Extrait d'un texte de Thierry Lentz, historien et enseignant. Il a notamment publié Sur les bords de la Seine… Histoire et secrets du tombeau de Napoléon et Charles Bedaux le Magnifique (1886-1944), tous deux aux éditions Perrin.
[...]
![]() |
Prise du palais des Tuileries, 10 août 1792, par Jacques Bertaux, 1793. L'Appel au peuple, selon la gauche. |
l'arbitrage populaire par le biais du référendum ou de la voie électorale est une idée développée «à droite», à laquelle la «gauche» s'est toujours opposée, en lui substituant l'assurance de sa supériorité, exprimée par le cercle des «pensant bien» et au besoin dans la rue. Contrairement à une idée reçue, la revendication de « l'Appel au peuple » ne date pas de la chute du Second Empire, lorsque les bonapartistes contestaient la proclamation de la IIIe République, et encore moins de la Ve République, lorsque de Gaulle le mit en œuvre dans sa pratique constitutionnelle. Il plonge ses racines dans la doctrine monarchiste des débuts de la Révolution française. Parfois évoqué au moment de la rédaction des cahiers de doléance, où chaque sujet pouvait interpeller le souverain, c'est surtout au moment du procès du roi qu'il fit son entrée, par la droite, dans le débat politique. Les royalistes demandèrent alors que les électeurs soient saisis de la condamnation à mort de Louis XVI, ce qu'ils baptisèrent nommément « l'Appel au Peuple ». On ne saura jamais ce que les campagnes et bourgs français auraient décidé en cas de votation. Une décision magnanime effraya tellement les hommes au pouvoir, qu'ils refusèrent que l'on consulte les citoyens. Et pour se justifier, ils arguèrent que les campagnes n'étaient pas encore libérées de la féodalité. Qui plus est, pour eux, le véritable «Appel au peuple» avait déjà eu lieu, lors des émeutes d'août 1792, lorsque 30.000 personnes armées amenèrent la chute de la monarchie. Ils allèrent encore plus loin en prétendant que le peuple siégeait en permanence dans leurs clubs politiques, à la commune insurrectionnelle de Paris et au sein de l'aile avancée de la Convention (nom de l'assemblée nationale, de 1792 à 1795).
L'opposition gauche-droite concernant « l'Appel au Peuple » devint dès lors un facteur permanent de la vie politique française. En gros, la droite légitimiste le réclama en vain pendant la Révolution, sous la Restauration, pendant la monarchie de Juillet, sous la IIe République et au début du Second Empire, afin que soient tranchées les questions de régime et de légitimité. Les bonapartistes récupérèrent l'héritage pour imposer Napoléon IV et tentèrent de le faire fructifier jusqu'au début des années 1930 au profit de ses héritiers. Face à ces deux courants, la gauche - qui se présentait pourtant comme respectueuse de la volonté populaire - opposa avec constance les voies qui lui avaient réussi en 1793, en 1848 et en 1870 : celles des valeurs supérieures imposées par ses élites (essentiellement parisiennes) et de la vérité forcément ignorée de la populace. Au besoin, elle légitima les insurrections menées pour son compte.
Ces racines-là, récemment documentées par une thèse de doctorat soutenue dans une université du nord de la France, gardent, on l'aura compris, une grande actualité. Toutes choses égales par ailleurs, les temps n'ont guère changé, ce qui saute aux yeux depuis quelques semaines dans les suites données aux résultats électoraux par la gauche et la minorité présidentielle désorientée : rejet du suffrage universel, opposition Paris-Province et, au besoin, manipulation de la rue. Décidément, l'Histoire n'est pas que le passé.
Ces racines-là, récemment documentées par une thèse de doctorat soutenue dans une université du nord de la France, gardent, on l'aura compris, une grande actualité. Toutes choses égales par ailleurs, les temps n'ont guère changé, ce qui saute aux yeux depuis quelques semaines dans les suites données aux résultats électoraux par la gauche et la minorité présidentielle désorientée : rejet du suffrage universel, opposition Paris-Province et, au besoin, manipulation de la rue. Décidément, l'Histoire n'est pas que le passé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire