lundi 25 janvier 2010

Entretien avec Philippe Nemo sur l'école unique et le monopole d'État


Q. Philippe Nemo, bonjour. Afin de démarrer cet entretien, peut-être pourriez-vous faire un résumé rapide de votre livre pour ceux qui n'ont pas encore lu ?

Ph. N. Dans ce livre, je raconte en accéléré l'histoire politique de la France aux XIXe et XXe siècles. Je montre qu'elle est structurée, pour l'essentiel, autour de l'antagonisme entre deux idéaux-types, le jacobinisme révolutionnaire (que j'appelle « 1793 ») et la démocratie libérale (que j'appelle « 1789 »). Je montre que les grands progrès histo­riques sont venus par « 1789 » et par lui seulement, tandis que « 1793 » était responsable uniquement de violences, de refus des élections démocratiques, d'obscu­rantisme intel­lectuel et de régres­sions sociales. Je montre également que la République à laquelle la plupart des Français sont aujourd'hui attachés, c'est-à-dire l'État de droit démo­cra­tique défendant les libertés fondamentales et les droits de l'homme, a été créé non pas par ceux qui ont sans cesse à la bouche « Marianne » et la « République », mais, essen­tiel­lement, par leurs adversaires. Elle a été fondée, en effet, par les monar­chistes et les bona­par­tistes raisonnables qui, à mesure qu'avançait le XIXe siècle, avaient compris qu'aucune des trois dynasties ayant régné sur la France, les Bourbons légitimes, les Orléans, les Bonapartes, ne pouvait plus reprendre seule le pouvoir sans bain de sang, et que donc, selon le mot profond d'Adolphe Thiers, la République était « le régime qui nous divise le moins ». C'est eux qui, en 1875, en alliance avec les républicains modérés de Jules Ferry et Jules Grévy, ont fondé le régime actuel.

À cette époque, les socialo-­communistes étaient dans l'opposition à ce régime ! Ce n'est que plus tard, à l'occasion du Bloc des Gauches de 1901-1906, qu'ils ont commencé à participer au gouver­nement. La gauche franc-maçonne et socialiste a fait alors une véritable OPA [mainmise] sur la République, prétendant qu'elle en était l'inventeur et que tous ceux qui refusaient le collectivisme étaient des réaction­naires, des partisans du retour à l'Ancien Régime, des cléricaux ennemis bornés de la science, etc. C'était faux, mais, comme cette même gauche s'était emparée de l'école et fait depuis lors le caté­chisme à tous les enfants de France petits et grands, cela explique que la plupart des Français de bonne foi, mais qui n'ont pas spécialement étudié l'histoire, croient aux mythes répandus par la gauche.

Ce sont ces mythes que j'essaie d'élucider et de démonter un à un dans le livre. Par exemple, que la gauche aurait été dreyfusarde, qu'elle serait laïque (alors qu'elle est adepte d'une religion millénariste-révolutionnaire intolérante, une « foi laïque » parfaitement indémontrable et visant néanmoins au monopole idéologique), qu'elle aurait été anti-vichyssoise (alors que le régime de Vichy a été largement fondé et dirigé par des gens de gauche : Laval a été pendant vingt ans membre de la SFIO, et même de sa composante blanquiste la plus radicale ; quant aux partis collaborationnistes pronazis de Paris rêvant d'être nommés par les Allemands à la place de Laval, ils étaient dirigés par Marcel Déat, ex-numéro 2 du Parti socialiste (et principal théoricien de l'école unique !) et par Jacques Doriot, ex-numéro 2 du Parti communiste ; un des idéologues patentés de Vichy a été Gaston Bergery, ex-numéro 2 du Parti radical, plusieurs syndicalistes ont été ministres du régime, à commencer par le Secrétaire général de la CGT, René Belin, signataire de la première loi sur les juifs...)

Mais il est clair que ce n'est pas comme cela qu'on raconte l'histoire aux Français.

Q. Pouvez-vous nous présenter les raisons qui vous ont poussé à écrire ce livre ? Est-ce l'actualité ? L'aboutissement d'un travail ?

Ph. N. J'ai fait ce minutieux travail d'enquête d'abord pour y voir clair pour moi-même, et ensuite, à mesure que je comprenais « les choses cachées depuis la fondation de la République » (pour paraphraser le titre du célèbre livre de René Girard Des choses cachées depuis la fondation du monde où il analyse la formation des mythes), pour essayer de faire profiter de ces mises au point le plus grand nombre possible de mes compatriotes. Car j'ai foi (une foi peut-être aveugle) dans notre pays qui a été, dans le passé, un grand pays intellectuel. Je m'imagine qu'il y a partout en France des esprits libres capables de résister à décennies de propagande et de penser et d'agir à contre-courant pour préparer l'avenir, comme cela s'est d'ailleurs toujours fait dans l'Histoire où les grandes illusions ne sont jamais éternelles.

