samedi 16 novembre 2024

Gladiateur 2 — Critiques (était : Denzel Washington y jouera Macrin (Macrinus))

Critique positive du film dans le Figaro Magazine ci-dessous (ce serait une bonne surprise), cet avis n’est pas partagé par l’hebdomadaire britannique The Economist plus bas.

LA GLOIRE DE SON PÈRE

Ridley Scott signe avec « Gladiateur II » un film spectaculaire qui marche sur les traces du premier.

C’est la bonne nouvelle que l’on n’attendait pas. Parce que Gladiator, immense succès qui lança en 2000 le renouveau du film antique, décourageait tout espoir d’une suite digne de lui. Parce que les films historiques de Ridley Scott ont suivi sur une pente descendante, d’Exodus. Gods and Kings [L’Exode : Dieux et Rois au Québec] au Dernier duel et à Napoléon, tous marqués au coin du grotesque. Or, Ridley Scott et le scénariste David Scarpa ont fait pour Gladiateur II un choix payant : celui de la filiation tous azimuts, à commencer par le héros, Lucius (Paul Mescal), propre rejeton de Maximus, qu’incarnait Russell Crowe. Capturé en Numidie par l’armée du général Acacius (impeccable Pedro Pascal) lors d’une bataille où sa femme perd la vie, il devient, à Rome, un gladiateur anonyme, bien décidé à se venger de son vainqueur qu’il découvre marié à… sa mère, Lucilla (Connie Nielsen, survivante du premier film).

Comme dans Gladiator, les scènes de batailles et d’arène rythment savamment l’action, avec un zeste de surenchère jouissive (on aime Les Dents de la mer en plein Colisée). Les empereurs Geta et Caracalla reprennent haut la main le flambeau de Commode en clowns maléfiques, flanqués d’un préfet du prétoire tout aussi impitoyable (Denzel Washington, qui offre un numéro soigné de barbarie au sourire Colgate). Ridley Scott a réalisé un film moins lyrique, plus sombre que le premier. Mais son grand spectacle est solide comme l’airain qui cuirasse son héros, loin de l’esthétique de jeu vidéo à laquelle le genre semblait abonné depuis 300. Quant à l’Irlandais Paul Mescal, il est aussi à l’aise dans la série romantique Normal People [Des Gens normaux au Québec] que dans ces combats virils qui sentent bon le MMA et le sable chaud, avec ce qu’il faut d’humanité blessée et de destins brisés. Force et honneur !

La bande-annonce (l’aguiche) en VF :

 
GLADIATEUR II, ses erreurs artistiques dépassent ses erreurs historiques

QUEL EST le moment le plus ridicule de « Gladiator II » ? Est-ce lorsqu’un gladiateur chevauche un rhinocéros dans l’arène ? Ou lorsque le héros, Lucius (Paul Mescal), se bat aux côtés de sa femme ? (On lui a fourni une armure moulée à ses seins, les armées du troisième siècle étant des employeurs réputés pour leur égalité des chances, c’est bien connu.) Ou est-ce lorsqu’il combat un singe conçu par ordinateur, mi-gibbon, mi-Gollum ?

Ou peut-être est-ce la façon dont il cite sans cesse le premier « Gladiateur », en répétant » Force et honneur « et » J’aurai ma vengeance « — bien qu’il évite de demander “Alors, ça vous divertit ?”. Probablement parce que la réponse serait : pas autant qu’avec le premier opus.

Lorsque le premier “Gladiateur” est sorti en 2000, le monde s’est instantanément épris de Maximus Decimus Meridius (interprété par Russell Crowe), qui se décrit comme » le père d’un fils assassiné, le mari d’une femme assassinée » et qui possède les plus beaux avant-bras que l’on avait vu à l’écran depuis un bon bout de temps. Les critiques ont fait la fine bouche (« grandiose et stupide », a dit l’un d’eux). Mais presque tout le monde les a ignorés : « Gladiateur » est devenu le deuxième film le plus rentable de l’année. Il a remporté cinq Oscars et s’est attiré l’adoration des spécialistes du classicisme, dont le sujet semblait soudain plus à la mode qu’ennuyeux. J’ai adoré ce film », a déclaré Dame Mary Beard, auteur à succès et spécialiste de l’histoire romaine. « J’ai pleuré. »

Voici le retour de « Gladiateur », dont la suite prendra d’assaut les arènes modernes (appelées cinémas) le 15 novembre en Grande-Bretagne et le 22 novembre en Amérique. Le dernier film s’est terminé dans un bain de sang : dans l’art comme dans la vie, les gladiateurs et les empereurs romains ont une espérance de vie particulièrement courte. Cela a nécessité des changements considérables dans la distribution des rôles.

