dimanche 15 février 2015

Québec — L’immigration, ou plus précisément la « diversité », sera vue comme une fin en soi

L’immigration au Québec : entrevue avec le démographe Guillaume Marois  :

— Vous étiez récemment de passage en commission parlementaire pour donner votre avis de démographe sur la nouvelle politique d’immigration et de valorisation de la diversité proposée par le gouvernement Couillard. Une première question d’ensemble : que retenez-vous de cette commission parlementaire ?

Guillaume Marois — Auparavant, le gouvernement voyait l’immigration comme un outil pour atteindre certains objectifs d’ordre économique et démographique. L’on voyait dans l’immigration un moyen de redresser la démographie et les finances publiques, de combler des pénuries de main-d’œuvre et de pérenniser le français. Si l’on se fie au document de consultation[1] préparé par la ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion pour guider les discussions sur la nouvelle politique d’immigration, le paradigme va changer. L’immigration, ou plus précisément la « diversité », sera vue comme une fin en soi. L’on multiplie les formules creuses et vides de sens associant nécessairement la diversité à des choses positives, par exemple que « [l]a richesse de la diversité québécoise et l’apport des personnes immigrantes contribuent à favoriser le dynamisme et la prospérité du Québec ainsi que la vitalité de son territoire ». C’est le nouveau mantra : la diversité est une richesse. Et si les effets positifs de cette diversité ne se font pas sentir, c’est que la population n’est pas assez ouverte pour l’accueillir. Pour cette raison, les lignes directrices des orientations à prendre visent maintenant à convaincre la population des bienfaits de la diversité, à favoriser l’ouverture et à faire reconnaitre les apports multiples de la pluralité. En bref, ce qui ressort jusqu’à maintenant des orientations de la nouvelle politique d’immigration ressemble plus à la consolidation et l’acceptation des dogmes du multiculturalisme canadien, avec quelques nuances, qu’à une véritable politique publique basée sur des évidences empiriques.

La ministre, les intervenants de la gauche multiculturaliste et les lobbys patronaux sont les principaux acteurs soutenant cette orientation. Il aurait été intéressant que ceux-ci cherchent à expliquer les fondements de leur démarche, mais jusqu’à présent, l’on ne peut que constater la pauvreté de la recherche pour appuyer cette idée. En premier lieu, il est difficile d’approuver ou d’infirmer empiriquement que « la diversité est une richesse » étant donné l’imprécision des concepts utilisés.

La diversité peut référer à différents attributs qui n’ont pas tous le même effet : l’origine, la langue, l’éducation, la culture, la religion, la classe sociale, etc. La richesse se mesure souvent en termes économiques, mais peut également se rapporter à d’autres aspects sociétaux (qu’on pense aux arts). Ensuite, le ministère et les divers intervenants qui soutiennent cette idée ne semblent pas particulièrement préoccupés par le besoin de se fixer des objectifs précis et des indicateurs pour faire le suivi de la politique, ce qui nécessiterait d’abord de préciser de quoi l’on parle exactement. Actuellement, il y a une importante lacune à cet effet, mais c’est peut-être voulu ainsi, car il sera alors pratiquement impossible de mesurer objectivement si la politique est une réussite ou un échec.

— Pouvez-vous développer sur cette idée que la diversité est une richesse ? Qu’en dit la recherche universitaire ? 

