vendredi 10 décembre 2021

Les coopérants québécois en Afrique : des wokes avant l'heure

Les coopérants québécois en Afrique : des wokes avant l’heure, c’est ce qu’affirme l’africaniste Bernard Lugan dans cet entretien donné dans le cadre de la parution du dernier ouvrage de Bernard Lugan.

L’université de Butare était liée par un accord de coopération avec le Québec. On y a trouvait donc des enseignants québécois. Brefs extraits tirés des Nouvelles incorrectes d’une Afrique perdue de Bernard Lugan.

[Le couple québécois Lafleur — lui professeur en physique, elle bibliothécaire — adopte un petit singe].

C’était donc un singe à peine sevré qui était arrivé dans le foyer des Lafleur où il était considéré comme l’enfant qu’ils avaient refusé d’avoir. Qui plus est, un enfant, élevé selon la pédagogie « moderne ». Autrement dit, tout lui était permis.

Le résultat fut qu’en grandissant Bibi, car tel était son nom, devint vicieux et insupportable. En plus de voler à l’intérieur des maisons dans lesquelles il s’introduisait, il ravageait les potagers, attaquait les poules, dépeçait les poussins vivants et menait une sarabande effrénée sur les toits. Ses voisins québécois n’osaient pas se plaindre, car Pauline [Mme Lafleur] était une passionaria féministe aux terribles emportements.

[…]

Comme tous les « vieux » Africains, Philippe [il n’est pas Québécois] faisait une courte sieste après le déjeuner et, ce moment étant sacré, rien ne devait donc le troubler. Or, Bibi, devenu vicieux en raison de sa mauvaise éducation, avait pris l’habitude de grimper dans l’avocatier jouxtant la maison de Philippe d’où il narguait ses chiens lesquels répondaient à ses provocations par de longs aboiements. Pour les exciter encore davantage, Bibi les bombardait d’avocats qu’il arrachait aux branches et qu’il jetait sur le toit de tôle de la maison, ce qui produisait un bruit effroyable.

Un jour, sa patience ayant tout de même des limites, Philippe prit sa plus belle plume pour s’adresser aux « parents » de Bibi une missive dans laquelle, d’une manière fort civile, il demandait qu’à l’heure de la sieste, l’animal soit gardé dans la maison.

Pauline prit très mal le qualificatif d’« animal » par lequel l’auteur de la lettre avait désigné son « enfant ». Aussi, à voix haute, afin que tous l’entendissent, elle traita Philippe de phallocrate. Précision utile, Bibi était une femelle…

Et Bibi continua le manège qui amusait fortement sa « maman ».

[…]

[Le lendemain, Philippe, d’un coup de fusil, effraie Bibi qui, indemne, s’enfuit.] La détonation fit que Pauline se précipita chez son voisin. Telle une gorgone, elle surgit devant lui échevelée, hurlant « Assassin, assassin ! »

[…]

Quelques semaines plus tard, Justin et Pauline se séparèrent, puis ils quittèrent le Rwanda. Le premier après avoir épousé la « boyesse » du doyen de la faculté de droit. La seconde après s’être mise en ménage avec la femme du pasteur norvégien de la mission adventiste de N... Les deux femmes s’établirent ensuite en Grèce où, durant plusieurs années, elles tinrent un bar lesbien au pied de l’Acropole. […]

Les étranges manières dont ces Québécois usaient avec leurs boys et leurs boyesses avaient de quoi surprendre les natifs [rwandais]. Ils demandaient ainsi à ces derniers de les appeler par leur prénom, débarrassaient eux-mêmes la table, organisaient un repas par mois lors duquel il les servaient… Il n’hésitaient pas à partager avec eux leurs sentiments, leurs soucis d’argent et leurs peines de cœur, en en faisant leurs confidents. Certains, mais ceux-là étaient également vicieux, prenaient leur bain en famille, y associant la boyesse des enfants [la jeune nounou].

Bref, pour la population rwandaise habituée à voir vivre de « vrais Blancs », le comportement de ces Québécois était le sujet de longues conversations, d’interrogations répétées et de nombreux éclats de rire.

