mercredi 24 avril 2019

Écologie — Les hommes ont-ils vraiment fait disparaître 60 % des animaux depuis 1970 ?

La chroniqueuse du Devoir, Josée Blanchette écrivait ce vendredi que « Des paléontologues nous informent que la plupart des mammifères et 40 % des insectes auront disparu dans 50 ans. » Elle ne cite pas de source. Mais ce genre de nouvelles circule depuis quelques mois à la suite d’un rapport du WWF, célèbre organisme écologiste.

Voici quelques manchettes sur le sujet tirées du seul site de Radio Canada en septembre et octobre 2018 .


Qu’en est-il ?

L’équipe à l’origine du rapport du WWF (le Living Planet Index) s’est appuyée sur des études antérieures dans lesquelles les chercheurs estimaient la taille de différentes populations animales, que ce soit par comptage direct, pièges photographiques, satellites ou par mesures indirectes comme la présence de nids ou de pistes. L’équipe a rassemblé de telles estimations pour 16 700 populations de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens et de poissons, sur 4 000 espèces.

Différence entre effectif, populations, espèce

Il est important de comprendre la différence entre population, effectif et espèce. Les populations dont on parle ici désignent des poches d’individus d’une espèce donnée vivant dans des zones géographiques distinctes.

Cette étude ne concerne que 6,4 % des quelque 63 000 espèces de vertébrés qui existeraient, elles excluent les plantes, les insectes, les vers, méduses et éponges, espèces nettement plus nombreuses.

Pour déterminer les résultats du groupe dans son ensemble, l’équipe a ajusté ses chiffres pour prendre en compte les biais éventuels dans ses données. Par exemple, les vertébrés en Europe ont fait l’objet de plus d’études que ceux d’Amérique du Sud et les créatures en voie de disparition telles que les éléphants ont été étudiés de plus près (et ont été plus faciles à dénombrer) que des animaux très communs comme les pigeons.

Taille de populations en moyenne

Le WWF a constaté qu’entre 1970 et 2014, la taille des populations de vertébrés avait diminué de 60 % en moyenne. Ce n’est absolument pas la même chose que de dire que les humains ont tué ou fait disparaître 60 % des animaux — une distinction que le supplément technique du rapport indique explicitement. « Il ne s’agit pas d’un recensement de toutes les espèces sauvages, mais de l’évolution de la taille des populations d’animaux sauvages », écrivent les auteurs.

Pour comprendre la différence, imaginez que vous avez trois populations d’animaux dans une région géographique particulière : 5 000 lions, 500 tigres et 50 ours. Quatre décennies plus tard, vous n’avez plus que 4 500 lions, 100 tigres et cinq ours. Ces trois populations ont diminué de 10 %, 80 % et 90 % respectivement, ce qui représente une baisse moyenne de 60 %. Mais l’effectif total d’animaux est passé de 5 550 à 4 605, soit une baisse de seulement 17 %. Quant à la disparition d’espèces animales dans ce scénario, elle est nulle.

De même, il est trompeur de dire que l’homme a « tué plus de la moitié des populations d’espèces sauvages de la planète » (Washington Post) ou que l’on puisse nous reprocher d’avoir « éliminé 60 % des espèces animales » (Quartz) ou que « la population mondiale d’espèces sauvages a diminué de 60 % entre 1970 et 2014 » (USA Today). Toutes ces choses pourraient bien être vraies (mais c’est douteux, voir ci-dessous), mais ces déclarations ne peuvent se justifier en s’appuyant sur le rapport Index Living Planet du WWF.

Calcul du taux d’extinction surestimé ?

Notons également que les études sur le taux d’extinction de populations et d’espèces se basent sur des calculs indirects eux aussi, à savoir le taux de disparition de l’habitat des espèces en question. Or cette méthode est critiquée, car elle aurait tendance à surestimer le taux d’extinction.

Comme le mentionnait la revue Nature :

Malgré son importance, l’estimation des taux d’extinction est encore très incertaine, car il n’existe pas de méthodes directes avérées ou de données fiables permettant de vérifier les extinctions. La méthode indirecte la plus largement utilisée consiste à estimer les taux d’extinction en inversant la courbe d’accumulation aires-espèces [plus l’aire est grande plus le nombre d’espèces est important] et en extrapolant [techniquement en rétropolant] le nombre d’espèces sur la base d’habitats plus petits. Les estimations des taux d’extinction basées sur cette méthode sont presque toujours beaucoup plus élevées que celles réellement observées. Cette divergence a donné naissance au concept de « dette d’extinction », qui fait référence aux espèces « dont l’extinction est prévue » en raison de la perte d’habitat et de la réduction de la taille de la population, mais non encore éteinte pendant une période transitoire. Nous montrons ici que la dette d’extinction telle que définie actuellement est en grande partie une anomalie statistique, un artéfact d’échantillonnage, dû à une différence non reconnue entre les problèmes d’échantillonnage sous-jacents lors de la construction d’une relation aire-espèce (SAR) et lors de la rétropolation de l’extinction d’espèces à la perte d’habitat. Le résultat mathématique clé est que la surface requise pour voir disparaître le dernier individu d’une espèce (l’extinction) est plus grande, presque toujours beaucoup plus grande, que la zone d’échantillonnage nécessaire pour trouver le premier individu d’une espèce, indépendamment de la répartition de l’espèce et de son échelle spatiale. Nous illustrons ces résultats à l’aide de données provenant d’un réseau mondial de grandes parcelles forestières cartographiées et un certain nombre d’espèces de passereaux dans la partie continentale des États-Unis. Nous montrons que la surestimation peut être supérieure à 160 %. Bien que nous concluions que les extinctions causées par la perte d’habitat nécessitent une perte d’habitat plus importante que ce que l’on pensait auparavant, nos résultats ne doivent pas conduire à de la complaisance par rapport à l’extinction de populations animales liée à la perte d’habitat, extinction qui constitue une menace réelle et croissante.

Dans un article similaire dans Ecology « Une étude empirique sur les raisons pourquoi la relation entre les espèces et leur habitat surestiment l’extinction des espèces », les auteurs se sont penchés sur la richesse aviaire totale, la richesse en oiseaux forestiers et la richesse en habitats ouverts (agricoles, urbanisés par l’homme) et l’ont comparé au couvert terrestre naturelle restant dans le sud de l’Ontario. La richesse aviaire (le nombre de populations) n’est pas maximale quand tout l’espace est couvert naturellement. En fait la richesse totale en espèces d’oiseaux culmine quand environ 50 % de la surface est constituée d’un couvert terrestre naturelle, certaines espèces « opportunistes » profitant de la présence des hommes pour s’établir.

Voir aussi

« Des coraux plus résistants à la chaleur » ou des études précédentes peu fiables et alarmistes ?

Comment la science se trompe.... Dans The Economist du 26 octobre, un dossier sur l’évolution du système mondial de recherche scientifique : « How science goes wrong ». On y apprend notamment qu’un nombre important et croissant de publications souffrent de biais statistiques ou défauts méthodologiques qui devraient inciter à la prudence sur les conclusions, quand il ne s’agit pas d’erreurs pures et simples.

Spiritualité autochtone, écologie et norme universelle moderne