Un texte de Konrad Yakabuski |
Le coût de la vie et la crise du logement sont tout au sommet des préoccupations des électeurs, lesquels sont majoritaires à penser que certaines politiques du gouvernement fédéral aggravent carrément la situation.
« L’immigration est excessive. Point à la ligne », a écrit cette semaine, dans une analyse, l’économiste de la Banque Scotia Derek Holt, après que Statistique Canada eut dévoilé que la population canadienne avait augmenté de 431 000 personnes durant le troisième trimestre de 2023. « Le problème demeure qu’il y a peu ou pas de logements disponibles pour eux et la situation ne fera qu’empirer. »
Le commentaire de M. Holt démontre à quel point le vent a tourné au Canada anglais depuis la pandémie, plus spécialement depuis que le gouvernement Trudeau a choisi de hausser les seuils d’immigration permanente et de laisser ses portes grandes ouvertes aux travailleurs étrangers temporaires et aux étudiants internationaux. Longtemps perçue comme une source de croissance économique, la politique libérale en matière d’immigration est maintenant perçue comme une menace au niveau de vie des Canadiens. Même ceux qui se disent très favorables à l’immigration accusent le gouvernement Trudeau d’avoir perdu le contrôle de la situation.
Depuis un an, la population canadienne a augmenté de 1,25 million de personnes, ou de 3,2 %. Nous sommes maintenant plus de 40,6 millions à habiter ce pays et nous serons plus de 41 millions d’ici la fin du premier trimestre de 2024, sinon avant. Au rythme actuel, la population canadienne augmente plus rapidement que celle de n’importe quel pays à l’extérieur de l’Afrique. Or, si un plus fort taux de natalité explique la hausse rapide de la population africaine, l’immigration internationale compte pour la presque totalité de la croissance démographique ici.
Le Canada a longtemps été un modèle en matière d’immigration. L’instauration dans les années 1960 d’un système de pointage basé sur des critères tels que l’éducation, l’expérience de travail, les compétences professionnelles et la langue a permis au Canada de s’assurer d’accueillir les nouveaux venus les plus susceptibles de contribuer au développement économique du pays. Les volets de la réunification familiale et des réfugiés se sont ajoutés pour compléter une politique d’immigration qui faisait une grande place aux considérations humanitaires, en conformité avec nos engagements internationaux et notre désir collectif de nous montrer généreux envers les moins chanceux de la planète — mais rarement aux dépens de notre capacité d’accueil.
Ce n’est plus le cas. Sous M. Trudeau, les libéraux ont non seulement haussé sans cesse les seuils de l’immigration permanente, pour les porter à des niveaux records — avec pour objectif d’accueillir 500 000 nouveaux immigrants permanents en 2025 —, ils ont aussi surtout facilité la venue de travailleurs étrangers temporaires et d’étudiants internationaux. Le nombre d’immigrants temporaires au pays a atteint un sommet de plus de 2,5 millions de personnes à la fin du troisième trimestre. Ce nombre a plus que doublé depuis 2021.
Le Québec ne fait pas exception à cette tendance. Plus de 500 000 résidents non permanents vivaient au Québec à la fin du troisième trimestre, une hausse de 46 % en un an. La pénurie de main-d’oeuvre y est pour quelque chose. Beaucoup de restaurants Tim Hortons et McDonald’s risqueraient de devoir fermer leurs portes s’ils n’avaient pas recours aux travailleurs étrangers temporaires. Les étudiants internationaux sont aussi devenus une source de main-d’oeuvre à bas salaire pour les employeurs de toutes sortes au pays.
Contrairement à ce que prétendent les libéraux, leur politique d’immigration ne contribue pas au développement économique du Canada. Elle a plutôt tendance à lui nuire. Le produit intérieur brut par habitant — une jauge du niveau de vie des Canadiens — est en baisse depuis cinq trimestres consécutifs. Notre richesse collective augmente moins rapidement que la population, notamment en raison du flux migratoire dans les emplois à bas salaire.
Dans son entrevue de fin d’année à Radio-Canada, M. Trudeau a tout au plus concédé que son gouvernement faisait face à de « petits défis » en matière d’immigration temporaire. Il s’agit très probablement, de sa part, de l’euphémisme de l’année. Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, n’a parlé jusqu’ici que de pistes de solution, sans manifester de volonté véritable de prendre enfin les décisions difficiles qui s’imposent.
Source : Le Devoir par Konrad Yakabuski, chroniqueur au Globe and Mail, où il a occupé
plusieurs fonctions depuis 1996, dont celle de correspondant politique à
Washington durant le premier mandat du président Barack Obama.
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