Il y a aussi à ce livre une cause occasionnelle. J'avais organisé avec Jean Petitot, entre 2001 et 2005, un séminaire de recherche, commun à l'ESCP et au CREA de l'École polytechnique, sur l'histoire du libéralisme en Europe. De ce séminaire est sorti un livre, Histoire du libéralisme en Europe (PUF, 2006) pour lequel j'avais écrit un article intitulé « La face libérale de la République française ». Je commençais à y analyser les idées évoquées plus haut : je montrais le rôle des hommes de « 1789 » dans la naissance et le gouvernement de la IIIe République, j'expliquais l'anti-républicanisme foncier des hommes de « 1793 ». Mais cette thèse politiquement incorrecte avait besoin d'être suffisamment documentée et étayée. Il fallait que j'étudie à nouveaux frais des dossiers compliqués et énormes comme la fondation de la IIIe République, l'Affaire Dreyfus, Vichy... Renonçant donc au dernier moment à insérer l'article en question, trop incomplet, dans notre ouvrage, je me suis remis au travail. Ce n'est que deux ans plus tard que j'ai pu présenter le résultat de ces recherches dans Les deux Républiques françaises.

Q. Dans cet ouvrage, vous parlez longuement du problème de l'éducation. Vous évoquez le concept d'« école unique » élaboré dans les années 1920 par la franc-maçonnerie radical-socialiste et peu ou prou réalisé par l'Éducation nationale de la seconde moitié du XXe siècle. La dérive de notre école remonte donc loin. Y a-t-il quelque chose à faire aujourd'hui pour remonter la pente ? Quelles mesures préconiseriez-vous pour faire avancer la liberté scolaire aujourd'hui ?

Ph. N. Mettre fin au monopole idéologique de l'Éducation nationale est une priorité. Les initiatives de la société civile, par exemple la création de l'association « Créer son école » par Anne Coffinier ou de l'association « SOS Education » fondée par Vincent Laarman, un de mes anciens élèves, sont très encourageantes. D'autre part, il faut convaincre l'opinion que la liberté scolaire est une nécessité, qu'elle est techniquement possible, et surtout qu'elle est légitime, et même seule légitime dans des sociétés démocratiques. Il y a beaucoup à faire à cet égard, tant les mythes ont la vie dure, tant les prétendus « laïques » ont été longtemps seuls à occuper le terrain et ont pu faire croire aux Français que le monopole scolaire est aussi naturel que l'air qu'on respire. Pourtant, il n'existe dans aucun grand pays démocratique autre que la France. [Note du carnet : Étant donné que ce monopole est encore plus étouffant au Québec où même les écoles non subventionnées doivent appliquer le programme du Monopole de l'Éducation, il faut en conclure que le Québec n'est pas un grand pays démocratique.]

Q. Que pensez-vous par exemple du chèque-éducation, plébiscité par nombre de libéraux ?

Ph. N. J'en pense le plus grand bien et j'ai précisément publié plusieurs articles allant dans ce sens, dont deux, tout récemment, en espagnol. L'Espagne est en effet un pays très intéressant du point de vue scolaire, car le monopole socialo-communiste sur l'école n'a jamais pu s'y imposer totalement comme en France, pour la double raison de la guerre civile (qui s'est terminée sur une sorte de statu quo, chaque camp gardant des positions) et de la structure fédérale du pays (l'éducation étant en partie du ressort des communautés autonomes).

Il faut à mon sens un pluralisme scolaire, pour briser l'actuel monopole de la prétendue Éducation nationale. Celle-ci usurpe doublement son nom, puisqu'elle n'éduque plus et n'est en aucune façon nationale, mais appartient depuis le début du XXe siècle à un groupe privé et partisan, l'alliance de la franc-maçonnerie et des syndicats enseignants socialo-communistes. Cette alliance est parvenue à imposer au pays une idéologie qui est la cause profonde de l'appauvrissement et de la décadence relatifs de la France dans les dernières décennies. Donc il faut un pluralisme scolaire pour mettre fin à ce monopole et que chaque famille puisse trouver une école respectant ses valeurs. La France est divisée à peu près à 50/50 entre droite et gauche ; or 90 % des professeurs sont de gauche. Est-ce normal ? N'est-ce pas un despotisme caractérisé ?

Cependant, il ne faut pas non plus que l'éducation soit assurée par le seul secteur marchand, ce qui aurait les effets pervers qu'a excellemment étudiés Hayek dans un célèbre chapitre de son grand ouvrage de 1960, la Constitution de la liberté. Il y a d'excellents arguments libéraux en faveur d'un financement collectif de l'éducation générale de base, en tant que siège d'externalités tant positives (si l'éducation est bien faite) que négatives (si elle est mal faite ou si elle n'existe pas).

Fort heureusement, il est parfaitement possible de concilier le principe du pluralisme et celui du financement collectif. La solution est de découpler le problème du financement de l'éducation de celui de sa prestation. On peut très bien avoir un financement public et une prestation privée, pluraliste et concurrentielle. Avec ce système, l'école de base est gratuite pour tous, et il y a une émulation entre les écoles qui joue dans le sens de la qualité et de la responsabilité ; en même temps, l'emprise idéologique d'un groupe sur la société trouve ses contrepoisons. C'est bien l'idée directrice du « chèque-éducation ».

