mercredi 18 avril 2012

Étude sur les garderies qui se paieraient d'elles-mêmes : la multiplication des pains

L'économiste Martin Coiteux, professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal, critique en détail l'études de Fortin, Godbout et Saint-Cerny qui prétend que les garderies se paieraient d'elles-mêmes puisqu'elles auraient contribuer à une augmentation de 5,1 milliards dans le PIB québécois grâce à l'arrivée de près de 70.000 « libérées des servitudes de la maternité » sur le marché du travail.

Il revient (mais cette fois avec des chiffres et des graphiques !) sur certaines questions que nous posions déjà : quel est coût d'opportunité ? pourquoi la comparaison avec l'Ontario et pas d'autres provinces ? pourquoi le programme des garderies serait la cause de ce rattrapage dans le taux d'emploi alors que même les femmes sans enfant au Québec ont vu leur taux d'emploi augmenter de beaucoup pendant la même période ?

La critique de Coiteux n'est pas exhaustive. Il s'est limité à deux problèmes particuliers : la méthodologie retenue, laquelle ignore le principe économique fondamental des coûts d'opportunité, et l'attribution au seul programme des garderies de toute l'augmentation du taux d'emploi des Québécoises depuis 1997.
« Lorsqu'un résultat est extraordinaire au point d'être magique, il faut généralement se méfier.

En l'occurrence, il n'est pas nécessaire de creuser bien longtemps pour s'apercevoir que cette conclusion digne du miracle de la multiplication des pains découle tout simplement d'une méthodologie fautive.

Les auteurs tiennent pour acquis que le programme des garderies à tarif subventionné aurait permis la création de 70 000 emplois, mais ne tiennent nullement compte des emplois qui auraient été créés en l'absence de celui-ci. Pourtant, si le gouvernement n'avait pas créé le programme des garderies, l'économie québécoise aurait quand même créé des emplois, tout simplement en utilisant à d'autres fins les quelque 2 milliards de dollars qui sont aujourd'hui consacrés chaque année à ce seul programme.

Combien de ces emplois alternatifs auraient été créés ? Nul ne peut le dire avec certitude. On peut cependant être certain d'une chose : cette création n'aurait pas été nulle. Elle aurait même pu être supérieure à celle induite par le programme des garderies. Il est donc méthodologiquement faux d'affirmer que le programme aurait créé au net 70 000 nouveaux emplois.

Cette méthodologie erronée ne constitue cependant qu'une partie du problème. Pour en arriver aux 70 000 emplois bruts du départ, les auteurs ont eu recours à deux hypothèses: l'augmentation du taux d'emploi des femmes québécoises aurait pris l'ascenseur en 1997 avec l'introduction du programme, et cette accélération n'aurait eu d'autre cause que le programme des garderies.

Pourtant, si on y regarde de plus près, on ne trouve aucune accélération de la tendance à la hausse du taux d'emploi dans le cas des femmes québécoises âgées de 25 à 44 ans. Une telle accélération n'a été observée que pour les femmes âgées de 15 à 24 ans, celles-ci étant moins susceptibles que les premières d'utiliser les services de garde. »

Matin Coiteux explique ainsi que les tendances observées au Québec n'ont guère été différentes de celles observées dans trois provinces de l'Atlantique n'ayant pourtant pas adopté ce programme :
« Plus important encore, les tendances observées au Québec pour chacun des deux groupes d'âge ont été presque identiques au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve. Pourtant, ces provinces n'ont jamais imité le modèle québécois des garderies.

Comment expliquer, par exemple, que les femmes âgées de 15 à 24 ans de ces trois provinces aient connu le même rebond de leur taux d'emploi que celui observé au Québec à partir de 1997 ? C'est que 1997 n'a pas été uniquement l'année du lancement du programme québécois des garderies; 1997 a été également l'année du lancement de la réforme fédérale de l'assurance emploi. Cette réforme aurait poussé un plus grand nombre de jeunes, incluant des femmes, à se trouver un emploi. Visiblement, c'est au Québec et dans les provinces de l'Atlantique que ses effets ont été les plus probants.

En somme, le taux d'emploi des femmes âgées de 25 à 44 ans n'a fait que suivre la tendance haussière stable observée simultanément dans trois provinces de l'Atlantique, tandis que celui des femmes âgées de 15 à 24 ans semble avoir réagi au Québec comme dans ces mêmes provinces à une réforme commune de l'assurance emploi. Comment peut-on alors attribuer 70 000 emplois bruts au seul programme des garderies ? »

Voici les graphiques sur lesquels Coiteux s'appuie pour écrire ces dernièrs paragraphes. Dans chaque cas, la moyenne mobile de 12 mois des données mensuelles est présentée et la source est Statistique Canada.

Taux d'emploi du Québec p/r au Nouveau-Brunswick (1991 à 2011)



Taux d'emploi du Québec p/r à la Nouvelle-Écosse (1991 à 2011)




Taux d'emploi du Québec p/r à Terre-Neuve (1991 à 2011)



Selon Coiteux, les similitudes entre le Québec et ces trois provinces de l'Atlantique sont frappantes. Comment attribuer alors à un programme inexistant dans trois d'entre elles toute l'augmentation du taux d'emploi dans une seule d'entre elles ?


Voir aussi 

« Le Québec, leader en matière de petite enfance »

« Le système de garderies à 7 $ est-il payant pour le Québec ? Non. »

Étude Fortin, Godbout sur les garderies : « étude loufoque », système injuste, Ottawa premier gagnant

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

http://www.journaldemontreal.com/2012/04/18/defendre-lindefendable-sans-succes

D’après l’étude des économistes Pierre Fortin, Luc Godbout et Suzie St-Cerny sur l’impact des services de garde subventionnés (SGS), le programme serait un succès phénoménal. Il aurait permis à 70 000 femmes de travailler, ce qui aurait entraîné une hausse du PIB de 5,1 milliards de dollars et procuré à Québec un retour fiscal de 104 $ pour chaque tranche de 100 $ de subvention.

Toutefois, ne sablons pas le champagne trop rapidement. Le programme n’est peut-être pas la poule aux œufs d’or qu’on imagine.

Premièrement, l’étude omet un calcul essentiel. De 1998 à 2011, le nombre de places à contribution réduite a augmenté de 122 %. Or, le coût annuel des subventions gouvernementales (ajusté pour tenir compte de l’inflation) a grimpé de 463 %. À cela, il faut ajouter les coûts de gestion ainsi que ceux liés à la création et au fonctionnement de la nouvelle liste d’attente centralisée.

Statistiques sélective

Deuxièmement, les statistiques sont habilement sélectionnées. Les auteurs constatent une hausse notable du taux d’activité des Québécoises âgées entre 15 et 64 ans, et l’attribuent aux SGS. S’il est vrai que le taux d’activité de ce groupe a augmenté de 11 points de pourcentage de 1996 à 2011, il faut toutefois se méfier des conclusions hâtives. Selon Statistique Canada, le taux d’activité des Québécoises de plus de 55 ans, qui sont certainement très peu nombreuses à bénéficier du programme, a augmenté de 13 points de pourcentage au cours de la même période. En Alberta, qui ne possède pas de système similaire, le taux d’activité des femmes de 15 à 64 ans est supérieur à celui enregistré au Québec. Quant aux Terre-Neuviennes du même groupe, qui n’ont pas non plus recours à un système étatique, leur taux d’activité a bondi de 14 points de pourcentage!

Demi-vérité

Troisièmement, les auteurs avancent une demi-vérité. Ils affirment que le PIB a augmenté de 5,1 milliards de dollars grâce aux SGS, mais oublient que pour financer ce programme, l’État doit prélever des impôts et des taxes. Or, il est prouvé que l’impôt sur le revenu décourage le travail, et que celui sur les profits décourage l’entrepreneuriat et la création d’emplois, tandis que les taxes de vente réduisent la consommation. Donc, si l’on tient compte de l’ensemble de la manœuvre, le programme de ne crée rien du tout. Au mieux, l’État injecte autant qu’il a prélevé et déplace l’activité économique.

Finalement, l’étude pose une hypothèse sans fondement. Elle suppose qu’en l’absence de SGS, les femmes seraient restées à la maison. Or, rien n’est moins sûr vu qu’il existe une multitude de solutions de rechange au système étatique (garderies privées, gardiennes à domicile, famille, etc.).

On pourrait adresser bien d’autres reproches à cette étude qui n’est en fait qu’une piètre tentative pour défendre un système coûteux et inéquitable pour beaucoup de parents. C’est dommage! Dans un contexte où les succès de l’étatisme sont rarissimes, la preuve de l’efficacité des garderies subventionnées aurait aidé à changer la donne. Ce sera peut-être pour une autre fois…

Gare aux idéologues a dit…

Éclairant. Quand j'ai vu cette étude du Prof Fortin,
je me suis demandé ce que des économistes en pensaient avant de m'y intéresser...

Voila qui est chose faite, après l'homme qui voulait changer l'eau en vin, voici la multiplication des pains...