dimanche 27 janvier 2013

Les insuffisances du «bock-cotéisme»

Début de la recension du livre de Mathieu Bock-Côté, Fin de cycle, par le professeur de sociologie à la retraite Gary Caldwell dans la revue Égards...

« Xavier Gélinas, dans un numéro récent de la Dorchester Review, distinguait quatre écoles conservatrices dans le Québec contemporain, et le «bock-côtéisme» était l’une d’elles. Il m’incombe donc, en tant que contributeur de l’une des trois autres écoles (celle d’Égards), de me pencher sur ce que Mathieu Bock-Côté dit dans Fin de cycle. Aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012), qui est, je le présume, un recueil représentatif de sa pensée. Mais pourquoi m’adresser à ma descendance: Claire, Vincent, Éric, François, Alexis, Aude et Aimée? Eh bien, c’est qu’ils lisent Bock-Côté (sauf les deux dernières qui sont trop petites), ce qui est la preuve de son succès comme «intellectuel public» dans le meilleur sens du terme; et, à cet égard, je le félicite. D’ailleurs, en plus d’être un «intellectuel public», il est brillant… ce qui n’est pas le fait de tous ceux qui écrivent. Grâce à lui et à d’autres (on pense, par exemple, à Joseph Facal et à Jean-François Lisée) qui s’interrogent sur le sort du Québec, il existe un vrai débat dans l’espace public québécois, ce qui n’est pas le cas de toutes les sociétés contemporaines. L’existence d’un tel discours public est l’une des choses qui font que cette société mérite d’être conservée. Même si Bock-Côté ne daigne pas inclure Égards dans ce débat, je ne peux que respecter la vigueur, l’intérêt et la pertinence de sa contribution.

Pour ce qui est de la forme de ma critique – une lettre à ma descendance – je me l’autorise parce que le sujet me préoccupe au point où je veux que mes enfants et petits-enfants puissent, à leur tour, accéder à ce débat, y prendre part. Quant à la dimension autobiographique, elle ne devrait pas répugner à Bock-Côté, qui termine son livre par un exposé des sources de son conservatisme.

Originaire de Toronto, j’ai rencontré des Québécois pour la première fois à Varsovie en 1962. Nous étions tous dans la vingtaine, membres d’une délégation d’étudiants canadiens en Pologne. Je fus tellement impressionné par l’envergure intellectuelle, la conscience historique et sociale et la civilité de cette dizaine de Québécois que j’ai décidé de venir étudier à l’Université Laval. Après deux ans à Québec, et pleinement conscient que le Canada français faisait partie de mon patrimoine, j’ai décidé de me joindre à cette société. Subséquemment, j’y ai pris femme et nous avons fondé une famille. Je vis maintenant au Québec depuis cinquante ans, un demi-siècle; je suis donc arrivé presque au début de la Révolution tranquille, c’est-à-dire au début du «cycle» du livre de Mathieu Bock-Côté. Nous nous sommes installés à Ste-Edwidge-de-Clifton dans les Cantons-de-l’Est en 1972, il y a maintenant quarante ans! Je tenais à ce que nos enfants aient une identité canadienne, ce qui aurait été improbable en Ontario (voir Lament for a Nation de George Grant, 1965), et qu’ils puissent s’enraciner… ce qui s’est effectivement produit: ils sont francophones et vivent tous au Québec.

(…)


Suite dans la revue Égards...

Notre résumé des insuffisances 

Caldwell approuve la dénonciation par Bock-Côté du « progressisme thérapeutique », mais le jeune sociologue ne souffle mot des coûts sociaux et économiques associés à cette thérapie bureaucratique.

De même, l'ancien professeur de sociologie de Bishop's approuve son cadet quand celui-ci dénonce la « désoccidentalisation » mais, pour Caldwell, Bock-Côté cerne mal ce concept sans doute parce qu'il a la mémoire trop courte et ne remonte que, rarement, au-delà de la pensée de Raymond Aron. Le jeune sociologue devrait se pencher davantage sur la genèse plusieurs fois millénaire de notre civilisation.

Troisième grief : Bock-Côté a une vision tronquée de l'histoire du Québec et de son patrimoine avec un effacement, entre autres, de l'élément écossais primordial aux XVIIIe et XIXe siècles.

Quatrième grief : Bock-Côté connaît mal les institutions intermédiaires du Québec (l'ancienne démocratie scolaire, les caisses Desjardins, les paroisses), sa connaissance est lacunaire en la matière et il ne comprend pas les effets concrets délétères de la modernisation, de la bureaucratisation généralisée. Généralement, l'analyse de Bock-Coté semble trop abstraite, il ne dit mot par exemple du comportement moutonnier des députés lors de l'affaire Michaud qui se conclut par une condamnation qui ne respectait aucune règle de la tradition démocratique. Bock-Coté ne mentionne pas plus l'atrophie de la fonction critique de l'Université (francophone) québécoise qui devient plutôt la caisse de résonance (rémunérée) des politiques gouvernementales. Seuls des professeurs anglophones se sont, par exemple, opposés à l'imposition du cours d'éthique et de culture religieuse. Seul un collège anglophone, Loyola, a également osé braver ouvertement (il en va différemment dans les faits) le consensus de l'« élite bureaucratique ».

Enfin, Caldwell se demande si Bock-Coté n'est pas d'abord un indépendantiste avant d'être un conservateur. Sa pensée conservatrice ne servirait que d'instrument pour atteindre l'indépendance. Pour Caldwell, c'est l'inverse qui doit prévaloir : est-ce que l'indépendance permet au mieux de conserver l'unicité de ce pays ?

Voir aussi

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Prof. Georges Leroux – le pluraliste jacobin (1 sur 2)

Prof. Gilles Routhier, l'Église doit vivre sa kénose, sa mort christique et l'accepter

Mathieu Bock-Coté sur la bureaucratisation de l'accommodement

Bock-Côté : « Éthique et culture religieuse — Un utopisme malfaisant »





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1 commentaire:

Jonathan a dit…

Je crois que c'est dans cette émission de Radio-Canada que Mathieu Bock-Côté se dévoile le plus(
Partie 1
,
Partie 2
). On peut ainsi comprendre que son savoir et son grand intellect au service du nationalisme et de la cause indépendantiste puisent leurs sources dans un sentiment purement affectif: son amour et son admiration pour son père. On peut déceler aussi à quel point il cherche dans le politique et le sentiment identitaire une expérience religieuse. En l'écoutant dans cette émission, l'hymne catholique anglaise
Faith of Our Fathers
me venait en tête.

Il adore la série américaine "The West Wing" et il a déjà écrit sur Twitter en se référant à cette série: "Un jour, un jour, la politique québécoise aura cette capacité de symbolisation!"

En fait, Mathieu Bock-Côté souhaite ce que ce carnet dénonce, l'avènement d'une religion civile au Québec. Cette religion civile, il la souhaite simplement un peu plus conservatrice et beaucoup plus attaché aux référents historiques du Québec que ceux qui sont en train de la mettre en place présentement. C'est pour cela que malgré son opposition à ECR, il n'a jamais appuyer la CLÉ.