La même idée peut être mise en œuvre de façon un peu différente. Pour ma part, j'ai suggéré un système où la loi établit un « Cahier des charges » que doit respecter toute école et où une autorité administrative indépendante accorde l'agrément aux écoles dont elle a pu constater qu'elles se conforment audit Cahier des charges, et le leur retire quand ce n'est plus le cas. Munies de l'agrément, les écoles ont le droit de passer des contrats pluriannuels avec les pouvoirs publics (rectorats ou collectivités locales). Mais elles sont de statut privé : elles recrutent et gèrent librement leur personnel, elles inscrivent et renvoient librement leurs élèves, elles choisissent leur pédagogie. On trouvera le détail de ce projet sur le site de SOS Éducation.

Q. Vous avez eu l'occasion d'évoquer ces idées à de nombreuses reprises à travers l'Europe. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ph. N. Une Internationale libérale en matière d'éducation est en train de se mettre en place en Europe pour faire pièce à l'Internationale du socialisme éducatif qui existe au moins depuis un demi-siècle. Beaucoup de projets sont très avancés en Italie, en Espagne, en Angleterre (où Tony Blair, je le dis en passant, a officiellement supprimé le « collège unique »). Un certain pluralisme existe déjà en Allemagne où l'éducation est du ressort des länder, et où, par conséquent, aucun land n'a pu imposer l'« école unique » à la française ; les familles et les élèves auraient déménagé dans le land voisin... En Belgique et aux Pays-Bas aussi, en raison notamment de l'histoire religieuse de ces pays, une certaine liberté de choix existe déjà pour les parents. Enfin, en Suède, un système d'écoles libres subventionnées, mais libres de leurs programmes et de leurs méthodes, a été mis en place il y a quelques années par un gouvernement de droite ; il n'a pas été supprimé par les sociaux-démocrates lorsqu'ils sont revenus au pouvoir, parce qu'ils constataient que cet aiguillon de concurrence était excellent pour stimuler aussi l'école publique. Finalement, la France est le seul vrai pays du totalitarisme scolaire. Il le paie cher en termes de niveau et d'effondrement dans les classements internationaux.

Il y a une raison qui place à nouveau ces problèmes dans l'actualité aux yeux des gouvernants lucides. C'est que les politiques socialisantes en matière d'éducation qui ont été menées dans de nombreux pays d'Europe depuis un demi-siècle ont conduit à une sorte de faillite. Étant donné qu'elles ont eu pour seule finalité et obsession la « réduction des inégalités sociales », l'accès du plus grand nombre d'élèves et d'étudiants aux plus hauts niveaux d'enseignement, elles ont abandonné le souci de la qualité et de l'excellence de l'éducation elle-même, qui suppose distinction entre élèves, filières, classes homogènes, émulation, valorisation et récompense de l'excellence, etc., tous procédés incompatibles avec le dogme égalitariste. Elles ont donc abouti in fine à un affaiblissement scientifique considérable de l'Europe qui se décèle dans de nombreuses enquêtes internationales. Or, dans le monde mondialisé, deux autres pôles ont pris le relais de l'excellence scientifique européenne : depuis longtemps, les États-Unis, et, depuis quelques décennies, le Japon et les autres pays asiatiques, Chine, Corée, Singapour... C'est eux qui trustent les Prix Nobel et sont à la pointe de l'innovation technologique. Partant, c'est eux qui créent le plus d'emplois à forte valeur ajoutée. Mais précisément, ils n'ont pas adopté de politiques scolaires massifiantes, bien au contraire ils ont organisé une compétition scolaire et universitaire intense.

En se laissant décrocher par rapport à eux, l'Europe s'expose à perdre ses emplois et sa prospérité (puisque les nouveaux pays émergents fournissent une main d'œuvre de qualification de plus en plus proche des standards européens, pour des salaires sensiblement inférieurs). Les politiques se sentent donc interpellés : s'ils ne se décident pas à se colleter avec les gros bataillons de la gauche sur le terrain de l'éducation, ils auront face à eux des bataillons encore plus gros sur le front du chômage. La crainte, dit-on, est le commencement de la sagesse ; il n'est donc pas strictement impossible que les hommes politiques — même français ! — deviennent un peu plus sages à moyen terme.

Q. Vous prenez très fréquemment à partie la franc-maçonnerie dans ce livre. N'avez-vous pas l'impression de trop l'accuser, d'en faire une responsable trop facile ?

Ph. N. Pas du tout. Dans le livre, je me permets de mettre formellement en cause le rôle politique de la franc-maçonnerie sous la IIIe République parce que ce rôle est désormais bien connu. Avec le temps, les principales informations ont fini par percer et les travaux des historiens se sont multipliés. Il est historiquement prouvé qu'il y a eu, de la part de cette Église ou secte, une tentative de prise de pouvoir général sur notre pays pour changer en profondeur ses structures sociales, sa culture, sa morale et ses mœurs. Ce projet comportait en particulier une mainmise organisée et planifiée sur « l'École de la République » (comme ils disent), et les francs-maçons se sont placés aussi avec méthode dans de nombreux autres secteurs de l'appareil d'État (notamment la justice et la police ; ils ont essayé également, mais avec moins de succès, de s'implanter dans l'armée). Je ne dis pas que cette entreprise est bonne ou mauvaise, légitime ou illégitime, je dis seulement qu'elle a existé, que c'est un fait historiquement prouvé.

