samedi 9 mars 2013

Cerveau masculin et cerveau féminin


Pour Simon Baron-Cohen, professeur de psychopathologie du développement dans les départements de psychiatrie et de psychologie expérimentale à l'université de Cambridge au Royaume-Uni, il existe un cerveau masculin type et un cerveau féminin type.

Tous les hommes n’ont pas le « cerveau masculin » type, de même que toutes les femmes ne sont pas dotées du « cerveau féminin » type. En d’autre termes, certaines femmes ont un « cerveau masculin » type ou possèdent certaines de ses caractéristiques. Mais plus d’hommes que de femmes ont un cerveau de S type homme, et plus de femmes que d’hommes possèdent un cerveau E de type femme. L’encadré ci-joint souligne le rôle de la culture et de la biologie dans ces différences liées au sexe.

Le cerveau féminin : « empathiser »

Quelles sont les données, selon Baron-Cohen, qui démontrent une supériorité féminine en matière d’empathisation ? Dans les études résumées ici, des différences liées au sexe – de faible amplitude mais significatives – ont été mises en évidence.

1. Partager et attendre son tour. En moyenne, les filles se montrent plus concernées par l’équité tandis que les garçons partagent moins. Dans une étude, les garçons ont fait preuve, en 50 occasions, de plus d’esprit de compétition, les filles ayant été, elles, à 20 reprises, plus disposées à attendre leur tour (Charlesworth & Dzur 1987 : 191-200).

2. Moins enclines à jeux brutaux, turbulents ou « bagarres ». Les garçons se montrent plus « turbulents » (lutte, combat simulé, etc.) que les filles. Bien qu’elles aient une composante ludique, ces pratiques peuvent heurter ou blesser et nécessitent donc un niveau d’empathisation plus bas (Maccoby 1998).

3. Répondre avec empathie à la détresse d’autrui. Les petites filles à partir d’un an (avant que la culture ne puisse vraiment avoir une importance trop grande) se montrent plus concernées par la détresse d’autrui et le manifestent par un plus grand nombre de regards tristes, de vocalisations de sympathie et de réconfort. Plus de femmes que d’hommes disent partager fréquemment la détresse émotionnelle de leurs amis. Les femmes se montrent également plus réconfortantes, même envers des étrangers, que les hommes (Hoffman 1977 : 712-722).

4. Utiliser une « théorie de l’esprit ». À trois ans, les petites filles sont déjà en avance sur les garçons par leur plus grande capacité à inférer ce qu’autrui peut penser ou vouloir faire (Happe 1995 : 843-855).

5. Sensibilité aux expressions faciales. Les femmes, en percevant des nuances subtiles à partir du ton de la voix ou d’expressions du visage, sont meilleures à décoder la communication non verbale ou à jauger le caractère d’autrui (Hall 1978 : 845-858).

6. Questionnaires mesurant l’empathie. Dans beaucoup d’entre eux, les femmes obtiennent des scores plus élevés que les hommes (Davis 1994).

7. Valorisation des relations. Plus de femmes valorisent le développement de relations altruistes et réciproques qui, par définition, requièrent de l’empathisation. À l’opposé, plus d’hommes valorisent le pouvoir, la politique et la compétition (Ahlgren & Johnson 1979 : 45-49). Les filles ont plus tendance à cocher, sur un questionnaire, les réponses mettant en avant les valeurs de coopération et à estimer que l’établissement d’un rapport d’intimité est plus important que celui d’un rapport de domination. Les garçons approuvent ce qui met en avant la compétition plus souvent que les filles et considèrent que le statut social est plus important que la relation d’intimité (Knight et al. 1989 : 125-141).

8. Moins sujettes aux troubles de l’empathie. Des troubles tels que les troubles de la personnalité de type psychopathie et les troubles du comportement sont beaucoup plus courants chez les hommes (Dodge 1980 : 162-170 ; Blair 1995 : 1-29).

