samedi 10 janvier 2009

ECR : analyse d'un programme multiculturaliste et pluraliste normatif

Quelques extraits d'une analyse du programme d'éthique et culture religieuse par Charles-Philippe Courtois, docteur en histoire (UQAM) et en sciences politiques (Paris), parue dans l'ouvrage collectif Contre la réforme pédagogique, VLB éditeur. M. Courtois adopte une critique nationaliste et laïque (républicaine ou fermée qui cherche à rejeter la transmission de la religion hors de l'école). Nous ne souscrivons pas à toutes ses analyses, mais nous pensons qu'elles valent la peine d'être diffusées. Les intertitres sont de nous.

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Programme évalué par la capacité à « s'ouvrir à l'autre »

Car c'est bien là que le bât blesse. la « culture religieuse » proposée ne s'enseignera pas dans un cursus où l'élève sera évalué sur la base de ses connaissances. Non, on ne mesurera pas, dans l'évaluation de ce cours, s'il peut expliquer sommairement les principales caractéristiques de chacune des grandes religions et leur histoire. Il sera évalué en fonction de ses « compétences ». En l'occurrence, le cours combinant « éthique » et « culture religieuse », le volet de culture religieuse sera évalué en fonction d'une seule compétence :« pratiquer le dialogue ». Et ce, tout au long du cursus, durant onze années ! Au fond, on se fiche bien de savoir si l'élève a appris l'histoire de Mahomet ou de Bouddha. Ce qu'on cherche, c'est d'évaluer sa capacité d'« ouverture à l'autre », d'acceptation de la diversité religieuse, car c'est bien cela que mesure la compétence « pratiquer le dialogue ».

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Au surplus, le fait de combiner la culture religieuse à l'enseignement moral entraîne un effet d'amalgame : la morale et la religion sont liées [c'est un laïque qui écrit], et la morale et ce que d'aucuns nomment l'« hyper-tolérance » se voient confondues.

L'évaluation par compétence peut donc être particulièrement insidieuse, non seulement parce qu'elle rend secondaire l'accès aux connaissances de base, mais aussi parce qu'elle permet facilement d'accorder la première place au conditionnement idéologique dans le processus d'évaluation. Constatation qui ne manque pas de piquant, lorsqu'on songe que les défenseurs de la nouvelle pédagogie n'en finissent plus de se distancier des modèles classiques de l'école, soit catholique, soit républicain, en critiquant non seulement les idéologies véhiculées par ceux-ci, mais, prétendument, le fait même de favoriser soit le catholicisme, soit le patriotisme.

Le bourrage de crâne sera particulièrement intensif

Comme ce cours sera obligatoire de la première année du primaire à la dernière année du secondaire, le bourrage de crâne sera particulièrement intensif.

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George Leroux détournerait la laïcité au profit du pluralisme

Ainsi, Leroux avance que la laïcité au Québec peut (lire: doit) s'ouvrir à ;la diversité selon des « modalités inédites de respect du pluralisme », telles qu'elles n'existent nulle part ailleurs (p. 11. [du livre de George Leroux, véritable apologie du cours d'ECR : Éthique, culture religieuse, dialogue, Fides, 2007])

Déjà, on saisit bien que la laïcité [républicaine à la française] telle qu'on la connaît n'est donc pas au programme. Une nouvelle définition de l'égalité, poursuit-il, s'est affirmée depuis les années 1960. De fait, cet énoncé semble suffire, dans le petit essai de Leroux, à justifier l'implantation du cours d'ECR.

Le respect multiculturel élevé en Bien fondamental démocratique

Leroux va même plus loin dans le passage suivant : « [c]omment cultiver ce respect, qui est la vertu fondamentale de la démocratie, sans soutenir la connaissance de l'autre et sans valoriser la différence ?» (c'est moi qui souligne, p. 12)

Pourquoi la vertu fondamentale de la démocratie, qui est, après tout, en premier lieu un régime où le peuple est souverain, est-elle définie par une interprétation multiculturaliste de l'égalité et des droits de l'homme ? En cela, l'argumentaire n'est pas loin de reposer sur un argument d'autorité : le Bien étant défini, il ne reste plus qu'à le faire appliquer. Les adversaires défendant du coup le Mal, il n'y a pas lieu de prendre en compte leur point de vue ou leurs arguments. En somme, le pluralisme apparaît comme un nouveau commandement, inscrit au premier rang de la nouvelle table des lois que voudraient nous imposer les clercs de la religion politiquement correcte.

Un nouveau premier commandement : la pluralité est une richesse

Les citations suivantes illustrent bien qu'il s'agit en effet d'un commandement : l'élève, explique Leroux, « doit être amené à déduire que la pluralité n'est pas un obstacle à surmonter [d'où la nécessité alors paradoxale d'imposer ce cours], mais une richesse à connaître et à intégrer dans sa vision du monde ». Non seulement il s'agit d'un commandement, mais il prime sur tous les autres, y compris sur les objectifs de la formation scolaire. Car « [c]e cadre [l'école] doit intégrer la connaissance de l'autre dans toutes les composantes de sa culture, et au premier rang de ses valeurs et de ses croyances, qu'elles soient ou non religieuses » (p. 17)

Volonté de contrôle idéologique tendancieux

Georges Leroux ajoute même que « faire passer chaque jeune de la constatation du pluralisme à la valorisation du pluralisme normatif » (pp. 13-14) devient carrément la « mission » de l'école. Affirmation qui exprime assez crûment une volonté de contrôle idéologique tendancieux. La pluralisme devient le principe d'éducation de la jeunesse québécoise (p. 40).

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Étrange définition de l'intégration : intégrer le Québec au multiculturalisme

Voyons en effet comme [George Leroux] définit l'intégration : « Chacun entrera dans l'école comme dans une société où les identités sont à la fois communes et multiples : communes d'abord, dans la mesure où l'école [d'État] assume le mandat collectif de l'éducation publique et a pour mission de transmettre les valeurs fondamentales de la démocratie, mais aussi différentes, puisque chacun appartient à un monde qui varie selon ses origines, ses croyances, sa culture » (p. 15).

En d'autres mots [pour Leroux], l'école québécoise ne doit plus intégrer les enfants à la culture québécoise [...] Elle doit au contraire intégrer le Québec à la diversité culturelle du multiculturalisme ou du pluralisme, selon l'expression préférée...

Conséquences du métissage actuel du Québec imprévisibles, il faut juste s'ouvrir

Car personne ne peut prévoir où mènera le métissage au Québec « sur le plan des croyances, des pratiques, du métissage des identités et des cultures. » (p. 17), mais l'école doit travailler à ce que ce mélange se fasse le plus harmonieusement possible en s'ouvrant aux valeurs et aux croyances de l'autre, ce qui permettra une pleine sécularisation et laïcisation. Aucun autre objectif d'intégration n'est au programme que la fameuse « ouverture à l'autre », véritable lieu commun qu'ânonnent en chœur les nouveaux clercs de l'orthodoxie bien pensante.

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Le pluralisme, le nouvel opium des intellectuels

En ce sens, on peut en effet dire que le pluralisme s'impose désormais sans partage comme le nouvel opium des intellectuels.

Mais pourquoi ? Ici, Leroux présente son « plaidoyer ». Il soutient que deux arguments démontrent la nécessité de ce cours : un argument historique et un argument de philosophie politique. L'argument est alambiqué. Il y a d'abord le processus de laïcisation enclenché depuis la Révolution tranquille. Or celui-ci ne mène pas forcément [si l'Histoire a un sens!] à ce type de pluralisme, mais plutôt à la laïcité. Mais on verra combien Leroux veut se séparer du modèle républicain, caricaturé, démonisé là encore à la manière du rapport Bouchard-Taylor[.]

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Georges Leroux contre la laïcité à la française

En résumé, il y a trois arguments contre le républicain selon Leroux : il intègre à une culture nationale française alors qu'il devrait s'ouvrir à l'Europe et au pluralisme (argument de dissolution de l'identité nationale et des nations); il ne s'est pas bien ouvert à l'islam (argument curieux puisque la laïcité implique un principe de neutralité et d'égalité dont on pourrait, plutôt, exiger une meilleure application); et enfin, la culture classique est élitiste et n'attire pas tellement les jeunes (argument de démagogie culturelle et éducative).

la colère des musulmans français s'expliquerait par le manque de place faite à leurs racines — argument qui est peut-être un peu simpliste.

L'argument de philosophie politique en faveur du cours d'ECR : faible et puéril

Quant à l'argument de philosophie politique, il nous paraît être le plus faible ; car l'ouvrage de Leroux s'abstient, en définitive, d'argumenter véritablement. Il ne prend pas au sérieux les critiques et, par conséquent, ne se donne pas la peine d'exposer dans le détail la raison des choix qu'il défend.

Il s'agirait de « mettre en harmonie l'école avec la modernité politique » (p. 36). En soi, cela ne veut pas dire grand-chose. Qui définit la modernité ? A-t-il été une fois pour toutes déterminé que le multiculturalisme incarnait la modernité, la seule voie qu'un peuple et un État puissent choisir pour être « modernes »? Cet argument est puéril.

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[Insensibilité de George Leroux comme Bouchard-Taylor aux volontés populaires]

Leroux relativise le principe de majorité qu'il dit « nostalgique »

Leroux va très loin. Il relativise le principe de majorité : ce principe est peut-être imaginaire, en tout cas « nostalgique ».

[... Le principe d'égalité], « le seul principe capable de régler notre rapport à la diversité » (p. 37). Encore une fois, relevons-le, la diversité se fonde elle-même dans l'argumentaire. C'est au nom de l'impératif du multiculturalisme que le tout se justifie, mais cet impératif n'est nullement argumenté par l'auteur. C'est pourquoi, au total, cet argumentaire est bien pauvre.

Tendances inquiétantes chez les experts habituels du Monopole de l'Éducation

En revanche, il nous instruit sur des tendances inquiétantes dans une partie de l'intelligentsia, et plus encore sur le fait de leur poids sur le ministère de l'Éducation. Nous parlons de cette ambition de rééducation idéologique, à la rectitude politique, qui vise à normaliser les esprits des citoyens québécois de demain selon les critères du multiculturalisme canadien.

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Faire le lit de la chimère multiculturaliste et de la culture cosmopolite très anglicisée

Le cours d'ECR est vicié parce qu'il n'est pas centré sur l'instruction en matière de grandes religions, ni sur le civisme, buts qui seraient louables, mais sur une volonté crue de rééducation idéologique en faveur du multiculturalisme canadien, rebaptisé « pluralisme ».

Or, aborder le monde avec une perspective québécoise n'empêche en rien de s'ouvrir sur le monde, tandis qu'abolir la perspective québécoise sur le monde n'est qu'un moyen d'affaiblir radicalement l'identité québécoise et de menacer, à terme, la perpétuation de notre identité nationale et le terroir bien réel d'une de ces différences culturelles qu'on prétend chérir.

En somme, on se propose de promouvoir une chimérique diversité multiculturaliste, qui n'est qu'une autre forme d'intégration à une culture cosmopolite et très anglicisée, plutôt que de perpétuer le cadre d'une différence culturelle concrète, celle que définissent un peuple dûment constitué et une « société distincte ».

[...] »