mercredi 4 août 2010

La pédagogie de l’estime de soi

Chronique de ce jour de Mathieu Bock-Côté :

Joseph Facal le rappelait récemment dans le Journal de Montréal, l’école québécoise a renoncé à transmettre les œuvres culturelles. Il avait absolument raison. D’autant plus que le problème de l’école en est moins un d’argent que de philosophie. C’est la mission de l’école qui a changé depuis quelques décennies. Pour le pire.

Il faut revenir aux années 1970 pour comprendre les origines de ce désastre. À ce moment, on assiste à la diffusion d’une idéologie invitant les Occidentaux à avoir honte d’eux-mêmes et de leur héritage culturel. Conséquence de cela, ils ne devraient surtout pas le transmettre, les grandes œuvres étant réduites à l’expression hideuse d’une société aliénée. On souhaitait éviter que la culture occidentale ne contamine une jeunesse à la pureté virginale, appelée à recommencer la société à zéro.

La tristement célèbre réforme scolaire qui domine aujourd’hui l’école québécoise est l’héritière de cette idéologie. Pour la réforme, les connaissances sont accessoires, superflues. Elles relèveraient du bourrage de crâne. L’enfant ne doit rien connaître : il doit plutôt développer des « compétences ». Surtout, il doit partir de son environnement immédiat pour apprendre plutôt que se confronter à des œuvres exigeantes. Adieu Balzac, bonjour Twilight! On en voit les conséquences quand de jeunes esprits nous annoncent qu’ils ne lisent rien pour mieux penser par eux-mêmes! Désormais, l’enfant devrait être évalué selon son propre cheminement. Il n’y a plus de normes valables pour tous. Même le petit cancre se fera dire qu’il est un génie! Louée soit sa créativité! C’est la pédagogie de l’estime de soi.

Il faudra un jour reconnaître tout le mal que les technocrates du ministère de l’Éducation ont fait au Québec. En transformant l’école en laboratoire où tester l’utopie d’une société ne devant rien au passé, ils ont démaillé les liens invisibles mais si précieux qui unissent les générations. Nous en payerons encore longtemps le prix.

L’école n’a pas à flatter l’égo des enfants mais à développer chez eux le désir de se cultiver. Elle doit même les amener à vénérer les grandes œuvres qui sont le sel de notre civilisation et qui témoignent de la permanence de la condition humaine. Rien de tout cela n’est possible sans efforts. Il faudra le rappeler au ministère en pariant sur une école qui donne à chacun, et surtout aux plus modestes, l’occasion d’accéder à un héritage culturel qu’il ne faut plus sacrifier mais enfin partager.

Comparer cette estime de soi autarcique surévaluée dans la pédagogie actuelle et l'« aïdos » (αἰδώς) dont parle Alain Finkielkraut  dans cette conférence. L'aïdos est la notion grecque du respect de l'opinion des autres, de l'humilité, de la honte et de la modestie, base de l'apprentissage.




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