vendredi 18 octobre 2024

« Recherché, mort ou vif » : pour une histoire de casquette, un enseignant menacé de mort et un lycée public bloqué à coups de mortiers d’artifice


Le professeur de mathématiques d’un lycée de Corbeil-Essonnes (France) indique avoir reçu des coups de poing par un élève à qui il demandait de retirer sa casquette. Le proviseur n’a pas soutenu l’enseignant.

Un élève du lycée public Robert-Doisneau (Corbeil-Essonnes, 91) a été placé en garde à vue vendredi 11 octobre, a indiqué le parquet d’Évry, confirmant une information du Parisien : le jeune homme a été accusé la veille par un enseignant du lycée de l’avoir frappé, insulté et menacé, après que le professeur de mathématiques lui a confisqué sa casquette. L’élève portait son couvre-chef dans un couloir de l’établissement, ce qui est proscrit par le règlement intérieur. Il nie cependant les faits et son père a porté plainte en retour contre l’enseignant pour violence envers l’élève. Deux enquêtes ont été ouvertes, et l’élève a été libéré dans la soirée. Le commissariat d’Évry poursuit ses investigations et a procédé à l’audition de plusieurs témoins.

Le professeur de mathématiques a indiqué aux enquêteurs avoir demandé à l’élève de retirer sa casquette, puis lui aurait confisqué à la suite du refus de l’élève. Ce dernier est revenu en compagnie d’un camarade pour intimer à l’enseignant l’ordre de restituer la casquette. L’élève a alors dit à l’enseignant : « je vais te buter, sale fils de pute » — des propos que l’élève reconnaît avoir proférés — avant de lui porter un coup de poing — ce qu’il nie en revanche. L’élève indique quant à lui que les violences physiques auraient été du seul fait de l’enseignant, qui l’aurait agrippé et plaqué contre un mur.

Mâchoire tuméfiée, hématomes à la jambe

Le professeur de mathématiques, qui a déposé plainte après l’altercation, a reçu un examen médico-légal attestant qu’il présentait une tuméfaction à la mâchoire et des hématomes aux jambes, et s’est vu prescrire 2 jours d’ITT [« Incapacité Temporaire de Travail »]. Une autre enseignante du lycée indique être sortie de classe en entendant du bruit, et avoir vu une dizaine d’élèves entourant l’enseignant en lui décochant des coups de pied et des croche-en-jambe. Un autre membre de la communauté éducative a témoigné avoir vu le professeur poursuivi par les deux élèves au sujet de la casquette, puis contraint de sortir de la salle pour s’expliquer avec eux : à travers la porte ouverte de la salle où il se trouvait, il n’a pas assisté à toute l’altercation, mais a vu l’élève empoigner l’enseignant et conteste formellement que le professeur aurait plaqué l’élève contre un mur.

Plusieurs élèves ont témoigné en revanche en faveur du lycéen, affirmant que c’est l’enseignant qui s’est montré violent à son endroit. La communauté enseignante semble divisée, depuis une semaine, au sujet de la responsabilité de chacun dans l’agression : plusieurs professeurs se sont en effet désolidarisés de leur collègue, en soutenant que celui-ci « a un historique » au sein du lycée. Il aurait ainsi déjà demandé à une lycéenne, il y a quelques semaines, de retirer également le bandeau qu’elle portait dans les cheveux. « C’est en effet une ruse qu’ont trouvée plusieurs lycéennes pour contourner l’interdiction du port du voile dans l’établissement », défend un autre enseignant du lycée, qui estime que la décision du professeur visait donc à faire appliquer correctement les consignes de laïcité.

Depuis l’incident, une vidéo circule également au sein de l’établissement, que Le Figaro a pu consulter : on y voit l’enseignant tenant à distance un lycéen par le col, sans qu’il soit possible de discerner s’il se défend ou s’il l’a agrippé de sa propre initiative, et exigeant de lui qu’il lui présente son carnet de correspondance. La vidéo est antérieure à l’altercation du 10 octobre, selon plusieurs sources.

Mais les faits n’en sont pas restés là. Prenant fait et cause pour leur camarade, les lycéens issus de la filière technologique du lycée ont décidé cette semaine d’installer un blocus aux abords de l’établissement et d’empêcher la tenue des cours, pour exiger le départ du professeur et obtenir l’assurance que le jeune homme, lui, ne sera pas inquiété. Le lycéen est pour l’heure convoqué par le proviseur à un conseil de discipline qui doit se tenir le mercredi 6 novembre, au retour des vacances de la Toussaint. Mais plutôt que de soutenir le professeur de mathématiques, le proviseur du lycée, Dominique Nguyen Duc Long, a décidé de ne convoquer le conseil de discipline que pour le motif des violences verbales reconnues par le jeune homme, écartant donc le coup de poing que l’enseignant assure avoir reçu. Visé par une mesure conservatoire, le lycéen a pour l’heure interdiction de se rendre au lycée.

« Demain, ça va dégénérer, il y aura des mortiers ! »

Au cours de la semaine, le blocus devant le lycée s’est prolongé, les élèves fauteurs de troubles ayant même été rejoints par d’autres jeunes du quartier des Tarterêts — un quartier sensible, emblématique des tensions urbaines qui agitent les banlieues d’Île-de-France. Selon Alexandre Maquestiau, parent d’élèves et élu (divers gauche) au conseil départemental, le lycée est habitué aux blocus, mais celui-ci semblait « moins structuré que d’habitude ». L’élu cantonal a entendu mercredi certains lycéens prévoir une intensification de leur action : « demain, ça va dégénérer, il y aura des mortiers ! » Et en effet ce jeudi 17 octobre, plusieurs individus cagoulés ont tiré sur le lycée avec des mortiers d’artifice, manquant de blesser au passage les élus et parents d’élèves venus s’interposer en jouant les médiateurs. La police a dû intervenir et des interpellations ont eu lieu.

