vendredi 17 juillet 2020

France — À l’université, des résultats étonnamment bons : bienveillance et triche à distance

À la bienveillance des professeurs s’est ajouté la triche, visiblement massive avec les examens à distance.

Le 6 mai dernier, à Rouen, une étudiante en biologie prépare ses examens du second semestre qui ont eu lieu en ligne le jour du déconfinement.

Une réussite en nette augmentation, dans tous les domaines. Après les résultats exceptionnels du bac 2020 - 95,7 % d’admis après les rattrapages —, les universités vont à leur tour connaître une explosion de leur taux de réussite. C’est en tout cas ce qui ressort des premiers chiffres révélés par les différents établissements d’enseignement supérieur. « Cette année, dans notre université, le taux de réussite va augmenter d’une dizaine de points », atteste Pierre Denise, le président de l’université de Caen Normandie. Même constat à l’université Paul-Valéry de Montpellier, qui anticipe également une augmentation de près de 10 points de la réussite sur l’ensemble de l’établissement. « Nous avons même quelques filières où la hausse est supérieure à 15 points. C’est par exemple le cas en première année de licence d’information-communication, où le taux de validation passe d’un peu plus de 70 % à 90 % », renseigne Patrick Gilli, le président de l’établissement. Les chiffres sont également éloquents à l’université d’Angers, où les étudiants de première année de droit sont 56 % à avoir validé leur année, contre moins de 40 % les années précédentes.

Les raisons de cette hausse sont multiples. Il y a tout d’abord la bienveillance dont tous les enseignants ont fait preuve dans leur notation. « Avec le confinement, les cours en ligne, les examens à distance, nous avons demandé à nos collègues d’être compréhensifs à l’égard des étudiants », explique le président de l’université Paul-Valéry. Les partiels du second semestre n’ont d’ailleurs porté que sur une petite partie du programme. « Nous avons allégé les examens et interrogé les étudiants uniquement sur les cours qu’ils avaient suivis en présentiel », témoigne Mohammed Benlahsen, président de l’université de Picardie Jules-Verne. « Certains syndicats étudiants souhaitaient que l’on attribue la moyenne à tout le monde, nous avons refusé. Mais nous devions tout de même tenir compte de la situation exceptionnelle, nous avons donc élaboré des sujets moins difficiles et été plus souples dans la correction », confirme Pierre Denise (université de Caen).

« Du jamais vu »

Autre facteur qui a pesé dans cette réussite accrue : le « présentéisme » des étudiants lors des examens. Là où, tous les ans, les universités constatent de nombreuses absences lors des partiels de fin de semestre, elles ont cette année remarqué une participation en nette augmentation. À l’université de Caen par exemple, 95 % des étudiants ont composé lors des partiels à distance du second semestre. « Du jamais vu », selon le chef d’établissement. « Nous avons eu un taux de défection beaucoup plus faible que les années précédentes. Il semble que les partiels à la maison aient connu un meilleur succès que les examens en présentiel », abonde Christian Roblédo, le président de l’université d’Angers.

Des partiels en ligne qui ont permis aux étudiants de tricher plus facilement. Pendant la période des examens, nombre d’entre eux ne s’en sont d’ailleurs pas cachés et l’ont clamé sur les réseaux sociaux. « Dans ma fac, la plupart des étudiants ont triché. C’est le cas de tous mes camarades de promotion, mais aussi, de tous mes amis d’autres filières », avoue une étudiante. Si les universités jurent avoir tout fait pour limiter et détecter les fraudes, elles reconnaissent que les tricheries ont pu jouer un rôle dans la réussite exceptionnelle des étudiants cette année. « Il est fort possible que les cas de fraude aient augmenté, mais nous ne pouvons pas chiffrer cela », concède Patrick Gilli (université Paul-Valéry). « Au-delà des cas de triches, certains étudiants ont composé dans un environnement extrêmement favorable et ont pu être aidés par leur entourage », complète Denis Varaschin, le président de l’université Savoie Mont-Blanc. Une fois de plus, cette réussite inédite pose une question essentielle : celle de la valeur des diplômes obtenus par les étudiants dans ces conditions.

Source : Le Figaro

Histoire — Jules Brunet, le vrai-faux dernier samouraï

Ce Français a écrit une des pages décisives de l’histoire du Japon.

Son destin incroyable a inspiré Hollywood et offert à Tom Cruise un de ses plus beaux rôles : Jules Brunet (ci-contre à Ezo en 1869), lieutenant de l’armée de Napoléon III, a combattu aux côtés des derniers shoguns Tokugawa de l’ère Edo, au Japon, en 1868. Mais qui était-il vraiment ?

En arrivant au port de Marseille, le 19 novembre 1866, Jules Brunet est loin de se douter qu’il gagnera dans l’Histoire l’étrange surnom de « dernier samouraï ». Alors qu’il s’apprête à embarquer sur le Péluse, un paquebot impérial affrété dans le cadre de la mission française au Japon, le jeune lieutenant de 28 ans revient tout juste de l’expédition du Mexique, sous les ordres du général Bazaine. Il a participé à la prise de la capitale du pays, en 1863, et à l’installation sur le trône d’empereur du Mexique de Maximilien de Habsbourg. Ses hauts faits militaires lors de la bataille de Puebla lui ont valu d’être décoré de la Légion d’honneur par Napoléon III en personne. À son retour, il a été choisi pour participer à une autre aventure : défendre les intérêts de la France dans un Japon qui s’ouvre lentement au monde extérieur.