— La littérature académique ne permet pas de trancher de manière définitive sur l’effet de la diversité sur la richesse et la prospérité. Les effets sont variables d’un contexte à l’autre, mais sont généralement très faibles. Plusieurs études ont par ailleurs mis de l’avant que la question du nombre importe moins que la question de la composition[2]. Ainsi, il ne s’agit pas d’accroître la diversité en général pour en accroître ses effets positifs, mais plutôt de cibler certains de ses aspects précis. En fait, le contexte et les concepts que l’on utilise sont déterminants des conclusions qu’on en tire. Par exemple, une étude de Nathan et Lee[3] montre qu’une augmentation de la diversité ethnique chez les gestionnaires en Grande-Bretagne favorise l’innovation et ouvre de nouveaux marchés, mais cette simple étude n’est évidemment pas généralisable à tous les contextes et toutes les situations. Par exemple, Pitts et Jarry[4] montrent qu’il n’y a pas de gain de performance lorsqu’il y a une plus grande diversité ethnique chez les gestionnaires des écoles publiques du Texas, car l’effet positif qui peut découler de l’apport de nouvelles approches pour résoudre des problèmes est annulé entre autres par des problèmes de communication. L’étude de Stuen et coll. [5], qui porte sur la production des connaissances dans un contexte universitaire, va dans un sens similaire : les avantages apportés par une plus grande diversité d’idées sont réduits par les problèmes supplémentaires de communication et de coordination.

Que les résultats soient positifs ou négatifs, je tiens à souligner qu’il ne faut surtout pas prendre des études portant sur des contextes spécifiques et des concepts précis pour les transposer à grande échelle, par exemple, comme le fait la ministre de l’Immigration pour orienter la nouvelle politique d’immigration. La population étudiée dans ces recherches n’est absolument représentative de l’ensemble des immigrants et de la diversité et les contextes ne sont pas toujours comparables. Pour reprendre les études portant sur les gestionnaires, la réalité est que très peu d’immigrants occupent ce genre de postes et que nécessairement, ceux concernés ont aussi souvent d’autres caractéristiques spécifiques, telles qu’un diplôme reconnu. De la même manière, l’on ne peut transposer au Québec les conclusions montrant un effet négatif de la fragmentation ethnique sur la croissance économique, si ces recherches ont ciblé des pays où la diversité ethnique est issue de facteurs géographiques et historiques (par exemple, les Balkans ou certains pays d’Afrique) plutôt que d’une immigration sélectionnée.

Concernant le cas spécifique de la diversité au Québec, aucune étude ne s’est penchée sur le sujet. Il est néanmoins peu probable qu’une augmentation de la diversité, mesurée sous l’angle ethnique, ait un impact important sur la prospérité. Cela signifierait qu’il y aurait proportionnellement trop de « Québécois de souche » au Québec et que cette homogénéité nuirait à sa prospérité. Cette idée est d’autant plus douteuse que les taux d’immigration au Québec sont parmi les plus élevés au monde et que les francophones de langue maternelle représentent déjà moins de la moitié de la population de l’île de Montréal. Concernant l’effet de l’immigration dans les pays développés plus spécifiquement, le consensus scientifique est que son impact sur les indicateurs de prospérités tels que le PIB par habitant ou le revenu est toujours très faible, parfois positif, parfois négatif[6][7].

Les adhérents au multiculturalisme tendent souvent à voir la diversité comme une fin en soi. Cette idée se défend évidemment, mais d’un point de vue arithmétique et démographique, si l’on porte le prisme d’analyse à une échelle plus élevée que la province, par exemple, l’Amérique du Nord ou même le monde, c’est plutôt en favorisant la convergence culturelle dans les régions en déclin que l’on favorise la diversité. En effet, il faut rappeler que les tendances démographiques naturelles de faible fécondité défavorisent les nations occidentales et plus particulièrement le Québec dans le contexte nord-américain, alors que la plupart des régions d’origine des immigrants sont encore en pleine expansion. Selon cet angle, les gouvernements occidentaux appliquant un multiculturalisme favorisant la préservation des différentes cultures étrangères en son territoire tendent à réduire la diversité dans le monde, alors qu’une politique de convergence culturelle la favoriserait.

— C’est une thèse qui revient en boucle : l’immigration contribuerait au rajeunissement de la population, payerait les retraites et nous rendrait plus riches. C’est du moins la thèse défendue en général par les milieux patronaux qui souhaitent augmenter toujours plus les seuils d’immigration. Est-ce bien vrai ? Que dit la recherche scientifique à ce sujet ? Par ailleurs, quel est l’impact de l’immigration sur la situation du français ?