Un thème qui revenait sans cesse était celui de leurs chaussures. À la différence des autres Blancs qui se protégeaient des parasites en portant des souliers fermés, les Québécois habillaient en effet régulièrement leurs pieds nus de ces hideuses sandales à lanière que nous appelons en France « chaussures de curé ».

Le résultat ne se faisait pas attendre : une ou deux semaines après leur arrivée au pays des mille collines, les nouveaux venus étaient en position allongée, car, sous leurs orteils, s’étaient glissée puis lovée la délicieuse Tunga penetrans, charmante petite tique tropicale qui y avait pondu des centaines d’œufs formant une boule blanche fort douloureuse… et que les boys enlevaient délicatement au moyen d’une épingle désinfection à la flamme.

[…]

Fanion au vent, le véhicule de fonction du vice-recteur québécois [de l’université de Butare] était garé devant le magasin Trafipro — le Prisunic local. Assis au volant et fumant tranquillement une cigarette, le chauffeur rwandais sans intervenir son patron les bras chargés de sacs.

La scène était observée avec accablement par une nuée de gamins dont le gagne-pain consistait précisément à porter les achats des Blancs jusqu’à leurs voitures en échange d’une piécette… Mais, comme l’esclavage avait été aboli, les Québécois portaient eux-mêmes les paquets, privant avec bonne conscience ces enfants de leur ration alimentaire quotidienne…

Narcisse [le boy d’Henri] qui observait la scène avec intérêt posa alors à Henri une question traduisant la sublime profondeur se sa réflexion :

« Patron, les Québécois sont-ils des Blancs ? »

[…]

Herman De Klerk était Flamand. Médecin détaché de l’hôpital universitaire d’Anvers à la faculté de médecine de Butare. […] Il vomissait la Belgique […], il qualifiait les Wallons de sous-Québécois, ce qui, dans sa bouche, les plaçait au niveau le plus bas de l’échelle humaine. [Lors d’une soirée animée, la discussion tourne autour de collaboration :]

« Non, quand je parle de collabos, je pense à ces prétendus autonomistes qui, pour s’affirmer face à leurs métropoles, se vendent aux populations du tiers-monde pourvu qu’elles baragouinent leur idiome… Et je vais vous en donner quelques exemples : afin de disposer de francophones supplémentaires face aux anglophones, les Québécois importent des Sénégalais et des Algériens. Pour s’affirmer face aux Espagnols, les Catalans invitent les Maures à s’installer chez eux à condition qu’ils parlent ce qu’ils appellent leur langue et qui n’est qu’un pidgin méditerranéen littoral… Quant aux Écossais, par haine des Anglais, ils adoubent des Pakistanais à la condition qu’ils jouent de la cornemuse. Et j’allais oublier les Bretons… »


Présentation de l’éditeur

Ceux qui connaissent Bernard Lugan le reconnaîtront sans peine sous les traits de son narrateur, Henri Nérac. Style colonial de la vieille école : chaussettes remontées jusqu’aux genoux, chemises aux plis réglementaires, capitula à deux pinces et single malt. On commande d’ailleurs son whisky en tirant en l’air, deux coups pour un double scotch. L’auteur du Banquet des Soudards n’est pas du genre à sympathiser avec le premier venu : il choisit ses amitiés dans le cercle restreint des hommes authentiquement libres. On les retrouve dans ces Nouvelles incorrectes d’une Afrique disparue. Rien que des pièces uniques au cuir tanné : seigneurs de guerre, coloniaux hauts en couleur, soldats perdus qui ont coiffé le képi blanc, vieux Pères blancs en burnous… On les suit du Rwanda à l’Afrique du Sud, du Maroc à la Rhodésie, du Sud-Ouest africain à la Tanzanie. En bons gentlemen, ils mettent un point d’honneur à ne jamais déroger à un certain art de vivre aristocratique. Comme Lugan, plus drolatique que jamais.

Nouvelles incorrectes d’une Afrique perdue
par Bernard Lugan,
publié le 8 octobre 2021,
à La Nouvelle Librairie,
à Paris,
256 pp,
ISBN-13 : 978-2491446680


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