Depuis la réforme d’Affelnet en 2021, l’origine sociale compte autant que les notes, si ce n’est plus, pour intégrer un établissement réputé. Et les résultats ont considérablement baissé. Affelnet (Affectation des élèves par le Net) est la plateforme informatique du ministère de l'Éducation nationale français qui gère l'affectation centralisée des collégiens de 3e dans les lycées publics (seconde générale, technologique, professionnelle ou CAP) en fonction de leurs vœux, résultats scolaires, critères sociaux et localisation géographique, grâce à un algorithme qui classe les élèves pour leur attribuer une place dans un établissement à la rentrée
L’indice de positionnement social utilisé pour organiser la mixité scolaire augmente les candidatures des élèves des collèges défavorisés et pèse sur les résultats des lycées élitaires.
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| Lycée Charlemagne. En 2025, Charlemagne s’est ainsi tout juste maintenu dans le top 100 du classement du Figaro Étudiant. |
Pourtant, la situation a bien changé depuis 2021 et la réforme d’Affelnet, cette plateforme de répartition des élèves de 3e vers le lycée. Le recteur de l’académie de Paris et chef d’orchestre de la réforme, Christophe Kerrero, l’avait du reste annoncé : le problème, c’était les « lycées de niveau» (comprendre, les établissements élitistes et attractifs). Puisqu’ils engendraient une « anxiété généralisée », le rectorat entendait introduire davantage de mixité sociale et scolaire dans les établissements de la capitale.
Objectif atteint : entre 2019 et 2023, la « ségrégation sociale » a baissé de 49 %, et la « ségrégation scolaire » de 39 % dans les lycées publics parisiens, selon le bilan du comité de suivi de la réforme de mars 2024. Mais cette mixité scolaire, et l’accueil d’élèves au niveau plus hétéroclite, présentés de manière positive par le rectorat, ont conduit à une baisse du niveau des meilleurs lycées publics parisiens. Une crainte exprimée au moment de la réforme par une partie des parents d’élèves et des enseignants des lycées les plus prestigieux.
Les résultats du baccalauréat 2024 permettent de comparer équitablement le niveau des élèves de terminale de la première promotion recrutée via Affelnet en 2021, sur la base de leurs performances à un examen national. Selon les données compilées par Le Figaro, le niveau a sensiblement baissé dans plusieurs lycées parmi les plus réputés. Le lycée Condorcet (9e arrondissement) obtenait ainsi 40% de mentions « très bien » (entre 16 et 18/20 de moyenne) en 2022, et 45 % en 2023. En 2024, ce taux est tombé à 25 %. Les mentions « félicitations du jury» (18/20 de moyenne au moins) ont aussi chuté à 3 %, contre 7 et 9% précédemment. La baisse s’observe aussi au classement annuel des lycées du Figaro Étudiant, qui prend notamment en compte les résultats au baccalauréat de l’année précédente : 17e en 2023, 14e en 2024, Condorcet est tombé à la 54e place en 2025 (bac 2024).
Cette réalité n’a pas échappé aux parents d’élèves de l’établissement. « Le lycée reçoit des gens qui n’ont plus le niveau par rapport à celui qu’on constatait auparavant », témoigne Emmanuel Garot, président de la Peep (la deuxième fédération de parents d’élèves sur le plan national), longtemps engagé auprès du lycée Condorcet. « Il y a toujours de bons élèves, il y a plus de mentions “bien”, mais on est moins sur l’excellence. »
Depuis sa réforme, Affelnet organise cette mixité scolaire en combinant les résultats scolaires de l’élève, la proximité géographique des lycées demandés, mais aussi le fameux « bonus IPS » (« indice de positionnement social») fondé sur la profession des parents. Ce critère favorise considérablement les candidatures des élèves des collèges défavorisés au détriment de ceux des établissements de meilleur niveau. Contacté, le rectorat de Paris n’a pas souhaité réagir.
Au-delà des résultats, l’adaptation des élèves n’est pas toujours simple. « Pour certains élèves priorisés grâce à leur IPS, c’est un vrai cadeau empoisonné », souligne Sébastien Friedrich, représentant de la Peep pour le collège Condorcet. « Ils vont se faire laminer par des profs qui ne changent pas leur pédagogie ni leur façon de noter. À l’inverse, les élèves basculés des bons collèges vers des lycées moins bons vont parfois se retrouver stigmatisés parce qu’ils bossent, alors qu’ils sont entourés d’élèves qui ne bossent pas ! Le risque, c’est qu’ils finissent eux-mêmes par devenir très moyens. »
D’autres parents d’élèves y voient une formidable chance pour leurs enfants. Grâce à la réforme et un bonus IPS maximal, la fille de Claire, qui était inscrite dans un collège peu réputé de l’est parisien, a pu intégrer le prestigieux lycée Sophie-germain (4e arrondissement).
