vendredi 26 juillet 2019

Des grandes villes progressistes sans enfants aux États-Unis ?

Des villes sans enfants aux États-Unis ? C’est peut-être ce qui attend les métropoles américaines, explique le magazine « The Atlantic ». Depuis 2011, le nombre de naissances à New York a diminué de 9 %. Manhattan enregistre, à lui seul, une baisse de 15 %. À ce rythme, la population infantile y serait réduite de moitié d’ici 30 ans dans l’île. De même à San Francisco, Seattle et Washington, le nombre de familles avec enfants de six ans ou plus est en déclin.

Dans les villes à forte densité telles que San Francisco, Seattle et Washington, D.C., aucun groupe ne se développe plus rapidement que les blancs riches diplômés et sans enfants, selon l’analyse du recensement réalisée par l’économiste Jed Kolko. En revanche, les familles avec enfants de plus de 6 ans sont en net déclin dans ces régions. Il semble bien manquer un élément clé à la renaissance urbaine aux États-Unis : les naissances.

Ces nouveaux citadins font grimper en flèche le coût de la vie, et en particulier le prix du mètre carré, à l’achat comme à la location. Ceci décourage les couples d’avoir des enfants. En 2018, le taux de fécondité des États-Unis est tombé à son plus bas niveau depuis 32 ans, explique le magazine.

Autre conséquence, les familles avec enfants sont contraintes de migrer vers des quartiers résidentiels en périphérie. Ainsi, Los Angeles, Chicago, New York et Philadelphie ont perdu, au total, 2 millions de résidents de 2010 à 2018. Plus économique, la banlieue est aussi plus adaptée aux familles. Les écoles, les parcs, les espaces réservés aux poussettes, les restaurants avec des chaises hautes, les gardiennes d’enfants et les places de stationnement pour voiture familiale y sont beaucoup plus nombreux.

Pendant de nombreuses années, la principale source de croissance démographique de ces villes n’a pas été les enfants qui y naissaient ni même les diplômés universitaires ; mais les immigrés.

Le nombre de chiens dépasserait celui des enfants à San Francisco

Les villes étaient autrefois un lieu pour les familles de toutes les classes. L’urbaniste Sam Bass Warner a écrit que la « coutume fondamentale » de la ville américaine était un « engagement en faveur du familialisme ». Cependant, les villes d’aujourd’hui ne sont décidément ni pour les enfants ni pour les familles qui en veulent. Comme le disent les sociologues Richard Lloyd et Terry Nichols Clark, ce sont des « machines à divertissements » pour les jeunes, les riches et ceux qui le plus souvent n'ont pas d'enfants.

Cette tendance a des conséquences importantes — non seulement pour l’avenir des villes américaines, mais également pour l’avenir de l’économie américaine et de la politique américaine. (Montréal est-elle si différente, ne se veut-elle pas aussi une « machine à divertissement », une ville des mille festivals ?)

Les grandes villes ont remplacé les enfants par du capital. Les diplômés occupent les villes, avalent des repas rapides, triment parfois jusqu'au surmenage, s'épuisent puis, finalement, se rendent dans les petites villes ou les banlieues avant que leurs rares bambins n’aillent à la maternelle. C’est une tendance d’un océan à l’autre : à Washington, la population totale a augmenté de plus de 20 % au cours de ce siècle, mais le nombre d’enfants de moins de 18 ans y a diminué. Dans le même temps, San Francisco a la plus faible proportion d’enfants parmi les 100 plus grandes villes des États-Unis.

La grande ville américaine moderne devient un centre urbain où se rassemblent des gens nantis qui peuvent se comporter comme des enfants sans devoir en voir aucun.

L’implantation de grandes sociétés du numérique et de la Tech, dans ces métropoles américaines, attire comme un aimant « une population blanche, aisée et diplômée », explique le magazine. Celle-ci préfère se consacrer à sa carrière plutôt qu’à la fondation d’une famille.

Les conséquences économiques de la ville sans enfants sont profondes. C’est ainsi que le coût élevé de la vie en ville peut décourager certains couples d’avoir autant d’enfants qu’ils le souhaiteraient (les occidentaux ont en général un peu moins d’un enfant de moins qu’ils n’aimeraient en avoir, voir graphique ci-dessous). En d’autres mots, les grandes villes américaines n’expulsent pas seulement les enfants d’âge scolaire ; ils découragent également activement la naissance de ces enfants.


En 2018, le taux de fécondité américain est tombé à son plus bas niveau. Sans une immigration soutenue, la population des États-Unis pourrait à terme se contracter pour la première fois depuis la Première Guerre mondiale. Cette dénatalité constituerait un problème économique, associé à une moindre dynamisme et à une productivité en baisse. Le tout pourrait aboutir à une catastrophe fiscale. Pour se convaincre des problèmes économiques liés à une démographie qui périclite, on peut se tourner vers le Japon qui connaît depuis près de 30 ans une croissance économique anémique (inférieure à celle des États-Unis presque toutes les années depuis 1992). Il est loin le Japon qui, en 1989, pouvait dire « No » aux Américains.


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L’érosion de la population active pourrait affaiblir la protection sociale et médicale de l’État-providence financée par l’impôt de la population. Notons qu’un fort État-providence comme nous le connaissons pourrait en fait contribuer à la dénatalité, car il donne l’impression de pouvoir avoir le beurre (une vie confortable sans enfants) et l’argent du beurre (sa pension de retraite payée par les enfants des autres, enfants qui garantiront aussi la solidité du marché immobilier, des actions de son fonds de retraite, bref de ses avoirs). Aucun État-providence ne paie d’allocations familiales assez généreuses pour rembourser les coûts associés à l’éducation d’un enfant. L’État fait le pari que les gens feront des enfants de toute façon — qu’on les aide ou non —, il ne soutient le plus souvent que les parents les moins nantis.

Cette menace peut sembler lointaine et hypothétique, mais la faible natalité pourrait déjà avoir un impact politique en Occident. Selon l’auteur de l’article de The Atlantic, « Dans un essai de 2017, j’ai expliqué comment une faible fécondité aux États-Unis et en Europe pourrait contribuer au populisme de droite. La théorie était la suivante : la faible croissance démographique naturelle encourage les pays libéraux à accepter plus d’immigrants. Alors que la croissance stagne, les travailleurs des classes moyenne et inférieure nés dans le pays craignent l’apparition de travailleurs étrangers [qui ont tendance à déprimer les salaires au bas de l’échelle sociale et non ceux des classes aisées]. Pour se protéger, la petite-bourgeoisie blanche se tourne vers les hommes forts qui promettent de limiter l’immigration. »

Enfin, les villes sans enfants exacerbent le clivage ville-périphérie qui définit la sociologie politique de nombreux pays occidentaux. Avec ses riches villes progressistes et ses campagnes et banlieues éloignées conservatrices, les États-Unis ont une économie mondialisée qui privilégie les zones à forte densité de population, mais un système électoral qui récompense les zones à faible densité de population. Les plus riches grandes villes sont devenues des aimants pour les masses de jeunes progressistes désormais trop nombreuses et concentrées au niveau électoral, ce qui les rend relativement impuissantes au niveau politique national. Ces mêmes électeurs progressistes répartis sur l’ensemble du territoire serviraient mieux leurs aspirations politiques. C'est ainsi que Hillary Clinton a remporté le vote à Brooklyn par 461 000 voix, soit environ sept fois la marge par laquelle elle avait perdu la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin réunis. Pendant ce temps, les électeurs ruraux se mobilisent d’autant plus qu’ils ressentent leur déclassement économique. Trump a obtenu un soutien majoritaire dans les régions ne produisant que le tiers du PIB.

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