vendredi 12 juillet 2024

France — l'envers du décor de l'examen oral de français du bac

Professeur de français en banlieue parisienne, Ophélie Roque s’en prend dans le Figaro, avec humour, à l’examen de l’oral de français comptant pour le baccalauréat. Un exercice de bachotage qui fait disparaitre toute forme de spontanéité et que l'Éducation nationale devrait repenser, estime-t-elle.


Du 9 au 15 juillet s'échelonneront les résultats des épreuves anticipées du baccalauréat de français pour les 535.400 élèves de première qui ont passé l'épreuve. L'exercice, souvent source de stress pour les étudiants, est quant à lui synonyme d'ennui pour la classe professorale qui voit chaque année s'avancer vers elle l'hydre rampante de la vacuité réglementaire et étatique.

Je ne parlerai pas ici des épreuves écrites (ce n'est, ni plus ni moins, qu'une longue plâtrée qu'il s'agit de digérer le plus proprement possible) mais des oraux qui sont infiniment plus intéressants à décrypter tant l'exercice conjugue tout ce qu'il y a de pire : un bachotage ad nauseum et la disparition tragique de toute forme de spontanéité.

Pour ceux qui n'auraient pas la chance d'avoir un adolescent à la maison, je me permets ici de rappeler brièvement en quoi consistent ces oraux. L'épreuve, divisée en deux parties, se construit sur l'analyse (12 minutes chrono !) d'un texte étudié en classe suivie d'un entretien de 8 minutes portant sur une œuvre dite experte.

Sur le papier, cela fait sens, on mélange les savoirs acquis à l'intelligibilité d'une pensée personnelle. Que nenni ! Chassez de votre esprit cette trompeuse illusion ! L'épreuve n'est en rien formatrice, c'est un leurre, un appât qu'on jette au bon sens, un mur d'illusion. En un mot, un traquenard.

Mais alors en quoi peut bien consister ce Barnum académique ? Pendant six jours, le professeur connaît les délices du travail à la chaîne, un candidat entre, un autre en sort et ceci jusqu'à la nausée. 14 élèves à faire passer par jour à raison de 30 minutes de préparation écrite et de 20 minutes dédiées à la prise de parole. Pire, bien pire qu'Ixion attaché à la roue par des dieux grecs décidément un rien plaisantins ! Et tournez manège !


Niveau organisation, chaque seconde perdue se répercute amèrement dans un effet boule de neige du plus mauvais aloi.

Si l'on m'autorise un tantinet de provocation, je dirai qu'il y a d'ailleurs souvent plus d'intelligence à l'œuvre quand un candidat se retrouve face à un texte qu'il n'a en rien révisé.

Commençons toutefois par les bonnes nouvelles, je salue les candidats qui — dans leur grande majorité — ont fait l'effort de se préparer au mieux à l'épreuve demandée. Bravo à eux ! Leur implication et leur sérieux furent souvent payants. Le problème étant moins les candidats que l'épreuve elle-même qui ne favorise en rien l'épanouissement intellectuel. L'institution, à un moment donné, s'est mise à dérailler. Qu'on m'explique un instant l'intérêt de demander à des élèves de 16 ans de recracher de mémoire une analyse qui ne leur est en rien personnelle mais qui fut conçue, élaborée et rédigée par leur professeur ? Même quand les candidats ont révisé, ceci ne signifie en rien qu'ils ont compris l'extrait étudié. Mais au fond le système s'en moque, on ne leur demande rien de plus que l'intelligence du perroquet ou du singe savant. Une ménagerie en avenir.

Si l'on m'autorise un tantinet de provocation, je dirai qu'il y a d'ailleurs souvent plus d'intelligence à l'œuvre quand un candidat se retrouve face à un texte qu'il n'a en rien révisé. L'analyse y est certes rarement d'une grande finesse mais, du moins, le projet de lecture est personnel et révèle l'intelligence matoise de certains candidats. Parce qu'il y a un plaisir réel à être embarqué dans l'analyse roublarde du cancre avec bagou qui s'acharne à vous vendre le texte tout comme le démonstrateur de machines à laver s'acharne à vous convaincre d'acheter le dernier modèle. Tout est flou, imprécis, souvent fautif mais tout y est incroyablement vrai ! Académiquement parlant nous sommes dans l'errance, humainement parlant nous sommes dans l'intelligence.


C'est qu'à l'autre bout du spectre, il reste affolant de constater à quel point l'épreuve peut abêtir. On ne compte plus ceux qui recrachent leurs cours sans rien saisir ni comprendre. Untel vous récitera une démonstration apprise à la virgule près mais ne se rendra pas compte qu'il s'est trompé d'introduction et vous a expliqué l'œuvre de Verlaine quand l'analyse portait sur un poème de Ronsard. Un autre vous expliquera très correctement Le Lac d'Alphonse de Lamartine mais, tout du long de l'exposé, vous dira, «elle» au lieu de «il». Quant aux plus distraits, ils réciteront sans broncher les origines du Candide de Voltaire quand l'extrait proposé était Nana de Zola. On a alors un peu le sentiment d'assister à la fabrique des crétins. Pire même, l'on y participe !


Et ceci pour la seule première partie de l'épreuve, je ne compte plus ceux qui bafouillent ou s'effondrent lors de l'entretien (pourtant pas bien méchant puisque nous n'avons plus le droit de juger la connaissance réelle d'un candidat sur l'histoire des mouvements littéraires ou sur la vie d'un auteur). Nous atteignons alors les abysses du grand n'importe quoi avec des adolescents incapables de partager un ressenti personnel, cramponnés qu'ils sont à leur fiche Wikipédia et «buguant» littéralement quand vous leur expliquez (d'une voix pourtant douce) que l'objectif n'est nullement de réciter un quelconque exposé appris par cœur mais de verbaliser d'une manière cohérente et intelligible leur ressenti. Qu'ont-ils aimé ? qu'ont-ils moins aimé ? quel fut leur passage préféré ou, au contraire, le personnage qu'ils ont le moins apprécié ? Ici, une fosse se creuse sous leurs pieds. On vient de basculer dans l'humain et ceci, souvent, les terrorise. Quelques-uns pleurent persuadés que si on ne les laisse pas dérouler leurs boniments, ils auront une mauvaise note. Certains vous assènent qu'ils préféreraient que vous ne les regardiez pas puisque ceci les gêne. On assiste alors à un petit naufrage de l'humanité, l'école ne servirait-elle donc qu'à produire des automates plutôt que des personnalités ? À l'Éducation nationale de repenser la conception des épreuves si elle ne souhaite pas s'enferrer dans un machinisme faussement savant. Les élèves et les professeurs valent mieux que ça !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour l'auteur du blog :4e paragraphe : non pas "un appas" mais "un appât".

Pour une école libre a dit…

Correct, appas existe bien mais il est pluriel.

«Appas (toujours au pluriel) = les charmes physiques d'une femme (dévoiler ses appas) ou les charmes d'une chose (les appas de la gloire). Registre littéraire. »