— Le vieillissement de la population a été une préoccupation de premier ordre lors de la planification des niveaux d’immigration des dernières années. Plus généralement, cet enjeu démographique est au cœur de la dernière politique d’immigration. L’idée générale est que dans un contexte de faible fécondité, les immigrants viennent compenser les naissances manquantes pour contrer le vieillissement. Or, toutes les études qui ont cherché à mesurer explicitement l’impact de l’immigration sur la structure par âge aboutissent à une même conclusion : l’impact est certes positif, mais d’une ampleur si faible qu’il n’en vaut pas la chandelle[8][9][10]. Pour le Québec, de manière strictement arithmétique et selon les paramètres actuels, la différence entre recevoir 55 000 immigrants au lieu de 35 000 immigrants par année sur une période de 20 ans (soit une différence de 400 000 nouveaux arrivants) ne permet de retarder le vieillissement que d’environ 2 ans. Ce faible effet s’explique par le fait que l’impact de l’immigration sur la structure par âge n’est pas cumulatif, car, on l’oublie souvent, les immigrants vieillissent eux aussi et ont des comportements en matière de fécondité similaires à ceux des natifs. Dans un tel contexte, chercher à contrer le vieillissement par l’immigration, comme le souligne le démographe français Henri Leridon[11], c’est « chercher à remplir un tonneau des Danaïdes ».

Les préoccupations liées au vieillissement démographique ne sont toutefois pas directement liées à la structure par âge, mais plutôt à l’effet de cette modification de la structure par âge sur les finances publiques et sur l’économie, car une part plus importante de personnes âgées peut signifier plus de dépenses sociales, notamment pour les soins de santé et les retraites, et moins de travailleurs en mesure de payer. Ainsi, pour que l’impact faible, mais positif, de l’immigration sur la structure par âge se transpose en effet bénéfique sur les conséquences du vieillissement de la population, une très bonne intégration socioprofessionnelle des immigrants est une condition sine qua non [12]. En effet, l’impact de l’immigration sur les conséquences du vieillissement ne doit pas uniquement se mesurer relativement à la population en âge de travailler, mais également à celle réellement en emploi et plus spécifiquement, à la balance des revenus et de dépenses. Or, la situation actuelle montre que des améliorations importantes sont nécessaires à cet égard. Non seulement les immigrants présentent-ils des taux d’emploi faibles, mais un retard important s’observe également au niveau de leur revenu[13]. La situation, qui est généralisée à différents degrés aux pays occidentaux, s’est par ailleurs nettement détériorée au fil des dernières décennies[14]. Devant ces résultats, il est possible que l’effet légèrement positif de l’immigration sur la population en âge de travailler soit complètement annulé, voire qu’il devienne légèrement négatif, si l’on considère son effet général sur les finances publiques. Un nombre réduit d’immigrants, mais en meilleure situation socioprofessionnelle, pourrait avoir un effet plus favorable sur les conséquences du vieillissement qu’un nombre élevé, mais en moins bonne situation. Quoi qu’il en soit, il importe de rappeler que positif ou négatif, l’effet du nombre d’immigrants sur le vieillissement et les finances publiques demeure si faible qu’il n’est pas utile de le considérer dans l’élaboration des politiques d’immigration[15].

