Texte de Mathieu Bock-Côté :
La nouvelle n’est pas passée sous silence, mais rares sont ceux qui en ont pris la pleine mesure. Dans les premiers jours de septembre, les 29 maisons de soins palliatifs ont annoncé qu’elles feraient dissidence contre la loi assurant l’aide médicale à mourir. Leur argument est simple: elles sont là pour accompagner le patient dans ses derniers jours, pour les humaniser, pas pour se consacrer à l’euthanasie. Ils entendent, à leur manière, et dans la mesure du possible, se soustraire à cette obligation et envoyer vers les hôpitaux ceux qui réclament le suicide assisté.
Gaétan Barrette (ci-contre), l’actuel ministre de la santé, et Véronique Hivon, l’inspiratrice de la loi, désormais dans l’opposition officielle, n’ont pas caché leur colère, ou du moins, leur stupéfaction. On peut résumer ainsi leur réaction: comment les maisons de soins palliatifs osent-elle se dérober au consensus québécois, élaboré au fil des ans, et consacré par la loi? On sentait bien que pour eux, la résistance des maisons de soins palliatifs était inimaginable, inconcevable et surtout, inadmissible.
La réaction des deux leaders politiques avait quelque chose d’absurde: ne se rendaient-ils pas compte que le consensus auquel ils faisaient référence se révélait finalement ... moins consensuelle qu’on ne le disait? Accuser tout un pan de la société de trahir le consensus collectif, n’est-ce pas reconnaître, finalement, qu’il n’existe pas vraiment? À bien des égards, c’est la belle histoire d’une loi adoptée dans l’harmonie généralisée qui éclate devant nous. Que s’est-il vraiment passé?
On nous a vanté un processus législatif exemplaire, conforme aux exigences les plus élevées de la démocratie. Le débat public aurait été exemplaire. Apparemment, tous reconnaissaient la nécessaire reconnaissance d’un droit de mourir dans la dignité – expression politiquement correcte traduisant le droit au suicide médicalement assisté. Apparemment, tous convenaient qu’il fallait désormais considérer comme allant de soi qu’un médecin puisse donner la mort et qu’il s’agissait d’un acte médical.
Dans ce débat, il n’y avait finalement que deux camps autorisés. D’un côté, on avait les partisans enthousiastes du droit de mourir dans la dignité. Et de l’autre, on avait ceux qui confessaient quelques réserves discrètes et gênées sans pour autant remettre en question les fondements de ce projet. Ils n’étaient pas contre. Ils étaient réservés, ou ne se sentaient pas prêts. En un mot, ils n’avaient pas une différence d’objectif, mais de rythme. Le pacte était le suivant: on respecterait les gens du deuxième camp à condition qu’ils acceptent à l’avance d’avoir perdu.
Oh, bien évidemment, on savait qu’il y avait quelques opposants résolus. Mais on les a vite déclarés marginaux et caricaturés en catholiques bornés, suppôts de l’Opus Dei. Il fallait bien les endurer parler et exprimer leur point de vue, mais fondamentalement, ils n’étaient pas les bienvenus dans le débat. On aura bien compris tout cela en commission parlementaire: c’était un grand théâtre où on faisait semblant d’écouter. Mais la décision était déjà prise et on ne permettrait à personne d’empêcher ce grand progrès de s’inscrire dans la loi.
En un mot, on a étouffé le malaise d’un grand nombre et transformé l’opposition avouée au suicide assisté en signe de fermeture d’esprit. Mais aujourd’hui, c’est la réalité qui reprend ses droits. Les désaccords censurés remontent à la surface. Et on se questionne sur l’objection de conscience ou la désobéissance civile. On découvre que le consensus était artificiel et imposé de manière autoritaire. Cela ne veut pas dire que la loi n’est pas légitime. Mais qu’on ne fasse pas semblant que la société communie dans une seule vision.
Il y a avait quand même une certaine audace à inscrire le droit au suicide assisté parmi les droits de la personne. Mais la rhétorique des droits, dans la société occidentale contemporaine, semble plus forte que tout. C’est en se maquillant en droit qu’une revendication politique se donne un parfum d’absolu moral auquel il serait indécent de s’opposer. Il faudrait plutôt admettre que sur les questions existentielles, c’est moins la logique des droits qui doit prévaloir que la logique du politique. Personne ne devrait réclamer le monopole de la vertu.
