mercredi 22 janvier 2025

« Des milliers de femmes souffrent du syndrome post-IVG en France », alerte Marie Sentis

Avorter, en particulier sous la contrainte, peut laisser d'importantes blessures psychiques, déplore Marie Sentis, qui recueille les témoignages de femmes en détresse depuis des années.

En ce mois de janvier, on célèbre les cinquante ans de la loi Veil en France. La posture actuelle vis-à-vis de l’avortement, en particulier depuis son inscription dans la Constitution, est d’en faire un totem et un tabou. Pourtant Simone Veil elle-même reconnaissait que cet acte était toujours un drame. Et ce drame laisse des séquelles chez des milliers de femmes. Marie Sentis le constate depuis des années, à travers son association d’écoute, IVG, vous hésitez ? Venez en parler !. Omerta sur la souffrance, avortement sous contraintes ou faute de moyens financiers, syndrome post-IVG : on réalise que l’avortement n’est pas vraiment l’acte libérateur vendu par une partie des féministes.



Entretien paru dans Valeurs actuelles.

​Valeurs actuelles.— Pourquoi avoir choisi de consacrer un ouvrage à la question du post-avortement ?

Marie Sentis.— Depuis 2008, nous recevons beaucoup d’appels et de messages de femmes avant ou après une IVG. Elles sont des milliers à nous confier une détresse et un mal-être survenus après un avortement. Or, personne ne parle de ce problème en France, surtout dans les milieux hospitaliers et médicaux. Cette souffrance a un nom : le syndrome post-IVG, qui recouvre beaucoup de symptômes très différents, qui se déclarent plus ou moins rapidement. Chez certaines femmes, la souffrance est immédiate, chez d’autres, elle se révèle au bout de cinq, dix, voire vingt ans. Ce qui est certain, c’est que même lorsque la femme dit ne pas regretter son avortement, sa déclaration est généralement toujours suivie de cette phrase terrible : « Je n’avais pas le choix… » Qui plus est, je remarque qu’aucune femme n’oublie son avortement. Certaines disent d’ailleurs : « J’ai eu deux enfants mais j’en ai perdu/avorté un. »

L’acte est vraiment inscrit dans la mémoire de son corps et de son esprit. J’ai la conviction que ces femmes doivent s’exprimer. Qu’elles puissent dire leur douleur, expliquer les circonstances, les raisons de leur avortement. Car cela constitue, pour elles, un chemin d’apaisement. Pour certaines, cela leur fait aussi du bien de pouvoir se dire que leur témoignage douloureux pourra dissuader une femme qui se pose la question de l’IVG.

—  Quel est ce “syndrome post-avortement” exactement ?

— Tabou en France, ce syndrome regroupe un ensemble de symptômes qui surgissent après un avortement, soit juste après, soit parfois au bout de quelques mois ou même quelques années. Le premier de ces symptômes, le plus fréquent, est des troubles du sommeil : insomnies, réveils la nuit, difficultés à se rendormir… Beaucoup ont recours à une consommation de somnifères et d’anxiolytiques. Une partie des femmes développe aussi des angoisses, parfois sur des choses anodines, qu’elles n’avaient pas auparavant. Dans certains cas plus importants, elles font même des crises de pleurs le matin ou plus encore le soir. Les appels de détresse que nous recevons après un avortement sont passés entre 20 heures et minuit. D’autres n’arrivent plus à aller travailler le matin. Elles ont des blocages qu’elles n’expliquent pas. Une sorte de dégoût de la vie, qu’elles finissent à un moment par relier à leur avortement. Dans certains cas, dont personne ne parle, il y a des tentatives de suicide. Il est très net que ces femmes-là vivent dans un climat de mort.