Mais beaucoup de choses nous sont familières. Maximus, homme d’humeur changeante, a été remplacé par Lucius, homme d’humeur changeante. L’empereur fou Commode est devenu deux empereurs fous : Caracalla et Geta. « Gladiateur II » offre le même mélange de sabres, sandales et sueur, et en grande partie la même intrigue. Lucius, comme Maximus (déflorement : ils s’avèrent être apparentés), est capturé comme esclave lors d’une bataille, il est ensuite amené à Rome, puis s’efforce de la libérer d’empereurs malveillants. Comme Maximus, Lucius aspire au « rêve qu’était Rome ». Malheureusement, ce que Sir Ridley Scott, le réalisateur du premier et du second opus, entend par ce rêve se révèle moins clair la deuxième fois.

Tous les drames historiques se déroulent non pas à une époque, mais à deux : celle qu’ils évoquent ostensiblement et celle dans laquelle ils sont filmés. « Bridgerton », avec ses dialogues à la Downton Abbey et sa distribution des rôles multiethnique, se déroulait davantage en 2020 qu’en 1813.

Les péplums romains sont également datés, car les Romains sont utilisés « en partie comme une image de nous-mêmes », explique Dame Mary. Par exemple, « Quo Vadis » (1951) est un hymne au christianisme ; la série télévisée « Moi, Claude » proposait une débauche racoleuse qui reflétait les années 1970. Le premier « Gladiateur » exprimait l’idéalisme de la démocratie, ce qui convenait parfaitement au tournant du millénaire. (Marc Aurèle veut que Maximus aide à rendre le pouvoir au peuple.) Ici le film s’inscrivait dans la lignée du célèbre essai de Francis Fukuyama « La fin de l’histoire » paru peu avant.

Le second opus est plus confus. Le péplum affirme défendre la démocratie, mais la croyance en elle, à l’écran comme en dehors, semble bien plus faible qu’auparavant. Les vrais méchants de ce film sont, comme souvent dans le cinéma d’aujourd’hui, les riches oisifs. Ses héros sont les travailleurs immigrés de Rome.

Ainsi, Lucius, réduit en esclavage, travaille avec une force surhumaine tout au long du film. Ses compagnons gladiateurs sont représentés sous un jour favorable, de même que leur médecin indien. Même le méchant « maître » des gladiateurs, Macrinus (Denzel Washington), est plus séduisant que les aristocrates imbéciles qu’il sert. Quel est le rêve de Rome ? À en juger par ce deuxième volet, c’est le plein emploi, le fait de déjouer les riches et des relations interraciales harmonieuses (la distribution est extrêmement diversifiée). Les femmes y sont émancipées à un point improbable : elles participent aux batailles et se battent dans le Colisée aux côtés des hommes. Tout cela fait très 2024 — et c’est sans doute très méritoire. En revanche, ce n’est pas très palpitant. 

Cela n’en fait pas un film non historique. La Rome antique était très diversifiée [mais la présence des noirs et des Indiens était négligeable, il s’agissait d’un mélange de Méditerranéens]. L’Empire romain s’étendait de l’Espagne à la Syrie ; il comptait environ 60 millions d’habitants, dont beaucoup se déplaçaient. Des poteries d’Afrique du Nord ont été retrouvées à Iona, en Écosse ; des rhétoriciens de Gaule ont été retrouvés en Islande. Tout le monde s’est retrouvé au Colisée de Rome lors de son ouverture. Arabes, Égyptiens, Yéménites, Éthiopiens, Germains, tout le monde était là, a écrit le poète Martial. [Voir l’encadré ci-dessous pour l’analyse ADN de dépouilles remontant à la Rome antique, l’échantillonnage est encore petit et sélectif doit on ajouter.]

Et les Romains ne s’intéressaient guère à la teinte de la peau. Un Nord-Africain pouvait devenir empereur (comme le sera plus tard Macrin en 217 après J.-C.) presque sans que son teint ne fasse l’objet d’un commentaire. Rome n’était pas une utopie raciale, loin de là. Mais les préjugés des anciens Romains n’étaient pas les mêmes que ceux de la société actuelle. Les peuples que les Romains détestaient vraiment étaient les peuples nordiques poilus. La Germanie était menaçante, la Grande-Bretagne était lugubre et les habitants de l’Irlande étaient, selon le géographe Strabon, « des cannibales et de gros mangeurs » qui avaient « des relations sexuelles… avec leurs mères ».

