vendredi 31 mai 2019

Chili, loi Bachelet — les parents veulent massivement le retour à la sélection

Le gouvernement centriste chilien veut réintroduire davantage de sélection dans les lycées publics. Ces lycées sont l’équivalent des écoles secondaires et des cégeps québécois.


Élèves de l’Instituto nacional en classe

L’Instituto Nacional José Miguel Carrera est une école secondaire de garçons située dans le centre-ville. Il est historiquement le lycée le plus prestigieux du Chili.

Fondée en 1813, elle a formé 17 présidents et des dizaines d’éminents artistes et scientifiques.

Elle aide les enfants doués issus de familles pauvres à entrer dans les meilleures universités. Beaucoup font de longs trajets pour se rendre à l’école au centre de Santiago.

Son avenir et celui d’une vingtaine d’autres écoles emblématiques (en particulier ces lycées sélectifs) sont menacés.

Les mesures mises en place par Michelle Bachelet, l’ancienne présidente de gauche du pays, n’autorisent plus ces écoles à sélectionner plus de 30 % de leurs élèves sur la base de leurs résultats scolaires.  La règle prend effet à Santiago cette année. Fernando Soto, recteur de l’Instituto Nacional, affirme que son « excellence académique » sera mise en doute « si les enfants sont admis sans considérer leurs résultats scolaires ».

Sylvia Eyzaguirre, spécialiste en éducation au centre libéral d’études publiques, déclare que la loi « détruit les écoles publiques sélectives ».

Sebastian Pillera, l’actuel président centriste du Chili, veut éviter cela. Il a présenté deux projets de loi qui annuleraient partiellement les réformes de Mme Bachelet.

Le premier projet de loi permettrait à quelque 300 écoles très performantes, y compris les plus emblématiques, de sélectionner des élèves méritants.

La moitié de ces élèves méritants devraient provenir de familles désargentées. La mesure s’appliquerait à 10 % des lycéens. Un deuxième projet de loi permettrait à toutes les autres écoles non privées de choisir 30 % d’élèves en fonction de leurs programmes d’enseignement, ce qui peut inclure des objectifs autres que la réussite scolaire. Cette politique « d’admission juste » récompensera le mérite et le travail acharné, affirme le gouvernement.

L’élitisme universitaire est un sujet difficile au Chili. Le système scolaire est stratifié. Les diplômés des écoles les plus chics, comme The Grange (dont le programme est en partie en anglais), sont aussi visibles au sommet de la société que les anciens d’Eton en Grande-Bretagne.

L’assemblée des élèves de The Grange

Les deux tiers des étudiants des écoles privées qui passent l’examen d’entrée à l’université entrent dans l’une des principales universités. Mais seul un tiers de ceux issus d’écoles indépendantes financées par l’État, pour lesquels les parents paient généralement des frais supplémentaires, obtiennent la note de passage. Pour les étudiants des écoles publiques, seuls 20 % réussissent l’examen d’entrée. En 2016, 18 % des étudiants admis dans les deux meilleures universités — l’Université du Chili et l’Université catholique — provenaient d’écoles publiques alors qu’ils représentaient 37 % des inscriptions. Plus de la moitié d’entre eux provenaient de 19 écoles emblématiques. Gérées par les gouvernements locaux, elles sont le principal moyen de pouvoir se présenter gratuitement à l’université.

Les Chiliens de gauche réclament depuis longtemps plus d’égalité dans l’éducation, bien avant qu’une formation d’excellence.

Certains des élèves des écoles emblématiques -- pourtant favorisé -- ont été parmi ceux qui se sont le plus mobilisés pour davantage d’égalité en éducation. Cette mobilisation a paradoxalement nui à leurs écoles publiques.

Des occupations de bâtiments scolaires de plusieurs moins depuis 2011 ont entraîné une chute des inscriptions et des rendements scolaires. L’Instituto Nacional a ainsi perdu sa place parmi les 20 meilleures écoles du pays, selon les rendements de ses étudiants aux examens d’entrée à l’université. En 2018, il s’est classé à la 78e place.

La présidente de gauche Bachelet a légiféré dans le sens de ces élèves militants, mais à un coût supplémentaire pour leurs écoles. Mme Bachelet a limité le nombre d’élèves qui peuvent être sélectionnés en fonction de leur mérite afin de rendre le système éducatif plus égalitaire. (Elle avait également promis d’élever le niveau des écoles.)

Parmi les autres réformes, citons l’élimination de la sélection dans la plupart des autres écoles, l’élimination progressive des frais complémentaires dans les établissements indépendants et l’affectation de fonds supplémentaires aux élèves pauvres et à la formation des enseignants.

Les premiers signes montrent que le nouveau système a connu une augmentation mécanique de la diversité socio-économique au sein des écoles, a déclaré Mme Eyzaguirre. On ne sait pas cependant si le niveau des élèves a augmenté.

Mais cette diversité supplémentaire n’augmente que lentement. Et les parents favorisent nettement plus que les réformateurs et les militants. Selon un récent sondage de Cadem, 63 % des Chiliens sont en faveur de la sélection au mérite : 79 % la préfèrent à la sélection aléatoire. La plupart des Chiliens sont fiers des écoles emblématiques, ces écoles publiques sélectives qui aident les élèves de milieux défavorisés.

Cela devrait aider M. Pillera à réinstaurer la sélection, mais il doit faire face à une opposition déterminée. Sa coalition est minoritaire au congrès. « Il est difficile de créer l’inclusion si vous conservez les pratiques sous-jacentes à la ségrégation, » déclare Miguel Crispi, député de l’alliance de gauche Frente Amplio, qui a conseillé la socialiste Bachelet dans ses réformes de l’éducation.

Les législateurs comme lui condamneront probablement le projet de M. Pillera qui propose de réintroduire une dose de sélection pour toutes les écoles. Toutefois, certains législateurs de gauche ont un faible pour les écoles emblématiques. Cela donne au projet de loi destiné aux 300 écoles publiques très performantes une chance de devenir loi.



Source : The Economist