samedi 6 octobre 2018

Canulars embarrassants : revues « savantes » dupées par de fausses études adoptant des mots clés à la mode

Des revues savantes réputées ont été bernées par un énorme canular impliquant 20 articles loufoques.

Trois chercheurs ont publié des articles abscons sans fondements sur la « culture du viol de chien », « un pénis conceptuel » et ont même réécrit de longs extraits de Mein Kampf d’Adolf Hitler. Ces chercheurs ont réussi à faire publier dans plusieurs revues de référence aux États-Unis des essais aux thèses absolument délirantes, prônant par exemple le développement de l’usage anal de jouets sexuels chez les hommes pour lutter contre la transphobie et faire progresser le féminisme.

Leur objectif était d’exposer la manière dont les « absurdités » étaient publiées dans des articles universitaires de renom ayant fait l’objet d’une évaluation par les pairs en raison d’un manque d’examen critique.

Au total, l’équipe de trois chercheurs qui se disent « liberal » (plutôt à gauche donc en francophonie) a rédigé 20 articles de canulars sur un domaine d’étude défini de manière vague par les « études revendicatives » ou encore « études des griefs ».

Quand un homme se masturbe en pensant à une femme sans lui avoir demandé son consentement, c’est une agression sexuelle. Il existe une culture systémique du viol chez les chiens. L’astronomie est une science sexiste et pro-occidentale qui doit être remplacée par une astrologie indigène et LGBTQ. Ces thèses loufoques ont néanmoins été considérées avec le plus grand sérieux, et parfois même publiées, par des revues académiques de premier plan aux États-Unis, victimes de l’un des canulars universitaires les plus ambitieux jamais mis en œuvre…

Voici l’article qui ne préconise pas seulement d’empêcher les hommes blancs de parler en classe ; il encourage les enseignants à instituer une forme de « réparation expérientielle » en faisant asseoir leurs élèves blancs au sol, enchaînés.



Helen Pluckrose, James Lindsay et Peter Boghossian sont trois chercheurs américains, persuadés que quelque chose cloche dans le monde des humanités outre-Atlantique. Dans certains domaines des sciences sociales, « La recherche universitaire a remplacé de façon dominante la recherche de la vérité par celle de “revendications sociales” », écrivent-ils dans le magazine Areo. « Les chercheurs brutalisent de plus en plus les étudiants, les administrateurs et les autres facultés qui n’adhèrent pas à leur vision du monde ».

Se désolant de ce tournant idéologique en cours dans les universités américaines, notre trio d’universitaires établit une liste des disciplines les plus gravement touchées : il s’agit des matières communément regroupées dans l’enseignement supérieur américain sous le terme d’« études culturelles » ou d’« études identitaires » fondée sur les « théories » déconstructivistes post-modernes qui ont surgi à la fin des années soixante. On y trouve donc les fameuses « études du genre », les « études LGBTQ », mais également la « théorie critique sur la race », les « études des gros ou grasses » (sic) ou des pans entiers de la sociologie critique. Le point commun de ces branches universitaires, requalifiées en « études revendicatives » ou « études des griefs » ? D’après les trois chercheurs, elles produisent des travaux très souvent « corrompus » par l’idéologie, qui renoncent à toute honnêteté intellectuelle dès lors qu’il s’agit de dénoncer les oppressions de toutes sortes : sexistes, raciales, postcoloniales, homophobes, transphobes, grossophobes…




Recette des faux articles : « une bêtise considérable »

Pour prouver leur diagnostic, Pluckrose, Lindsay et Boghossian ont fait un pari simple… et drôle : pousser, dans des articles fantaisistes, la doxa qu’ils pointent dans ses retranchements les plus absurdes et voir si ces papiers seraient acceptés pour publication dans de très sérieuses revues scientifiques. Ils ont donc passé dix mois à écrire de fausses études ou essais. Recette commune de ces essais : « Des statistiques totalement invraisemblables, des assomptions non prouvées par les données, des analyses qualitatives idéologiquement biaisées, une déontologie douteuse [...], une bêtise considérable ».

Les chercheurs ont ensuite systématiquement envoyé leurs travaux bidon aux « journaux de référence dans les champs universitaires concernés ». Après quasiment un an de bombardement de canulars, les trois audacieux ont été forcés d’arrêter leur expérience, car un de leurs textes commençait à connaître un important écho dans la presse. Mais les 20 articles écrits ont suffi à valider la pertinence de leur thèse : pas moins de sept d’entre eux ont en effet été validés par les revues universitaires, dont quatre publiés. Sept autres sont encore en cours d’examen et seulement six ont été refusés sans ambiguïté par les universitaires responsables de leur évaluation. Par quatre fois, les facétieux compères ont même été invités & mdash ; à titre de récompense pour leur « savoir exemplaire » & mdash ; à se joindre aux évaluateurs afin d’examiner le travail de « pairs »…

Résumés des articles-canulars


Un article, publié dans Gender, Place & amp ; Culture, affirmait être basé sur une année d’observation d’inconduites sexuelles chez les chiens dans un parc américain.