Au cours de ces événements, des affiches ont été placardées aux abords de l’établissement, montrant le visage de l’enseignant et son nom, avec la mention « wanted: dead or alive » [en anglais, autre signe de la faible attraction de la culture française, de la fascination pour l’Amérique]. Une vidéo consultée par Le Figaro a circulé sur Snapchat : on y voit de jeunes hommes s’amuser de cette campagne d’affichage sauvage qui constitue une menace de mort pour le professeur. Ce dernier n’a pas souhaité répondre aux questions du Figaro, car « on [lui] a demandé de ne pas répondre à la presse », mais se dit tout de même « moralement pas bien, pas bien du tout » à la suite de ces menaces. Il a sollicité auprès du rectorat de l’Académie de Versailles une protection fonctionnelle, qui est pour l’heure à l’étude « en urgence », selon le rectorat. Ces menaces de mort ont fait l’objet d’un signalement au procureur par le rectorat et une enquête a également été ouverte « afin d’identifier le ou l(es) auteur(s) », précise le parquet d’Évry.

Pendant ce temps, le proviseur Dominique Nguyen Duc Long qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, a reçu le Conseil de la vie lycéenne pour donner des gages d’apaisement aux représentants des lycéens. Les lycéens ont exigé une sanction disciplinaire contre l’enseignant, et exigé des démentis de la part du proviseur au sujet des premières informations parues dans la presse. Surtout, ils ont réclamé de revoir le règlement intérieur sur le port des casquettes à l’intérieur des bâtiments du lycée, ce que le proviseur a accepté, tout en refusant donc de soutenir son enseignant.

Ce vendredi 18 octobre, le blocus s’est néanmoins poursuivi devant le lycée : « les élèves ne comprendraient pas que le professeur de mathématiques puisse revenir enseigner dans l’établissement », relate Reynal Jourdin, maire adjoint de Corbeil-Essonnes responsable des sports et professeur d’EPS au sein du lycée Robert-Doisneau. À rebours des témoins parmi les enseignants qui ont confirmé la version du professeur, lui fait partie de ceux qui prennent leur distance, relayant des accusations d’élèves qui lui reprochent d’avoir souvent « poussé hors de leurs gonds » les adolescents en veillant à une application trop stricte du règlement intérieur. Une nouvelle assemblée générale s’est tenu vendredi matin dans le réfectoire de l’établissement, pendant que certains cours reprenaient dans le lycée : au cours des échanges, d’après des documents consultés par Le Figaro, les meneurs ont notamment déclaré : « on en est arrivés à la conclusion que les torts étaient partagés ». C’est parce que cette conclusion n’a pour l’heure pas été partagée plus largement que les lycéens ont finalement décrété un nouveau blocus, faisant de nouveau usage de fumigènes et de mortiers d’artifice aux abords du lycée. « Ils veulent des réponses sur la situation qu’ils ont vécue », relativise Reynal Jourdin, qui ajoute : « ils craignent surtout qu’une injustice soit commise contre l’élève, sur la base de rumeurs ».

Contexte hautement inflammable

Ces incidents surviennent également dans un contexte déjà très tendu. Depuis septembre, une vive contestation a lieu au sein du lycée à cause d’emplois du temps présentant des « anomalies », selon les élèves et les parents : des cours avaient en effet été positionnés dès 7 h 30 du matin ou jusqu’à 19 h certains soirs pour plusieurs classes du lycée, avec parfois d’importantes plages laissées vacantes à l’intérieur des journées scolaires. Par ailleurs, un effectif important d’élèves de filière professionnelle a été ajouté en cours d’année, après la rentrée des classes, rendant plus compliquée la tenue des cours dans l’établissement. Autant de motifs de mécontentement qui ont conduit à la constitution de collectifs, avec le soutien des parents et des élus.

Du reste, le proviseur de l’établissement, un fonctionnaire excentrique connu sur les réseaux sociaux pour ses publications décalées, en tenue de karatéka, est également dans le viseur de l’inspection de l’Éducation nationale : l’IGESR avait été saisie à la suite d’accusations portées l’an dernier par le gestionnaire de l’établissement. Lors du conseil d’administration du lycée, celui-ci avait relevé près de 250 000 € de dépenses jugées détournées à des fins personnelles : usage de la carte bleue du lycée pour de fastes repas au restaurant, travaux somptueux dans les logements de fonction du proviseur et de ses adjoints… L’inspection de l’Éducation nationale enquête sur ces soupçons de détournement d’argent ainsi que sur des accusations relatives au management au sein de l’établissement. Alors que le proviseur est accusé par des enseignants d’avoir lâché leur collègue, il n’a pas non plus jugé utile de faire appel aux brigades régionales de sécurité mises en place par la région Île-de-France pour intervenir lorsque des faits de violence se produisent à l’intérieur ou aux abords d’un lycée.

Du reste, rappelle l’entourage de Valérie Pécresse, le contexte global de cette première période de l’année scolaire 2024-2025 semble préoccupant : alors que moins de 300 interventions des brigades régionales de sécurité avaient été recensées sur la même période l’an passé, essentiellement à cause de fausses alertes à la bombe, cette fois les brigades ont dû intervenir plus de 350 fois, dont une soixantaine de fois en urgence pour fait de violences en milieu scolaire.

Source : Le Figaro

Aucun commentaire: