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse ».