lundi 16 mars 2015

Montréal : on ferme des centres de francisation, on en ouvre d'anglicisation

De Tania Longpré :

Ce matin, en page 3 du quotidien métro figurait une publicité pour un centre d’éducation aux adultes, afin d’attirer des élèves pour des cours que j’appelle « d’anglicisation » le concept est assez simple : calqué sur les cours de francisation du Ministère de l’Éducation : on invite les gens à s’inscrire à un cours d’anglais langue seconde, en immersion totale pour une durée de 20 à 30 h hebdomadaires, soit le même horaire que les cours de francisation offerts aux immigrants allophones. Une excellente formation... pour 90 $ la session. De l’anglicisation des immigrants financée à même les fonds publics. Légal ? Évidemment. La loi 101 ne s’appliquant pas à l’éducation des adultes, qui offre pourtant une formation de niveau secondaire.

Juste sous le titre, on mentionne « d’apporter sa carte de résidence permanente » à lire cela, personne n’est dupe : la clientèle ciblée et recherchée n’en est pas une de Québécois natifs, mais de nouveaux arrivants.

Quelques kilomètres plus loin, on a fermé il y a quelques mois les services de francisation dans deux centres d’éducation des adultes de la Commission scolaire de Montréal, soit le programme à temps plein de jour au Centre Tétreaultville, dans l’est de Montréal et le Programme de soir au Centre Saint-Paul, dans l’ouest de la ville, par manque de clientèle. Plusieurs enseignants de la relève en francisation des immigrants adultes ce sont réorientés : soit dans l’enseignement au primaire ou au préscolaire, la francisation des adultes n’étant pas un secteur d’avenir : chaque année, des classes sont fermées et les séances d’affectation du corps enseignant sont pénibles : de moins en moins de postes sont offerts en francisation des adultes, année après année. Pourtant, on ne manque pas de clientèle : dans les neuf premiers mois de 2014, 39 % de nos nouveaux arrivants ne parlaient pas français. (source : statistiques du MIDI)

La réalité, c’est que la francisation des adultes immigrants n’est pas obligatoire, alors que les enfants et les jeunes sont intégrés de par la loi 101, les adultes fréquentent volontairement (ou pas !) les classes de francisation. Certains adultes immigrants apprennent le français et l’anglais en simultané (!) et d’autres suivent des cours d’anglais lorsqu’ils terminent leur francisation. Certains ne se présentent jamais en francisation, valorisant plutôt l’anglais et d’autres ne font jamais ni l’un, ni l’autre.

Déjà en 2008, les médias nous apprenaient que Québec avait dépensé 2,1 millions pour angliciser nos immigrants francophones. Le problème est plus grand, et même s’il est tabou, il est essentiel que nous sachions comment sont intégrés linguistiquement nos immigrants, qu’ils soient francophones ou allophones.

J’en ai parlé longuement dans mon premier livre Québec cherche Québécois, publié chez Stanké en 2013 : les nouveaux arrivants ne sont pas crédules : lorsqu’ils cherchent un travail, on leur mentionne souvent qu’ils doivent parler anglais. Un nouvel arrivant est souvent motivé à apprendre une langue seconde par instrumentalisation, donc parce qu’il en a besoin, plutôt que par volonté d’intégration. Lorsque certains constatent qu’on demande l’anglais pour travailler, ils vont apprendre l’anglais : ils ont besoin de travailler. Ils ne se sentent pas nécessairement concernés par la situation de la langue française ou de sa pérennité. Ils apprendront la langue qui leur donnera un revenu, un emploi, un avenir.

[Note du carnet : or à Montréal une langue semble suffire : la première du couple « Hi ! /Bonjour ! » Nous avons connu des patrons francophones qui demandaient à tous leurs employés francophones d’être bilingues — même des manutentionnaires — pour parler anglais aux employés anglophones qui habitent à Montréal.]


[...]

Notons que ni les péquistes ni les libéraux n’ont rendu la francisation des immigrants obligatoire ni légiféré pour appliquer la loi 101 à l’éducation des adultes. Cette situation aberrante se poursuit donc depuis des années : le gouvernement finance l’anglicisation des immigrants et contribue ainsi à marginaliser la place du français au Québec.


Le Québec, qui reçoit de plus en plus d’immigrants, doit se poser plusieurs questions sur l’intégration des nouveaux arrivants, qu’elle soit linguistique, culturelle ou économique. Nous devons surtout faire en sorte que nos nouveaux arrivants puissent contribuer à la pérennité d’une société francophone. Pour cela, il faudra agir et légiférer. Je doute que certains aient le courage politique de le faire.




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France — « Une journée de la langue française sans français : un exploit !»