De récents résultats d’analyse d’ADN indiquent qu’il y a eu un énorme changement dans l’ascendance des personnes qui ont vécu à Rome à l’époque impériale et que l’apport génétique provenait principalement de la Méditerranée orientale et du Proche-Orient.

Les siècles suivants sont quelque peu agités. L’empire se divise en deux en 395, des maladies ravagent la population romaine et la ville est envahie à plusieurs reprises. Ces événements ont marqué les habitants de la ville, dont l’ascendance est devenue plus proche de l’Europe occidentale. Plus tard, l’avènement et le règne du Saint Empire romain germanique ont entraîné un afflux d’ancêtres d’Europe centrale et septentrionale. Mais « au cours de la période impériale, la tendance la plus marquée est un changement d’ascendance vers la Méditerranée orientale, avec très peu d’individus d’ascendance principalement ouest-européenne », notent les chercheurs. « Une des explications possibles de la prédominance du flux génétique de l’Orient vers Rome est que la densité de population était plus élevée dans l’est de la Méditerranée que dans l’ouest ». (Voir Ancient Rome : A genetic crossroads of Europe and the Mediterranean, dans Science 2019)

Comme on l’a dit plus haut ces résultats se fondent sur des échantillons restreints. C’est ainsi que l’ascendance nord-africaine en Italie n’est étayée que par l’ADN d’un seul individu précédemment signalé de la période romaine impériale (R132) (Antonio et coll., 2019). Une autre étude génétique de 2022 montre que malgré l’hétérogénéité génétique dans la Rome impériale, l’Europe a connu une stabilité des structures génétiques de ses populations depuis d’Âge du fer. Plusieurs hypothèses sont émises pour résoudre cette apparente contradiction : cette hétérogénéité n’aurait pu être qu’urbaine (les sites de fouille d’où provient l’ADN antique sont souvent dans les anciennes villes), les villes ont tendance à faire baisser la natalité (le logement y est cher, les enfants ne peuvent aider dans les travaux des champs), les maladies auraient surtout frappé ces villes densément peuplées et à l’hygiène douteuse, la population aurait été remplacée par une population locale rurale plus homogène et plus féconde, enfin le déclin économique de l’empire d’Occident aurait pu encourager le retour d’étrangers vers leur pays ou du moins l’Empire d’Orient resté plus prospère. Plus de détails dans Stable population structure in Europe since the Iron Age, despite high mobility.
Pouce vers le bas

Si le message de ce film est un peu plus confus, son esthétique l’est tout autant. Le premier film n’avait pas un héros fort et taciturne, mais deux : Maximus et Rome elle-même. Il commençait par une bataille dans une Germanie âpre et dure, avant de se rendre dans une Rome encore plus âpre. L’effet général était un sinistre chic fasciste. De nombreuses scènes — aigles impériaux se découpant sur le ciel, tambours battant la mesure — font écho, plan pour plan, au « Triomphe de la volonté » (1935), le film de propagande de Leni Riefenstahl sur l’Allemagne nazie.

Si le premier « Gladiateur » évoquait le théâtre de guerre, celui-ci frôle le théâtre kitsch. Il commence par une sotte bataille navale dans le nord-ouest de l’Afrique avant de se déplacer dans une Rome très différente, où des aristocrates oisifs se livrent à la nudité, au recouvrement des tétons et à ce qu’on ne peut que nommer se faire des mamours. Cela se veut osé, mais selon les normes romaines authentiques, ce n’est pas grand-chose. L’empereur fou Héliogabale se serait fait remorquer dans un char par quatre femmes nues [il nous en est parvenu un camée représentant la scène, Héliogabale est lui-même nu et son sexe est en érection…] et aurait étouffé à mort des convives sous des gerbes de fleurs. Dans « Gladiateur II », les excès impériaux les plus évidents concernent un flacon de gel pour les cheveux. Lorsque les hommes pensent à Rome plusieurs fois par jour, comme le prétendent les médias sociaux, il est presque certain que ce n’est pas à cette Rome qu’ils pensent.

Pendant ce temps, le film ajoute des fictions historiques improbables. Il inonde le Colisée pour simuler des batailles navales (qui ont certainement eu lieu, en détournant un aqueduc local). Mais le film ajoute de fausses îles désertes, de faux palmiers et de faux requins (ce qui n’a pas eu lieu). Et moins on en dit sur le singe généré par ordinateur, mieux c’est.