Et je constate que bien peu de Français le savent ! Car ce qui est mal, en toute hypothèse, c'est que cette action des francs-maçons n'a jamais été présentée comme telle à l'opinion publique ; les maçons ont toujours procédé de façon clandestine ou, du moins, cachée, non-publique, contrairement aux idéaux essentiels de la démocratie. Les Français n'ont jamais su où on voulait les mener. En particulier, beaucoup de lois concernant les mœurs, le code de la famille, la fiscalité ont été pensées d'abord dans les loges et sont devenues des lois en raison de l'influence des maçons au Parlement (à certaines périodes, sous la IIIe République, la moitié des parlementaires et des ministres appartenaient à l'Ordre). Or on a présenté ces lois comme résultant de l'évolution naturelle des mœurs, comme « voulues en profondeur par le pays ». Pas du tout ! Elles n'étaient voulues, au départ, que par une poignée d'idéalistes, en vertu d'ailleurs d'une doctrine philosophique respectable si l'on veut, mais extrêmement faible sur le plan intellectuel, très anti-rationnelle, fondée sur un ésotérisme invérifiable...

D'autre part, il y a eu une attaque, non moins profondément pensée et organisée, contre le christianisme. La maçonnerie peut se vanter d'avoir gagné cette guerre en rase campagne, puisqu'elle a quasiment fait disparaître l'Église de France. Elle l'a fait notamment en persécutant ses écoles et en excluant de l'enseignement des dizaines de milliers de prêtres et religieux, donc en cassant la chaîne de la transmission de la foi et de la culture religieuse, et aussi en asséchant complètement les ressources financières traditionnelles de l'Église par l'impôt progressif, les impôts sur les héritages et sur le capital, la lourdeur de la fiscalité en général. Ce plan d'extermination du catholicisme avait été élaboré par Edgar Quinet et ses disciples dès les années 1860... Il a été exécuté d'une main de maître par leurs successeurs. Or ce phénomène n'a pas eu lieu en Allemagne, ni en Angleterre, ni en Espagne, ni en Italie, ni dans les pays nordiques, pour ne pas parler des États-Unis ! L'observateur des arcanes de la vie politique peut donc saluer cette belle victoire, mais il est permis de ne pas s'en réjouir quand on voit ce qu'est devenue moralement la France d'aujourd'hui.

De ce qu'a fait la maçonnerie sous les IVe et Ve République, je ne parle pas dans le livre puisqu'il est encore impossible d'avoir des informations fiables et suffisamment détaillées sur ces questions. Je parle encore moins de ce qu'elle fait et de ce qu'elle est aujourd'hui. Il est probable qu'elle a perdu beaucoup de son pouvoir. D'autre part, je n'ignore évidemment pas qu'il y a plusieurs obédiences dans la maçonnerie, dont certaines sont modérées. Mais je sais bien que le Grand Orient a aujourd'hui encore un poids considérable dans l'Éducation nationale, et qu'il ne pèse certes pas dans le sens de la liberté.

Q. Vous semblez estimer que la droite a plus fait avancer les idées libérales et reste le plus à même de le faire aujourd'hui. Pourtant, une gauche libérale et une droite antilibérale ont toujours existé. Ne craignez-vous pas d'avoir un préjugé trop favorable en faveur de la droite ?

Ph. N. Pas plus qu'Hayek, qui s'en est expliqué dans son fameux épilogue à la Constitution de la Liberté (« Why I Am Not a Conservative »), je ne suis de « droite ». Je suis démocrate libéral, et j'ai montré dans mes livres que ce modèle et cette philosophie s'opposent autant à la vision du monde de la droite qu'à celle de la gauche. Mais nous vivons dans des démocraties où le système majoritaire induit toujours une bipolarisation. Si l'on veut participer à la vie politique, il faut donc choisir d'entrer dans un camp ou dans l'autre, et cela conduit parfois à s'allier avec des gens dont on ne partage pas la philosophie, même si, provisoirement, on a intérêt à établir avec eux un compromis tactique. Dans l'histoire, les libéraux se sont tantôt alliés avec la gauche (par exemple les libéraux italiens à l'époque du Risorgimento), tantôt à la droite (par exemple le tiers-parti d'Émile Ollivier avec Napoléon III à la fin du Second Empire). La situation en France aujourd'hui est que, dans le bloc électoral de la gauche, les libéraux ne sont représentés que par le 1% de Jean-Marie Bockel au dernier congrès du PS. On en conclut ordinairement qu'il faut que les libéraux s'allient plutôt avec l'UMP, mais il est vrai qu'au sein de celle-ci, leur poids n'est pas non plus très grand (même si, bien évidemment, il dépasse 1 %...). Beaucoup de libéraux ont été séduits par la campagne de Nicolas Sarkozy et cru qu'il pouvait rompre avec le jacobinisme commun à la gauche et au gaullisme qui se sont partagé le pouvoir en France depuis 1958. Je devine leur désarroi aujourd'hui... Et je tire, pour ma part, une autre conclusion. C'est qu'il faut prendre ses distances à l'égard de la politique politicienne et agir prioritairement au plan des idées. Il faut écrire des livres fondamentaux expliquant pourquoi seule une société de liberté est à la fois viable (sur le plan socio-économique) et vivable (sur le plan de la dignité morale). Et il faut multiplier associations, sites Internet, revues, événements divers, pour diffuser ces idées. Il faut surtout et d'urgence créer ne serait-ce qu'un seul journal vraiment libre et de qualité, qui soit capable d'inscrire dans l'« agenda » des médias et de notre classe politique les idées libérales qui en sont actuellement exclues, condition première pour qu'il y ait en France des débats intellectuels dignes de ce nom, comme il y en a tous les jours en Allemagne, en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, comme il y en avait encore en France avant 1981. C'est sur ces terrains que mes efforts se sont portés depuis des années.