Concernant la situation du français au Québec, l’immigration a un effet arithmétiquement négatif. Bien que les immigrants soient beaucoup plus nombreux qu’avant à s’intégrer en français, essentiellement à cause de la sélection de francotropes et des effets de la loi 101, les tendances sont encore défavorables à la langue officielle du Québec. Le français demeure en effet encore sous-utilisé parmi la population immigrante et leurs descendants. Les tendances actuelles montrent que, peu importe l’indicateur utilisé, que ce soit la langue parlée à la maison, au travail ou dans l’espace public, l’immigration fait diminuer le poids du français, augmenter ou maintenir le poids de l’anglais et augmenter le poids des autres langues[16][17]. Ainsi, compte tenu de ces chiffres, sans une nette amélioration des tendances en faveur du français, l’immigration mènera de manière incontournable à un affaiblissement de la place du français au Québec. Si la connaissance du français est un déterminant essentiel de son utilisation, ce n’est pas le seul et surtout, elle n’est pas une police d’assurance à cette fin. En somme, les cours de francisation, la sélection basée sur la connaissance du français et l’instruction obligatoire en français au primaire et au secondaire sont des mesures certes favorables, mais insuffisantes pour éviter le déclin du français.

En somme, ce n’est pas une dynamique très surprenante étant donné le contexte géopolitique du Québec. Bien que les tendances puissent sans doute encore s’améliorer, il serait néanmoins peu probable qu’elles s’inversent au point de favoriser le français. Il est important d’être bien au fait de cet impact de l’immigration, car l’on soutient souvent que l’immigration est essentielle pour assurer la pérennité du français, alors que son effet est contraire ! Par ailleurs, l’une des principales raisons de la création du ministère de l’Immigration du Québec et du rapatriement des pouvoirs en la matière était de s’assurer que les immigrants s’intègrent à la communauté francophone et fonctionnent en français. Cette préoccupation est d’autant plus importante de nos jours que dans un contexte de faible fécondité, le nombre d’immigrants reçus et leurs comportements linguistiques auront de plus en plus d’effet sur l’avenir du français au Québec.

Certains intervenants, souvent issus des milieux patronaux, suggèrent d’accorder moins d’importance à la connaissance du français lors de la sélection des immigrants, car, soutiennent-ils, cela se ferait au détriment des critères socioéconomiques d’employabilité. Cette suggestion ne tient pas la route, car elle va en fait à l’encontre de ses prétentions d’intégration professionnelle. La connaissance du français est en soi un critère déterminant de la réussite de l’intégration socioprofessionnelle, tout comme l’est celle de l’anglais. À profil équivalent, les immigrants qui connaissent à la fois le français et l’anglais ont plus de chance d’obtenir un emploi que ceux connaissant uniquement l’anglais et ont un revenu supérieur[18]. La connaissance du français comme critère de sélection n’entre donc pas en conflit avec les préoccupations d’intégration économique, au contraire. S’il est vrai que la méconnaissance de l’anglais nuit également à l’intégration professionnelle, le fait d’accorder moins de points au français n’améliorerait en rien la situation. En fait, pour suivre les objectifs de ce discours, il faudrait hausser le seuil de passage de la grille de sélection de manière à exclure ceux qui ne sont pas bilingues. Il ne resterait alors plus beaucoup de candidats pour se qualifier. Mais puisqu’une langue, ça s’apprend, pourrait-on alors diminuer l’importance des critères linguistiques pour mettre plus de poids aux autres critères d’employabilité ? Peut-être, mais il faudrait alors consentir à réinvestir massivement en formation linguistique. Je ne suis pas certain que cette idée soit populaire au gouvernement en ces temps de restrictions budgétaires.

— Il y a, me semble-t-il, une contradiction dans les termes dans les débats entourant l’immigration. On nous dit : l’immigration est une richesse, et au même moment, on nous explique que plusieurs communautés immigrées ne réussissent pas leur intégration économique, ce qui veut dire, on s’en doute bien, qu’elles contribuent moins qu’elles ne le pourraient à la richesse nationale. Puis on résout le problème en expliquant qu’elles sont victimes de discrimination et d’exclusion de la part de la société d’accueil. Que pensez-vous de cette vision des choses ?