Chronique de Jean-Paul Brighelli :


C’est donc aujourd’hui lundi 16 mars la journée (et la semaine) de la langue française. Un naïf penserait que voilà une belle occasion de ressortir les grands magiciens des mots — La Fontaine ou Racine, Voltaire ou Raymond Queneau, parmi tant d’autres... Que nenni : ce serait exalter une France franco-française qui fait naturellement horreur à tout bon citoyen mondialisé — et politiquement correct. Le ministère [français] de l’Éducation nationale a donc réfléchi — le diable aurait pu nous en préserver. Et, via un site spécifique, il a déterminé dix mots à mettre en vedette aujourd’hui. Préparez vos mouchoirs !

Noyer le poisson et le français

« Les dix mots de cette nouvelle édition invitent donc au voyage : “amalgame, bravo, cibler, grigri, inuit, kermesse, kitsch, sérendipité, wiki, zénitude”. Qu’ils viennent du flamand, de l’italien, de l’hawaïen, de l’arabe ou de l’inuktitut [esquimau], ces mots reflètent bien “l’hospitalité” de notre langue », écrivent les têtes creuses de la Rue de Grenelle. Tout est dit. Que le premier mot de la liste soit « amalgame » et qu’il vienne spécifiquement de l’arabe suffit à notre bonheur. Le français a beau être une langue latine (plus de 90 % de notre vocabulaire vient du latin, ou du grec à travers le latin — pensez au doublet hyper-super, où par une aberration sémantique le préfixe grec paraît plus grand que le préfixe latin qui est sa traduction exacte), notre sens de l’« hospitalité » nous permet d’accueillir [N. du carnet : d'assimiler en changeant la forme et le son] plein de mots immigrés.


Après l’arabe « amalgame », « bravo » vient de l’italien, « cibler » de l’alémanique, « grigri » est d’origine africaine, « inuit » déboule, comme on s’en doute, du Grand Nord et de l’inuktitut, « kermesse » (héroïque ?) est flamand, « kitsch » est allemand, « sérendipité » anglais, « wiki » hawaïen, et « zénitude » découle du japonais. On voudrait nous vendre l’Europe d’abord et le monde ensuite en un mini-lexique qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et d’inviter les écrivains et les élèves à inventer des textes intégrant (ah, l’intégration !) le plus possible de ces mots issus de communautés diverses. C’est un projet politique avant d’être une célébration du langage hexagonal.

Noyer la France

Nous habitons notre langue. Elle est constituée de strates parfois fort anciennes, certaines bien minces (il ne reste pas grand-chose de la langue celte et, dans le gallo-romain, c’est le romain qui a prévalu largement), d’autres fort épaisses : nous parlons une langue latine, comme nous avons hérité d’une culture judéo-chrétienne teintée de latinité et d’hellénisme. Et rien d’autre. Que « chocolat » vienne de l’aztèque et « tabou » du tahitien est anecdotique — ça permet d’occuper trois minutes de classe en cours de français. Et il serait temps d’enseigner le français, d’enseigner la France, avant de s’intéresser aux « mélanges » occasionnels. Le français a une exceptionnelle faculté d’intégration (contrairement à l’anglais, qui, par exemple, respecte autant que possible les noms originels des villes, Firenze ou Beijing, dont nous n’avons aucun scrupule à faire Florence et Pékin — comme nous avons transformé Mohammed en Mahomet par métathèse — membre éminent de la nombreuse famille des métaplasmes) et s’est fixé à partir du XVIIe siècle parallèlement à un système idéologique, la monarchie absolue — si bien que les Bourbon s’installant sur le trône d’Espagne ont créé une Académie ibérique sur le modèle de l’Académie française pour imposer le castillan comme modèle unique, conformément au roi garant de cette unicité.

C’est le système de la langue qu’il faut apprendre aux enfants et aux adolescents — pas de multiples anecdotes dont la juxtaposition donne l’image d’une langue de bric et de broc, comme on veut nous faire croire que nous sommes un peuple de hasard juxtaposant trente communautés diverses et antagonistes. La France, via sa langue (mais il faudrait l’apprendre sérieusement, et non de façon impressionniste), parle d’une seule voix — et cette voix parle français. Ou du moins elle devrait. Malheur à nous si nous continuons à nous noyer dans un européanisme stérilisant et une globalisation mutilante. Malheur à nous si nous nous persuadons que nous sommes une mosaïque de « communautés » parlant, comme à Babel, des langues incompatibles. C’est à l’école que tout peut aujourd’hui recommencer — si nous consentions enfin à faire de l’école le lieu de la reconquête de la langue et de la souveraineté.




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Comment faire réussir les garçons à l’école

Tiré d'un billet de Noémie Mercier (avec quelques réserves) :

« Que faire alors pour permettre aux gars d’exprimer leur plein potentiel à l’école, notamment en lecture et en écriture ? Cette préoccupation n’est pas propre au Québec : lors du plus récent test PISA (pdf), une épreuve internationale chapeautée par l’organisation de coopération et de développement économiques, les garçons ont obtenu de moins bonnes notes en lecture que les filles dans la presque totalité des 65 pays participants. (Les filles, de leur côté, ont moins bien réussi en maths que les garçons dans 37 pays sur les 65 sondés.)

