vendredi 8 décembre 2023

L'immigration, ce tabou dans l'effondrement scolaire de la France

Proche de Jean-Pierre Chevènement, Joachim Le Floch-imad est professeur de culture générale dans le supérieur et essayiste. Il vient de publier « Tolstoï. Une vie philosophique » (Éditions du Cerf, 2023). Alors que la France connaît un effondrement historique dans le rapport Pisa, le lien entre immigration et crise de l’école n’est jamais interrogé, remarque l’essayiste et enseignant, qui montre, chiffres à l’appui, combien ce phénomène aggrave les difficultés de l’éducation nationale.
 
En 1989, dans Le niveau monte, Christian Baudelot et Roger Establet se proposaient de « réfuter une vieille idée concernant la prétendue décadence de notre école ». Le déclin éducatif de la France y était jugé absurde et la notion de niveau impossible à définir. Pendant des décennies, cette culture du déni a caractérisé l’essentiel des discours au sein de l’éducation nationale. La publication des évaluations communes à l’ensemble des collèges comme l’effondrement historique de notre pays dans le classement Pisa publié cette semaine ont depuis contribué à faire céder un certain nombre de digues. Et l’actuel ministre n’a désormais plus d’autre choix que d’en appeler à « un choc des savoirs » et à des mesures ambitieuses pour « élever le niveau de l’école » et « redonner de l’autorité aux enseignants ». L’inflexion à laquelle nous assistons va dans le bon sens, mais le redressement éducatif de la France, pour être plus qu’un vœu pieux, suppose une politique qui traite l’ensemble des causes à l’origine des effets que l’on déplore. Au regard de la nécessité du sursaut et du rôle d’accélérateur que l’immigration joue dans la crise de notre système éducatif, un état des lieux de ses répercussions devrait s’imposer. L’immigration demeure pourtant l’éléphant dans la pièce, le tabou suprême de la Rue de Grenelle.
 
(Nous pensons qu'il faudrait se pencher sur le type d'immigrés, on sait que, en moyenne, les enfants asiatiques en France ont de meilleurs résultats que les africains ou maghrébins par exemple).


Cette incapacité à penser les liens entre les deux sujets s’avère d’autant plus absurde au regard de la réalité de nos établissements. Une récente note de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance révèle par exemple une augmentation de 20 % des élèves allophones en un an (près de 80 000 à la rentrée 2021).

Cette évolution spécifique s’inscrit dans un contexte d’accélération brutale de l’immigration. 40 % des moins de 4 ans en France sont immigrés ou d’origine immigrée. Près d’un demi-million d’étrangers y entrent chaque année et le nombre de naissance d’enfants dont les deux parents viennent de l’étranger a augmenté de 59 % en vingt ans. Des académies comme Aix-Marseille, Créteil, Mayotte et la Guyane sont particulièrement touchées par ces dynamiques, mais aucun pan du territoire national n’y échappe désormais, parfois avec de belles réussites. Les travaux de Christophe Guilluy nous apprennent ainsi qu’une partie significative des enfants de l’immigration connaît une ascension sociale. Ce n’est pas l’auteur de ces lignes qui dira l’inverse tant il sait, par sa trajectoire familiale, ce qu’il doit à l’assimilation républicaine. Force est de constater néanmoins que la machine à faire des citoyens est en panne et que l’immigration, pour au moins deux raisons, exacerbe le déclin éducatif auquel la France est en proie.


