jeudi 21 avril 2016

Écoliers du primaire intimidés et traumatisés lors d'un atelier pour lutter contre l'« intimidation »

Un atelier sur l’intimidation a mal tourné à l’école Pierre-Boucher, à Boucherville. L’incident soulève de sérieuses questions sur :

  • les méthodes employées pour lutter contre l’intimidation à l’école primaire,
  • la formation des enseignants en la matière,
  • comment cetet activité aurait pu être organisée sans l’accord de la personne qui surveillait la stagiaire,
  • le manque d’informations données aux parents avant cet atelier (ils ont été informés après coup).

Des insultes, des enfants intimidés et forcés à insulter

« Gros con, laid, imbécile ». Un élève de 12 ans a dû subir les insultes de ses camarades de classe dans le cadre d’un atelier « éducatif » donné le 14 avril dernier visant à contrer l’intimidation à l’école primaire Pierre-Boucher (ci-contre), à Boucherville. La séance s’est conclue dans les larmes. Alors que les élèves sortent ébranlés de l’expérience, des parents, eux, sont en colère. La direction a mis fin au stage de l’étudiante en éducation spécialisée derrière l’initiative.

Les événements se sont produit jeudi dernier le 14 avril (le lendemain de la Journée Rose, voir ci-dessous), à la dernière période de la journée, dans une classe de sixième année. L’enseignante et la stagiaire ont demandé à un des élèves de sortir de la salle de classe, sans lui en expliquer la raison.

Pendant son absence, la consigne suivante a été donnée à ses camarades de classe : vous devrez l’insulter à tour de rôle à son retour dans la classe et ensuite jeter votre dictionnaire dans le bac qu’il tiendra pour illustrer le poids des insultes.

Toute la classe devait y passer. Une vingtaine d’élèves. L’exercice, dont l’objectif est de démontrer ce que ça fait de vivre de l’intimidation, a duré une quinzaine de minutes.

Selon cette source qui ne veut pas être identifiée, l’intensité de la situation était telle que plusieurs élèves, dont celui visé par cette pluie d’insultes, se sont mis à pleurer, ce qui a mis fin à l’atelier. Le parent qualifie cette situation d’« inadmissible » et de « déplorable ».

Un autre parent avec qui nous avons discuté rapporte que sa fille l’a appelé en larmes à la sortie de l’école.

« Elle m’a raconté l’histoire et elle m’a dit qu’elle ne se sentait pas bien, que son ami pleurait et que toute la classe pleurait. Elle avait mal au ventre », décrit-elle.

Les enfants de la classe n’auraient pas voulu participer à l’activité, mais auraient été forcés de se lever pour lancer à tour de rôle des insultes de leur cru. Selon le parent, le jeune impliqué ne s’était pas fait expliquer l’activité et ne comprenait pas la situation.


« J’ai envoyé un courriel à l’enseignante. C’est inacceptable, ce n’est pas normal que ma fille revienne traumatisée de l’école », dit ce parent. Il ajoute que tous ses enfants ont été à l’école Pierre-Boucher et que c’est la première fois qu’une telle situation se produit. « C’est une bonne école », souligne-t-il.

L’événement a aussi été rapporté sur les réseaux sociaux, où il a soulevé l’indignation de nombreux internautes, qui ont qualifié cet exercice de « pathétique » et d’« inapproprié » et qui ont déploré un « manque de jugement ».

Une lettre à tous les parents, après coup

Du côté de la Commission scolaire des Patriotes, on confirme l’événement par courriel. On souligne qu’il s’agit de l’initiative de la stagiaire et que les parents ont été informés de cette « malheureuse intervention ».

Mardi, une lettre que nous reproduisons ci-dessous a été envoyée par la direction à tous les parents des 350 élèves de l’école Pierre-Boucher pour faire le point.



La directrice de l’établissement, Chantal Courchesne, écrit que plusieurs écoliers ont été « troublés » à l’occasion de cette activité et qu’« un suivi de la part des membres de l’équipe-école a été fait auprès de ceux qui avaient besoin d’en discuter ».

La direction charge la seule stagiaire

Elle affirme qu’il s’agit d’un type d’atelier qui n’est pas autorisé à l’école et qu’il a été organisé par la stagiaire sans l’accord de la direction, qui a mis fin au stage de la personne concernée.

Quant à l’enseignante du groupe, il n’a pas été possible de connaître son implication ni de savoir si elle a été sanctionnée, la Commission scolaire n’a pas rappelé les journalistes de Radio-Canada qui demandaient des détails supplémentaires. La direction soutient dans sa lettre que l’atelier a été organisé sans l’accord du maître associé.

Une erreur de jugement

« Enseigner l’humiliation ou la violence verbale relève de l’incompétence. On ne modèle pas de comportements agressifs auprès de jeunes enfants », a expliqué mercredi matin Égide Royer, psychologue et professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval au micro d’Alain Gravel.

La lutte contre l’intimidation pilotée par une fondation militante

Rappelons le rôle important dévolu dans la lutte contre l’intimation à une fondation militante comme la Fondation Jasmin Roy (elle organise le concours L’école en rose le 13 avril) qui associe intimidation, homophobie et transphobie dans son matériel « éducatif ». Alors que l’« homophobie » et la « transphobie » sont des causes marginales à l’école selon une étude ontarienne et encore plus à l’école primaire !




Sur L’école en rose, voici ce qu’en dit le site de la Fondation : La Journée Rose est la journée internationale contre le harcèlement, la discrimination, l’homophobie, la transphobie et la transmysoginie à travers le monde. Le 13 avril prochain, nous vous invitons donc à transformer votre école en rose pour célébrer la diversité sous toutes ses formes. »


Lutte contre l’homophobie à l’école primaire... (Mountainview Elementary School de Deux-Montagnes)

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« Le multiculturalisme tue toute identité commune enracinée dans une histoire » (m-à-j entretien)

Le Figaro publie un article à l’occasion du dernier livre de Mathieu publié aux éditions du Cerf.

Mathieu Bock-Côté propose le décryptage lucide et sévère d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom. Sociologue (Ph. D), chroniqueur, figure de la vie intellectuelle québécoise, Mathieu Bock-Côté collabore au Débat, à Commentaire et au Figaro. Il est l’auteur de plusieurs livres, notamment Exercices politiques (2013), Fin de cycle (2012) et La dénationalisation tranquille (2007).

M. Bock-Côté était l'invité de Radio Notre-Dame pour la sortie de son livre, il était le grand témoin de Louis Daufresne (51 minutes) : 




(lien direct pour télécharger le MP3)

(Mathieu Bock-Côté y aborde l’origine de son nom de famille. Sur les noms de famille composés qui ne se sont jamais généralisés au Québec, mais ont atteint un maximum de 22 % des naissances en 1992 avant de descendre à 10 % aujourd’hui, lire Le nom composé en voie de disparition au Québec)

Mathieu Bock-Côté a également accordé un entretien au magazine Valeurs actuelles sur cet ouvrage. Extraits.

« L’État multiculturel entend métamorphoser l’identité de la population »

— Votre ouvrage s’intitule Le Multiculturalisme comme religion politique. Cette catéchèse de l’ouverture à l’autre serait-elle devenue la nouvelle religion du XXIe siècle ?

— Le multiculturalisme se présente comme l’horizon indépassable de notre temps. C’est à condition de s’y soumettre qu’on peut passer le test de la respectabilité médiatique : ceux qui y résistent risquent le discrédit et l’ostracisme politique. Il repose sur une révélation terrible à laquelle il faut absolument croire : l’Occident aurait étouffé la diversité, il serait coupable d’un crime historique contre l’altérité. L’homme occidental devrait donc renaître en se lavant de ses péchés historiques et en embrassant la diversité.

L’histoire du multiculturalisme s’inscrit dans l’histoire de la mutation de la gauche, qui va de la crise du marxisme dans les années 1950 jusqu’à Terra Nova [le réseau pensant proche de la gauche socialiste urbaine et multiculturelle]. Devant la faillite du marxisme, la gauche s’est transformée. L’ouvrier sera remplacé par le minoritaire, à qui l’on prêtera une sublime mission : révéler les injustices. C’est sur lui que l’on s’appuiera pour renouveler la critique radicale de la société. Le bourgeois, comme figure de l’oppresseur, sera remplacé par le majoritaire – de manière caricaturale, l’homme blanc hétérosexuel. Les vieilles classes populaires sont désormais dans le camp de l’oppression à cause de leur attachement aux valeurs traditionnelles. Dès lors, la gauche idéologique s’alimentera de toutes les revendications minoritaires qui prétendent s’affranchir du conservatisme culturel de la majorité de la population.

— Cette nouvelle gauche organise désormais ses luttes autour de la « politique des identités ». Que recouvre cette dernière ?

— Il faut d’un côté neutraliser la majorité et de l’autre valoriser toutes les minorités qui s’inscrivent contre elle, en traduisant leurs revendications dans le langage des droits fondamentaux. Si on constate qu’une communauté particulière ne s’intègre pas à la nation, on en fera toujours porter la responsabilité à la société d’accueil qui ne serait pas assez inclusive et jamais à certaines caractéristiques singulières de cette communauté. La moindre disparité statistique s’expliquerait par un système discriminatoire.

— « La transformation multiculturelle de la société contemporaine n’est pas seulement l’effet d’un déferlement idéologique, mais bien d’une mutation de l’action publique », dites-vous. Quelle est cette action ?

— Elle est massive. Les idées sont fondamentales, mais n’avancent pas toutes seules. On peut penser à la fois à l’enseignement de l’histoire, aux campagnes de sensibilisation à la diversité, à la réforme des programmes scolaires pour rompre la transmission culturelle, à la mise en place des politiques de discrimination positive, à la politique d’immigration massive qui s’est conjuguée avec un refus de plus en plus explicite de l’intégration des immigrés. Il ne faut pas oublier l’incroyable puissance de socialisation de l’État, qui peut conditionner culturellement toute une population à travers ses nombreuses politiques. À terme, l’État multiculturel entend métamorphoser l’identité de la population pour accoucher d’un nouveau peuple, heureux d’évoluer dans la société diversitaire. C’est une immense entreprise de rééducation, de réingénierie sociale, de reprogrammation identitaire.

— Avec l’avènement de cette utopie égalitaire et diversitaire, peut-on encore parler de véritable régime démocratique ?

— Nous avons changé de régime même si nous peinons à le reconnaître. Officiellement, les institutions de la démocratie classique sont encore là : dans les faits, elles sont vidées de leur substance. La souveraineté est transférée aux agences administratives. Le peuple lui-même a été congédié par la diversité, nouvelle figure fondatrice de la démocratie. Il ne survit plus qu’à travers le populisme. Le combat politique est devenu une guerre culturelle dans la mesure où tous les camps s’affrontent pour imposer leur définition de la démocratie. Et pour l’instant, on peut dire que sa définition dominante n’a rien à voir avec sa définition traditionnelle. Un nouveau régime qui usurpe la référence à la démocratie s’est installé, mais nous ne parvenons ni à le voir ni à le conceptualiser.

— En se détachant du conservatisme après Mai 68, la droite française a-t-elle abandonné à la gauche la bataille idéologique ?

— Sans aucun doute. Elle cherche à tout prix à paraître aussi progressiste que la gauche, à laquelle elle reconnaît le privilège immense de distinguer les « droitiers » respectables de ceux qui ne le sont pas. Et pour conserver sa bonne réputation, elle doit toujours sacrifier davantage sa part conservatrice, sans quoi on l’accusera d’être réactionnaire. On assiste ainsi à un déplacement à gauche du centre de gravité idéologique. Le centre droit d’hier devient la droite d’aujourd’hui et sera l’extrême droite de demain. En d’autres mots, la droite française consent à évoluer dans l’espace réduit qu’on lui laisse et, pour ne pas subir l’opprobre médiatique, à se détacher des préoccupations de ses électeurs, ce qui favorise l’émergence d’une offre politique alternative. Elle devrait pourtant d’abord être le parti des ancrages, de l’enracinement et rappeler que l’homme est un héritier. Qu’est-ce que le conservatisme ? C’est la défense des fondements historiques, culturels et identitaires indispensables à la démocratie libérale, sans lesquels cette dernière se dessèche et se condamne à l’impuissance.

— Quelle responsabilité porte cette idéologie multiculturaliste dans les crises qui secouent notre monde ?

C’est une responsabilité majeure : en disqualifiant la nation, en considérant la culture de la société d’accueil comme une composante parmi d’autres de la diversité, le multiculturalisme a inversé le devoir d’intégration. Ce n’est plus à l’immigrant de prendre le pli de la société d’accueil, mais à cette dernière de transformer ses institutions et sa culture pour accommoder la diversité. En faisant la promotion d’une histoire culpabilisante, elle affaiblit l’identité nationale. Par ailleurs, en laissant croire que toutes les cultures peuvent cohabiter aisément, pour peu qu’elles se soumettent au principe des droits de l’homme, elle encourage une politique d’immigration massive qui dépasse largement les capacités d’intégration des sociétés occidentales.

— Politique, anthropologique, sociétal... le problème ne serait-il pas aussi spirituel ?

À l’américaine, on parle de la droite religieuse. Je crois qu’il faudrait aussi parler de la gauche religieuse européenne. Au fond d’elle-même, elle veut abolir l’histoire et la reprendre à neuf : elle est soumise au fantasme de l’autoengendrement. Cette gauche veut revenir au moment où l’homme était dans la pure indétermination, avant la division du monde en nations, religions, sexes et civilisations. [...] Elle s’est reprise à rêver à l’homme nouveau, qu’elle s’imagine comme un homme désincarné, à l’identité insaisissable, délivré de l’héritage. Un homme absolument neuf, hors de l’histoire, sans culture et, comme on dira, sans « préjugés ». Un homme fade, livré à toutes les possibilités d’ingénierie sociale et identitaire. Nous rencontrons ici la théorie du genre qui nous plonge au cœur de la question anthropologique. Elle pèsera de plus en plus lourd dans les années à venir.





En outre, voici quelques extraits de ce dernier ouvrage Le Multiculturalisme comme religion politique.

Un nouvel esprit public

Contrairement à ce qu’on laisse souvent croire, le radicalisme des années 1960-1970 n’est pas disparu au moment du passage à la maturité de ceux qui s’étaient lancés dans une des nombreuses luttes ouvertes par le gauchisme : tout au contraire, il a profondément transformé la culture politique et la dynamique idéologique des sociétés occidentales. On pourrait reprendre l’hypothèse de Philippe Raynaud : si la gauche radicale n’est pas reconnue comme telle, c’est en bonne partie parce qu’elle est parvenue à imposer ses catégories dans la vie publique. […] Notre monde, loin d’être sous-idéologisé, est « suridéologisé », mais nous n’en sommes plus conscients, tellement l’idéologie dominante est si écrasante qu’on ne voit plus qu’elle. […] Les institutions restent à peu près les mêmes et, au premier regard, les démocraties occidentales écrivent leur histoire à l’encre de la continuité. Il n’en demeure pas moins qu’en s’investissant d’une toute nouvelle philosophie, elles ont transformé en profondeur leur vocation.

L’idée fixe de la domination

Foucault prend le relais de Marx comme inspirateur de la gauche radicale. […] La domination serait partout, surtout où on ne la voit pas : elle serait présente dans les rapports les plus intimes entre les êtres, elle serait constitutive de la culture. […] Toute autorité devient une domination illégitime à déconstruire. […] Ce qui se dessine déjà, c’est la figure de l’individu auto-référentiel, hors-sol, délivré de tout rapport de filiation, et ne se reconnaissant aucune dette à l’endroit de l’héritage qu’il a reçu et de la communauté politique qu’il habite. […] Le mouvement des « immigrés », celui des « femmes », celui des « homosexuels », celui des « prisonniers », celui des « psychiatrisés » — tous ces mouvements qui, en eux-mêmes, ont peu de choses en commun, sont appelés à féconder l’action politique, pour la décentrer des institutions prédominantes et ouvrir le domaine public à l’expression d’une diversité inédite de formes de vie, le point culminant de cette théorisation de l’émancipation se retrouvant dans les « queer studies ». […] De la lutte des classes périmée, on passera à un nouveau modèle susceptible d’articuler les luttes sociales : la politique des identités. Les classes populaires ont déserté la guerre révolutionnaire ? Le peuple n’est plus à gauche ? On se fabriquera une série de petits peuples de substitution.