Dans un autre registre, une bonne partie de ces femmes qui souffrent de leur avortement deviennent agressives et souffrent de voir des femmes enceintes qui leur rappellent leur début de grossesse et leur avortement. Je suis frappée de voir qu’avant l’avortement, ce fœtus est une « chose, un amas de cellules », voire d’autres termes plus dépréciatifs. Et systématiquement, après l’avortement, le fœtus acquiert un statut de personne. Elles ne parlent plus de l’embryon ou du fœtus, mais de leur bébé… Les femmes posent ces deux mêmes questions : « C’était qui ? », « Il aurait été comment ?». Cette souffrance est encore plus grande pour celles ayant déjà des enfants. Parce qu’elles savent ce qu’est un enfant et de le porter. Et elles peuvent souffrir de l’image de la chaise vide : fêter l’anniversaire de l’un des enfants et se dire que sur une des chaises vides autour de la table, il aurait dû y avoir quelqu’un… L’avortement, quelque part, c’est parfois la raison qui a gagné contre l’amour, car il y a plein de raisons qui y poussent. Mais par contre, il reste les émotions, le cœur et le psychisme en peine…

— Comment expliquer que certaines femmes avortent plusieurs fois si une telle douleur est présente ?

—Tout d’abord, très souvent, les situations n’ont pas changé : ces femmes sont blessées dans l’amour que ce soit par rapport au conjoint, à la maman ou à leur famille. Elles recommencent car la situation se renouvelle. Le conjoint ne va pas vouloir assumer et faire pression ou se dérober en désertant, les familles vont faire bloc contre la grossesse. Ensuite, il y a l’engrenage : pour des femmes qui ont avorté trois ou quatre fois, il est très dur de garder le quatrième ou le cinquième. Parce qu’elles repensent à l’avortement et elles se disent, même si la situation est plus stable ou que le conjoint a changé, « il n’y a pas de raison que je garde celui-là plus que ceux que j’ai supprimés ». Elles se sentent mal et disent qu’elles « n’ont pas ce droit ». Une grossesse après un ou plusieurs avortements n’est jamais facile…

— Qu’est-ce qui vous marque le plus dans tous les témoignages que vous recevez ?

— Ce qui est terrible, c’est le nombre de femmes qui actuellement aimeraient garder leur bébé mais n’ont aucun soutien autour d’elles pour le faire. Or, notre service d’écoute est de plus en plus attaqué et dénigré. Une des écoutantes de l’équipe se désolait et me disait : « Marie, c’est terrible, toutes ces femmes qui aimeraient être soutenues pour garder leur bébé, comment vont-elles nous trouver ? » Ce qui me frappe aussi, et qui m’inquiète, c’est que nous avons des appels de femmes qui ont pris le premier comprimé pour l’IVG médicamenteuse, qui rentrent chez elles et qui se disent : « Qu’est-ce que j’ai fait ! » et qui veulent désespérément faire demi-tour.

Une grande partie agit par panique, poussée par leur conjoint et avale le comprimé sans avoir eu le temps de réfléchir.

C’est un phénomène en pleine expansion. Car désormais, on peut avorter en une journée et bien trop de sages-femmes et de médecins ne prennent pas le temps de discuter avec les femmes pour comprendre les raisons de leur démarche. Ils leur font juste avaler le comprimé et les renvoient chez elles. Une grande partie agit par panique, poussée par leur conjoint et avale le comprimé sans avoir eu le temps de réfléchir. Or, au lieu d’être soutenues, écoutées, je constate que bien souvent, on les enfonce. Nous recevons nombre de témoignages dans lesquelles des femmes nous disent : « Ma sage-femme/mon médecin m’a dit qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’avorter. »

— Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de générer une culpabilité, une douleur chez les femmes ayant avorté ?

— On est souvent attaqué sur ce sujet. Les femmes qui sont décidées à avorter ne nous contactent pas. Par contre, nous sommes contactées par toutes celles qui hésitent, sont en détresse, sous pression et abandonnées. Pourtant, c’est quand nous avons fini par être au top dans les moteurs de recherche pour le mot-clé IVG que nous nous sommes retrouvés malgré nous dans le viseur des féministes et des politiques. À la fin du quinquennat Hollande, une campagne de presse inouïe a provoqué une loi sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG ». La ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, m’a dit en face que cette loi sur le délit d’entrave avait été établie surtout contre nous… C’est terrible, car nous sommes là pour écouter ces femmes, accueillir leurs douleurs ou leurs interrogations. On est loin du délit d’entrave ! Elles se culpabilisent elles-mêmes et c’est pour cela qu’elles nous appellent… Nous les aidons comme nous pouvons. On leur propose d’aller lire des témoignages sur notre site, qui sont tous évidemment véridiques.