Fils d’un vétérinaire militaire, saint-cyrien et polytechnicien, féru de peinture et lui-même artiste, il va se retrouver plongé — comme témoin et acteur — dans une des périodes les plus tumultueuses, les plus cruciales de l’histoire du Japon : le Bakumatsu. C’est-à-dire le moment où le pays bascule — non sans douleur — du régime féodal et isolationniste de l’époque Edo à l’ère impériale Meiji, qui prône une ouverture de l’île au monde. Après des escales à Alexandrie, Ceylan, Singapour et Saïgon, le lieutenant Brunet touche le sol japonais cinquante-deux jours après son départ de Marseille, le 13 janvier 1867.

Il y arrive en qualité d’oyatoi gaikokujin — littéralement « étranger employé » —, au service du shogunat Tokugawa. Un régime qui, après deux siècles et demi de règne sur un pays en paix, brille de ses derniers feux, est ébranlé par plusieurs fiefs souhaitant une restauration de l’autorité impériale. C’était pourtant justement un empereur qui, au XVIe siècle, avait délégué la plupart de ses pouvoirs politiques effectifs à Ieyasu Tokugawa, grand stratège militaire grâce à qui le Japon avait été unifié en mettant fin à plus d’un siècle de guerres intestines entre les daimyos — les seigneurs des différentes provinces. Une parenthèse de paix qui s’était ouverte à l’issue de la bataille de Sekigahara, en 1600, point d’orgue de la période de règne des samouraïs, entamée au XIe siècle. Près de 150 000 hommes s’étaient affrontés pendant plus de six heures dans une vallée plongée dans le brouillard. Durant cette gigantesque tempête de bois et d’acier, de grands guerriers servant leurs maîtres avaient combattu avec lances, arcs, arquebuses et sabres, en suivant non pas le budo moderne, creux et vide, mais le bujutsu : l’art de la guerre et de tout ce qui s’utilise pour combattre sur un champ de bataille. Miyamoto Musashi, le samouraï le plus célèbre et bretteur émérite, auteur du Livre des cinq anneaux, dont la vie de solitude et de combat inspirera La Pierre et le Sabre, d’Eiji Yoshikawa, était lui-même présent à Sekigahara — dans le camp des perdants. Deux cent soixante-huit ans plus tard, c’est une autre bataille qui referme l’ère des samouraïs : Toba-Fushimi. Nous sommes alors en 1868, quinze ans après l’arrivée du commandant américain Perry et de ses quatre canonnières à Uraga — l’un des événements déclencheurs du Bakumatsu. Toba-Fushimi est l’inverse, en tout point, de Sekigahara : ici luttent dans les deux camps des samouraïs boursouflés aux katanas émoussés par plus de deux siècles de paix, qui côtoient des hommes formés et équipés par les pays occidentaux présents au Japon : Américains, Anglais, Hollandais et… Français, donc.

Parmi eux, Jules Brunet. En sa qualité d’oyatoi gaikokujin, l’officier impérial encadre les forces du shogun Tokugawa. En particulier un de ses corps d’élite : le denshutai. Fort de 900 hommes issus des familles les plus modestes, ses soldats ont été formés à l’infanterie, à la cavalerie, à l’artillerie et sont équipés de fusils Chassepot M1866. Bien que plus nombreuses et bénéficiant des conseils de la mission française des deux Jules (Chanoine et Brunet), les armées du shogun sont mises en déroute par celles des fiefs de Choshu et Satsuma (soutenus dans l’ombre par les Britanniques…) ; partisans du retour de l’Empereur, leurs chefs sont aussi farouchement hostiles aux « barbares » (comprendre : les étrangers), dont l’influence grandit depuis l’ouverture en force du pays par l’Américain Perry, en 1853. Équipées de mitrailleuses automatiques Gatling, qui leur confèrent une puissance de feu décisive et compensent leur infériorité numérique, les troupes de l’Empereur japonais parviennent à s’emparer de la capitale du shogunat, Edo, le 7 avril. Et obtiennent la reddition du shogun Yoshinobu Tokugawa. Le 3 septembre 1868, la ville est renommée Tokyo (littéralement « la capitale de l’Est »). Mutsuhito investit le château d’Edo — le palais impérial.