L’article indiquait que les parcs sont des « boîtes de Pétri pour la culture du viol canine » et affirmait que les gens devraient prendre conscience de la façon dont les chiens sont traités, en fonction de leur sexe.

L’année précédente, ils avaient publié un article intitulé « Le pénis conceptuel en tant que construction sociale » dans la revue Cogent Social Sciences.

Un autre article publié dans la revue Fat Studies affirmait que la musculation était un « sectarisme antigraisse ».

Un autre article publié dans le Journal of Poetry Therapy traitait de réunions de spiritualité féministe. Il a été écrit par un algorithme.

Un autre article publié dans la revue à comité de lecture Affilia est la réécriture d’un chapitre de Mein Kampf qui a été accepté malgré une double évaluation par des pairs.

Les auteurs prétendent que leurs farces montrent que la fixation de l’Université envers les politiques (théories) identitaires aboutit à résultats de recherche « absurdes et épouvantables ».
Lorsqu’on examine le contenu de ces faux essais, on peine pourtant à croire que leur absurdité n’ait pas sauté aux yeux des chercheurs chargés de les examiner. Dans un article intitulé « Passer par la porte de derrière : défier l’homo-hystérie masculine et la transphobie à travers l’usage de jouets sexuels pénétratifs », les chercheurs expliquent que si les hommes utilisent rarement des jouets sexuels pour « s’autopénétrer par voie anale », c’est parce qu’ils ont peur d’être pris pour des homosexuels ou par hostilité aux transsexuels. Conclusion : encourager cette pratique engendrerait, à coup sûr, une baisse de la transphobie et un progrès de valeurs féministes. Délirant ? Le texte a pourtant été publié dans la revue Sexuality and Culture, et qualifié de « contribution incroyablement riche et excitante à l’étude de la sexualité et de la culture » par réviseur universitaire.

Une de leurs inventions croquignolesques a même rencontré un réel triomphe universitaire : dans « Réactions humaines à la culture du viol et performativité homo au sein des parcs canins de Portland en Oregon », nos chercheurs soutiennent qu’il existe « une culture canine généralisée du viol » et qu’une « oppression systémique » frappe certaines races de chiens. Étude qualifiée « d’incroyablement innovante, riche en analyse, extrêmement bien écrite et organisée » par la revue Gender, Place, and Culture, qui lui a fait une place dans ses prestigieuses colonnes… et l’a même intégrée parmi ses 12 meilleures publications de l’année 2018 ! La chercheuse Helen Wilson, auteure de ce travail volontairement absurde, expliquant sa méthode de travail, y écrivait avoir « délicatement inspecté les parties génitales d’un peu moins de 10 000 chiens tout en interrogeant leurs propriétaires sur leur sexualité », mais également avoir « constaté un viol de chien par heure au parc canin urbain de Portland » ! Pas de quoi faire lever un sourcil aux universitaires chargés de valider son article pour publication dans une revue « de référence »…

D’autres mémoires-canular n’ont pas eu le temps d’être publiés avant que le canular soit finalement rendu public. Mais ils ont été quasiment intégralement validés par les revues auxquelles ils ont été présentés, avec des modifications mineures. On y trouve des thèses toujours aussi comiques : « L’Intelligence artificielle est intrinsèquement dangereuse, car elle est programmée avec des données masculinistes, impérialistes et rationalistes ». Ou encore : « L’astronomie est et sera toujours intrinsèquement sexiste et occidentale, ce biais masculiniste et occidental peut être corrigé en incluant une astrologie féministe, LGTBQ et indigène (par exemple, des horoscopes) à la science astronomique ».

Et même : « Les éducateurs devraient discriminer selon l’identité et calculer le statut de leurs étudiants en fonction de leurs privilèges [...], pénalisant les plus privilégiés en refusant d’écouter leurs contributions, ridiculisant leurs efforts, en parlant plus fort qu’eux et en forçant par exemple les élèves blancs à s’asseoir sur le sol entravés par de (légères) chaînes  » ! Toutes ces contributions n’ont reçu que des critiques de forme de la part des revues universitaires auxquelles ils ont été adressés. Celle proposant d’enchaîner des étudiants sur le sol a même été applaudie comme « une forte contribution à la littérature foisonnante s’attaquant à l’injustice épistémique dans la salle de classe ».


