jeudi 17 novembre 2011

France — « Personne ne doute que vos enfants soient heureux et instruits »... Et pourtant parents traînés en justice par l'État

Sylvie et Régis Martin-Rodriguez avec leur avocat, Cédric Plantavin. Photo PQR/Laurent THEVENOT
Sylvie et Régis Martin-Rodriguez
avec leur avocat, Cédric Plantavin.
« Nous avons peur de servir d’exemple ». En décidant d’instruire leurs enfants à la maison, comme la loi les autorise, Sylvie et Régis Martin-Rodriguez ne s’attendaient certainement pas à se retrouver un jour devant un tribunal. C’est pourtant ce qui leur arrivera cet après-midi à Bourg-en-Bresse, où ils vont comparaître en correctionnel.

Ce couple éduque lui-même ses deux enfants, Tom, 11 ans et Lilou, 8 ans. Deux enfants particulièrement intelligents et éveillés, tout le monde vous le dira. « Même l’inspecteur l’a écrit, rappelle Sylvie Martin-Rodriguez. Dans l’un des courriers, il a dit “Personne ne doute que vos enfants soient heureux et instruits”... Alors pourquoi est-on là ? »

La question mérite d’être posée puisque ce qui est obligatoire en France, c’est l’instruction, pas l’école. Simplement, la contrepartrie à cette liberté consiste en des contrôles de plus en plus tatillons de l’Éducation Nationale, via l’Inspection d’académie, afin de vérifier que les enfants ne sont pas, par exemple, embrigadés dans des sectes. (Il existe bien d'autres embrigadement idéologiques que les sectes religieuses.) La volonté est légitime, le traitement de ce genre d’affaires par l’administration plus contestable.

Passible de 6 mois fermes et 10 000 $ d’amende

Pour la famille Martin-Rodriguez, c’est en 2009 que les problèmes vont démarrer. Le 16 juin, un inspecteur passe dans la vallée de la Valserine pour contrôler les enfants. « Il a souhaité tester directement les connaissances de nos enfants, ce qu’il n’a pas le droit de faire » explique Sylvie, qui ne s’oppose pas au contrôle lui-même des méthodes d’instruction, mais aux modalités de ce contrôle qu’elle estime contraires à la loi.

Voilà ce que l’avocat de la famille allait plaider tout comme les modalités puisque Sylvie Martin-Rodriguez explique « qu’elle n’a jamais reçu la mise en demeure » pourtant obligatoire avant cette citation au Procureur de la République. Reste qu’ils sont inquiets puisqu’ils encourent jusqu’à 6 mois de prison ferme et 10 000 dollars d’amende.

Menace de l'État de retirer les enfants 

« Nous vivons un cauchemar jour après jour. Ce qu’il semble y avoir derrière, c’est aussi la menace de nous retirer nos enfants » poursuit encore Sylvie Martin-Rodriguez.

Ce douloureux cas individuel est même en passe de devenir le symbole de beaucoup de parents pour une éducation en dehors du cadre de l’Éducation nationale.

Coup de théâtre, le procureur veut étudier le dossier

Dès le début de l'audience au tribunal, l’étude du « dossier » des parents Rodriguez prit un tour assez inattendu, avec le renvoi de l’affaire par le tribunal au 22 mai prochain.

le procureur Guérin s’était expliqué : « J’ai reçu un peu tard les conclusions de leur avocat. Son dossier est très sérieux, très charpenté, il y a de très bons arguments et il soulève plusieurs problèmes juridiques. Le dossier mérite une étude suivie… »

Pris de cours, les époux Martin-Rodriguez entourés d’un petit comité de soutien descendu du Pays de Gex, ont mis un peu de temps à savoir si la chose était positive ou non. Avant d’être rassurés par leur défenseur.

Lionel Tarlet, l’inspecteur d’académie n’aura pas dit grand-chose sur ce report. La procédure judiciaire est le fait de son prédécesseur, mais il l’assume. « Il y a un décret du 5 mars 2009 que nous devons faire appliquer… »

Pour le quidam, ce décret ne dit pas grand-chose. Mais pour l’avocat des parents, cette petite phrase a un sens, qui va en leur faveur. « Je considère que c’est bon signe » expliquait Me Plantavin qui traite par ailleurs sept affaires du même genre dans l’Hexagone. « C’est la première fois que l’Éducation nationale française évoque ce décret. Jusqu’alors, elle se basait sur un texte de 1999. Ce décret de 2009, c’est justement là dessus que nous bâtissons nos conclusions. »

Bref, les parents Martin-Rodriguez vont donc pouvoir continuer d’enseigner à Tom et Lilou quasiment jusqu’à la fin de l’année scolaire officielle. Sans être « embêtés » par une convocation au tribunal, entre des trafiquants de drogue ou des escrocs.

Et sans anticiper sur le devenir de l’affaire, on se dit que si le tribunal prend encore six mois avant de se décider, c’est aussi qu’il considère qu’il n’y a pas urgence ou mise en péril grave pour l’éducation des deux enfants.




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