9. Agressivité indirecte. Même lorsqu’elle s’exprime à des niveaux normaux, l’agressivité ne peut survenir qu’avec une empathisation réduite. Ici aussi, on constate une nette différence selon les sexes. Le sexe masculin a tendance à se montrer beaucoup plus agressif « directement » (poussant, tapant, boxant, etc.), tandis qu’en général le sexe féminin se montre agressif de façon plus « indirecte » – ou de manière « relationnelle », voilée – par des commérages, des pratiques d’exclusion, des remarques fielleuses, etc. L’agression directe pourrait requérir un niveau d’empathie encore plus bas que l’agression indirecte. Et l’agression indirecte demande une plus grande capacité à inférer les pensées d’autrui que l’agression directe car elle a un impact stratégique (Crick & Grotpeter 1995 : 710-722).

10. Meurtre. Il s’agit de l’exemple extrême du manque d’empathie. Daly et Wilson ont dépouillé des archives d’homicides remontant à plus de sept cents ans dans différentes sociétés (1988). Ils en ont retiré que les assassinats d’hommes par des hommes étaient 30 à 40 fois plus fréquents que les meurtres de femmes par des femmes.

11. Établir un rapport hiérarchique. Les mâles établissent plus rapidement des rapports de domination. Cela reflète pour une part leurs moindres capacités d’empathie, car, en général, une hiérarchie est établie par un individu qui rudoie les autres pour en devenir le meneur (Strayer 1980).

12. Styles langagiers. Le discours des petites filles fait preuve de plus d’esprit de coopération, de collaboration et de réciprocité. De manière concrète, cela se traduit aussi par une bonne capacité des filles à mener de plus longues conversations. Quand elles ne sont pas d’accord, elles expriment généralement leur opinion divergente de manière délicate, employant la forme interrogative plutôt qu’affirmative. Le discours des garçons se déroule plus souvent « à une seule voix » (celui qui parle présentant seul son point de vue). Le discours féminin est plus du type « à deux voix » – les filles passent plus de temps à négocier avec l’autre, essayant de prendre en compte ses désirs (Smith 1985).

13. Parler des émotions. Les femmes entre elles parlent beaucoup plus des sentiments tandis que les conversations des hommes entre eux ont plus tendance à être centrées sur des objets ou des activités (Tannen 1990).

14. Attitude des parents. Il est moins courant pour les pères que pour les mères de tenir leur bébé face à eux. Les mères acceptent plus facilement le choix par l’enfant d’un thème de jeu alors que les pères ont plus tendance à imposer leur propre thème. Et les mères adaptent plus souvent leur langage en fonction de ce que l’enfant est en mesure de comprendre (Power 1985 : 1514-1524).

15. Préférence pour le visage et pour les yeux. Dès la naissance, les petites filles observent plus longuement les visages, et tout particulièrement les yeux, tandis que les petits garçons ont plus tendance à regarder les objets inanimés (Connellan et al. 2001 : 113-118).

16. Il a été démontré qu’en général les femmes maîtrisent mieux le langage que les hommes. Il semble probable qu’une bonne empathisation facilite le développement du langage (Baron-Cohen et al. 1997b : 48-57) et vice-versa ; ces deux phénomènes pourraient donc être liés.

Le cerveau masculin : « systémiser »

Tous les systèmes basés sur des règles sont pertinents pour trouver des données appuyant mon hypothèse. Ainsi les échecs et le football sont-ils de bons exemples de systèmes, a contrario des visages et des conversations.

Systémiser implique de noter trois choses dans l’ordre : la donnée entrée (input), l’opération et le résultat (output). L’opération est le traitement de l’input, ou ce qui lui est arrivé, afin de produire l’output.

1. Jouets préférés. Les garçons sont plus intéressés que les filles par les jouets représentant des voitures, des armes, des blocs de construction et des objets mécaniques, jouets qui offrent tous la possibilité d’être « systémisés » (Jennings 1977 : 65-73).

2. Choix professionnels des adultes. Certains métiers sont quasi exclusivement masculins. Il en est ainsi du travail du métal, de la fabrication des armes, de la manufacture d’instruments de musique ou des industries de construction telles que la construction navale. Ces métiers sont centrés sur la construction de systèmes (Geary 1998).

3. Mathématiques, physique et ingénierie. Elles requièrent toutes un haut degré de systémisation et les hommes prédominent largement dans ces disciplines. Le Scholastic Aptitude Maths Test (SAT-M) est la partie mathématique du test passé au niveau national par tous les élèves souhaitant entrer au collège aux Etats-Unis. Les garçons y obtiennent un score supérieur de 50 points en moyenne à celui des filles (Benbow 1988 : 169-232). Si on ne considère que ceux qui obtiennent des scores supérieurs à 700, le sex-ratio est de 13 hommes pour 1 femme (Geary 1996 : 229-284).

4. Capacités de construction. Dans un test visant à assembler un appareil mécanique en 3D, les hommes obtiennent un score moyen plus élevé que les femmes. Les garçons sont également meilleurs pour construire des bâtiments à partir de plans en 2D. Les briques de Lego peuvent être combinées en un nombre infini de systèmes. Les garçons se montrent plus intéressés par les jeux de Lego. Les petits garçons de trois ans sont aussi plus rapides pour copier des modèles en 3D avec de très grandes pièces de Lego, et les garçons plus âgés (à partir de neuf ans) se représentent mieux l’aspect d’un objet en 3D une fois mis à plat. Ils sont également meilleurs pour construire une structure en 3D à partir de seules vues aériennes et de face (Kimura 1999).

5. Test du niveau d’eau. Originellement mis au point par le psychologue suisse de l’enfance Jean Piaget, ce test consiste à montrer à quelqu’un une bouteille vide inclinée puis de lui demander d’indiquer l’emplacement du niveau d’eau si la bouteille est, par exemple, à moitié pleine. Les femmes sont plus nombreuses à dessiner la ligne de niveau alignée sur l’inclinaison de la bouteille plutôt qu’horizontale comme elle doit l’être (Wittig & Allen 1984 : 305-313).

6. Test de la baguette et du cadre. Si l’appréciation de la verticale d’une personne est influencéepar l’inclinaison du cadre, on dit qu’elle est « dépendante par rapport au champ » (field dependent) : son jugement est facilement influencé par un input étranger au contexte environnant. Si elle n’est pas influencée par l’inclinaison du cadre, on dit qu’elle est « indépendante par rapport au champ » (field independent). La plupart des études montrent que les personnes de sexe féminin sont plus dépendantes du champ – c’est-à-dire plus facilement distraites par le contexte au lieu de considérer séparément chaque variable du système. Elles disent plus fréquemment (de manière erronée) que la baguette est droite si elle est alignée sur le cadre (Witkin et al. 1962).

7. Bonne attention au détail pertinent. C’est un des traits communs essentiels de la systémisation. L’attention au détail pertinent est supérieure chez les hommes. On peut la mesurer avec le test du personnage caché : en moyenne, les hommes localisent plus rapidement et plus précisément le personnage caché dans un dessin complexe plus large (Elliot 1961 : 27-36). Les hommes, en moyenne toujours, détectent plus facilement une caractéristique particulière – qu’elle soit mobile ou immobile (Voyer et al. 1995 : 250-270).

8. Test de rotation mentale. Ici encore, les hommes sont plus rapides et plus exacts. Ce test nécessite de systémiser car on doit traiter chaque élément d’un assortiment présenté comme une variable qui peut être transformée (c’est-à-dire changée de place) et prédire où il va réapparaître (l’output) suite à cette transformation (Collins & Kimura 1997 : 845-849).

9. Lire une carte. C’est un autre test courant de systémisation car il implique, à partir d’éléments en 3D, de prédire leur apparence lorsqu’ils seront représentés en 2D. Les jeunes garçons obtiennent de meilleurs résultats que les filles. Les hommes peuvent également apprendre un parcours en un nombre moindre d’essais, en regardant simplement une carte : ils rapportent plus de détails corrects sur la direction et la distance. Cela suggère qu’ils traitent les éléments de la carte comme des variables pouvant être transformées en 3D. Si on demande à des écoliers d’établir une carte d’un endroit qu’ils n’ont visité qu’une seule fois, les cartes des garçons représentent les caractéristiques de l’environnement de manière plus précise que celles des filles. Un nombre plus élevé de cartes dessinées par les filles comporte des erreurs sérieuses quant à la localisation de repères importants. Les garçons ont tendance à insister sur les routes et les parcours, tandis que les filles donnent plus d’importance à des repères spécifiques (la boutique du coin de la rue, etc.). Ces deux stratégies – utiliser des indicateurs de direction versus des points de repère – ont été abondamment étudiées (par exemple, Galea & Kimura 1997 : 53-65). La stratégie directionnelle est un exemple d’une appréhension de l’espace en tant que système géométrique ; l’importance des rues ou des parcours montre que l’espace est considéré dans les termes d’un autre système, ici un système de transport.