Non, pas de requin dans le Colisée

Transporter et maintenir des requins dans un habitat marin artificiel aurait été impensable au troisième siècle de notre ère. La qualité de l’eau nécessaire pour maintenir en bonne santé les grands prédateurs actifs implique des systèmes de filtration complexes pour éliminer les déchets et maintenir les niveaux d’oxygène — une technologie qui dépasse de loin les possibilités de la Rome impériale.

Bien sûr, si vous voulez de l’exactitude historique, « Pourquoi regardez-vous un film ? » demande Dame Mary. [Cela nous paraît un peu faible, les films ont un impact très important sur ce que l’on considère comme crédible, ils forment et déforment notre vision du monde contemporain et historique.] Le premier « Gladiateur » prenait beaucoup de libertés dramatiques. En outre, tous les films doivent condenser et simplifier. John le Carré a dit que transformer un livre en film équivalait à transformer « une vache en un cube Oxo » de bouillon de bœuf. Transformer un empire qui a duré un millénaire en un film de deux heures et demie est encore plus difficile. La nuance est inévitablement perdue. Par exemple, les Romains sont dépeints comme des assoiffés de sang, mais beaucoup d’entre eux détestaient l’arène : Sénèque, un philosophe romain, pensait que le simple fait d’y assister rendait l’homme plus « cruel et inhumain ».

Cependant, les problèmes de ce film sont plus profonds qu’une simple inexactitude. Les grands souverains romains ont remodelé Rome à leur convenance : Adrien a reconstruit le Panthéon, Titus a achevé le Colisée, Auguste a transformé la brique en marbre.

Les grands films font de même, remodelant la Rome de l’imagination. Il y a plus de vingt ans, Sir Ridley a changé la façon dont vous pensez à Rome. Ce film ne le fera pas. ■ (The Economist)

Autre critique de Gladiateur II (en vidéo) sans trop le déflorer :

 

Historiquement : vrai et le faux


Billet du 10 juillet 2024

 

Dans le prochain Gladiateur 2 de Ridley Scott qui devrait sortir à la fin 2024, selon Vanity Fair, « Denzel Washington joue le rôle d’un fringant homme d’affaires nommé Macrin (us). Denzel est un marchand d’armes qui fournit de la nourriture aux armées européennes, du vin et de l’huile, fabrique de l’acier, des lances, des armes, des canons et des catapultes. C’est donc un homme très riche. Au lieu d’avoir une écurie de chevaux de course, il a une écurie de gladiateurs. »

Mêmes couleurs beige que dans Napoléon, sans éclat, musique rap en anglais déplacée et moche, un empereur berbère noir et une trame qui semble, pour ce que l’on en peut juger de cette aguiche, une resucée du premier Gladiator.


Le film semble présenter une version condensée des années 211-217 apr. J.-C., au cours desquelles l’empereur Caracalla assassine son frère Geta pour s’emparer seul du pouvoir. Finalement, le tyrannique Caracalla tombera lui-même sous la coupe de l’ambitieux « marchand d’armes » Macrin (us). L’image semble montrer Macrin (us) en tant qu’empereur surveillant les batailles dans l’arène, et provient donc probablement du point culminant du film.

Ci-dessous un buste de l’empereur Macrin, sa famille était berbère.


Macrin est né en 164. Il était originaire de Césarée, la capitale de la province de Maurétanie Césarienne (Mauretania Caesariensis), qui se trouvait près de l’actuelle ville algérienne de Cherchell. Macrin était membre de l’ordre équestre. Il est possible que ses parents inconnus aient déjà été chevaliers, mais il est également possible qu’il ait été le premier à recevoir ce titre. Ce n’est que dans l’historiographie de l’Antiquité tardive que des détails sur sa prétendue ascension à partir d’un milieu extrêmement pauvre nous sont parvenus, mais ils sont peu crédibles. Il s’agit manifestement de calomnies destinées à le discréditer dans les milieux aristocratiques en le faisant passer pour un parvenu indigne. L’historien et sénateur contemporain Dion Cassius se contente de dire que Macrin était un Maure romanisé et que sa famille était « très modeste » et que Macrin avait l’oreille percée, comme c’était la tradition chez les Maures. Mais, comme Macrin a reçu l’éducation nécessaire et coûteuse pour sa future carrière, sa famille n’était probablement en réalité pas sans ressources.

Pièce de monnaie avec l’image de l’empereur Macrin. IMP C M OPEL SEV MACRINVS AVG soit
Imperator Caesar Marcus Opellius Severus Macrinus Augustus.
Empereur (commandant suprême) César Marc Opellius Sévère Macrin, Auguste (empereur).


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