« Ma fille avait 16 de moyenne, donc elle a mérité sa place », souligne Claire, qui se dit satisfaite de la réforme. « Je ne crois pas que le niveau ait baissé, ce sont encore les bons dossiers qui passent, mais il y a plus de mixité, c’est certain. »
Sophie-Germain a pourtant connu la même trajectoire que Condorcet. Ainsi, 95 % des élèves ont obtenu le baccalauréat avec mention en 2022 et 2023. Ils n’étaient plus que 8 sur 10 en 2024. Les mentions « très bien », elles, sont passées de 27% à 17% seulement. Au classement du Figaro Étudiant, l’établissement a rétrogradé de 100 places entre 2024 et 2025 (résultats du bac 2024). À quelques pâtés de maisons, la situation est comparable pour le lycée Charlemagne (4e arrondissement) : seulement un bachelier sur quatre avec mention «très bien» en 2024 contre environ 37 % les années précédentes. Les « félicitations » sont passées de 4 % à 1 %.
« Le lycée Condorcet reçoit des gens qui n’ont plus le niveau par rapport à celui qu’on constatait auparavant »Emmanuel Garot président de la Peep
En 2025, Charlemagne s’est tout juste maintenu dans le top 100 du classement du Figaro Étudiant (99e place), alors qu’il était 26e et 7e les années précédentes. Ce, alors même que le comité de suivi de la réforme regrettait, dans son dernier bilan, que l’établissement recrute encore trop de bons élèves : 74 % des élèves qui sont entrés en seconde en 2022 avaient encore plus de 15/20 de moyenne. Ils étaient 69 % en 2023.
Les grands perdants de cette mixité scolaire imposée sont les familles des quartiers bourgeois de la capitale. Avant la réforme, l’académie de Paris était divisée en quatre secteurs géographiques. Affelnet valorisait les candidatures des collégiens pour un lycée de leur secteur. Depuis la réforme de 2021, chaque collège se voit assigner cinq lycées (dits « lycées de secteur 1»), de niveau variable, situés à proximité. Mais beaucoup constatent que leurs enfants, en dépit d’un excellent niveau, n’ont plus accès ou presque aux meilleurs lycées de leur secteur faute de bonus IPS (Lavoisier, Fénelon, Charlemagne, Sophie-germain, Turgot, Condorcet, Chaptal, Carnot…).
Les collégiens d’Henri-IV peuvent par exemple postuler théoriquement à Sophie-Germain, Fénelon, Lavoisier et dans les moins réputés lycées Paul Bert et Rodin. Sauf qu’il était quasi impossible d’accéder aux trois premiers pour un collégien sans bonus IPS (comme à Henri-IV) en 2023, selon les données compilées par Frédéric Gaume. Agnès*, parent d’élève d’un collégien d’Henri-IV, s’attend à ce que son fils, pourtant bon élève, n’intègre pas l’un de ces lycées faute de bonus IPS. « La plupart des parents acceptent l’impératif de mixité sociale, mais la mixité scolaire pose question », s’insurge la mère de famille. « C’est difficile d’expliquer à mon ado que le travail paye, alors que dans les faits non, le travail ne paie pas!» Certains élèves sont donc contraints à étudier dans des lycées moyens (dans le meilleur des cas) pour y jouer le rôle d’éléments moteurs. Dans le même temps, le niveau des lycées Lavoisier (5e arrondissement) et Fénelon (6e arrondissement), moins accessibles à ces profils de bon niveau, a baissé. Les terminales de Lavoisier n’ont ramené que 25 % de mentions « très bien » et 1 % de « félicitations » en 2024 contre 38% de « très bien » et 4% à 6% de « félicitations » en 2022 et 2023. Dans l’arrondissement voisin, rue de l’éperon, le taux de mentions « très bien » des bacheliers de Fénelon est passé de 42 % à 32 % sur la même période.
Le lycée Henri-IV et son non moins prestigieux voisin de la colline Sainte-Geneviève, Louis-le-Grand, font figure d’exception. Leur intégration à Affelnet en 2022, un an après la réforme, avait suscité une levée de boucliers, puisqu’elle signait la fin de la sélection sur dossier (à l’exception des collégiens non-parisiens) des candidats les plus brillants, faisant craindre, là encore, une baisse de niveau. Pour calmer la colère, les deux meilleurs lycées publics de Paris ont bénéficié d’un traitement de faveur : ils sont accessibles à tous les collégiens de Paris et des quotas selon les collèges d’origine (favorisés, intermédiaires, défavorisés) ont été introduits pour atténuer le poids de L’IPS. Un système sur mesure qui avait l’avantage de renforcer la mixité sociale mais pas scolaire, et donc de conserver le caractère élitiste des lieux. Le bilan 2023 du comité de suivi de la réforme faisait donc état d’une diversification sociologique des profils chez les admis en seconde, mais d’un niveau stable et même en légère hausse compte tenu des résultats au brevet.
Les résultats du bac 2025 transmis par ces deux établissements témoignent d’un niveau stable. La première promotion de terminales recrutée via Affelnet a obtenu des résultats comparables aux années précédentes avec 30 % de « félicitations » et 50 % de « très bien » à Louis-le-Grand et 63 % de mentions « très bien » et « félicitations » à Henri-IV. « Certains disaient que ça allait être l’effondrement du niveau, or il n’en est rien », soulignait en septembre Joël Bianco, proviseur du lycée Louis-le-Grand, auprès du Figaro. « Parcoursup, réussite et mentions au baccalauréat, concours général... tous les voyants sont au vert. L’équilibre est maintenu. »
Le célèbre concours général, précisément, est le seul point d’alerte pour le lycée Henri-IV. L’établissement, qui partageait le podium des lycées les plus titrés avec Louis-le-grand et Stanislas ces dernières années, s’est effondré en 2025 avec seulement trois récompenses et une décevante 13e place au classement du Figaro Étudiant. «C’est une année sans», balayait en septembre la proviseur du lycée, Stéphanie Motta-Garcia, qui confiait n’avoir « pas d’éléments d’explication objectifs à apporter », mais se disait persuadée que cela n’était pas lié à Affelnet.
De fait, les mentions au baccalauréat, qui témoignent d’un niveau stable, sont un indicateur plus fiable qu’un concours auquel seul une petite partie des élèves, les meilleurs, se présentent. Pour autant, le concours général reste un élément de réputation important pour ces lycées élitistes. « Cela fait très longtemps que le premier thermomètre qu’on a sur ce genre de lycée, ce n’est plus le bac mais le concours général », souligne Anne, une ancienne élève d’Henri-IV.
Le brassage des niveaux n’a pas que des conséquences négatives. C’est aussi une aubaine pour certains lycées autrefois boudés par les bons élèves. Le lycée Voltaire (11e arrondissement) a par exemple vu son IPS moyen progresser de 109 à 122 entre 2020 et 2023. En 2024, 54 % des bacheliers de l’établissement ont obtenu une mention au baccalauréat, contre seulement 34 % et 38 % les années précédentes. Même chose au lycée Henri Bergson (19e arrondissement), qui a souffert longtemps d’une mauvaise réputation : 54% de mentions en 2024, contre 31% l’année précédente.
«C’était un lycée très fui», reconnaît Lise Bilien, parent d’élève à Henri Bergson, qui souligne que cette progression s’explique aussi par « l’arrivée d’élèves en cursus musique » et danse depuis la fermeture du voisin lycée Georges Brassens (19e arrondissement). «Mais ça n’a pas empêché beaucoup de parents de se tourner vers le privé pour le lycée », estime Lise Bilien. Une fuite dont témoignent plusieurs parents, mais dont l’ampleur n’est pas chiffrée.
C’est l’angle mort de la réforme d’Affelnet. « Avant cette réforme, on se faisait concurrence entre nous à l’intérieur du système public, avec l’émergence des lycées de niveaux», soulignait Christophe Kerrero auprès du Monde en février 2023. «Aujourd’hui, on va vers plus d’apaisement et moins de pression pour les élèves et leurs familles. » Mais il reconnaissait plus loin : « Nous avons repéré des écoles dans le nord et l’est de Paris où l’évitement était important. »
Et si l’un des grands gagnants de la réforme était l’enseignement privé ? Aujourd’hui, à Paris, se dessine année après année une carte scolaire dans laquelle il n’y aurait plus que deux lycées publics d’élite et une quarantaine de lycées de niveau moyen. Et tant pis pour les établissements qui, jusqu’ici, se démarquaient. « Le rectorat, qui souhaitait rapprocher les niveaux des différents lycées, est en train d’arriver à ses fins », soupire Emmanuel Garot.
* Le prénom a été modifié
Source : Le Figaro
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