10. Systèmes mobiles. Si on demande à des gens de lancer ou d’attraper des objets en mouvement (tests centrés sur des cibles) comme de lancer des fléchettes ou d’intercepter des balles projetées par un lanceur, les hommes sont, en moyenne, meilleurs. De même, si on demande à des hommes de désigner quel est le plus rapide de deux objets en mouvement, les hommes donnent, en moyenne, des réponses plus correctes (Schiff & Oldak 1990 : 303-316).

11. Systèmes organisationnels. On a demandé aux membres de la tribu Aguaruna du nord du Pérou de classer par espèces une centaine ou plus de spécimens locaux (Atran 1994). Les systèmes de classification des hommes comprenaient plus de sous-catégories (par exemple, ils introduisaient une plus grande différenciation) et avaient plus de cohérence que ceux des femmes. Les critères employés par les hommes Aguruna pour décider de la place de tel ou tel animal ressemblaient plus souvent aux critères taxinomiques utilisés par les biologistes occidentaux – pour la plupart masculins (Atran 1994). La classification et l’organisation impliquent de systémiser car les catégories sont prédictibles. Plus les catégories sont fines, plus le système de prédiction sera performant.

12. Quotient de systémisation. Ce questionnaire a été soumis à des adultes choisis au hasard dans la population générale. Il comprend quarante questions sur le niveau d’intérêt éprouvé par le sujet envers un ensemble de différents systèmes présents dans son environnement (incluant des systèmes techniques, abstraits et naturels). Les hommes y obtiennent de meilleurs scores que les femmes (Baron-Cohen & Reichler 2003a).

13. Mécanique. Le questionnaire de prédiction physique (Physical Prediction Quest, PPQ) est basé sur une méthode mise au point pour sélectionner des aspirants ingénieurs. Le test implique de prédire quels leviers de direction vont bouger quand un mécanisme interne (de roues d’engrenage et de poulies) d’un type ou d’un autre est impliqué. Les scores des hommes sont, de manière significative, plus élevés que ceux des femmes (voir figure 2, Lawson et al. à paraître).



Culture et biologie

À l’âge d’un an, les petits garçons manifestent une préférence marquée pour les vidéos montrant des voitures qui roulent (systèmes mécaniques prédictibles) plutôt que pour les films de visages humains. Les petites filles manifestent la préférence opposée. Toujours au même âge, ces dernières établissent également plus de contacts oculaires avec autrui que les garçons (Lutchmaya & Baron-Cohen, 2002c). Certains chercheurs ont fait l’hypothèse que, même à cet âge, la socialisation pourrait avoir provoqué ces différences liées au sexe. Bien qu’il existe des données en faveur d’une socialisation différenciée contribuant aux différences sexuelles, il est cependant peu probable que cette explication soit suffisante car il a été démontré que, même pour les bébés âgés d’un jour, les garçons regardent plus longuement un objet mobile mécanique (système obéissant à des lois de mobilité prédictibles) qu’un visage (objet quasiment impossible à systémiser) tandis que les nourrissons de sexe féminin montrent la tendance inverse (Connellan et al. 2001 : 113-118). Ces différences de sexe sont donc présentes dès le tout début de la vie. Ce qui soulève la possibilité que, tandis que la culture et la socialisation peuvent partiellement déterminer le développement d’un cerveau masculin (avec un intérêt plus développé pour les systèmes) ou d’un cerveau féminin (avec un intérêt plus développé pour l’empathie), la biologie pourrait aussi jouer un rôle dans ce phénomène. Il existe beaucoup de preuves en faveur de ces deux déterminismes : culturel et biologique (Eagly 1987 ; Gouchie & Kimura 1991 : 323-334). Par exemple, la quantité de contacts établis par le regard à l’âge d’un an est inversement proportionnelle au niveau de testostérone prénatale (Lutchmaya et al. 2002a).

Source en anglais (traduction)

Voir aussi

Le paradoxe de l'égalité entre les sexes c. la théorie du genre

Étude norvégienne — Plus un homme participe aux tâches ménagères, plus il y a risque de divorce





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