dimanche 28 juin 2020

Royaume-Uni : projet d'une université noire gratuite et « décolonisée »

Une doctorante qui voulait transformer l’université de l’intérieur et avoir un programme décolonisé a entrepris la création d’un établissement d’un nouveau genre en lançant une campagne participative.

Elle s’appelle Melz Owusu (ci-contre) et compte bien être la première à lancer une université noire, gratuite et décolonisée au Royaume-Uni. Une histoire racontée par le Guardian à propos de cette doctorante de l’université de Leeds qui entreprenait à la base de « révolutionner » l’université. Mais très vite, dit-elle, impossible de réaliser ce projet « avec les structures actuelles ». Pour elle, « les universités sont construites sur la colonisation, l’argent et les bâtiments, l’architecture, tout est colonial », pense-t-elle.

Afin de « redistribuer les connaissances », elle compte bien créer un programme d’études décolonisé au cœur de l’université en lançant une campagne participative (GoFundMe) qui a déjà réuni plus de 75 000 livres (81 000 euros, 127 000 dollars canadiens). Elle aurait reçu le soutien de l’Union des universités et collèges ainsi que l’Union nationale des étudiants. À terme, elle veut récolter plus de 250 000 livres. L’un des objectifs de l’université est de servir les étudiants de la communauté dans son ensemble.

Objectif : des dons annuels des autres universités

Un objectif clé est de persuader les universités de « redistribuer » l’argent en faisant des dons annuels à l’université noire. La Free Black University profitera à ses étudiants et à la communauté dans son ensemble, dit Osuwu. Des campagnes dans ce sens par des étudiants activistes ont déjà commencé aux universités de Manchester, Manchester Metropolitan, Leeds, Exeter et UCL.

Owusu considère ces dons annuels non seulement comme un moyen pour les établissements de tenir leurs promesses envers les étudiants noirs actuels, mais comme des dédommagements pour le rôle que ces universités ont joué dans la propagation du racisme et de l’eugénisme et de dons issus de mécènes négriers.

« De nombreuses universités que nous avons vues avec Black Lives Matter ont publié des déclarations selon lesquelles “nous soutenons la vie des Noirs”, mais nous entendons tout le temps des témoignages d’étudiants noirs qui, traumatisés, quittent l’université », explique Owusu. « Ils échouent. Ils subissent le racisme tout le temps et l’université ne traite pas nécessairement cela de la meilleure façon, ou ne s’en occupe pas du tout. »

L’idée d’une université libre était en préparation depuis un certain temps, mais l’intérêt croissant et récent pour Black Lives Matter, après la mort de George Floyd, l’a précipitée, dit Osuwu. « Il semble qu’il y ait une prise de conscience collective croissante de la profondeur du racisme enraciné dans notre société et du peu de mesures prises pour le remettre fondamentalement en cause. »

« Nous avons décidé de lancer notre projet maintenant parce que, premièrement, il était prêt à être lancé et, deuxièmement, le regard du monde est tourné vers la façon de rendre la vie des Noirs importante, et l’une des façons dont je pense que cela se produira sera grâce à la transformation en éducation. »

Une petite équipe de doctorants, de jeunes diplômés et d’
étudiants militants prépare le projet dans le but de mettre en place une structure juridique avant octobre. Le projet est d’offrir des conférences en ligne en accès libre explorant des sujets radicaux et transformationnels, de construire une bibliothèque en ligne d’ouvrages et articles radicaux, de mettre sur pied un journal et des émissions en ligne, de fournir un espace pour les membres aux universitaires noirs qui ont besoin de soutien et de tenir une conférence annuelle réunissant des penseurs Noirs radicaux.

Le programme sera centré sur des approches sociologiques, historiques et philosophiques de la libération des Noirs, mais pourrait évoluer vers des domaines plus scientifiques et créatifs. Finalement, une demande d’
habilitation à décerner de diplômes pourrait être une option, tant que les personnes concernées estiment qu’il est possible de le faire sans devenir « institutionnalisées ».

Un élément important du projet sera un espace de communauté et de soins pour les étudiants noirs, en les mettant en contact avec des thérapeutes noirs, des conseillers et des guérisseurs communautaires pour offrir une gamme de soutien. Selon le Guardian, les membres des communautés noires et des minorités ethniques seraient plus à risque de développer des problèmes de santé mentale, certaines recherches suggérant que le racisme peut augmenter les risques de développer une dépression.

À plus long terme, avec suffisamment d’argent, l’objectif est d’avoir de locaux physiques comprenant des salles d’enseignement, une librairie, un restaurant et des « zones de guérison » dans l’un des quartiers les plus « métissés » de Londres, comme Brixton ou Lewisham.

Bien que d’autres races pourront bénéficier des ressources en libre accès fournies, l’objectif principal du projet sera la communauté noire, pour compenser le fait, dit Owusu, que « les étudiants noirs et la communauté noire en général n’ont pas été en mesure d’accéder aux espaces actuels qui se trouvent dans le milieu universitaire
de manière équitable, cohérente et sûre ». Pour le Guardian, journal de la gauche, progressiste, il existerait de nombreuses preuves à l’appui de ces thèses selon lesquelles le racisme explique les mauvais résultats des élèves noirs. Les chiffres publiés l’année dernière par le Bureau des étudiants ont montré que les étudiants blancs étaient beaucoup plus susceptibles d’obtenir des diplômes avec mentions très bien ou bien que les étudiants noirs, l’écart entre les deux groupes étant d’au moins 20 % dans près de la moitié des universités en Angleterre. Plus tôt ce mois-ci, les demandes d’accès à l’information ont révélé que seul un cinquième des universités britanniques s’étaient engagé « à décoloniser » leur programme d’études et qu’à peine 1 % des professeurs des universités britanniques étaient noirs.