jeudi 14 novembre 2013

Le Portugal sur la voie du chèque scolaire

Le Portugal se met sur la voie de la liberté scolaire. Sofia Reis (ci-contre), trésorière de l'ECNAIS, a répondu aux questions d’Anne Coffinier. Elle nous explique comment ce pays a pu changer de cap en matière d’éducation.

Comment se présente la liberté scolaire au Portugal : quel est le pourcentage d’enfants dans le privé ?

Au Portugal, environ 20 % des élèves sont inscrits dans des écoles privées. Celles-ci ont une bonne réputation. Le secteur des écoles privées est très varié. Il y a des écoles catholiques, des écoles à but lucratif, des écoles dirigées par des coopératives de parents ou de professeurs, ou encore des écoles tenues par des associations. Ces écoles offrent aux choix un cursus général, professionnel, un baccalauréat international, des cursus étrangers. 47 % de ces élèves bénéficient d’aides financières de l’État pour financer leur scolarité dans ces écoles privées.

Le privé est-il réellement libre par rapport au public (plan, horaires, programme, spirituel, pédagogique, diplôme, manuels scolaires) ?

Jusqu’à présent, les écoles privées sont contraintes en théorie de suivre le programme fixé par l’État, d’adopter les manuels scolaires et rythmes scolaires officiels. Beaucoup d’écoles les suivent. Quelques écoles ont une approche plus souple et peuvent ne pas les remplir intégralement (en adaptant le cursus, les programmes ou en utilisant leurs propres livres). Les nouveaux statuts des écoles privées qui doivent être publiés ce mois-ci changent considérablement la donne. Les écoles privées vont être libres de définir leur cursus avec une certaine latitude (30 %); elles seront libres de choisir leurs programmes, leur rythme scolaire, etc.

Comment est financé le privé, pareil que le public ? Est-il coûteux pour les parents ?

Autour de 47 % des élèves des écoles privées bénéficient d’une aide de l’État. Cette aide varie selon les types de contrats des écoles les liant à l’État. Il y a :
  • (i) les contrats simples – l’État prend en charge les frais de scolarité. Cette aide est destinée aux élèves pauvres et ne couvre pas plus de la moitié des frais de scolarité – c’est pour le cursus général ;
  • (ii) les contrats d’association – les élèves ne paient pas de frais de scolarité. L’État paie un montant fixe par classe à l’école pour couvrir toutes les dépenses – c’est pour le cursus général ;
  • (iii) les contrats de parrainage – les élèves ne paient pas de frais de scolarité. L’État paie un montant fixe par élève à l’école pour couvrir toutes les dépenses – c’est pour les écoles de musique ;
  • (iv) financés par le fonds social européen – les élèves ne paient pas de frais de scolarité. Les écoles perçoivent un montant fixe par classe qui couvre toutes les dépenses – c’est pour les formations professionnelles.
A contrario, 53 % des élèves des écoles privées paient l’intégralité des frais de scolarité.

Dans les écoles détenues et dirigées par l’État, le ministère de l’Éducation paie directement les professeurs et donne de l’argent à l’école pour les autres dépenses.

Quel est l’argument gouvernemental pour justifier que les écoles privées soient payantes ?

Au début des années 70, il y a eu un “boom” d’écoles. L’État a construit des écoles dans tout le pays et a embauché des professeurs. Même là où il y avait une école privée, où les élèves auraient pu aller dans la mesure où l’État payait leur scolarité (il s’agissait d’enfants pauvres).

De nos jours, les gouvernements disent que si l’État aide les parents d’écoles privées, il paierait deux fois, car il doit, de toutes les manières, payer les professeurs de l’État (les fonctionnaires ne pouvant être licenciés). De plus, les partis de gauche sont puissants au Portugal et ils défendent l’idée que l’État a l’obligation de scolariser tout le monde, et rien de plus. Ainsi, les parents souhaitant scolariser leurs enfants dans le privé n’ont qu’à payer.

Quels sont les résultats des écoles privées aux tests de référence nationaux et internationaux (type PISA) ?