On nous accuse de mensonges, mais étonnamment, aucun journaliste n’a souhaité pousser une investigation sur ces témoignages ! L’une des grandes satisfactions de notre engagement réside dans les retours que nous recevons après avoir soutenu des femmes en quête d’aide. Il s’agit souvent de femmes qui, bien que tentées par l’IVG ont renoncé et “gardé le bébé”. Leur gratitude, exprimée à travers des messages de remerciement, est précieuse. Elles nous confient leur soulagement de nous avoir trouvé et nous partagent leur joie lors de la naissance de leur enfant. Les voir heureuses et épanouies nous rappelle l’importance de notre action et nous conforte dans l’idée que notre soutien est utile. Dans une partie de notre société, la maternité est parfois perçue comme un obstacle à la liberté et à l’épanouissement personnel. Cette vision contribue à une pression sociétale qui pousse de nombreuses femmes vers l’avortement. Nous, au contraire, proposons une perspective différente, en valorisant le choix de la maternité et en offrant une vision d’espérance.

—  On entend qu’il faut protéger l’avortement, car il reste encore entravé en France ; qu’en pensez-vous ?

— Maintenant, sur Doctolib, on peut programmer un avortement sans aucune difficulté. Les sages-femmes peuvent pratiquer les avortements. On peut désormais avorter très vite, en particulier pour les avortements médicamenteux. Peu de temps est laissé à la réflexion. Donc on est loin de l’entrave… Pour l’avortement entre quatorze et seize semaines, il y a peut-être un peu plus de difficultés, car de moins en moins de médecins ont envie de le pratiquer. Mais d’autres n’hésitent même pas à dépasser les délais légaux…

On se réfère à la loi Veil comme à un totem mais elle est désuète: on l’a dépassée depuis longtemps.

— Avorter, est-ce un choix libre ?

— Beaucoup de femmes qui y ont recours se trouvent dans une situation désespérée. Psychologiquement et/ou matériellement. Elles avortent souvent parce qu’elles sont abandonnées, seules et que personne ne les soutient dans cette aventure d’une future maternité. Ou pire, elles sont contraintes d’avorter par leurs conjoints ou leur famille qui les menacent de les quitter. Certains usent de violence physique ou psychologique pour qu’elles se “débarrassent” de leur grossesse : chantage, coups, menaces… ces femmes sont dans une telle désespérance qu’elles n’osent pas s’éloigner de ces proches maltraitants. On se demande d’ailleurs où sont nos féministes habituelles. Quand ces femmes nous appellent, nous leur conseillons de se réfugier dans des maisons d’accueil. Et nous recevons ensuite des messages : « Comme cela m’a fait du bien, j’ai pu écouter mon cœur ! ». Elles nous disent que nous avons été les seuls à leur dire qu’elles pouvaient “garder le bébé”. Hélas, trop n’ont pas eu cette possibilité de soutien et finissent justement par recourir à l’avortement. Ce sont ces femmes-là qui risquent d’avoir ce syndrome post-avortement. Clairement la liberté n’est pas entière.

—  Cinquante ans après, quel regard portez-vous sur la loi Veil ? Que préconisez-vous ?

— On se réfère à la loi Veil comme à un totem, mais elle est complètement obsolète : on l’a dépassée depuis longtemps.

​Rappelons-nous qu’elle disait que l’avortement était toujours un drame, une exception, que ce n’était pas un droit, etc. Et qu’il fallait tout faire pour le dissuader. On en est loin maintenant. La grossesse n’est désormais acceptée et acceptable que si l’enfant est désiré. Je préconise au moins ce qui se fait en Italie. Dans chaque hôpital a été instaurée une petite cellule d’écoute pour les femmes. Elle doit leur dire qu’il y a des possibilités pour qu’elles puissent garder leur bébé. Il faudrait en France beaucoup de lieux d’écoute et de conseils avec des psychologues formés au syndrome post-IVG.

Après l’IVG, des femmes témoignent,
de Marie Philippe,
aux éditions Artège,
208 pages
ISBN-13: 979-1033603740

 

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