Entretien réalisé par Quentin Michon et Nicolas Rannou le 29 septembre 2009 à Paris. Vous pouvez le retrouver dans les Mélanges en l'honneur des Deux Républiques françaises, disponible en libre téléchargement sur Internet ou sur Amazon (ISBN 2810604487)


En complément, un entretien (106 minutes) du vendredi 6 avril 2007 avec Philippe Nemo autour de son livre « L’Histoire des idées libérales en Europe » (Presses Universitaires de France) :

Appel de la cause de Drummondville, les trois juges en délibéré

Il faudra encore patienter avant de savoir si la Cour d’appel entendra la cause des parents d’élèves fréquentant des établis­sements de la Commis­sion scolaire des Chênes, à Drummond­ville, et qui souhaitent que leurs enfants soient exemptés du contro­versé cours gouver­nemental d’éthique et culture religieuse (ECR).

Les juges Marc Beauregard, Yves-Marie Morissette et Lorne Giroux ont choisi de prendre la requête en délibéré. Ils rendront leur décision par écrit dans les prochaines semaines, à une date qui reste à déterminer.

Près d'une vingtaine de parents du Québec ont assisté à l'audience ce lundi matin et, selon la journaliste de la Presse présente sur place, ont vivement manifesté leur souhait que l'appel soit entendu. « Le cours d'éthique enseigne le relativisme religieux comme une doctrine. On s'oppose à ça », dit Jean Servais, qui souhaite que sa fille soit exemptée du cours.

L'an dernier, 2 300 parents ont demandé que leurs enfants ne suivent pas le cours ECR. « Mais plusieurs parents, comme moi, n'ont pas osé se lancer dans une longue bataille judiciaire, note M. Servais. C'est pour ça que la cause de Mme Lavallée est si importante. Elle et ses enfants se battent pour nous tous. » Rappelons que les frais associés à la défense des parents Lavallée s'élèvent à plus de 100 000 $, que la mère et le fils ainé ont été soumis à deux reprises à de longues séances d'interrogatoire de plusieurs heures avant le procès et qu'ils ont participé à un procès d'une semaine tenu en mai à Drummondville.

Écoutez Me Jean-Yves, avocat des parents, expliquer une des erreurs de droit qu'il invoque pour aller en appel :


Motifs de l'inscription en appel (PDF 15 pages).

Requête en rejet d'appel de la procureure générale (PDF 12 pages).

Un lundi à la Cour d'appel

Le bâtiment de la Cour d’appel du Québec est un bâtiment néo-classique à l’élégance sévère. Sa façade est composée de quatorze colonnes de style dorique en granit. Gravissant les degrés de l’escalier, le visiteur traverse d’abord l’hémicycle du porche dans l’œuvre où trônent deux grandes torchères de bronze puis les deux lourds vantaux du portail couverts de bas-reliefs allégoriques représentant la justice, le châtiment et la vérité. En haut d’un des battants, la maxime gravée « Dura lex, sed lex ».

Le contrôle de sécurité se situe à l’entrée de la salle des pas perdus. Cette grande bâtisse est quasi vide en cette matinée pluvieuse. On croise quelques avocats qui se précipitent vers leur vestiaire pour y revêtir leur toge et achever leurs derniers préparatifs. Des parents commencent à arriver, consultent le rôle affiché à côté de l’entrée de la salle d’audience : l’affaire Lavallée est la quatrième. Il est 9 h 30, on ouvre les portes.

Le bas de la salle est couvert de lambris, au fond le banc des juges et derrière celui-ci un panneau de bois qui devait accueillir un grand portait désormais absent et puis, bien haut, les armoiries du Royaume-Uni supportées à dextre par un léopard et à senestre par une licorne au pied desquels on peut lire « Dieu et mon droit ». La salle est éclairée par un grand plafonnier d’albâtre en forme de vasque parcourue de veines brunes ainsi que des appliques dans ce même style Art déco.