La présence de la mission française n’est alors plus souhaitée et son retour en France programmé. Mais le désormais capitaine Brunet, animé par sa loyauté envers les hommes qu’il a formés, décide de rester pour continuer de soutenir ceux qui demeurent fidèles à la cause du shogun malgré sa reddition. Début octobre, il remet sa démission de l’armée française par courrier et accompagne l’amiral Enomoto Takeaki sur l’île actuelle d’Hokkaido. Avec d’autres officiers français, il l’aide à fonder la république sécessionniste d’Ezo en fédérant cette région peuplée de tribus indigènes (les Aïnous). Il organise aussi les troupes (quelques milliers d’hommes) avec un autre commandant japonais : Otori Keisuke. Mais l’armée impériale, désormais bien plus fournie que la leur et soutenue par les canonniers anglais, parvient à s’emparer de la ville portuaire de Hakodate et à acculer les forces d’Enomoto et de Brunet dans une forteresse.


Le 9 juin 1869, alors que Hakodate s’apprête à tomber et que ses camarades français ont été blessés dans les bombardements, le capitaine Brunet accepte d’être évacué à bord d’un navire français, le Coëtlogon. Un an plus tard, ayant réintégré un régiment d’artillerie en France, il reprend les armes… contre la Prusse. Il finira général de division après avoir été chef de cabinet d’un ministre de la Guerre qu’il connaît bien depuis son aventure japonaise : Jules Chanoine. Quand il meurt en 1911, il a aussi été élevé au grade de grand officier du Trésor sacré du Mikado…

Son histoire est infiniment romanesque. Et cinématographique. Le réalisateur Edward Zwick ne s’y est pas trompé. Il s’est inspiré de son destin en 2003 pour réaliser Le Dernier Samouraï, avec Tom Cruise. Mais en prenant de nombreuses libertés avec la réalité historique. Dans ce film qui totalisa un demi-milliard d’euros au box-office, Brunet n’est pas français mais américain ; il n’est pas officier artilleur mais forme les cavaliers japonais ; il n’arbore pas une élégante moustache mais une crinière de longs cheveux soyeux que même les plus sanglantes batailles ne parviennent pas à décoiffer ; il n’a pas participé aux campagnes mexicaines de Napoléon III mais aux guerres indiennes d’Amérique du Nord ; il n’arrive pas au Japon en 1867 mais près de dix ans plus tard, en 1876. D’ailleurs, dans le film, Jules Brunet n’est même pas Jules Brunet mais Nathan Algren. En réalité, ni Jules Brunet ni Nathan Algren ne sont réellement le « dernier samouraï ». Quand Jules Brunet débarque au Japon, les samouraïs ont disparu depuis longtemps. Ceux qui se qualifient ainsi ne sont que les descendants putatifs des guerriers légendaires et se reposent sur les exploits de leurs aïeuls. Ils sont devenus des notables arborant à leur ceinture le daisho (littéralement « grand et petit », ensemble de deux sabres composé d’un katana et d’un wakizashi), mais qui n’ont jamais connu eux-mêmes les horreurs de la guerre. « Des guerriers qui n’en étaient plus, mais ne pouvaient le faire voir, selon l’ancien directeur de la Maison franco-japonaise de Tokyo, Olivier Ansart. Des hommes qui devinrent des serviteurs et qui, sous le masque de la loyauté, complotaient contre leurs maîtres ; des truqueurs sans vergogne de généalogies imaginaires ; des amateurs de confort douillet qui brandissaient des armes qui n’étaient plus que des symboles vides. »

Les figures qui nous viennent à l’esprit lorsque nous entendons le mot samouraï, qui définit un homme dévoué à son maître jusqu’au sacrifice suprême, sont mortes plus de deux siècles avant l’arrivée de Brunet. Mais si l’on veut absolument en retenir un à l’époque de Brunet, il s’agirait de Saigo Takamori.


Fer de lance de la philosophie Sonno-joi (littéralement « révère l’Empereur, expulse les barbares »), qui avait permis de fédérer les provinces de Choshu et Satsuma contre le shogun, Takamori a été déçu par l’ère ouverte avec la chute des Tokugawa qu’il a lui-même précipitée. Devant la tournure prise par l’ère Meiji, qui a finalement choisi d’ouvrir ses portes aux étrangers, il s’est senti floué par l’Empereur et s’est retranché dans son fief pour organiser une rébellion en 1877. Mais elle sera bientôt écrasée à Shiroyama par l’armée impériale. Comme le dernier soupir du Japon féodal.

Les événements du film Le Dernier Samouraï font donc plutôt référence à la rébellion de Satsuma, dans laquelle est propulsé l’Américain fictif Nathan Algren, qu’à la résistance de la république d’Ezo et de Jules Brunet, sept ans plus tôt. Mais qu’elles soient réelles ou fictives, les trajectoires de ces trois hommes finissent par se rejoindre sur un point : la fidélité à un idéal. À l’essence de ce qui fait un vrai samouraï (la racine du mot vient d’un terme signifiant « servir » en japonais). À un amour nostalgique pour le Japon des samouraïs, évaporés dans une ère de paix où ces guerriers n’ont plus leur place. À la permanence d’un combat pour maintenir en vie l’esprit sublime de la chevalerie japonaise, fille orpheline d’une féodalité défunte. À une fascination pour l’esprit de résistance, l’honneur, la fidélité et le courage. Autant de valeurs disparues en partie avec les samouraïs. Au Japon comme ailleurs.


Source : Figaro Magazine

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