On pourrait élargir le propos: le Québec a souvent l’habitude de se dérober aux débats nécessaires, comme s’il avait le besoin intime de se vautrer dans l’unanimité. Ce qui fait débat ailleurs est ici à peine débattu. On découvrira peut-être un jour qu’une bonne dispute intelligemment menée vaut mieux qu’un silence étouffant. La maturité politique, dans une société, ne consiste pas à abolir la diversité des opinions, mais à reconnaitre la légitimité de désaccords civilisés.
Voir aussi
Le cours ECR, école de l'unanimisme politiquement correct
L'Affaire Michaud, vote unanime sans débat et sans entendre la personne impliquée, puis des années plus tard des excuses
Suicide assisté : décision disproportionnée de la Cour suprême dans ses effets prévisibles et potentiels ?
« Je lis quatre journaux [québécois] chaque matin, la pluralité d'opinion elle existe »
Voir la fabrication du consensus qui a mené à la réforme pédagogique et à celle des structures scolaires
Euthanasie au Québec — Quid de l'autonomie des médecins ? Consensus fondé sur la confusion des termes.
ECR — « Vous avez dit consensus, M. Charest ? »
Contre la réforme pédagogique
Votes et motions unanimes, une spécialité québécoise ?
La nouvelle n’est pas passée sous silence, mais rares sont ceux qui en ont pris la pleine mesure. Dans les premiers jours de septembre, les 29 maisons de soins palliatifs ont annoncé qu’elles feraient dissidence contre la loi assurant l’aide médicale à mourir. Leur argument est simple: elles sont là pour accompagner le patient dans ses derniers jours, pour les humaniser, pas pour se consacrer à l’euthanasie. Ils entendent, à leur manière, et dans la mesure du possible, se soustraire à cette obligation et envoyer vers les hôpitaux ceux qui réclament le suicide assisté.
Gaétan Barrette (ci-contre), l’actuel ministre de la santé, et Véronique Hivon, l’inspiratrice de la loi, désormais dans l’opposition officielle, n’ont pas caché leur colère, ou du moins, leur stupéfaction. On peut résumer ainsi leur réaction: comment les maisons de soins palliatifs osent-elle se dérober au consensus québécois, élaboré au fil des ans, et consacré par la loi? On sentait bien que pour eux, la résistance des maisons de soins palliatifs était inimaginable, inconcevable et surtout, inadmissible.
La réaction des deux leaders politiques avait quelque chose d’absurde: ne se rendaient-ils pas compte que le consensus auquel ils faisaient référence se révélait finalement ... moins consensuelle qu’on ne le disait? Accuser tout un pan de la société de trahir le consensus collectif, n’est-ce pas reconnaître, finalement, qu’il n’existe pas vraiment? À bien des égards, c’est la belle histoire d’une loi adoptée dans l’harmonie généralisée qui éclate devant nous. Que s’est-il vraiment passé?
On nous a vanté un processus législatif exemplaire, conforme aux exigences les plus élevées de la démocratie. Le débat public aurait été exemplaire. Apparemment, tous reconnaissaient la nécessaire reconnaissance d’un droit de mourir dans la dignité – expression politiquement correcte traduisant le droit au suicide médicalement assisté. Apparemment, tous convenaient qu’il fallait désormais considérer comme allant de soi qu’un médecin puisse donner la mort et qu’il s’agissait d’un acte médical.
Dans ce débat, il n’y avait finalement que deux camps autorisés. D’un côté, on avait les partisans enthousiastes du droit de mourir dans la dignité. Et de l’autre, on avait ceux qui confessaient quelques réserves discrètes et gênées sans pour autant remettre en question les fondements de ce projet. Ils n’étaient pas contre. Ils étaient réservés, ou ne se sentaient pas prêts. En un mot, ils n’avaient pas une différence d’objectif, mais de rythme. Le pacte était le suivant: on respecterait les gens du deuxième camp à condition qu’ils acceptent à l’avance d’avoir perdu.
Oh, bien évidemment, on savait qu’il y avait quelques opposants résolus. Mais on les a vite déclarés marginaux et caricaturés en catholiques bornés, suppôts de l’Opus Dei. Il fallait bien les endurer parler et exprimer leur point de vue, mais fondamentalement, ils n’étaient pas les bienvenus dans le débat. On aura bien compris tout cela en commission parlementaire: c’était un grand théâtre où on faisait semblant d’écouter. Mais la décision était déjà prise et on ne permettrait à personne d’empêcher ce grand progrès de s’inscrire dans la loi.