Les résultats scolaires des jeunes issus de l’immigration sont tout d’abord nettement inférieurs à la moyenne, ce qui contribue à notre déclassement dans les études internationales. Cela favorise par ailleurs l’hétérogénéité des classes, déjà importante du fait de la massification, et conduit dès lors de nombreux professeurs à aligner leurs exigences sur le niveau des plus faibles. L’ensemble des statistiques à notre disposition accrédite ce constat. Les allophones sont par exemple largement en décrochage en comparaison de leur classe d’âge, et 20 % d’entre eux n’étaient pas scolarisés dans leur pays d’origine. De fortes inégalités persistent au-delà de cette population, comme le montre l’enquête Pisa 2018 en lecture. Les jeunes Français « autochtones ou descendants d’immigrés de troisième génération ou plus » y obtiennent un score très élevé, du niveau de Taïwan et du Danemark, tandis que le score des « enfants d’immigrés » est inférieur de 9 % et celui des « immigrés » de 18 %. Dans le volet 2022 fraîchement publié de cette enquête, le verdict demeure sans appel. Il apparaît en effet que les élèves issus de l’immigration ont 2,4 fois plus de risques que ceux dits « autochtones » de se retrouver parmi les élèves peu performants en mathématiques (écart moyen entre les scores de ces deux groupes de 51 points, contre 32 en moyenne dans L’OCDE). Ces données complètent utilement un rapport alarmant de 2015 du Centre national d’étude des systèmes scolaires ainsi qu’une étude du ministère de 2019 sur la nature plus chaotique des « trajectoires scolaires des enfants d’immigrés jusqu’au baccalauréat » : redoublements fréquents, résultats plus faibles, réussite moindre au baccalauréat, orientation accrue dans les filières professionnelles.

À cette divergence de niveau s’ajoute la réalité de chocs culturels qui entravent l’aspiration républicaine à « faire un ».

Il ne s’agit pas de dire que les sociétés homogènes sont exemptes de violences et de crispations : le harcèlement scolaire est par exemple enraciné dans la culture japonaise. Dans le cas français, les dynamiques migratoires des quarante dernières années sont néanmoins particulièrement corrélées à la prolifération des actes de séparatisme à l’école, des contestations d’enseignements et des atteintes à la laïcité. Par incapacité à sanctuariser notre école, nous avons fait de celle-ci le réceptacle des forces centrifuges du corps social. Et nous avons fermé les yeux aussi bien sur l’ethnicisation des rapports sociaux que sur le caractère explosif de la « distance culturelle » (Didier Leschi) et du ressentiment colonial qui travaillent nombre des élèves d’origine immigrée. La France est ainsi devenue l’un des pires pays au monde du point de vue de la discipline en classe, avec de lourdes conséquences sur l’attractivité du métier d’enseignant et sur la capacité de l’institution à transmettre des savoirs.

Ces problèmes spécifiques posés par l’immigration à l’école n’ont rien à voir avec un quelconque « racisme d’État » ou une volonté de reléguer certaines populations. Les réformes des quarante dernières années ont systématiquement été conduites au nom de l’impératif d’inclusion. Et la France met en oeuvre une politique généreuse d’investissements [de dépenses importantes] dans les réseaux d’éducation prioritaire, largement concernés par le fait migratoire, dont un rapport de 2018 de la Cour des comptes prouve l’inefficacité. À rebours de ces fantasmes, gageons que le problème tient davantage au volume des flux migratoires et à leur nature de plus en plus extra-européenne (en provenance notamment du Maghreb et d’Afrique subsaharienne) et sous-diplômée. Près d’un élève immigré sur deux en France est par exemple issu d’un milieu défavorisé, contre 37 % en moyenne dans L’OCDE. Il faut avoir le courage de dire, sans stigmatiser qui que ce soit, que cette situation n’est plus tenable et qu’un seuil de tolérance a été franchi. L’immigration est certes un facteur parmi d’autres de la crise de l’école, mais elle aggrave l’ensemble des problèmes que connaît celle-ci. Et il y a quelque chose d’abject à écarter le sujet d’un revers de la main pour se donner bonne conscience, échapper à la vindicte antiraciste et satisfaire des pulsions iréniques douteuses. « Le courage, c’est dire la vérité sans subir la loi du mensonge triomphant qui passe », disait Jaurès. Ayons aujourd’hui ce courage. Et prenons enfin au sérieux la question du redressement de l’école dont dépend ce que vaudra la France demain.


Source : Le Figaro

Voir aussi
 
École, famille, immigration : que restera-t-il de la France d’avant dans la France d’après ? [ On a retrouvé à l’Ifop une enquête de 1973 demandant aux enseignants s’ils arrivaient systématiquement, la plupart du temps ou difficilement, à obtenir le silence et la discipline dans leur classe. À l’époque, 60 % des enseignants disaient n’avoir aucun problème. Aujourd’hui, ce taux est tombé à 30 %.]
 
 
 

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