Les écoles privées ont de très bons résultats dans les examens nationaux et internationaux. Même les écoles privées avec un contrat d’association (ces écoles privées doivent se soumettre aux mêmes règles que les écoles publiques concernant la sélection des élèves) ont de meilleurs résultats que les écoles publiques.

Le débat sur le chèque-éducation s’est-il imposé ces derniers mois comme le sujet majeur en matière de politique scolaire ?

Le libre choix scolaire et des chèques éducation ont été au centre des débats depuis août. Le Gouvernement, qui s’appuie sur une majorité de deux partis de droite et centre droit, a introduit le débat à travers la révision des statuts de l’école privée ainsi que la réforme de l’État. De même, le FMI et la Banque mondiale, en lien avec le programme d’ajustement du Portugal, ont mis en lumière les avantages de l’élargissement du choix scolaire et des contrats d’association.

Comment cela se fait-il ?

Étant donné que nous n’avons pas d’autres informations, à part la parole du gouvernement de faire quelque chose, tout le monde débat – pour ou contre – avec des arguments basés sur des suppositions. Le débat est important, car il crée une prise de conscience, mais il ne mène nulle part, car il manque trop d’informations.

Qui propose l’introduction du bon scolaire ? En quoi consisterait-il ?

Le Gouvernement, mais jusqu’à présent seulement à titre d’expérimentation.

À quel horizon pourrait-il être introduit ?

Nous ne le savons pas encore. Pour l’heure, nous n’avons que l’engagement de cette introduction, à l’essai.

Quels sont les arguments contre ?

L’argument le plus courant est que les écoles financées par des chèques éducation vont créer une ségrégation, que ce qui compte c’est de donner aux écoles en échec, que les chèques éducation sont seulement un moyen de privatiser l’école. Tous les arguments connus du statu quo. Un système scolaire basé sur le choix doit être régulé ; le ministère doit s’assurer que les lois sont appliquées et que les élèves non privilégiés ne sont pas oubliés. Les opposants les plus farouches au choix scolaire sont les syndicats d’enseignants de gauche. Mais ils s’opposent également à l’autonomie scolaire et à tout autre outil permettant de donner plus de pouvoirs aux professeurs (parce qu’ils évolueraient d’une position de fonctionnaires vers celle de professionnels et bénéficieraient ainsi d’une plus grande liberté).

Quel modèle de chèque-éducation visez-vous ?

Nous pensons qu’un système avec un seul type de chèque éducation risque d’être décevant. Notre expérience montre qu’en disposant de plusieurs instruments, il est plus facile de s’adapter aux différents besoins (ceux des parents et des écoles).

L’OCDE dit que seul le bon scolaire ciblé sur les enfants défavorisés et non un chèque universel est socialement efficace : qu’en pensez-vous ?

Les comparaisons internationales sont difficiles à conduire valablement. Les informations ne sont pas complètes, les contextes culturels et historiques peuvent mener à des conséquences différentes alors même que les instruments utilisés sont les mêmes, aucun pays n’a le même “marché éducatif” (avec des conditions d’entrées claires et accessibles, avec des écoles qui ne sont pas réellement choisies par les parents, etc.) Ainsi, les conclusions faites sur ce sujet doivent toujours être maniées avec précautions.

Cependant, nous pensons que l’essentiel est qu’il y ait plus de choix. Ainsi, nous sommes très favorables et soutenons les chèques éducation qui permettent de couvrir tous les frais pour les élèves défavorisés. Beaucoup de nos écoles ont un caractère religieux et désirent recevoir des élèves défavorisés. Ce sont ceux-là qu’elles veulent instruire. C’est le monopole de l’État en matière d’éducation qui a maintenu les élèves défavorisés en dehors des bonnes écoles !

Propos recueillis par Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école.

Voir aussi

« Le combat pour la liberté scolaire est un combat pour la démocratie »

Essor des écoles indépendantes et du chèque scolaire au Royaume Uni

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George Leroux : L’État doit viser à déstabiliser les systèmes absolutistes de croyance des parents

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