Les trois juges pénètrent. Ils s’asseyent. Au centre, le juge qui mènera les débats : le juge Marc Beauregard à l’ample chevelure blanche, à sa droite Yves-Marie Morissette aux cheveux de jais, et à sa gauche Lorne Giroux également chenu. Ces juges sont réunis ce matin pour décider si les affaires qui leur sont présentées sont recevables et seront entendues en appel. Les deux premières affaires sont prestement expédiées et l’appel leur est refusé. Ne sortent alors que les avocats impliqués et leur client. Aucun sympathisant apparemment. La troisième affaire traîne en longueur, un volubile avocat grec à l’accent impénétrable se défend en anglais. Il insiste lourdement sur ses diplômes. Les juges se retirent. Puis intervient la pause de quinze minutes prévues pour le matin. Les juges réapparaissent, le petit avocat grec veut rajouter quelque chose. Il parle encore. Enfin, les juges se retirent, reviennent et décident d’en délibérer plus longuement entre eux. La décision de pouvoir en appeler sera donc communiquée ultérieurement. Sortent quelques avocats et la sœur du juriste hellène qui l’avait accompagné au tribunal.

Enfin ! C’est le tour de l’affaire Lavallée. Trois journalistes sont dans la salle : Radio-Canada, La Presse et la Gazette. Pour les parents, leur avoué Me Côté. Du côté des pouvoirs publics, trois avocats : Me Boucher et la jeune Me Jobin pour le procureur général du Québec et le chevronné et toujours courtois Me Lapointe pour la commission des Chênes.

Il est près de onze heures. Le procureur Me Boucher, personnage sec aux cheveux poivre et sel, avance de manière éloquente les arguments du gouvernement du Québec pour refuser l’appel aux parents de Drummondville. Il maîtrise bien son dossier et n’affiche aucune nervosité derrière une courtoisie parfois obséquieuse à l’égard des juges et de son éminent confrère.

Pour Me Boucher, l’affaire devrait être refusée, car son objet est devenu purement théorique : le seul enfant des Lavallée encore soumis au cours d’ECR, l’ainé étant désormais au cégep, ne fréquente plus l’école publique, mais une école privée où il bénéficierait d’une exemption. Le juge Beauregard interrompt immédiatement le procureur : il est évident que l’enfant peut revenir au public à tout moment. Rien n’indique dans les documents déposés que ce sera le cas de répondre l’avocat gouvernemental.

Le procureur invoque ensuite une série d’articles de la Loi sur l’instruction publique (LIP §§ 9-12) pour prétendre que la Cour d’appel n’est pas le lieu où devrait être entendue cette contestation, mais qu’il existe un processus prévu dans la LIP pour réviser ces décisions. Le conseil des commissaires scolaires, un tribunal quasi judiciaire, serait l'instance appropriée. Le juge Morissette trouve cette interprétation « pas mal inventive ».

Me Boucher prétend ensuite que la requête d’en appeler lui est parvenue avec retard. Elle lui aurait été signifiée par huissier un jour trop tard. Il omet de dire qu’il avait reçu une version par télécopieur quelques jours auparavant. Nous y reviendrons.

Pour l’austère procureur, la cause étant devenue sans objet, la Cour doit ne plus l’entendre. Un des juges ajoute « sauf exception ». Me Boucher concède, mais il en va selon lui de l’économie des ressources judiciaires : quel droit resterait-il à débattre ? Il évoque alors l’affaire Loyola qui pourrait avoir une influence sur cette affaire. Cette évocation nous est apparue très floue. Selon le procureur, les deux causes en question seraient similaires, pourquoi faire entendre en appel deux affaires quasi identiques ?

Me Boucher de se demander alors si cette affaire ferait avancer le droit ? À qui d’autre pourrait-on l’appliquer ? Ce genre de cause ne peut s'étudier qu’au cas par cas, puisque c’est la foi sincère du requérant qui est en cause. On ne voit donc pas comment faire avancer le droit. Que reste-t-il donc ? Assister au cours d’éthique et de culture religieuse est une obligation fixée par la Loi et le Régime pédagogique. La loi n’est pas contestée par la partie adverse. Visiblement, ici, le procureur marque un point. Enfin, Me Boucher suggère que l'intention non avouée des appelants serait de remettre en cause la constitutionnalité de la Loi.

Il est passé midi et demi quand Me Boucher clôt sa plaidoirie. L’avocat des parents ne sera entendu que lorsque l’audience reprendra à 14 h.

L'après-midi

Il est quatorze heures, l’avocat des parents Lavallée, Jean-Yves Côté, s’avance et fait distribuer une série de classeurs remplis de documents aux juges et aux avocats de la partie adverse.

Me Coté, dont la voix est d’abord hésitante, indique d’emblée aux juges que les affidavits qui accompagnent les requêtes en rejet d’appel soumises par le procureur général et la commission scolaire sont grevés de multiples faussetés et qu’il faut donc les rejeter.

Il en indique plusieurs : il est inexact de dire que sa demande d’en appeler a été transmise en retard. La date mentionnée par le procureur comme le début du délai de 30 jours pour faire appel est incorrecte, car le procureur prend comme date de départ la réception d’un courriel (en deux parties!) de la part du juge qui n’était – dans les termes mêmes du juge Dubois dans une lettre ultérieure – qu’un courriel de courtoisie et en rien un moyen de signifier prévu par la loi à cet effet. Le jugement n’a été transmis par courrier postal que le lendemain et donc la requête de Me Côté a été transmise à point nommé par huissier aux différentes parties.

