lundi 1 décembre 2025

Sondage gouvernemental — Prédominance du russe chez les écoliers de Kiev

Le sondage d’État de 2025 montre une prédominance du russe chez les écoliers de Kiev (66 % en classe, 82 % en pauses), avec 24 % des enseignants l’utilisant en leçons et 40 % pendant les pauses. Ceci s’oppose à une hausse nationale de l’ukrainien exclusif chez les élèves (de 49 % à 60 % en classe). Il est à noter que les enseignants qui utilisent le russe violent les lois linguistiques ukrainiennes.  

À l’échelle nationale, l’usage de l’ukrainien par les enseignants atteint 86 % en classe et 79 % en pauses, marquant une progression organique depuis 2022, malgré un léger recul global de 55 % à 49 % chez les enfants dus à des habitudes familiales.

Kiev apparaît comme une anomalie démographique due à l’afflux de réfugiés russophones de l’Est, incitant le gouvernement à proposer des blocages de contenus russes en ligne et des limites d’accès web pour mineurs, vu comme un enjeu de sécurité nationale.


Il faut cependant insister sur les pressions sociales exacerbées depuis quelques années et les obligations d’utiliser l’ukrainien imposées aux enseignants. Les enseignants, souvent contraints d’adopter l’ukrainien malgré des réalités domestiques dominées par le russe, dans un climat où les réponses aux sondages pourraient être biaisées par des pressions sociales à « bien répondre » à un organisme national ukrainien.

Le léger recul national de l’usage de l’ukrainien parmi les enfants (de 55 % en 2023 à 49 % en 2024) suggère que les habitudes familiales, souvent ancrées dans le russe, résistent aux politiques musclées d’ukrainisation imposée par l’État. À Kiev, l’afflux de réfugiés russophones de l’Est et du Sud, ainsi que le retour de citoyens ayant vécu à l’étranger pourrait expliquer cette évolution. Voir Pologne — Des classes pour élèves ukrainiens en russe et Moldavie — 88 % des réfugiés ukrainiens choisissent le russe comme langue d’enseignement, 6 % l’ukrainien.

Du point de vue linguistique, cette situation illustre une diglossie forcée. L’ukrainien est imposé comme langue officielle et éducative, tandis que le russe persiste dans les sphères informelles, créant un décalage entre les pratiques réelles et les statistiques officielles. La progression de l’ukrainien (jusqu’à 60 % en classe) pourrait ainsi masquer une adhésion superficielle.

Depuis l’invasion russe de 2022, les restrictions linguistiques se sont durcies. Le 19 juin 2022, le Parlement a interdit la publication de livres et la diffusion de musique en russe par des citoyens russes, sauf s’ils renoncent à leur nationalité russe. Les chaînes de télévision pro-russes ont été fermées, et des quotas de 75 % d’ukrainien ont été imposés aux médias audiovisuels depuis 2017. Ces mesures ont été critiquées par Human Rights Watch et la Commission de Venise pour leur impact sur les minorités (russes, hongroises, roumaines, etc.)

Pour les enseignants, l’adoption de l’ukrainien est devenue une obligation légale, avec des inspections régulières et des risques de réprimandes ou de licenciement en cas de non-conformité, même dans des régions où le russe domine à la maison.

Face à la vigueur du russe à Kiev et à l’influence de l’internet russophone, le gouvernement envisagerait des restrictions numériques :
  • Bannissement des contenus internet en russe : Une interdiction des plateformes et comptes russophones, perçus comme des vecteurs de propagande.
  • Limitation de l’accès web pour les mineurs : Une restriction globale de l’accès internet, visant à isoler la jeunesse de l’influence culturelle russe.
Ces mesures, si elles renforcent l’ukrainien, menacent les libertés individuelles et pourraient exacerber les pressions sur les éducateurs. Les enseignants, déjà contraints d’enseigner en ukrainien sous peine de sanctions, pourraient voir leur marge de manœuvre réduite par une surveillance accrue des contenus numériques accessibles aux élèves, amplifiant le risque de mensonges ou de conformisme de façade dans les déclarations sur la langue d’usage.
Le cas du Kiévien Mikhaïl Boulgakov, « honte » des nationalistes ukrainiens

Passionné par sa ville natale de Kiev, le célèbre écrivain Boulgakov ne cachait pas son peu de sympathie envers le nationalisme ukrainien et la langue ukrainienne.
 
Pour lui, Kiev était avant tout la « mère des villes russes », un haut lieu millénaire de la civilisation russe commune, berceau de la Rus’ de Kiev, de la littérature slavonne ecclésiastique et du génie orthodoxe partagé entre l’Ukraine et la Russie.

Dans cette perspective, l’ukrainien lui apparaissait comme un dialecte appauvri et artificiellement « provincialisée » du russe, langue littéraire et de culture, dont il se sentait l’héritier direct. 

L’ukrainien et le russe font partie d’un continuum de langues slaves orientales, avec des transitions progressives et sans rupture nette entre elles, de la même manière que le français et le picard, le normand ou le wallon s’insèrent dans le continuum des langues romanes de l’Ouest. Autrement dit, il n’existe pas de frontière linguistique absolue : ce sont plutôt des variations dialectales étagées, avec des zones de chevauchement et des traits partagés progressivement d’une région à l’autre.

Boulgakov voyait dans le mouvement d’ukrainisation forcée des années 1920 (politique soviétique de « korenizatsia » [à savoir indigénisation] puis d’ukrainisation en Ukraine) une violence faite à l’âme même de Kiev : on chassait le russe des théâtres, des écoles, des administrations et des rues d’une ville qui, selon lui, avait toujours pensé, prié, écrit et créé en russe (ou en slavon) depuis des siècles. 
 
