lundi 14 septembre 2015

Euthanasie — le Québec et son culte du consensus froissés

Texte de Mathieu Bock-Côté :

La nouvelle n’est pas passée sous silence, mais rares sont ceux qui en ont pris la pleine mesure. Dans les premiers jours de septembre, les 29 maisons de soins palliatifs ont annoncé qu’elles feraient dissidence contre la loi assurant l’aide médicale à mourir. Leur argument est simple: elles sont là pour accompagner le patient dans ses derniers jours, pour les humaniser, pas pour se consacrer à l’euthanasie. Ils entendent, à leur manière, et dans la mesure du possible, se soustraire à cette obligation et envoyer vers les hôpitaux ceux qui réclament le suicide assisté.

Gaétan Barrette (ci-contre), l’actuel ministre de la santé, et Véronique Hivon, l’inspiratrice de la loi, désormais dans l’opposition officielle, n’ont pas caché leur colère, ou du moins, leur stupéfaction. On peut résumer ainsi leur réaction: comment les maisons de soins palliatifs osent-elle se dérober au consensus québécois, élaboré au fil des ans, et consacré par la loi? On sentait bien que pour eux, la résistance des maisons de soins palliatifs était inimaginable, inconcevable et surtout, inadmissible.

La réaction des deux leaders politiques avait quelque chose d’absurde: ne se rendaient-ils pas compte que le consensus auquel ils faisaient référence se révélait finalement ... moins consensuelle qu’on ne le disait? Accuser tout un pan de la société de trahir le consensus collectif, n’est-ce pas reconnaître, finalement, qu’il n’existe pas vraiment? À bien des égards, c’est la belle histoire d’une loi adoptée dans l’harmonie généralisée qui éclate devant nous. Que s’est-il vraiment passé?

On nous a vanté un processus législatif exemplaire, conforme aux exigences les plus élevées de la démocratie. Le débat public aurait été exemplaire. Apparemment, tous reconnaissaient la nécessaire reconnaissance d’un droit de mourir dans la dignité – expression politiquement correcte traduisant le droit au suicide médicalement assisté. Apparemment, tous convenaient qu’il fallait désormais considérer comme allant de soi qu’un médecin puisse donner la mort et qu’il s’agissait d’un acte médical.

Dans ce débat, il n’y avait finalement que deux camps autorisés. D’un côté, on avait les partisans enthousiastes du droit de mourir dans la dignité. Et de l’autre, on avait ceux qui confessaient quelques réserves discrètes et gênées sans pour autant remettre en question les fondements de ce projet. Ils n’étaient pas contre. Ils étaient réservés, ou ne se sentaient pas prêts. En un mot, ils n’avaient pas une différence d’objectif, mais de rythme. Le pacte était le suivant: on respecterait les gens du deuxième camp à condition qu’ils acceptent à l’avance d’avoir perdu.

Oh, bien évidemment, on savait qu’il y avait quelques opposants résolus. Mais on les a vite déclarés marginaux et caricaturés en catholiques bornés, suppôts de l’Opus Dei. Il fallait bien les endurer parler et exprimer leur point de vue, mais fondamentalement, ils n’étaient pas les bienvenus dans le débat. On aura bien compris tout cela en commission parlementaire: c’était un grand théâtre où on faisait semblant d’écouter. Mais la décision était déjà prise et on ne permettrait à personne d’empêcher ce grand progrès de s’inscrire dans la loi.

En un mot, on a étouffé le malaise d’un grand nombre et transformé l’opposition avouée au suicide assisté en signe de fermeture d’esprit. Mais aujourd’hui, c’est la réalité qui reprend ses droits. Les désaccords censurés remontent à la surface. Et on se questionne sur l’objection de conscience ou la désobéissance civile. On découvre que le consensus était artificiel et imposé de manière autoritaire. Cela ne veut pas dire que la loi n’est pas légitime. Mais qu’on ne fasse pas semblant que la société communie dans une seule vision.
Réaction d'une artiste subventionnée québécoise
devant une pensée non consensuelle (dans son cercle)


Il y a avait quand même une certaine audace à inscrire le droit au suicide assisté parmi les droits de la personne. Mais la rhétorique des droits, dans la société occidentale contemporaine, semble plus forte que tout. C’est en se maquillant en droit qu’une revendication politique se donne un parfum d’absolu moral auquel il serait indécent de s’opposer. Il faudrait plutôt admettre que sur les questions existentielles, c’est moins la logique des droits qui doit prévaloir que la logique du politique. Personne ne devrait réclamer le monopole de la vertu.

On pourrait élargir le propos: le Québec a souvent l’habitude de se dérober aux débats nécessaires, comme s’il avait le besoin intime de se vautrer dans l’unanimité. Ce qui fait débat ailleurs est ici à peine débattu. On découvrira peut-être un jour qu’une bonne dispute intelligemment menée vaut mieux qu’un silence étouffant. La maturité politique, dans une société, ne consiste pas à abolir la diversité des opinions, mais à reconnaitre la légitimité de désaccords civilisés.

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ECR — Des enseignants peu consultés et toujours mal préparés sept ans plus tard

Extraits d’un article du Devoir de ce jour :

Trop peu formés, trop mal outillés : les enseignants chargés du cours d’Éthique et de culture religieuse se sentent toujours mal préparés et encadrés pour transmettre cette matière à leurs élèves, près de sept ans après son implantation dans la controverse, révèlent les résultats d’une étude obtenue par Le Devoir.

Ex-enseignante et doctorante en sciences de l’éducation à l’Université de Montréal, la chercheuse Anne-Marie Duclos consacre sa thèse à la réception du programme Éthique et culture religieuse (ECR) chez les enseignants du primaire de la région montréalaise. Son analyse porte sur l’implantation et la mise en œuvre de ce cours en contexte de controverse, en 2008. La publication imminente de ces recherches coïncide avec la mise sur pied d’une autre matière controversée, cette année : le nouveau programme d’éducation sexuelle.

Parmi les enseignants du primaire ayant obtenu leur baccalauréat en enseignement avant l’implantation du cours d’ECR, c’est-à-dire la majorité des enseignants du Québec, près de 60 % ont reconnu n’avoir reçu aucune formation pour transmettre la matière à leurs élèves, tandis que 17 % avaient reçu cinq heures de formation, et 25 % plus de six heures. Des données qui étonnent Mme Duclos.

« Six heures pour enseigner toutes les grandes religions et philosophies du monde, ce n’est pas beaucoup, lance-t-elle avec une pointe d’ironie dans la voix. Même si la formation à elle seule n’est pas garante de la réussite ou de l’échec du programme, on peut se demander si cela est suffisant. »

[...]

« À l’époque, il fallait former 23 000 enseignants du primaire, et 2400 spécialistes au secondaire. Ça fait beaucoup de monde, d’autant plus que le gouvernement a coupé le financement de la formation ECR dès 2009 », dit-elle. Cette annulation aussi rapide, qui n’était pas prévue à l’origine, a pu contribuer au faible taux de certification pour l’enseignement d’ECR.

Le sondage mené auprès de 114 enseignants du primaire d’une commission scolaire francophone de Montréal chargés de donner le cours d’Éthique et de culture religieuse montre aussi que la plupart d’entre eux n’ont pas été consultés, ni dans l’implantation ni dans la mise en œuvre du programme d’ECR. Ils n’ont été que 3 % à juger avoir été suffisamment sollicités lors de cette étape de la mise en place du programme.

Implantation controversée

Mis sur pied en 2008, le cours d’ECR présente un aperçu global des différents rites et religions du monde d’un point de vue « neutre et objectif », en y apportant une perspective historique [c’est inexact, une perspective sociologique qui s’intéresse au « phénomène religieux », pas du tout à l’histoire des religieux.]. Il encourage également l’élève à réfléchir aux questions éthiques et sociales [en groupe, avec des balises très politiquement correctes.]

Enseigné dans toutes les écoles de la province, il a une optique strictement « laïque et culturelle ». La loi permet toutefois d’exempter une école privée du programme si le cours de remplacement est jugé « équivalent », ce qui est par exemple le cas au collège Loyola, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal.

Plusieurs parents avaient exprimé leur mécontentement lorsque Québec avait choisi de mettre fin à l’enseignement religieux traditionnel pour le remplacer par le cours d’ECR en 2008. Les enseignants avaient pour leur part fait entendre leurs réserves sur l’élaboration du nouveau cours ainsi que sur sa méthode d’implantation.

Encore aujourd’hui, une majorité d’enseignants (63 %) se demande comment améliorer le programme, même si celui-ci n’est en place que depuis quelques années [sept !], ce qui laisse Mme Duclos songeuse. 

[...]

Mme Duclos dit craindre que le gouvernement du Québec ne répète ces erreurs avec la création d’un nouveau programme d’éducation sexuelle, à l’étape du projet-pilote depuis la rentrée scolaire.
Ce projet pilote se déroule depuis la rentrée dans une quinzaine d’écoles accueillant quelque 8200 élèves, et durera deux ans. Il devrait par la suite être intégré au programme de tous les élèves dès 2017.

Le ministère de l’Éducation, qui encadre le projet, s’est fait avare de commentaires sur le détail des apprentissages prévus, mais le programme offrirait un certain niveau de latitude aux enseignants ou autres intervenants appelés à transmettre la matière aux élèves.