L’obsession du respect

La théorie de la reconnaissance vient ici fonder la légitimité de l’action thérapeutique d’un État devant travailler à rehausser l’estime de soi de ceux qui l’habitent. […] À terme, il faudra créer la culture commune la moins offensante possible envers les minorités, ce qui impliquera souvent, comme on le voit de plus en plus depuis le début des années 1990, de multiplier les « speech codes » [codes de conduite, de parole] et de criminaliser les propos offensants, dans la mesure où la liberté d’expression ne devrait pas tolérer l’expression de propos en contradiction avec les formes contemporaines du vivre-ensemble. On connaît les origines du politiquement correct, qui se trouve dans les campus américains marqués par l’héritage des radical sixties. […] Le politiquement correct se présente ainsi comme une forme de discipline morale de la parole publique dans une société reconnaissant par exemple le droit de ne pas être offensé, le droit aussi de ne pas voir transgresser ses symboles identitaires les plus fondamentaux. On pourrait parler d’une reformulation postmoderne de la censure. Il faut ainsi assurer une surveillance rigoureuse aussi bien des discours militants que de l’humour, pour s’assurer qu’ils n’expriment aucune contestation de la nouvelle orthodoxie de la reconnaissance. On réduira la plupart du temps la contestation à autant de propos haineux, cette catégorie en venant à s’étendre progressivement à toute défense significative des valeurs traditionnelles ou nationales. […] Il faudrait donc, pour éviter de blesser les nouveaux venus, dissoudre la culture dans une forme d’indétermination historique, la nation se réduisant désormais à un pacte juridique.

Épurer passé et musées

C’est désormais un rituel, ou presque : d’une nation à l’autre, on exhume du passé des figures illustres ou oubliées pour les soumettre à un procès implacable : ils n’anticiperaient pas la société présente, ils ne se seraient pas pliés à l’avance aux valeurs que nous chérissons. Ils témoigneraient même d’un autre rapport au monde, qui nous est absolument incompréhensible. [...] C’est ce qu’appelle généralement la repentance, qui a partout la cote, qu’il s’agisse de renoncer à célébrer Austerlitz en France, d’accuser de sexisme le mouvement patriote du XIXe siècle au Bas-Canada ou de déboulonner les statues qui, à Londres, rappellent trop la mémoire de l’Empire britannique. C’est la passion morbide de la commémoration négative : nous ne tolérons plus dans l’imaginaire collectif des hommes qui, d’une manière ou d’une autre, contredisent le présent et laissent croire que l’humanité a pu vivre autrement, en vénérant d’autres dieux ou d’autres valeurs. […] Dans sa formulation la plus grossière et la plus caricaturale, l’historiographie victimaire finit toujours par désigner à la vindicte publique l’homme blanc hétérosexuel, coupable d’une société qu’il aurait construite à son avantage exclusif. […]

L’histoire ne serait valable qu’à la manière d’une pédagogie pour l’avenir, le passé étant filtré à partir d’un présentisme intransigeant criminalisant les formes sociales et culturelles traditionnelles qui ne seraient pas compatibles avec les nouvelles exigences de l’émancipation. La mémoire est devenue un enjeu de politique publique dans la perspective d’une dénationalisation de la conscience historique, les gouvernements devant construire publiquement une mémoire « inclusive », susceptible d’assurer leur visibilité historique aux groupes marginalisés. C’est ainsi que les mois consacrés aux minorités se multiplient et que les musées sont invités à exposer une nouvelle vision de l’histoire, ayant pleinement intériorisé l’impératif diversitaire. Theodore Dalrymple a montré comment en Grande-Bretagne au début des années 2000, on a cherché à rendre le financement des musées conditionnel à leur capacité à attirer une clientèle provenant des minorités ethniques et culturelles. […] Évidemment, on tenait pour acquis qu’il serait pour cela nécessaire de transformer le contenu et la présentation des expositions pour les amener à participer à la reconstruction multiculturelle de l’imaginaire et de l’identité britannique. La mise en scène de la culpabilité occidentale est au programme.