Il vivait cette politique comme une forme d’humiliation culturelle, presque comme une profanation de son univers intime.
 
Son rejet n’était pas ethnique (il n’avait aucune haine envers les paysans ukrainophones ni envers la culture populaire petite-russienne, qu’il trouvait au contraire pittoresque et chaleureuse), mais profondément esthétique et spirituel : pour lui, la haute culture, la littérature, le théâtre, la pensée métaphysique ne pouvaient s’exprimer pleinement que dans la langue russe, langue impériale et universelle à ses yeux. 

L’ukrainien littéraire moderne (celui qu’on imposait dans les écoles et les administrations dans les années 1920) n’était pas une langue historique naturelle, mais une construction artificielle récente, gonflée de néologismes et de polonismes, promue délibérément par des forces extérieures ou par des « provincialistes étroits d’esprit » dans le but de couper l’Ukraine de la grande culture russe et, à terme, de disloquer l’unité du monde russe.

C’est pourquoi, dans La Garde blanche et dans ses feuilletons, il célèbre avec une tendresse et nostalgie le Kiev russophone cosmopolite et raffiné d’avant 1917, tout en tournant en dérision (parfois avec une cruauté comique) les fonctionnaires zélés qui imposent l’ukrainien administratif et les intellectuels nationalistes qu’il juge provinciaux et étroits d’esprit.

On comprend que les milieux ukrainiens (galiciens diraient d’aucuns) militants ne portent pas Boulgakov dans leur cœur. Ci-dessous, capture d’écran (traduite) d’un message sur X au sujet d’une petite manifestation organisée à Kiev récemment pour demander l’élimination du monument à Boulgakov dans cette ville.


Voir aussi

Vers l’interdiction du russe en Ukraine ? (2022)

Pologne — Des classes pour élèves ukrainiens en russe  

Ukraine — sa population est tombée à 29 millions (elle était de 37,6 au début 2022) [m-à-j : 28,7 millions en 2025] La population de l’Ukraine à la dislocation de l’URSS en 1991 était de 51,9 millions.

Marioupol, les élèves retournent en classe [en mai] (vidéos), heureux de pouvoir étudier en russe

Moldavie — 88 % des réfugiés ukrainiens choisissent le russe comme langue d’enseignement, 6 % l’ukrainien

Lettonie — Vers l’élimination de l’enseignement en russe en 2025 

Ukraine — Sites internet, réseaux sociaux, interfaces de logiciel devront être traduits en ukrainien et cette version doit être présentée en premier

Budapest bloque adhésion de l’Ukraine à l’OTAN en raison des lois linguistiques de l’Ukraine (2017)  

Des élèves réfugiés ukrainiens étudieraient en anglais au Québec malgré la loi 101 (et la loi 96)

« Journalisme indépendant » plongé dans le chaos après le gel de l’aide internationale américaine par Donald Trump 

Le taux de natalité de l’Ukraine s’effondre alors que sa population décroît rapidement

Liste en rien exhaustive d’auteurs nés sur le territoire de l’Ukraine actuelle, qui ont écrit en russe :

  • Nikolaï Gogol (1809–1852) — né à Sorotchintsy (région de Poltava) Le plus célèbre de tous. Gogol est le seul de cette liste a avoir écrit quelques œuvres mineures de jeunesse en ukrainien (ou plutôt dans un mélange russo-ukrainien très proche du surjik), notamment certaines lettres privées et les tout premiers brouillons des soirées du hameau (les versions primitives de 1831-1832 contiennent des passages en ukrainien). Cependant, toutes ses œuvres publiées et connues (Les Âmes mortes, Le Revizor, Tarass Boulba, Les Soirées…) sont exclusivement en russe littéraire.  
  • Mikhaïl Boulgakov (1891–1940) — né à Kiev auteur du Maître et Marguerite, La Garde blanche, Cœur de chien

  • Léon Trotski (Lev Bronstein, 1879–1940) — né à Ianovka, près d’Elisavetgrad (aujourd’hui Kropyvnytskyï). Écrivain politique prolifique en russe : Ma vie, Histoire de la révolution russe, Littérature et Révolution. Trotski ne parlait pas ukrainien, mais son père parlait le surjik, un mélange de russe et d’ukrainien, la proportion variant selon les régions et les gens. 

  • Isaac Babel (1894–1940) — né à Odessa. Auteur de Cavalerie rouge, Récits d’Odessa. Ces récits sont marqués par le milieu juif et cosmopolite d’Odessa, mais la langue est russe standard, parfois avec des calques idiomatiques issus de l’ukrainien ou du yidiche.

  • Anna Akhmatova (1889–1966) — né Bolchoï Fontan, près d’Odessa Née en Ukraine, même si elle a grandi à Tsarskoïe Selo ; figure majeure de la poésie russe. 

  • Ilf et Petrov (Ilya Ilf 1897–1937 & Evgueni Petrov 1903–1942) — tous deux nés à Odessa. Duo satirique, auteurs de Les Douze Chaises et Le Veau d’or.

  • Vassili Grossman (1905–1964) — né à Berdytchiv Vie et Destin, Tout passe.

  • Valentin Kataïev (1897–1986) — né à Odessa. Moins lu aujourd’hui, mais L’Herbe de l’oubli et Le Bateau blanc ont été traduits et appréciés en France. 

  • Ilya Ehrenbourg (1891–1967) — née à Kiev (correspondant de guerre, Le Dégel, etc.) 

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