En un mot, on a étouffé le malaise d’un grand nombre et transformé l’opposition avouée au suicide assisté en signe de fermeture d’esprit. Mais aujourd’hui, c’est la réalité qui reprend ses droits. Les désaccords censurés remontent à la surface. Et on se questionne sur l’objection de conscience ou la désobéissance civile. On découvre que le consensus était artificiel et imposé de manière autoritaire. Cela ne veut pas dire que la loi n’est pas légitime. Mais qu’on ne fasse pas semblant que la société communie dans une seule vision.
Réaction d'une artiste subventionnée québécoise devant une pensée non consensuelle (dans son cercle) |
Il y a avait quand même une certaine audace à inscrire le droit au suicide assisté parmi les droits de la personne. Mais la rhétorique des droits, dans la société occidentale contemporaine, semble plus forte que tout. C’est en se maquillant en droit qu’une revendication politique se donne un parfum d’absolu moral auquel il serait indécent de s’opposer. Il faudrait plutôt admettre que sur les questions existentielles, c’est moins la logique des droits qui doit prévaloir que la logique du politique. Personne ne devrait réclamer le monopole de la vertu.
On pourrait élargir le propos: le Québec a souvent l’habitude de se dérober aux débats nécessaires, comme s’il avait le besoin intime de se vautrer dans l’unanimité. Ce qui fait débat ailleurs est ici à peine débattu. On découvrira peut-être un jour qu’une bonne dispute intelligemment menée vaut mieux qu’un silence étouffant. La maturité politique, dans une société, ne consiste pas à abolir la diversité des opinions, mais à reconnaitre la légitimité de désaccords civilisés.
Voir aussi
Le cours ECR, école de l'unanimisme politiquement correct
L'Affaire Michaud, vote unanime sans débat et sans entendre la personne impliquée, puis des années plus tard des excuses
Suicide assisté : décision disproportionnée de la Cour suprême dans ses effets prévisibles et potentiels ?
« Je lis quatre journaux [québécois] chaque matin, la pluralité d'opinion elle existe »
Voir la fabrication du consensus qui a mené à la réforme pédagogique et à celle des structures scolaires
Euthanasie au Québec — Quid de l'autonomie des médecins ? Consensus fondé sur la confusion des termes.
ECR — « Vous avez dit consensus, M. Charest ? »
Contre la réforme pédagogique
Votes et motions unanimes, une spécialité québécoise ?
1 commentaire:
Tout au long du débat qui a mené à l’adoption du projet de loi 52, Loi concernant les soins de fin de vie, Vivre Dans la Dignité et le Collectif de médecins contre l’euthanasie ont toujours agi avec grand respect pour la vérité et la dignité. C’est pourquoi, les deux organismes qui représentent ensemble plus de 700 médecins et 12,000 citoyens se sentent aujourd’hui le devoir de dénoncer certaines faussetés véhiculées dans les derniers jours.
Les maisons de soins palliatifs
Le Dr. Barrette et Madame Hivon se sont étonnés du refus des maisons de soins palliatifs d’offrir l’aide médicale à mourir et d’aucuns, comme Me Jean-Pierre Ménard, un des architectes de la Loi 52, vont même jusqu’à les menacer de coupures de subventions.
Tout au long du processus qui a mené à l’adoption de la Loi 52, les maisons de soins palliatifs ont répété qu’elles n’offriraient pas l’aide médicale à mourir et ce droit de refus a été enchâssé dans la Loi 52. L’exercice de ce droit ne saurait faire l’objet d’étonnement et encore moins de représailles.
Les médecins
L’annonce par certains médecins experts en soins palliatifs qu’ils ne poseront pas le geste d’aider leur patient à mourir a aussi suscité maintes réactions, accusations et menaces à leur égard. Nous désirons rappeler aux autorités, à la population et aux médecins eux-mêmes que tous les médecins, palliativistes ou autres, ont le droit strict de refuser de pratiquer l’aide médicale à mourir et que, contrairement à ce qui a été affirmé maintes fois, les médecins objecteurs de conscience n’ont aucune obligation en cas de refus de trouver un autre médecin qui acceptera de poser ce geste. Même la Cour suprême du Canada dans la décision Carter a reconnu ce droit des médecins de ne pas être forcés à pratiquer l’aide médicale à mourir à l’encontre de leurs convictions personnelles.
Nous saluons d’ailleurs le courage de tous les médecins qui ont déjà annoncé publiquement leur refus de pratiquer ce geste qui ne constitue pas un soin et encore moins un soin de santé. Nous invitons tous les médecins qui partagent ce point de vue à ne pas se sentir isolés ou menacés, mais, au contraire, à faire connaître leur position publiquement et à se joindre au réseau Vivre dans la dignité.
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