Autre fausseté : l’enfant Lavallée ne bénéficie d’aucune exemption dans son école privée. Il faut, en effet, bien distinguer deux choses : le droit d’exemption et le retrait. Le droit d’exemption est prévu de manière explicite par la loi, dans des termes similaires pour l’école publique et privée, et il implique que l’enfant reste à l’école, mais aille par exemple à la bibliothèque pendant la durée du cours dont il est exempté. Le retrait, par contre, comme il apparaît clairement dans une ordonnance de sauvegarde émise dans le cadre des élèves menacés d’expulsion à Granby, implique que les parents viennent « quérir leurs enfants à l’école ». Dans le cas de Mme Lavallée, elle ne bénéficie d’aucune exemption dans son école privée, mais d’une simple permission de retrait comme c’était le cas l’année passée au public. Il n’y a pas de différence à ce niveau.

Me Côté a aussi souhaité lever une équivoque, « un flou » artistique entretenu par la partie adverse : les écoles privées sont aussi tenues de donner le cours d’éthique et de culture religieuse, l’enfant des Lavallée n’y bénéficie pas d’une exemption par le simple fait d’être dans un collège privé.

Quant à l’aspect théorique invoqué par l’avocat de la procureure générale pour tenter de discréditer le recours, il est évident que l’enfant peut revenir au public à tout moment. Ce fut déjà le cas de son frère aîné, désormais au cégep, qui a alterné entre le secteur public et privé entre autres pour bénéficier du programme de sport-études. Me Côté a alors rappelé une longue série de cas accueillis par la Cour d’appel dont l’objet aurait pu paraître théorique : l’affaire Tremblay c. Daigle, par exemple, qui a été portée en appel même si l’avortement auquel s’opposait M. Tremblay avait déjà été perpétré. Ou encore l’affaire Multani où le jeune sikh avait quitté l’école publique où on lui interdisait le port de son petit poignard pour fréquenter l’école privée pendant que la cause était portée en appel.

Pour ce qui est du collège Loyola, il s’agit d’une affaire très différente. L’école ne demande pas d’être exemptée du cours d’éthique et de culture religieuse, mais comme la Loi le permet, de présenter un cours équivalent proche du cours d’éthique et de culture religieuse. Mais encore là, la cause a été entendue même si l’élève Zucchi nommé dans cette cause, était en secondaire 3, année où le cours ne se donne pas.

L’avocat de la famille Lavallée a également insisté sur la nature récurrente liée à la demande d’exemption annuelle conformément à l’article 222 – les parents devraient demander chaque année une exemption et ne pourraient la contester dans la même année devant les tribunaux – qui milite en faveur d’une décision judiciaire qui clarifierait les règles d’application de cet article. Me Côté n'élabore cependant pas.

Enfin, est-on confronté ici à un cas unique ou à portée collective ? Le procureur général prétend qu’il s’agit ici d’une affaire à juger au cas par cas puisqu’il s’agit de juger la foi sincère. Or, d’une part, le refus d’exemption de la Commission scolaire des Chênes a frappé 19 enfants en même temps après qu’elle eut entendu Me Côté faire une présentation au nom de tous ces parents. D’autre part, le juge Dubois a lui-même conféré un caractère collectif à sa décision en liant son jugement à l’opinion d’un théologien catholique, tout en admettant que la croyance sincère de la mère était bien établie, car selon lui celle-ci n’était pas suffisante. Me Côté prévoit que ce jugement pourrait s’appliquer à tous les catholiques puisque, même si un catholique a la croyance sincère que ce cours va à l’encontre de ses convictions, un théologien embauché par le gouvernement a déclaré, selon le juge Dubois, que le cours n’allait pas à l’encontre de la doctrine et de la foi catholiques.

Confronté aux arguments du juge Giroux qui faisait entendre que la demande d’exemption des dix-neuf enfants en question n’avait pas été jugée à Drummondville et que seule celle des deux enfants Lavallée l’avait été, Me Coté a rappelé que lui aussi devait garder à l’esprit l’économie des ressources judiciaires et que défendre 19 enfants aurait signifier de très nombreux interrogatoires supplémentaires et une cause nettement plus longue que ni l’État ni les familles ne pouvaient s’offrir. Dans un rare mouvement d’indignation, Me Côté a ensuite indiqué que les parents subissaient un traitement inéquitable : s’ils devaient gagner, leur victoire ne s’appliquerait qu’à eux seuls selon la partie adverse, les autres parents devant eux aussi passer en justice, mais maintenant que les Lavallée avaient perdu en première instance on refusait collectivement toute exemption en disant aux parents intéressés que l’affaire avait été jugée. Deux poids, deux mesures inacceptables.

Le seul avocat des parents a par la suite abordé la question de la « dictée d'un tiers », à savoir que les commissaires auraient abdiqué la décision d'accorder une exemption à un tiers alors que cette responsabilité leur revient. À cet effet, il a mentionné que les lettres provenant d’une commission scolaire du Saguenay étaient à peu près identiques à celles issues de la C.S. des Chênes ainsi qu'à plusieurs autres commission scolaires.

