dimanche 21 décembre 2025

Chili : la recomposition de la droite

La nette victoire de José Antonio Kast à l’élection présidentielle chilienne marque un tournant politique à Santiago et s’inscrit dans un mouvement plus large de recomposition des droites en Amérique latine.

Le président chilien élu, José Antonio Kast, et son épouse, Maria Pia Adriasola, devant la cathédrale de Santiago, après avoir assisté à la messe, le 19 décembre 2025.

Costume sombre et cravate rouge, José Antonio Kast a conduit une campagne axée sur les thèmes de la sécurité, de l’immigration et du redressement économique. Son discours a trouvé un écho auprès d’une partie de l’électorat, lassée par quatre années de gouvernement progressiste marquées, selon ses critiques, par des réformes inabouties, des tensions institutionnelles et un ralentissement de l’activité économique. Ces préoccupations ont été accentuées par la hausse de la criminalité : d’après les statistiques officielles, le taux d’homicides est passé de 2,5 à 6 pour 100 000 habitants en une dizaine d’années, tandis que les enlèvements ont atteint 868 cas l’an dernier, soit une augmentation de 76 % par rapport à 2021.

Au cours de ses derniers meetings, le candidat du Parti républicain a fait de la lutte contre le crime organisé et le narcotrafic une priorité, appelant à un « gouvernement d’urgence » et à un contrôle renforcé des frontières afin de lutter contre l’immigration illégale.

Cette lecture est partagée par certains acteurs de la droite chilienne. Johannes Kaiser, fondateur du Parti national libertarien, arrivé quatrième au premier tour, attribue en partie la dégradation de la sécurité à l’arrivée massive de migrants vénézuéliens ces dernières années. Selon lui, si la majorité a fui la crise politique et économique de leur pays, des réseaux criminels transnationaux auraient également profité de cette situation, dans un contexte d’accueil jugé trop permissif par l’ancien gouvernement.

Une réaction au progressisme

Âgé de 59 ans, catholique pratiquant et père de neuf enfants, José Antonio Kast incarne une droite conservatrice sur les plans sociétal et économique. Admirateur déclaré de l’économiste Milton Friedman, il se positionne à l’opposé de Gabriel Boric, président sortant de 39 ans, élu en 2021 dans le sillage des grandes mobilisations sociales de 2019. Ces manifestations, connues sous le nom d’estallido social, avaient porté des revendications liées aux inégalités, aux droits sociaux, à l’égalité des genres et à la dénonciation des violences sexuelles.

L’élection de Gabriel Boric avait alors été perçue comme un renouveau pour une gauche latino-américaine en perte de repères depuis la disparition d’Hugo Chávez et l’évolution autoritaire du régime vénézuélien. Le Chili semblait tourner la page de la période pinochetiste pour renouer avec une mémoire plus favorable à l’héritage d’Allende.

Pour Carlos Ominami, ancien ministre de l’Économie au début des années 1990, ce cycle s’est toutefois refermé. Il estime que la gauche au pouvoir n’a pas su répondre aux attentes sociales, privilégiant des thématiques culturelles et sociétales (le « wokisme ») au détriment des enjeux économiques et populaires. Selon lui, la droite bénéficie également du soutien d’une génération plus jeune, qui n’a pas connu directement la dictature militaire.

Une victoire nette

Déjà candidat malheureux en 2022, José Antonio Kast s’est cette fois imposé avec 58 % des voix face à Jeannette Jara, candidate soutenue par le Parti communiste chilien, qui a recueilli 42 %. Ses soutiens présentent Kast comme un représentant d’une droite classique, tandis qu’ils soulignent l’ancrage idéologique de son adversaire à gauche de l’échiquier politique.

Selon Johannes Kaiser, Jeannette Jara était une candidate communiste « dans la plus pure tradition marxiste-léniniste ». « Kast est un homme de droite classique, pas un fasciste comme ils disent. En revanche, Madame Lara s’est dite du centre gauche pendant toute la campagne alors qu’il y a quelques mois encore, elle était militante active du Parti communiste chilien, soutien des régimes cubains et vénézuéliens, et entretenait de très bonnes relations avec les terroristes révolutionnaires des FARC colombiens. »

Un mouvement continental

Au-delà du Chili, cette alternance s’inscrit dans une dynamique régionale. Pour la politologue Renée Fregosi, José Antonio Kast a pris soin d’éviter toute apologie explicite de la dictature de Pinochet, se concentrant sur des thèmes contemporains. D’autres analystes, comme l’Argentin Nicolás Márquez, voient dans cette victoire un effet comparable à celui observé en Argentine avec Javier Milei, illustrant selon eux l’épuisement des modèles politiques issus du « socialisme du XXIᵉ siècle ».

Cette évolution s’accompagne d’un rapprochement de plusieurs gouvernements latino-américains avec les États-Unis, dans un contexte de rivalités géopolitiques accrues avec la Chine et la Russie. Le renforcement de la coopération sécuritaire et diplomatique américaine dans la région en est l’un des signes.

Enfin, l’attribution récente du prix Nobel de la paix à l’opposante vénézuélienne María Corina Machado, en présence de plusieurs dirigeants de droite du continent, a été interprétée par ses partisans comme un symbole de cette nouvelle phase politique en Amérique latine, marquée par le retour de forces libérales et conservatrices se réclamant d’un ancrage pro-occidental.

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