— D’un côté, le gouvernement maintient de hauts niveaux d’immigration pour satisfaire aux demandes des milieux patronaux qui soutiennent avoir besoin de cette main-d’œuvre. De l’autre, les entreprises sont réticentes à l’embauche des personnes issues de l’immigration. Il est alors légitime de se poser des questions sur les réelles motivations des lobbys patronaux à faire constamment pression pour toujours hausser les niveaux d’immigration.

Des études, tant dans le reste du Canada qu’au Québec, ont fait état de discrimination systématique envers les personnes ayant des noms d’origine étrangère en faisant des tests de CV aux qualifications identiques[19][20]. La frilosité de certains ordres professionnels envers les diplômes étrangers peut également avoir nuire à certains immigrants (bien que la proportion ayant une formation nécessitant l’adhésion à un ordre soit faible). Néanmoins, la discrimination et le protectionnisme n’expliquent pas tous les problèmes rencontrés à l’insertion professionnelle. De nombreuses autres difficultés sont présentes et plusieurs d’entre elles sont systémiques et peuvent ainsi difficilement se résoudre sans réaménagement en profondeur de la société. En somme, le pouvoir d’action des intervenants du Québec demeure limité sur ce genre de difficultés. Entre autres, pensons aux compétences linguistiques, pour lesquelles un haut niveau est souvent indispensable pour occuper un poste qualifié. Pour beaucoup d’immigrants, le français n’est pas la langue maternelle, ce qui les désavantage à ce niveau. Pensons également à la qualité des systèmes d’éducation, qui est très variable d’un pays à l’autre et qui défavorise généralement les personnes issues des pays les plus pauvres. Si l’on admet qu’une coupure de quelques pourcentages des budgets reliés à l’éducation au Québec a un effet sur la qualité des services rendus, imaginez un système où les budgets par habitant ne représentent même pas le cinquième de ce que l’on a ici. Ensuite, nous pouvons également penser à la non-transférabilité internationale du capital humain. Pour prendre un exemple parlant : un avocat formé en Arabie séoudite, aussi compétent soit-il dans son pays d’origine, ne pourrait pas exercer au Québec, le système judiciaire étant trop différent. De la même manière, même si le corps humain est le même partout, les maladies ne sont pas les mêmes et les moyens de bord non plus, de sorte qu’un excellent médecin formé en Afrique pour soigner la malnutrition avec peu de matériels et médicaments aura nécessairement besoin d’une importante mise à niveau avant de pouvoir traiter les problèmes des patients au Québec. Pour les immigrants venant d’arriver, la méconnaissance des institutions et des codes culturels, de même que le fait d’avoir un réseau professionnel beaucoup moins développé constituent d’autres difficultés systémiques.

Finalement, il est également important de souligner qu’il est possible que l’augmentation des niveaux d’immigration explique en partie la détérioration de l’intégration économique des immigrants. Une récente étude effectuée par Statistique Canada[21] sur les immigrants arrivés entre 1982 et 2010 montre en effet que toute chose étant égale par ailleurs, une augmentation de la taille d’une cohorte entraine une diminution des revenus moyens de celles-ci, la raison probable étant une plus forte concurrence sur le marché du travail pour des profils similaires. Cela dit, il faut également rappeler que ces problèmes d’intégration économique ne pèsent probablement pas beaucoup sur la balance des finances publiques et sur la prospérité en général. La principale préoccupation à ce niveau doit plutôt se situer à l’échelle humaine, c’est-à-dire par rapport au bien-être de la population concernée par ces problèmes.

— Vous souhaitez une régionalisation de l’immigration. L’objectif est louable, mais comment le concrétiser ? Dans une société libérale, une fois les gens installés ici, une fois devenus citoyens, ils ont tous les mêmes droits et on imagine mal un gouvernement les assigner à résidence pour quelques années, pour repeupler des régions que les Québécois sont souvent les premiers à fuir. Comment réussir la régionalisation de l’immigration ?

— Des études ont montré l’effet bénéfique pour les immigrants de vivre hors région métropolitaine[22], ceux-ci ayant une meilleure situation professionnelle, sans compter que leur milieu de vie favorise les contacts avec les natifs. Cela dit, si je suis effectivement favorable à encourager la régionalisation de l’immigration, je demeure réaliste quant à notre pouvoir pour changer les choses de manière significative. La réalité est que l’immigration internationale est avant tout un phénomène intermétropolitain. Inévitablement, ce sont les grands centres qui accueilleront la majeure partie des immigrants, Montréal dans le cas de l’immigration au Québec, car c’est là que se situent les principaux points d’entrées, qu’il y a le plus d’occasions et c’est également là que se trouve un réseau déjà établi de la communauté d’origine, sans compter que les structures favorisant l’accueil sont également plus présentes (pensons entre autres au transport en commun). La région métropolitaine de Montréal reçoit ainsi plus de 80 % des 50 000 immigrants accueillis annuellement au Québec, alors qu’elle compte pour environ la moitié de la population. Les autres s’installent pour l’essentiel à Québec (6 %), Gatineau (3 %) et Sherbrooke (3 %). L’immigration internationale est ainsi un phénomène à peu près étranger aux autres régions du Québec. Par exemple, l’Abitibi-Témiscamingue et le Bas-Saint-Laurent n’accueillent que quelques dizaines d’immigrants par année, en incluant les adoptions internationales. Néanmoins, s’il est peu probable qu’une proportion importante d’immigrants s’installe dans les villages, les régions métropolitaines plus petites (Québec, Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières, Saguenay) et d’autres villes de taille moyenne pourraient certainement améliorer leur bilan, notamment celles où l’on retrouve un pôle universitaire.

S’il est inconcevable de forcer les immigrants à s’installer dans une région prédéterminée et à y rester, certains programmes pourraient néanmoins favoriser la régionalisation. Par exemple, l’on pourrait ouvrir un certain nombre de places à un tarif préférentiel (c’est-à-dire le même qu’aux Québécois) à des candidats étrangers dans des programmes universitaires ou collégiaux ciblés en partenariat avec les acteurs économiques locaux, plutôt que de charger le tarif international. Ces candidats seraient recrutés en fonction de leur performance scolaire, de leur âge et de leur connaissance linguistique. Le ministère de l’Immigration leur accorderait la résidence permanente de manière conditionnelle à l’obtention du diplôme. Les candidats ayant ensuite des diplômes québécois reconnus et recherchés sur le marché du travail au terme de leurs études auront beaucoup moins de barrières à l’obtention de bons emplois. Le fait d’étudier et de vivre durant un certain nombre d’années dans les régions faciliterait par ailleurs la rétention.

— La question des seuils est fondamentale, même si vous la prenez de biais. Le Québec a-t-il les moyens d’accueillir plus de 50 000 immigrants par année ? On vient tout juste de l’évoquer, d’ailleurs, ces immigrants ont moins à s’intégrer à 8 millions de Québécois, mais plutôt à une population métropolitaine d’environ 3 000 000 de personnes où les Québécois francophones sont en voie de minorisation accélérée. Le peuple québécois pourra-t-il encore longtemps supporter des seuils d’immigration aussi élevés ? 

— Il est difficile de répondre à la question des seuils et plus généralement de la capacité d’accueil, dans la mesure où ces enjeux sont intimement liés à nos attentes, notamment en ce qui concerne l’intégration économique, la francisation et la régionalisation. Si la plupart des intervenants s’accordent généralement sur l’importance de ces trois points, ceux-ci sont néanmoins souvent relégués au second plan. Le principal défaut de la manière de procéder habituelle de la politique d’immigration actuelle est que les objectifs sont quantitatifs avant d’être qualitatifs. Avant d’assurer une bonne intégration professionnelle, une francisation adéquate et une régionalisation de l’immigration, le ministère cherche à atteindre les seuils d’immigration qu’il s’est fixés. Or, devant l’absence d’impact important du nombre d’immigrants reçus sur le vieillissement de la population, les finances publiques, la prospérité et le marché de l’emploi, cette approche doit être revue.

