lundi 22 février 2010

Révolution tranquille : Entre imaginaire et réalité

Texte de la conférence prononcée le 18 février par Jean-Luc Migué à l’occasion de sa nomination à titre de professeur émérite à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

Les paroles de notre directeur général à mon égard signifient à mes yeux que mon enseignement cherchait à susciter chez l’étudiant l’esprit critique vis-à-vis des idées reçues toujours répandues dans toutes les sociétés. C’est le plus bel hommage qu’on puisse me rendre, puisqu’à mes yeux c’est ça le sens de la carrière universitaire. Mon enseignement n’a pas toujours reproduit la vision, je dirais traditionnelle et professionnelle, que transmet une école d’administration publique sur la place de l’État dans la société. Qu’en dépit de ce contraste, on m’accorde le titre d’émérite est tout à l’honneur de notre institution. J’en tire une grande satisfaction et je l’en remercie sincèrement. Je remercie aussi les deux maîtres d’œuvre du début de l’Énap, soit Roland Parenteau et André Gélinas qui ont, sagement ou pas, pris l’initiative de me recruter en 1970. Mes remerciements s’adressent aussi à mes collègues qui ont pris et poursuivi l’initiative qui nous réunit aujourd’hui.

Je vous remercie en même temps, Monsieur le Directeur général, de m’offrir l’occasion de rester fidèle à moi-même, et de contester l’interprétation courante sur le sens de la révolution tranquille au Québec. L’idée originale que je vous propose est énoncée dans un texte plus élaboré que j’ai rédigé avec Gérard Bélanger dans un recueil récemment publié à l’Énap sous la direction de notre collègue Robert Bernier.

Québec, province de faible croissance

La plupart des économistes canadiens concluent, à la lumière des données observables, que le Québec décline depuis les années 1960. Au Québec, au contraire, la révolution tranquille est associée à rien de moins qu’à la naissance de la culture québécoise. Comme le Canada français n’existe plus, ayant été évacué par la nation québécoise, rien de ce que la tradition canadienne et surtout la tradition religieuse nous ont légué n’est digne de mention. La survie de la culture française largement associée à un fort taux de natalité est pourtant un objet d’orgueil, de même que le niveau de scolarisation généralisée atteint en 1960, sans omettre l’esprit du « coureur des bois » et le régime de soins de santé qui rivalisait facilement avec ceux de nos voisins et à une fraction infime du coût actuel. Au strict plan économique, vous serez sans doute surpris d’apprendre que l’après-guerre, qualifiée de grande noirceur par la pensée conventionnelle est la seule période de l’histoire du Canada où le revenu nominal par habitant du Québec a gagné sur le reste du pays.

Mais à partir de 1960 s’est implanté un consensus naïf sur le rôle de la révolution tranquille dans l’évolution de l’économie québécoise. Selon cette « idée reçue », non seulement le Québec n’a pas perdu de terrain depuis le grand soir que fut la révolution tranquille, il a amélioré sa position en matière de niveau de vie vis-à-vis du reste du Canada. Je n’avais pas l’intention de l’avouer publiquement, mais mon objectivité m’oblige à reconnaître que j’ai adhéré moi-même à ce mythe, dans la naïveté de ma jeunesse, il y très longtemps.

Or que nous enseignent les faits historiques ? Une réalité incontestable, soit le recul marqué du Québec par rapport au reste du Canada depuis précisément la révolution tranquille. Si on mesure l’écart grandissant entre le Québec et le reste du Canada depuis un demi-siècle en matière de croissance économique globale, de population, d’investissement et d’emploi, le recul relatif du Québec est incontestable. De 1951 à 1966, la population québécoise s’était maintenue à environ 29 % de la population canadienne.

Mais voici que depuis 1966, elle est passée de 29 % donc à 23,2 %.
Le taux de natalité s’est effondré. Ce n’est pas tout à fait la désertification, mais le tableau est sombre. Seulement depuis le début des années 1980, la part du Québec dans le PIB national est tombée de 24 % à 20 % en 2008 (j’arrondis les chiffres). De 1981 à 1997, l’emploi a gagné 28 % dans le reste du Canada, seulement 19 % au Québec. Les compagnies sous contrôle étranger comptent pour moins de 17 % des sociétés privées chez nous, contre 28 % dans le reste du Canada. À peine plus de 12 % des immigrants choisissent le Québec comme destination finale. Le nombre d’employés des sièges sociaux à Montréal, à peu près égal à celui de Toronto en 1960, est tombé à la moitié du niveau torontois aujourd’hui.

Mais de revenu moyen comparable

Le paradoxe est que, malgré cette évolution déprimante, le revenu réel par habitant s’inscrit chez nous au niveau du reste du Canada. Pourquoi ce contraste entre la croissance globale de l’économie québécoise et la hausse du niveau de vie ? Pour une raison simple : Lorsque le revenu relatif par habitant baisse dans une province, les gens quittent cette région et les immigrants y affluent en moins grand nombre. Près d’un million de Québécois ont quitté la province depuis le début de la révolution tranquille. Et ce processus de migration se poursuit jusqu'à ce que le revenu réel par habitant converge dans toutes les régions.

Cette conclusion s'avère valide dans toutes les économies nationales intégrées étudiées, dont les États-Unis, l'Angleterre, la France et le Canada. Ainsi, bien que le PIB nominal par habitant au Québec soit inférieur d'environ 15 % à celui de l'Ontario, le coût de la vie s'inscrit en 2006 à Montréal à 14,6 % en dessous de celui de Toronto. Les Montréalais gagnent moins, mais ça leur coûte moins cher de se loger et dans les mêmes proportions. C’est donc malgré la révolution tranquille que le niveau de vie des Québécois s’est aligné sur celui du Canada, non pas en conséquence de ce mouvement.

Peut-on renverser la tendance du dernier demi-siècle ? L’évolution récente n’est guère encourageante. Aux yeux de l’économiste, les obstacles à la liberté de commercer découlant de la lourdeur du fisc et des régulations s’avèrent toujours fatales à la prospérité, à la croissance économique. Le Québec s’inscrit déjà au dernier rang des 10 provinces et des 50 États américains en matière de fiscalité et de régulations . En 2008, le gouvernement québécois dépensait 28 % du PIB provincial, l’Ontario, environ 20 % et l’ensemble des provinces, 18 %. À près de 40 % du PIB, le fardeau fiscal québécois se hissait au plus haut niveau, non seulement du Canada, mais de tous les pays de l’OCDE en 2006. Le Québec reste aujourd’hui handicapé par la lourdeur d’une dette parmi les plus élevées au Canada (69 % de son PIB, 14 000 $ par tête, soit 5 000 $ de plus que la moyenne des provinces); sa population vieillit et augmente à peine par suite de l’émigration vers les provinces plus prospères; dans quelques années, la baisse du nombre de travailleurs lui interdira d’assumer le poids des programmes sociaux; sa productivité est faible.

Même au-delà des libertés strictement économiques, nos libertés ont souffert depuis les années 1960…à l’exception des libertés sexuelles. Pour ne mentionner que quelques illustrations marquantes : la fiscalité nous écrase; caractéristique unique dans le monde libre, l’accès aux soins de santé à nos frais et adaptés à nos besoins est devenue illégale; le droit de produire du lait ou des billets de loterie est circonscrit et le droit de travailler sans appartenir à un monopole syndicale est refusé à près de 40 % de la population. Dans une société héritière de la tradition britannique et française, le fait d’exprimer une opinion sur des sujets controversés comme l’homosexualité, l’avortement ou les cultures ethniques qui nous entourent nous rend passibles de poursuites judiciaires. Ceux qui doutent des dangers de l’évolution récente reliront en frissonnant le programme pédagogique obligatoire imposé par le ministère de l’éducation en 2008, intitulé Éthique et culture religieuse. Dans la nouvelle religion d’État proposée, et par souci de relativisme culturel et de rectitude politique, les superstitions, la sorcellerie et les religions personnelles y sont proposées à notre admiration au même titre que les religions authentiques, la langue ou les valeurs collectives.


La Grande Noirceur et les fruits de la Révolution tranquille dans un cahier d'activité ECR

Page 56 — cahier-manuel d'éthique et de culture religieuse Entretiens II pour la 1re  secondaire des éditions La Pensée (autres pages ici)


Il se trouve qu’au Québec les francophones s’avèrent moins mobiles. Ils seraient prêts à sacrifier un part de revenu pour bénéficier d’un environnement francophone. Le paradoxe est que, grâce à la mobilité des autres résidents, ils n’ont même pas à faire ce sacrifice, puisque leur revenu réel converge vers le niveau national. Grâce à la mobilité de ses voisins, le Québécois moyen non mobile ne se rend pas compte du piètre état de notre économie, parce son revenu personnel réel n’en est pas affecté. En conséquence, sa résistance aux politiques qui ont entraîné notre recul ne s’exprime pas. C’est ainsi qu’est né chez nous le protectionnisme culturel qui incarne le vrai sens de la révolution tranquille. Le nationalisme peut devenir une idéologie rentable dans une économie intégrée.

Conséquences ultimes

La piètre croissance du Québec est la recette infaillible pour garantir l’émigration de sa population, l’étiolement progressif du français et sa marginalisation ultime. Si le français est menacé, c’est parce que le milieu où s’exprime cette langue languit depuis les années 60 et qu’il offre moins d’opportunités aux Québécois. Peut-on vraiment espérer que le français progresse dans une économie où, faute de dynamisme, la population stagne, où le marché de l’emploi est anémique et où la croissance s’inscrit en-dessous des territoires qui nous entourent ? Toute tentative de balkaniser une société de petite taille au nom de l’identité culturelle ou du multiculturalisme est une menace à la culture qu’on prétend assister. Le fétiche souverainiste est l’expression ultime de cette vision protectionniste de la culture. Le salut et le rayonnement du français chez nous ne passent ni par l’État québécois, ni par l’État canadien. C’est vous et moi qui ferons l’essor de la culture, non pas la panacée étatiste.






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1 commentaire:

Romanus a dit…

Pour ce qui est du fardeau fiscal, le gouvernement a la pédale dans le tapis et je ne vois poindre AUCUNE volonté de vouloir l'alléger... je dirais même, pour employer un terme d'aviation, qu'il est en passe d'allumer la post-combustion dans ce domaine.

J'ai remarqué, depuis les années 60 (je me fais vieux!), que toutes augmentations de taxes, plutôt que d'améliorer la situation, avaient pour effet d'en entrainer d'encore plus considérables... c'est une sorte de cercle vicieux (voyez la taxe sur l'essence!). L'état québécois est dopé par les taxes... c'est un junkie.

Voter pour le PQ ne nous mènera nulle part, ce sont des Bolchéviques.

On est cuit... si on ne trouve pas une troisième voie. Nous avons besoin d'un rassemblement d'esprits lucides pour nous sortir de cette situation... ca presse!

Il est moins cinq...