L’État rééducateur

Les classes populaires « nationales » sont désormais classées parmi les populations « ennemies », ou à tout le moins, parmi les classes dominantes et désormais appelées à sacrifier une partie de leur bien-être pour les nouveaux peuples marginaux dévoilés par la sociologie antidiscriminatoire. […] Il faut non seulement déprendre l’emprise de la majorité sur les minorités : il faut réformer la majorité pour l’amener à consentir à ce nouveau monde où elle ne sera plus qu’une communauté. La majorité doit vouloir la fin de ses privilèges, elle doit désirer ardemment s’en déprendre, s’en délivrer. […] Il faut transformer les attitudes devant la diversité : la majorité doit s’enthousiasmer du fait qu’elle deviendra une minorité, elle doit aimer le multiculturalisme. […] Ce n’est pas le moindre paradoxe de la culture libertaire qui a pris forme avec les radical sixties qu’elle ne peut se diffuser qu’à travers une reconstruction autoritaire de la société.

Les droits contre la démocratie

La démocratie représentative semble périmée, car elle ne sait plus trop quel peuple elle doit représenter. L’identité du peuple n’étant plus présupposée, son existence même étant remise en question, il n’est plus possible de penser l’espace public sous une forme unitaire, où les individus appartenant à une même communauté historico-politique se diviseraient ensuite selon des lignes essentiellement idéologiques. […] Si la souveraineté populaire n’est pas officiellement abolie, évidemment, elle est désormais réduite à une portion minimale du pouvoir politique et n’est plus investie d’aucune charge existentielle. Le pouvoir démocratique est condamné à l’impuissance. Un constitutionnalisme approprié à la société pluraliste sera appelé à exercer une souveraineté surplombante sur le corps social pour justement piloter sa transformation égalitariste dans le langage du droit. Les groupes marginalisés, les minorités sont appelés à faire valoir leurs droits contre les pratiques sociales qui limiteraient leur émancipation, le droit devenant un recours prioritaire à mobiliser contre la souveraineté populaire, assimilée la plupart du temps à une tyrannie de la majorité, la gauche multiculturelle voyant justement dans les droits de l’homme un instrument privilégié pour piloter à l’abri des controverses politiques classiques l’avancement des revendications minoritaires.

Le Canada, un laboratoire

On le sait, le multiculturalisme est une doctrine d’État au Canada, mais il faut voir à quel point cette mutation identitaire a été portée par la classe intellectuelle qui a reconnu justement dans sa reconstruction diversitaire la marque distinctive de l’identité canadienne. Sans abuser d’un langage paradoxal, on pourrait dire que le Canada trouverait son identité propre dans le fait de ne pas avoir d’identité nationale distinctive, John Ibbitson allant même jusqu’à affirmer que le génie propre à l’identité canadienne serait justement de n’être porteuse d’aucune signification historique particulière, ce qui faciliterait son appropriation par les immigrés qui n’auraient aucunement à se départir de leurs appartenances culturelles préalables pour devenir canadiens. En fait, le Canada se serait reconstitué et refondé sur une dissociation radicale entre la communauté politique et son expérience historique, et c’est justement cette prétention à se fonder sur une utopie plutôt que sur une mémoire qui en ferait un paradis diversitaire à nul autre pareil parmi les sociétés contemporaines. Selon la formule de John Ibbitson, les pays qui ont le moins d’histoire seraient aujourd’hui ceux qui ont le plus d’avenir.


Le Multiculturalisme comme religion politique
de Mathieu Bock-Côté,
publié aux éditions du Cerf,
à Paris
le 15 avril 2016
368 pages,
ISBN : 9 782 204 110 914




Voir aussi

Ce peuple qui tambourine à la porte au sujet de Le retour du peuple. AN I. de Vincent Coussedière, aux éditions du Cerf, 235 pages.

Multiculturalisme, « hybridation », « métissage culturel », une nouvelle illusion théorique dans les sciences sociales (P.-A. Taguieff)

La Cour suprême du Canada (multiculturaliste) : décideur politique de l’année 2014