mardi 30 décembre 2025

La dépendance technologique atrophie-t-elle nos compétences ? L'exemple de l'évolution de l'activité de l'hippocampe...

Les systèmes de navigation par GPS (comme Google Maps ou Waze) sont devenus omniprésents dans nos déplacements quotidiens. Ils offrent un confort indéniable, mais des recherches scientifiques montrent qu’une dépendance excessive au GPS affecte notre cerveau, notamment notre capacité à apprendre et à mémoriser des trajets sans assistance électronique. Ces effets touchent en particulier une structure cérébrale essentielle : l’hippocampe, au cœur de la mémoire spatiale et de la navigation cognitive.

Effets du GPS sur la mémoire spatiale et l’hippocampe

L’hippocampe est une structure cérébrale fortement impliquée dans la mémoire, l’orientation spatiale et la formation de représentations mentales de l’environnement. Quand on navigue sans aides électroniques, le cerveau mobilise activement cette région pour créer des cartes cognitives d’un lieu, mémoriser des points de repère et décider des meilleures routes à suivre.

Une étude publiée dans Nature [1] a évalué l’impact de l’usage du GPS sur la mémoire spatiale chez des conducteurs réguliers :
  • Les participants ayant une expérience plus importante d’usage du GPS présentaient une performance plus faible dans des tâches de navigation autonome — c’est-à-dire sans aide électronique.
  • Sur une petite portion des participants réévalués trois ans plus tard, une utilisation plus fréquente du GPS était associée à un déclin plus marqué de la mémoire spatiale dépendante de l’hippocampe.
  • Cette association ne s’expliquait pas par un sens de l’orientation subjectif plus faible — les utilisateurs fréquents de GPS n’étaient pas intrinsèquement moins doués pour s’orienter, ce qui suggère que c’est bien l’usage répété du GPS qui diminue l’engagement des circuits hippocampiques.
Autrement dit, plus on s’appuie sur des instructions automatisées, moins on sollicite les stratégies de navigation active qui font travailler l’hippocampe — un peu comme un « muscle » qui s’atrophie faute d’utilisation.


Pourquoi cela se produit-il ?


Le fonctionnement du GPS repose sur des instructions « virage après virage », qui demandent très peu au navigateur : il suffit de suivre un itinéraire pré-calculé. Quand on navigue de cette façon :
  • Le cerveau n’a pas besoin d’analyser l’environnement, de repérer des points de repère ou d’intégrer des relations spatiales complexes.
  • On mobilise davantage des circuits de type réponse stimulus (associés à des habitudes automatiques) plutôt que des stratégies basées sur la formation de cartes mentales complexes, qui demandent une activité soutenue de l’hippocampe. 
Ce désengagement factice explique que l’usage intensif du GPS, même sans entraîner une réduction mesurable du volume de l’hippocampe chez l’ensemble de la population jusqu’ici, soit associé à une moindre performance des fonctions hippocampiques quand des tâches exigeant une navigation autonome sont requises. 

Implications au‑delà de la navigation

L’impact du GPS sur la mémoire spatiale n’est que la partie émergée d’un phénomène plus large : la dépendance aux technologies numériques peut affecter d’autres fonctions cognitives essentielles, notamment la mémoire, l’attention et l’apprentissage. Plusieurs études montrent que l’accès constant à des informations externes — qu’il s’agisse d’instructions GPS, de moteurs de recherche ou d’écrans en général — diminue la nécessité de mobiliser activement certaines compétences intellectuelles, ce qui peut entraîner un affaiblissement progressif de ces facultés.

Par exemple, une revue publiée dans Learning and Instruction met en évidence que l’usage massif d’outils numériques pour chercher de l’information réduit la mémorisation et la compréhension profonde des contenus. Les lecteurs n’ont plus besoin de retenir les faits ou de structurer mentalement les informations, ce qui affaiblit l’engagement des circuits cérébraux responsables de la mémoire à long terme [2].

L’attention soutenue et la mémoire de travail sont également touchées. Une étude sur des étudiants exposés de manière intensive aux écrans montre que cette exposition est associée à une diminution de la performance en résolution de problèmes, en attention et en mémoire de travail, des fonctions nécessaires pour le calcul mental, la lecture attentive et la planification [3].

Chez les adultes plus âgés, des recherches contrôlées ont démontré que des exercices cognitifs ciblés — lecture à voix haute, calcul mental ou mémorisation active — améliorent l’attention, la mémoire verbale et la vitesse de traitement, ce qui confirme que le cerveau reste plastique et que ses capacités se renforcent par l’usage régulier [4].

Enfin, chez les jeunes, plusieurs synthèses sur l’usage des écrans montrent que la cognition générale et l’apprentissage peuvent être affectés négativement par un usage non pédagogique et excessif. Les distractions numériques et la lecture superficielle favorisent une forme de « paresse cognitive », réduisant la capacité à se concentrer, à mémoriser et à traiter des informations complexes [5].

Dans l’ensemble, ces observations confirment que la dépendance aux technologies, qu’il s’agisse de GPS ou d’écrans numériques, peut réduire l’engagement de nos facultés cognitives si elles ne sont pas sollicitées activement, et qu’il est donc important d’alterner entre usage numérique et pratiques intellectuelles stimulantes pour maintenir ses capacités mentales.

Conclusion

La dépendance accrue aux GPS diminue non seulement notre effort mental — elle change la manière dont notre cerveau s’emploie à naviguer et à traiter l’information. Les données scientifiques disponibles montrent que :

  • Un usage fréquent du GPS est associé à une baisse des performances de la mémoire spatiale dépendante de l’hippocampe.
  • Des activités intellectuelles non sollicitées par la technologie, comme la lecture approfondie, le calcul mental ou la mémorisation, peuvent également voir leur efficacité diminuer.
  • Alterner entre usage numérique et exercices cognitifs traditionnels permet de préserver et stimuler les facultés mentales.



[1]  Habitual use of GPS negatively impacts spatial memory during self-guided navigation, Nature, Scientific Reports, 2020

[2] Know what? How digital technologies undermine learning and remembering, ScienceDirect, 2021

[3] Effect of the Use of Electronic Media on the Cognitive Intelligence, Attention, and Academic Trajectory of Medical Students, PubMed, 2023

[4] Reading Aloud and Solving Simple Arithmetic Calculation Intervention (Learning Therapy) Improves Inhibition, Verbal Episodic Memory, Focus Attention and Processing Speed in Healthy Elderly People: Evidence from a Randomized Controlled Trial, PMC, 2016 

[5] Quels sont les effets de l’utilisation des écrans sur la cognition ?, ORES, 2023

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