Des chercheurs du monde entier se sont intéressés à ce troublant écart. Voici deux pistes de solution puisées dans leurs travaux.

Donnez-leur plus d’hommes profs…

Peut-être ont-ils besoin d’un modèle positif qui leur montre qu’être studieux et aimer la lecture, ce n’est pas qu’une affaire de fille. Ou peut-être qu’un enseignant est plus enclin qu’une enseignante à les comprendre, à croire en eux et à les traiter avec indulgence. C’est en tout cas ce que laisse présager une vaste étude publiée en 2007 dans le Journal of Human Resources par Thomas S. Dee, aujourd’hui professeur à l’Université Stanford.

Ce chercheur a analysé les résultats de tests d’anglais, de science et d’histoire qui avaient été administrés à quelque 21 000 élèves de 2e secondaire, partout aux États-Unis. Résultat : les garçons comme les filles ont moins bien réussi dans les matières qui leur étaient enseignées par un prof du sexe opposé.

Thomas Dee calcule que le simple fait de remplacer une femme prof par un homme dans un cours d’anglais, par exemple, réduirait du tiers l’écart entre les sexes dans cette matière, en améliorant le rendement des garçons… et en diminuant celui des filles.

Le spécialiste s’est aussi intéressé à l’engagement des jeunes envers leurs études et au jugement que les profs portent sur leurs ouailles. Encore là, observe-t-il, le sexe de l’instituteur n’y est pas étranger. Lorsqu’ils ont un homme comme prof, particulièrement en anglais et en histoire, les gars sont moins susceptibles d’être considérés comme des élèves qui dérangent et qui négligent leurs devoirs ; ils ont aussi davantage hâte au prochain cours.

Même chose pour les filles en science : elles ont moins tendance à être perçues comme étant dérangeantes ou inattentives lorsque leur prof est du même sexe qu’elles ; elles sont également plus portées à dire qu’elles ont hâte à ce cours et à trouver cette matière utile à leur avenir. Dans un domaine traditionnellement masculin, une enseignante de leur sexe les inspire, semble-t-il, à rêver plus grand que les stéréotypes.

Mais ne les séparez pas des filles !

Certains commentateurs soutiennent que le meilleur moyen d’amener les gars à se concentrer sur leurs études, c’est de les isoler des filles, dont la présence serait une source de distraction et leurs succès scolaires une cause de démoralisation. Pas fou.

Le hic, c’est que cette hypothèse n’est pas appuyée par la recherche. Selon des rapports issus tant du canada que des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, les jeunes qui fréquentent une école non mixte n’obtiennent pas de meilleures notes et n’ont pas plus de chances de décrocher un diplôme universitaire que ceux qui côtoient le sexe opposé en classe. [Noémie Mercier ne mentionne pas de sources]

La proximité des filles, qui sont en moyenne légèrement plus précoces sur le plan verbal, serait au contraire bénéfique pour leurs camarades, du moins chez les tout-petits. Car elles ont la parole contagieuse. Les garçons qui grandissent avec une sœur jumelle parlent déjà mieux à l’âge de deux ans que ceux qui vivent avec un frère jumeau (non identique) : la présence à leurs côtés d’une compagne un peu plus verbomotrice suffit à les tirer vers le haut, selon cette recherche [publiée en 2000] menée à Londres par une équipe dont faisait partie Ginette Dionne, professeure de psychologie à l’Université Laval. [Il faut voir si les hormones dans le milieu utérin partagé par les jumeaux n'auraient pas d'effets. En outre, on parle ici au mieux de contacts bien avant l'adolescence, époque à laquelle on parle de distractions et d'âges pubertaires différents.]

Les fillettes aussi bénéficient de ces contacts : celles qui sont élevées auprès d’un grand frère, par exemple, s’intéressent beaucoup plus aux jeux de construction, aux camions et aux sports — et sont donc plus aptes à développer leurs talents athlétiques et leurs compétences techniques — que celles qui n’ont pas cette chance.»

Noémie Mercier fournit comme justification à ce paragraphe l’étude « Sex-typed play in opposite-sex twins » d’Henderson et de Berenbaum effectuée en 1997. Cette étude ancienne porte principalement sur autre chose (est-ce que les hormones dans le milieu utérin expliqueraient l’attirance pour des jouets stéréotypiques garçons/filles ?) avec des résultats minoritaires par rapport aux autres études peu exploitables (voir p. 156 de Gender Development par Judith E. Owen Blakemore,Sheri A. Berenbaum et Lynn S. Liben.)





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