À mon avis, il serait préférable de considérer les seuils non pas comme un objectif, mais comme une conséquence de nos attentes en matière d’intégration économique, de francisation et de régionalisation. Le principal objectif des planifications du ministère de l’Immigration serait alors de déterminer les conditions minimales que l’on juge acceptables sur chacun des trois points ci-dessus (par exemple, un taux de chômage maximum jugé acceptable, une proportion minimum d’intégration en français et une proportion minimum s’installant en régions) et d’ajuster la grille de sélection en conséquence, en prenant en considération les moyens financiers pouvant aider l’atteinte de ces objectifs (formation linguistique, stages subventionnés en entreprise, etc.). Le nombre d’immigrants reçus serait alors la conséquence de ces objectifs d’intégration et non un objectif en soi.

Selon cette approche, si l’on dispose des moyens pour assurer une bonne intégration professionnelle des immigrants, en français et suffisamment en région, alors il n’y a pas de raisons de limiter les seuils à 50 000. Au contraire, si dans un contexte de restriction budgétaire, on coupe dans les services de francisation et si en plus, le nombre de candidats très qualifiés désirant immigrer au Québec n’est pas suffisant pour permettre une sélection évitant de trop grandes difficultés d’intégration professionnelle, alors il est inutile de chercher à atteindre quand même des seuils élevés. Pour information, pour atteindre les seuils qu’il s’est fixés, le Québec doit actuellement avoir une grille de sélection beaucoup moins sévère que celle du gouvernement fédéral qui s’applique aux immigrants en destination du reste du Canada.

Par rapport à la taille de la population, le Québec se situe parmi les régions les plus accueillantes du globe. À 50 000 immigrants par année, le taux annuel d’immigration au Québec est d’environs 6/1000. C’est moins que la Norvège (13/1000), la Belgique (10/1000) et que la moyenne canadienne (7/1000), comparable au Danemark (6/1000), mais plus élevé que la France (2/1000), la Finlande (4/1000) et les États-Unis (3/1000). La comparaison avec l’Europe est difficile, dans la mesure où les définitions ne sont pas les mêmes (par exemple, le statut de « résident permanent » n’existe pas dans plusieurs pays d’Europe et l’on inclut aussi souvent dans les entrées les résidents temporaires, contrairement au Canada). De plus, pour les pays faisant partie de l’espace Schengen, la migration entre les pays membres est conceptuellement plus proche d’une migration interprovinciale au Canada que d’une véritable migration internationale. Les taux comparés ne réfèrent ainsi pas à la même chose. Si on limite la comparaison aux 13 provinces et territoires canadiens et 50 états américains, le Québec se positionne au 9e rang, ce qui le place à un niveau comparable aux états de New York et de la Floride.

Source et notes

Voir aussi

Un Québec de plus en plus divers, est-ce vraiment une bonne chose ?


Début d'un petit débat sur l'immigration au Québec ?


L'immigration, le remède imaginaire (Benoît Dubreuil et Guillaume Marois)

Institut Fraser : L’immigration massive nuit au bien-être des Canadiens en général ; les politiques d’immigration doivent être revues (étude de 264 pages)

Bock-Côté : Immigration, un tabou explose

L'immigration, les yeux grands fermés

Québec — anglais intensif pour tous les francophones, pas de français intensif pour les immigrés ?

Immigration au Québec comparée au reste de l'Amérique du Nord

Formation à l'« éducation inclusive » à Montréal, ses tics, ses trucs, ses gadgets

Rémi Brague : « Dans les gènes de l'islam, l'intolérance »

Les dessous de la réussite finlandaise

Grande-Bretagne — les enfants d'ouvriers blancs se sentent marginalisés par l'école multiculturelle