Enfin, Me Côté, les juges et Me Boucher discutèrent de la demande de l'avocat des Lavallée d’avoir une copie gratuite ou payée par le procureur général des notes du procès de Drummondville, notes déjà produites et payées par le gouvernement et disponibles pour les procureurs de l'État pendant les 2 semaines où Me Côté rédigeait sa plaidoirie alors que les procureurs avaient refusé de les partager avec l'avoué des parents. Le juge a demandé quels droits d’auteur s’appliquaient, question à laquelle l'avocat des parents n’a pas pu répondre. Par la suite, Me Boucher a indiqué qu’il ne pouvait pas partager sa copie qui était annotée et que Me Côté pouvait en obtenir une copie auprès de la sténographe pour 60 cents la page plutôt que les 3,50 $ que le gouvernement avait déboursés par page.

Le juge Beauregard demande ensuite à Me Côté : « Que devez-vous prouver ? », question un peu ambiguë. Me Côté revient sur le fait que la cause en appel a un objet bien concret et n’est pas théorique même si l’enfant Lavallée ne fréquente pas actuellement l’école publique. Il ne développe pas l’argument de fond concernant les points sur lesquels il croit que le juge Dubois a erré.

Me Côté demande si les juges veulent en entendre plus au sujet des faussetés dans le texte de Me Jobin. Le juge Beauregard déclare que non.

Le juge Beauregard veut alors lever la séance pour aller délibérer en privé. À ce moment Me Lapointe l’avocat représentant la commission scolaire demande à prendre la parole. Le juge Beauregard lui dit : « Je croyais que le procureur général avait également parlé pour vous. J’imagine que vous devez exprimer le même point de vue ». Ce à quoi Me Lapointe réplique qu’il a des points à rajouter. Le juge Beauregard accepte et lui accorde une bonne dizaine de minutes.

La séance se termine par cet étrange retour des avocats représentant le ministère de l’Éducation et la commission scolaire, alors que selon le rôle, Me Côté devait être le dernier à parler. Me René Lapointe vient à la barre dire que la commission scolaire avait suivi le processus prévu par la Loi à l’article 222 et qu’il ne voyait vraiment pas pourquoi des ressources supplémentaires devraient être dépensées pour entendre cette cause en appel et, sans doute, jusqu’à la Cour suprême. L’avocat de la commission scolaire ajoute qu’il est faux de prétendre, comme Me Côté l’a fait, que le juge Dubois a réuni l’affaire des enfants de Granby à ceux de Drummondville. L'avocat chevronné de la commission scolaire déclare que la cause de Drummondville impliquait un demandeur et la Commission scolaire. Il prétend que si c’est la cour venait à décider à la place de la commission scolaire ce qui constitue un préjudice grave, elle « détourne l’article 222 de la LIP ». La question à savoir si les élèves « subiraient un préjudice grave » a été posée. Me Lapointe indique qu'il existe une procédure claire dans la Loi et les parents n’avaient pas réussi à prouver devant les commissaires scolaires qu’ils subissaient un « préjudice grave », l'affaire était close. Il passait là sous silence les critiques que Me Côté avait mentionnées plus tôt : les commissaires n'avaient pas considéré parmi les préjudices graves l'atteinte à une des libertés protégées par les chartes : la liberté de conscience et de religion et le critère à appliquer dans ce cas : la croyance sincère des parents. Pire ils avaient même écrit que cet aspect n'était pas de leur ressort et que c'était aux tribunal de trancher. Me Lapointe a terminé son intervention en ajoutant que le juge Dubois avait décidé qu’il n’y avait pas de dictée d’un tiers. Le juge Beauregard lui demande si c’est « discutable ou clair », car selon lui la question de la dictée d’un tiers est primordiale. Me Lapointe dit que « c’est clair ».

Me Boucher en profite pour reprendre la parole et affirmer tout de go que de nombreuses affirmations de son éminent confrère de la partie adverse sont fausses. Sans préciser. Me Boucher prétend alors que tout a déjà été jugé par le juge Dubois qui aurait entendu tous les témoins particulièrement en ce qui concerne la question de la dictée d’un tiers et que, pour ce qui est de l’influence indue qu’auraient subie les commissaires pour qu’ils refusent toutes les exemptions, elle n’a pas pu être prouvée, car la seule preuve de la partie adverse était une conférence de presse qu’aurait tenue la ministre et que, comme l’a démontré le procès, les commissaires n’étaient même pas au courant de celle-ci !

Les juges se retirent alors sans donner l’occasion à Me Côté d’intervenir. Ils reviennent quelques minutes plus tard pour annoncer qu’ils se prononceront par écrit après en avoir délibéré. La salle se vide alors, ne restent plus que quelques avocats et leurs clients pour les affaires restantes de la journée. Dans les couloirs, les parents ne peuvent cacher leur déception de ne pas être fixés dès aujourd’hui et de ne pas avoir obtenu le droit à l’appel. Les journalistes de la Gazette et de La Presse s’affairent et posent des questions aux parents et à Me Coté. Ils désirent surtout savoir quand le jugement sera prononcé. Me Côté prévoit que cela pourrait prendre de quelques jours à deux semaines. Les autres avocats ont disparu. La télévision de Radio-Canada qui avait filmé les parents sortant du tribunal le matin n'est plus là en fin d'après-midi.


Directeur d'école qui donne une interprétation collective à la décision du juge Dubois






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