Tandis que les écoles publiques accueillent massivement des déplacés et ont dû reporter la rentrée scolaire, les établissements privés - majoritairement chrétiens - ont pu accueillir leurs élèves.
Beyrouth
Dans l’école Saint Vincent de Paul située dans le quartier Clémenceau, à Beyrouth (photo de la cour ci-dessus), un groupe de femmes vêtues de noir est assis sur un banc, le regard dans le vide. De rares bouffées d’air frais agitent le linge qui, sur les fenêtres de l’établissement, sèche au soleil. Il y a là des couvertures, des t-shirts encore tachés et des sous-vêtements. Une dizaine d’enfants jouent dans la cour de récréation tandis que la sonnerie retentit pour rien. Ces enfants n’ont pas fait leur rentrée scolaire début octobre. Près de 880 déplacés ont trouvé refuge dans les salles de classe après que leurs quartiers ont été lourdement bombardés par Israël. À la place des tables, les matelas jonchant le sol accueillent des corps fatigués par l’exil. Au deuxième étage du bâtiment principal, une femme aide son fils à se laver à l’aide du lavabo des toilettes.
« Je suis arrivée de Dahié le 27 septembre et j’ai trouvé l’école ouverte, donc je me suis installé , raconte Mohammed, assis sur un banc de la cour de récréation, ses deux mains massives posées sur ses genoux. On est très bien accueillis ici, ils font tout pour que l’on soit bien». Chaque jour, une dizaine de membres du personnel de l’établissement continue de travailler et épaule les réfugiés. Pour autant, bien qu’ils ne nient pas l’urgence de la situation, ces salariés tiennent les déplacés pour responsables du report de la rentrée des classes.
En raison de la guerre, cet établissement public ne peut pas accueillir ses propres élèves. Quelque 700 écoles publiques libanaises se sont transformées en centres d’hébergement d’urgence pour accueillir une partie des 1,2 million de Libanais qui ont dû fuir leurs lieux d’habitation depuis le 23 septembre, selon les dernières estimations de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Par conséquent, la rentrée scolaire a été reportée au début du mois de novembre. Pour les écoles privées, la situation est différente: le 14 octobre, le ministre de l'Éducation Abbas Halabi a autorisé celles situées en zones sûres à ouvrir leurs portes. Peu d’entre elles accueillent des déplacés. Cette rentrée des classes différenciée cristallise les tensions entre les communautés réfugiées, principalement chiites, et les communautés chrétiennes.
Une rentrée scolaire politique
«Il n’y a quasiment pas d’enfants chiites dans ces écoles privées. Qui a les moyens de payer 2000 dollars par an de frais scolaires ?», s’indigne Hassan Mourad, député sunnite et Président de la commission parlementaire pour l’éducation. Le 26 septembre, cet élu de la Bekaa a dénoncé sur Facebook « les logiques communautaires» de certains acteurs au sujet de l’ouverture des écoles privées. Dans son viseur: le réseau des écoles chrétiennes. « Je n’aime pas parler en ces termes, mais c’est la réalité aujourd’hui. Je ne veux pas qu’il y ait deux Liban. Pourquoi les enfants musulmans verraient les enfants chrétiens apprendre et pas eux ?» S’indigne-t-il. Il déplore les pressions que le ministre de l’Éducation aurait subies de la part du directeur du comité des écoles privées, dirigé par le père Youssef Nasr.
L’intéressé nie ces accusations. Surtout, il refuse de parler de divisions : « Si quelqu’un n’est pas capable d’aller à l’école, il ne peut pas obliger les autres à ne pas y aller non plus », estime celui qui est également secrétaire général des écoles catholiques du Liban. Il appelle à ce que les déplacés soient accueillis dans d’autres lieux que les écoles, même si aucune solution n’a pour l’instant été trouvée par l’État.
Les membres des organisations du secteur éducatif se déchirent au sujet de la marche à suivre dans ce contexte de guerre entre le Hezbollah et Israël . Pour les uns, cette guerre doit mobiliser l’ensemble de la population libanaise. Pour les autres, elle doit épargner ceux qui peuvent l’être, les enfants en particulier. « En réalité, ceux qui réclament la fermeture des écoles privées pendant encore un mois car ce n’est pas leur priorité. Leur priorité, c’est de soutenir la résistance», avance Youssef Nasr.
Dans le secrétariat de l’établissement Saint Vincent de Paul, Élias (dont le prénom a été modifié), un membre du personnel, soupire: « Certains ont choisi cette situation (de guerre, ndlr) , d’autres non et nous ne voulons pas perdre un an à cause de cela». « Nous avons dû débuter les cours en ligne en raison de l’occupation de l’école» , poursuit-il en passant sa main dans ses cheveux grisonnants.
Un système éducatif exsangue
Il estime que 20 à 30 élèves décrochent chaque jour, car le manque d’électricité, de réseau internet et d’ordinateurs au Liban ne leur permet pas d’étudier dans des conditions favorables à l’apprentissage. « Nous avons demandé à tous les acteurs de ce pays, l’État, l’Église, des associations, de trouver une autre solution pour ces réfugiés, mais ça n’a rien changé». Dans le bureau plongé dans une demi-obscurité, seuls les cris des enfants troublent le silence qui a envahi la pièce.
En 2019, le secteur privé assurait plus de 70% de la scolarisation des élèves libanais, un chiffre qui aurait augmenté depuis le début de la crise économique, selon le secrétariat général de l’enseignement catholique. Par ailleurs, un tiers des élèves inscrits dans les écoles chrétiennes sont issus d’autres communautés, selon la même source.
«L’éducation est un secteur vital pour la survie du Liban », fulmine Vincent Gelot, responsable des projets de l’Œuvre d’Orient au Liban et en Syrie. L’association apporte un soutien financier aux écoles privées libanaises. La réouverture de ces établissements est pour l’humanitaire essentielle, afin d’assurer un niveau minimum d’éducation malgré la guerre. «On sort de cinq années calamiteuses avec la révolution de 2019, la crise économique et la pandémie qui a été gérée de façon catastrophique», rappelle-t-il. Selon le ministère de l’éducation, 300.000 enfants libanais, sur 1.2 million, n’étaient plus scolarisés avant le 23 septembre.
À Jabboulé, dans le nord de la plaine de la Bekaa, Mère Jocelyne Joumaa, directrice de l’orphelinat Notre Dame du Bon Service témoigne d’une situation humanitaire très difficile : « Avec les bombardements d’hier soir, la panique domine dans la région. Les femmes et leurs enfants viennent se réfugier dans notre couvent. C’est terrible. Notre mission est de témoigner du visage du Christ. »
Depuis le 7 octobre, des dizaines d’écoles privées ont ouvert leurs portes à travers le pays. Le sort des écoles publiques, censées ouvrir dans deux semaines, reste suspendu à la guerre en cours entre Israël et le Hezbollah. Et si celle-ci ne s’arrête pas ? « Le sud du pays vivra comme j’ai vécu en 1982. Nous étions bombardés, et nous n’avons pas pu étudier », augure le député Hassan Mourad.
« L'école en ce moment, ce n'est pas notre priorité ? »
Fatima, huit ans, erre dans cet abri en se languissant de son école, laissée derrière elle, comme sa maison. « L'école et les cahiers de coloriage me manquent », assure-t-elle à l'AFP.
Les hostilités transfrontalières ont débuté il y a un an, après l'ouverture d'un front contre Israël par le Hezbollah, dans la foulée de l'attaque sur le sol israélien de son allié palestinien du Hamas, qui a déclenché la guerre à Gaza. Mais si elles ont été meurtrières, elles n'ont longtemps eu qu'un impact limité sur le fonctionnement des écoles du sud du Liban. Depuis qu'elles ont laissé la place à une guerre ouverte, étendue aux abords de Beyrouth, qui a fait plus de 1 100 morts en deux semaines, selon les autorités, tout a changé.
« Danger sécuritaire », « entraves au mouvement » des élèves et des professeurs... Le ministre de l'Éducation, Abbas al-Halabi, énumère toutes les raisons pour lesquelles son ministère ne « prendra pas le risque » d'organiser la rentrée avant un mois.
« Ça fait deux semaines qu'on dort dans la rue, donc l'école, ce n'est pas notre priorité en ce moment », affirme Salma Salmane, 30 ans, réfugiée dans le centre de Beyrouth avec ses jumelles de sept ans. Jennifer Moorehead, de l'ONG Save the Children, anticipe déjà une année blanche. Avec au moins un mois de scolarisation en moins en 2024-2025, les enfants vont encaisser « un lourd retard sur le programme ».
Fatima, huit ans, erre dans cet abri en se languissant de son école, laissée derrière elle, comme sa maison. « L'école et les cahiers de coloriage me manquent », assure-t-elle à l'AFP.
Les hostilités transfrontalières ont débuté il y a un an, après l'ouverture d'un front contre Israël par le Hezbollah, dans la foulée de l'attaque sur le sol israélien de son allié palestinien du Hamas, qui a déclenché la guerre à Gaza. Mais si elles ont été meurtrières, elles n'ont longtemps eu qu'un impact limité sur le fonctionnement des écoles du sud du Liban. Depuis qu'elles ont laissé la place à une guerre ouverte, étendue aux abords de Beyrouth, qui a fait plus de 1 100 morts en deux semaines, selon les autorités, tout a changé.
« Danger sécuritaire », « entraves au mouvement » des élèves et des professeurs... Le ministre de l'Éducation, Abbas al-Halabi, énumère toutes les raisons pour lesquelles son ministère ne « prendra pas le risque » d'organiser la rentrée avant un mois.
« Ça fait deux semaines qu'on dort dans la rue, donc l'école, ce n'est pas notre priorité en ce moment », affirme Salma Salmane, 30 ans, réfugiée dans le centre de Beyrouth avec ses jumelles de sept ans. Jennifer Moorehead, de l'ONG Save the Children, anticipe déjà une année blanche. Avec au moins un mois de scolarisation en moins en 2024-2025, les enfants vont encaisser « un lourd retard sur le programme ».
Sources : AFP, Le Figaro, Œuvre d’Orient, Le Télégramme
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