samedi 11 juin 2016

France — L'entretien de la ministre socialiste qui restreint la liberté scolaire, annoté par Anne Coffinier

Entretien de Mme Najat Belkacem paru dans le Monde le 9/VI/2016, commenté dans le corps du texte [en italique entre crochets], par Anne Coffinier, Fondation pour l’école, le 10/VI/2106

Titre du Monde :

Contrôle des écoles privées hors contrat [non subventionnée] : « L’État ne peut être ni aveugle ni naïf »


La ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonce, jeudi 9 juin, un contrôle renforcé des écoles privées hors contrat — un millier d’établissements, dont 300 confessionnels — ainsi que de l’instruction à domicile qui concerne 25 000 jeunes. Elle s’explique sur ces mesures dans un entretien au Monde. Elle indique qu’« un contrôle plus clair et mieux organisé constitue une garantie pour les familles et les établissements concernés contre l’arbitraire ».

Le Monde — Pourquoi s’emparer de ce sujet maintenant ? Ne prenez-vous pas le risque de raviver une guerre scolaire public-privé ?

Najat Belkacem — Il n’y a aucune raison de réveiller des querelles anciennes : la protection du droit à l’éducation des enfants n’est en rien contraire à la liberté de l’enseignement. Depuis plusieurs années, les signalements — d’élus, d’inspecteurs, d’établissements, d’associations — se multiplient. Et les travaux que j’ai engagés depuis plus d’un an ont révélé une hausse des effectifs dans l’enseignement privé hors contrat comme à domicile.

[Anne Coffinier : Le ministre devrait quand même se demander pourquoi les systèmes concurrents à l’Éducation nationale se développent. Il est évident que c’est parce que de nombreuses familles ont perdu confiance en l’école publique et donc qu’elles veulent en préserver leurs enfants. La calamiteuse réforme du collège et des programmes de Mme Najat Vallaud-Belkacem n’y est pas pour rien ! Les parents veulent pouvoir choisir librement l’école de leurs enfants, une école qui puisse être vraiment différente de l’école publique, dans le respect des lois bien sûr. C’est une aspiration profonde de la société.]

L’État ne peut être ni aveugle ni naïf : on voit parfois se développer des enseignements trop lacunaires, ne garantissant aucunement un socle minimal de connaissances aux enfants, voire attentatoires aux valeurs républicaines.

[Anne Coffinier : Oui, mais le premier lieu où des enfants, en masse, reçoivent un enseignement qui échoue à leur faire maîtriser le socle de connaissances est l’Éducation nationale. Les statistiques nationales le montrent puisque 40 % des enfants en CM2 ne maîtrisent pas ou très mal la lecture, l’écriture et le calcul. Les études PISA de l’OCDE montrent aussi que l’Éducation nationale échoue à remplir sa mission puisque la France est très mal classée. Elles montrent aussi que l’école publique française est le système le plus inégalitaire de toute l’OCDE. Comment ne pas reconnaître que la vraie priorité, c’est de sauver les 40 % d’enfants de l’école publique qui sont laissés dans une telle détresse éducative ? S’agissant des écoles hors contrat, il peut bien sûr y en avoir d’insatisfaisantes, car on peut toujours faire un mauvais usage de la liberté, même si en général les parents sont très vigilants. Mais comment est-ce possible, alors que le Code de l’Éducation donne mission à l’Éducation nationale d’inspecter les écoles régulièrement, que le Rectorat n’ait pas inspecté plus tôt les écoles qui poseraient problème, selon le ministre ? L’école musulmane Montessori de Roubaix, que l’Éducation nationale va fermer en urgence, avait-elle été inspectée avant les attentats terroristes ? Si elle l’a été, pourquoi l’État n’a-t-il pas sévi plus tôt et, si elle ne l’a pas été, pourquoi une telle omission ?]

Un peu partout, on réclame plus de responsabilité de la part de l’État sur ces sujets. Et c’est justement ce que l’on s’apprête à faire.

[Anne Coffinier : L’État doit assumer sa fonction de contrôle et garantir effectivement la qualité du service scolaire rendu, mais pas s’ériger en juge du droit qu’a la société civile d’ouvrir une école et de fixer librement les programmes d’études et donc les connaissances transmises, dès lors que ces dernières conduisent au respect du socle commun de connaissances à 16 ans. Les écoles libres ont le droit et le devoir d’éviter à un maximum d’enfants de subir l’enseignement de l’histoire reformaté idéologiquement par la dernière réforme. Il est d’intérêt général de continuer à proposer des classes bi-langues ou à enseigner le latin et le grec de manière conséquente à tous les enfants qui le désirent.]

Le Monde — La scolarisation hors des sentiers battus est à la hausse. Défiance à l’égard du système, symptôme d’un échec de notre école. Comment analysez-vous cette progression ?

Najat Belkacem — Je ne veux pas m’ériger en juge des choix des parents, que je respecte. Les familles sont de plus en plus nombreuses à aspirer à une plus grande autonomie, une plus grande diversité pédagogique. Et cette tendance-là est mondiale : au Canada, le nombre d’enfants scolarisés à la maison a été multiplié par trois depuis 2012, pour atteindre 60 000 ; aux États-Unis, il est passé en une décennie de 850 000 à 1,8 million.

Cela se double parfois, en France comme ailleurs, d’un repli identitaire. Quand on constate un accroissement de 30 % des enfants instruits à domicile, comme c’est le cas chez nous ces quatre dernières années, l’État a le devoir de s’en saisir.

[Anne Coffinier : Les propos du ministre sont contradictoires. Il est clair que le Ministère de l’Éducation est juge et partie. Il est temps de créer une instance d’évaluation indépendante pour vérifier la qualité des écoles privées ou de l’enseignement délivré à domicile. Aujourd’hui, c’est l’Éducation nationale (qui a de moins bons résultats scolaires que l’école privée, et par laquelle sont passés tous les responsables des récents attentats terroristes hélas) qui contrôle la qualité académique et politique des offres scolaires alternatives à l’école publique. C’est une situation ubuesque.]

Le Monde — Vous évoquiez, en avril, un « contexte de radicalisation ». Y a-t-il, concrètement, des motivations idéologiques ou communautaristes dans les structures ou chez les familles inspectées ? Que sait-on, d’ailleurs, de leurs motivations ?

Najat Belkacem — Ma politique n’est pas guidée par la seule lutte contre la radicalisation, mais par la nécessité de garantir le droit à l’éducation de tous les enfants.

[Anne Coffinier : On déplore en effet que rien de ce qui est proposé dans cette réforme Vallaud-Belkacem n’ait trait à la lutte contre la radicalisation. C’était pourtant, de l’avis de tous, LA VRAIE URGENCE. Les autres préoccupations ne justifient pas de recourir à la procédure d’urgence de l’article 38 (vote par ordonnance d’une réforme relevant normalement de la loi et donc nécessitant l’intervention du Parlement).]

Reste que, jusqu’à présent, ces deux pans de l’instruction étaient quasiment des angles morts du système éducatif.

[Anne Coffinier : Ce n’est pas sérieux ! Il suffit de regarder le Code de l’éducation pour s’en convaincre. L’école à la maison et l’école libre existent depuis Charlemagne. L’État n’a pas attendu Mme Vallaud-Belkacem pour organiser juridiquement l’instruction à domicile et le régime d’ouverture et de contrôle des écoles privées hors contrat ! L’expression « angles morts » est manifestement outrancière et relève de la communication politique, pas d’une analyse rigoureuse du droit en vigueur.]

Faire toute la transparence, c’est aussi combattre les fantasmes et les raccourcis trompeurs. J’ai renforcé les contrôles et diligenté en ce sens — et nous continuerons à le faire — des inspections renforcées et inopinées d’établissements qui suscitaient des inquiétudes.

[Anne Coffinier : Ces dernières semaines, des dizaines et des dizaines d’établissements, en grande majorité de confession catholique, ont été soudainement inspectés, souvent par des brigades de 10 personnes, alors qu’il s’agit de toutes petites écoles. Les inspecteurs ne se sont en général pas du tout intéressés au sérieux de l’enseignement délivré pour les matières fondamentales (alors que c’est leur mission) et ont fait porter leur attention sur le contenu des casiers personnels des élèves (qu’ils ont fouillés et photographiés sans demander l’avis de qui que ce soit), les cours d’éducation morale, les cours de SVT, les livres de la bibliothèque, les manuels… Ils n’ont pas hésité dans certains cas, à prendre à part les élèves, hors de la présence des adultes responsables, pour les interroger et leur demander « si ce que leur professeur ou directeur disait était vrai » ! Ce sont des procédés manifestement disproportionnés, voire nettement abusifs, qui vont être portés à la connaissance du Défenseur des droits et de la justice.]

Elles ont permis d’identifier non pas des situations de radicalisation, mais de vraies failles pédagogiques. Au moins cinq de ces écoles vont faire l’objet d’un signalement à la justice en vue d’une fermeture.

[Anne Coffinier : Si ces fermetures sont justifiées, il convient de rechercher la responsabilité de l’Education nationale qui n’a pas fait le nécessaire jusque là pour que ces enfants bénéficient d’une instruction conforme à l’obligation scolaire.]

Le Monde — Ces situations, minoritaires, justifient-elles de modifier le droit et d’accroître le contrôle de l’Etat sur ces structures, ces familles ?

Najat Belkacem — Pensez-vous normal, dans le contexte actuel, qu’une école soit ouverte du simple fait d’une déclaration, autrement dit plus facilement qu’un café ou un restaurant ?

[Anne Coffinier : c’est jouer sur les mots avec mauvaise foi ! Le régime juridique de déclaration est la modalité juridique normale en matière de libertés publiques, le régime d’autorisation – restrictif des libertés par nature — étant l’exception. Ainsi, l’ouverture d’un journal se fait elle par exemple par déclaration dans les pays où la presse est libre, non par autorisation. Et pourtant, il est évident qu’il est facile de faire mauvais usage de la liberté de presse. Mais, là aussi, c’est le contrôle a posteriori qui est considéré par tous comme la solution la plus adéquate et la plus réaliste. Ainsi on contrôle des faits, pas des intentions, ce qui évite de faire des procès d’intention justement ; en outre, il est normal que l’ouverture d’un bar, qui reste un débit de boissons, nécessite une autorisation administrative ; et en pratique, l’ouverture d’une école n’est vraiment pas à la portée du premier venu, notamment en raison des ressources humaines et financières mobilisées, mais aussi de la nécessité de respecter les règles d’hygiène et de sécurité des locaux propres aux établissements recevant du public ainsi que les règles de l’urbanisme (permis de construire, pour changement d’affectation de destination des locaux…)]

Passer à un régime d’autorisation préalable est une démarche pragmatique réclamée à gauche comme à droite, et récemment encore par l’Association des maires de France.

[Anne Coffinier : il y a beaucoup de choses que des centaines de milliers de citoyens réclament et que le gouvernement ne fait pas pour autant. La situation politique actuelle en est la parfaite illustration avec les manifestations en tous sens.]

Cette évolution s’inscrit dans une démarche plus large. Nous nous sommes dotés de nouveaux outils — circulaire, mission élargie d’inspections générales, guide opérationnel — et les visites d’inspecteur se font plus fréquentes : de trois cents à quatre cents par an dans le hors-contrat, outre une cinquantaine d’inspections inopinées. Une par an dans les familles.

[Anne Coffinier : ces chiffres sont incohérents. Il y a environ 700 établissements scolaires relevant de l’obligation d’instruction donc des inspections de l’Éducation nationale. Si cette dernière dit en inspecter 300 à 400 par an, c’est qu’elle inspecte chaque année environ la moitié des établissements existants, alors que les professeurs de l’école publique sont inspectés une fois tous les 7 ans en moyenne. Ce n’est pas crédible.]

Le Monde — Nombre de familles dénoncent des contrôles arbitraires. Reconnaissez-vous des failles dans ces inspections ?

Najat Belkacem — Un contrôle plus clair et mieux organisé constitue une garantie pour les familles et les établissements concernés contre l’arbitraire. Des manquements existent bien, y compris du côté de l’éducation nationale.

[Anne Coffinier : C’est bien que le ministre le reconnaisse. Ces manquements consistent déjà à ne pas inspecter certaines écoles, contrairement à l’obligation constitutionnelle qu’a l’État de garantir à tous une instruction de qualité. Mais les manquements consistent surtout en des inspections illégales dans leurs modalités et tendant à pousser les écoles à s’aligner sur les méthodes, les programmes et voire l’obligation de laïcité de l’Éducation nationale.]

Aujourd’hui, un tiers des élèves instruits à domicile ne sont pas inspectés. Nous allons mobiliser des moyens humains, en faisant appel à des enseignants volontaires en appui des inspecteurs. Les modalités et le lieu des contrôles vont être clarifiés pour éviter les contentieux avec les parents et permettre une vérification sereine de la progressivité des apprentissages, y compris en introduisant des exercices à l’écrit ou à l’oral en référence au « socle commun » de connaissances et de compétences.

Il ne faut pas y voir une obligation de résultat, simplement un outil de dialogue pédagogique avec la famille.

[Anne Coffinier : La loi oblige d’ores et déjà les écoles et les familles faisant l’école à la maison à organiser les apprentissages de manière à atteindre en fin de période d’instruction obligatoire le niveau fixé par le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Ce cadre est suffisant (d’autant que, réforme après réforme, ledit socle ne cesse de s’alourdir !)

Il n’est en revanche pas acceptable de décliner ce socle en cycles pluriannuels ou paliers annuels pour chaque pôle de formation, qui devraient être impérativement respectés, car cela revient à rendre l’exercice de la liberté pédagogique rigoureusement impossible. Si vous êtes libre d’aller de Marseille à Paris par l’itinéraire que vous voulez, mais que vous devez obligatoirement passer par une série de villes imposées, ce n’est plus de la liberté !]

Le Monde — On se souvient, en 2014, de la campagne de désinformation — parfois de calomnie — lancée dans les milieux traditionalistes, catholiques comme musulmans, contre l’enseignement d’une prétendue « théorie du genre »… Les appels au « retrait de l’école » ont-ils été suivis d’effets ?

[Anne Coffinier : la question est sans rapport avec le sujet présent ; elle ne sera pas commentée.]

Najat Belkacem — On peut sans doute trouver la trace de ces campagnes calomnieuses, mais leur impact est marginal. L’instruction à domicile n’est pas concentrée dans les seuls quartiers populaires et ne concerne pas, comme certains ont voulu le laisser croire, les filles plus que les garçons. Évitons d’alimenter les caricatures.

Le Monde — Beaucoup de familles, et même la majorité des écoles hors contrat, se démarquent de toute référence confessionnelle, pour revendiquer leur droit à la liberté d’instruction qu’elles estiment en danger. Que leur répondez-vous ?

Najat Belkacem — Qu’un contrôle plus sécurisant et plus clair est de fait le meilleur allié de la liberté d’enseignement.

[Anne Coffinier : : Je me demande si ce n’est pas une citation d’Orwell dans 1984 !]



Conférence de presse de la socialiste Najat Belkacem où elle annonce de nouvelles restrictions aux droits parentaux tout en parlant de respect de la liberté...


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