L'onanisme, une « violence métasexuelle contre les femmes »

D’autres faux essais universitaires ont été finalement rejetés après examen par des universitaires. Mais cela ne les a pas toujours empêchés de recevoir des commentaires chaleureux de la part de chercheurs chargés de les évaluer, qui ont parfois même poussé l’absurde encore plus loin. Ainsi, dans un mémoire consacré à la masturbation, les auteurs du canular écrivent que « quand un homme se masturbe en privé en fantasmant sur une femme sans qu’elle lui ait donné sa permission [...], il commet une violence métasexuelle contre elle ». Dans son évaluation, la première contributrice de Sociological Theory encourage nos chercheurs à aller plus loin encore dans cette voie : « Je pense à d’autres scénarios où les hommes pourraient transformer en arme leur non-connaissance de manière très tangible. Par exemple, la déclaration ambiguë “Je pense à toi tout le temps”, dite de manière impromptue à une femme par un homme, est particulièrement insidieuse, étant donné le contexte structurel de violence métasexuelle dans le monde ».



Réaction sarcastique à la suite des réactions épidermiques d’opposants à ce canular : « Ma première réaction fut de penser que des revues savantes censément réputées publient des passages réécrits de Mein Kampf était une mauvaise chose. Mais grâce à ce site [en fait Twitter], je comprends maintenant que le vrai problème sont les attaques de la droite contre l’université. »

« Juifs » remplacé par « Blancs » dans « Mein Kampf » : un chercheur applaudit

Le clou de cette fanfaronnade a été atteint par un essai présenté au magazine Sociology of Race and Ethnicity, où nos trublions prétendent « examiner de manière critique la blanchité depuis la blanchité ». Pour cela, ils ont ni plus ni moins sélectionné — sans le dire — des extraits de Mein Kampf rédigé par Adolf Hitler alors qu’il était en prison à Munich, en y remplaçant le mot « Juifs » par « Blancs ». L’article a été rejeté, mais cela ne l’a pas empêché de recevoir au préalable les éloges de plusieurs pairs universitaires. « Cet article peut devenir une contribution puissante et particulière à la littérature traitant des mécanismes qui renforcent l’adhésion blanche à des perspectives suprémacistes blanches, et au processus par lequel des individus peuvent atteindre des niveaux plus profonds de conscience sociale et raciale », écrit ainsi un chercheur enthousiaste, qui n’objecte que « des révisions concernant la précision, la clarté, l’expression d’assertions et des exemples concrets » et complimente ainsi sans le savoir une reprise de Mein Kampf.


Au bout du compte, la leçon que tirent les trois auteurs de leur plongée en absurdie sociologique mêle amusement et réelle inquiétude. Rejetant l’idée simpliste que « le monde universitaire est corrompu » ou que « tous les universitaires et évaluateurs dans le champ des humanités qui étudient le genre, la race, la sexualité ou le poids sont corrompus », ils tirent la sonnette d’alarme : « Nous n’aurions pas dû pouvoir publier n’importe lequel de ces articles si calamiteux dans des journaux réputés. Encore moins sept d’entre eux ». Ayant produit un « savoir » fort orienté, ils constatent aussi avec effarement que les chercheurs relisant leurs textes ne leur réclamaient souvent « pas d’être moins biaisé politiquement et moins négligent dans le travail, mais de l’être davantage ».




Le tableau final est implacable pour tout un pan du monde universitaire anglo-saxon : « Il y a un problème de production du savoir au sein de champs qui ont été corrompus par les “études revendicatives” (ou de griefs) nées du socioconstructivisme et du scepticisme radical. Parmi les problèmes, il y a la manière dont des sujets comme la race, le genre, la sexualité, la société et la culture sont traités par la recherche ». C’est donc bien un nouvel obscurantisme que les chercheurs décrivent, une idéologie qui « rejette l’idée d’universalité scientifique et d’objectivité et insiste, pour des raisons morales, sur la nécessité d’accepter la notion de vérités multiples basées sur l’identité ». Or selon eux, ce relativisme mortifère serait devenu « autoritaire » dans les universités américaines. Rappellent leur propre sympathie pour les mouvements des droits civiques, le féminisme et le mouvement LGBT, nos trois trublions émettent un souhait : « Nous espérons que ceci donnera aux gens — spécialement à ceux qui croient au libéralisme, au progrès, à la modernité et à la justice sociale — une raison claire de regarder la folie identitaire qui vient de la gauche universitaire et militante, et de dire : “Non, je n’irai pas dans ce sens-là. Vous ne parlez pas en mon nom” ».

Plus de détails : Aeromagazine



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