dimanche 16 novembre 2025

Paris : 52 animateurs périscolaires suspendus pour violences sexuelles sur des enfants de 3 à 6 ans

La mairie de Paris a révélé, vendredi, un bilan glaçant : 52 animateurs périscolaires ont été suspendus entre 2022 et 2025 pour des signalements de violences sexuelles sur des enfants, majoritairement scolarisés en maternelle et en primaire, donc âgés de 3 à 6 ans. En 2025 seul, 16 cas ont déjà été recensés, un rythme constant depuis trois ans.Ces affaires, qui touchent les temps d’activités périscolaires (TAP) des mardis et vendredis après-midi, ont déclenché une vague d’indignation chez les parents et une réponse institutionnelle tardive, mais ferme.

Des faits précis, des victimes très jeunes

Dans le 11e arrondissement, deux établissements ont été particulièrement secoués :
  • École maternelle Alphonse-Baudin (avril 2025) : Deux animateurs suspendus. L’un sera jugé le 25 novembre pour agressions sexuelles sur cinq mineurs de moins de 15 ans et sur une collègue. L’autre a bénéficié d’un classement sans suite, mais reste écarté.
  • École maternelle Bullourde (octobre 2025) : Trois animateurs suspendus pour exhibition, agressions sexuelles et faits à caractère sexuel. Une fillette de 3 ans est au centre de l’enquête. Un camarade du même âge a témoigné avoir vu des actes. Lors de son audition par la Brigade de protection des mineurs (BPM), l’enfant a mimé des gestes précis, jugés incompatibles avec l’imagination d’un très jeune enfant.
La famille, par la voix de Me Arié Alimi, a porté plainte mi-novembre avec constitution de partie civile pour viol aggravé sur mineure de moins de 15 ans par personne ayant autorité.  « Nous craignons un très grand nombre de victimes potentielles, des faits massifs », a déclaré l’avocat, dénonçant l’opacité totale des services d’enquête et de la mairie.

D’autres familles ont été entendues. Aucune n’a reçu de suivi régulier.

Un recrutement massif, une vigilance défaillante ?


Pour Emmanuel Garot, président de la Peep (Fédération de parents d’élèves de l’enseignement public), la cause est structurelle : « Depuis la réforme des rythmes scolaires en 2013, le recrutement de 3 000 animateurs par an a été trop rapide et insuffisamment contrôlé. Des prédateurs en profitent. »


samedi 15 novembre 2025

Immigration au Canada : entre annonces officielles et réalité

Le gouvernement libéral affirme avoir réduit ses cibles d’immigration, les fixant à 380 000 résidents permanents par année. Toutefois, comme l’ont souligné plusieurs observateurs, le total réel approche plutôt les 528 000, lorsqu’on ajoute 33 000 travailleurs étrangers temporaires qui, selon certains, auraient acquis un droit de résidence permanent après de longues années au Canada à titre strictement temporaire, ainsi que 115 000 personnes dites « protégées ».


Au final, ce sont 148 000 admissions supplémentaires sur trois ans qui demeurent largement invisibles, dissimulées dans les notes budgétaires. Une légère réduction officielle ne suffit donc pas à répondre aux pressions croissantes — et rien n’indique que le gouvernement s’attaque réellement au problème.

La députée fédérale Rempel Garner a également attiré l’attention sur une pétition déposée à la Chambre des communes par la députée libérale Amandeep Sodhi, réclamant la résidence permanente et un soutien fédéral pour les étudiants étrangers et les travailleurs migrants menacés d’expulsion. Alors que de trois à cinq millions de détenteurs de visas temporaires ont déjà expiré ou arriveront à échéance sous peu, cette démarche apparaît pour plusieurs comme une tentative ouverte de normaliser des situations de dépassement de statut, un recul notable pour un gouvernement qui affirme vouloir réformer le système.

Pendant ce temps, 6,5 millions de Canadiens n’ont pas de médecin de famille, et la crise du logement continue de s’aggraver. Malgré cela, les critiques dénoncent la poursuite de « comptabilité créative » en matière d'immigration. Une majorité de citoyens réclament encore des ajustements majeurs aux politiques d’admission, et les gestes récents du gouvernement semblent aller à l’encontre de cette demande.

Un nouveau programme sous Carney : des obstacles supplémentaires pour les jeunes Québécois

Après la controverse des « Chaires du Canada », qui a exclu certains candidats (trop masculins, trop blancs) des postes professoraux, M. Carney présente un nouveau programme susceptible de compliquer davantage l’accès des jeunes Québécois aux postes de professeurs dans les universités québécoises.

Dans son allocution du 7 novembre 2025 au Canadian Club, le premier ministre a annoncé le lancement d’une Stratégie nationale d’attraction des talents internationaux, dotée de 1,7 milliard de dollars, visant à recruter activement des chercheurs et universitaires étrangers. Il a également mis de l’avant son intention d’accroître les admissions de migrants économiques, notamment en facilitant l’arrivée de titulaires du visa américain H-1B.

Pour le gouvernement, ces mesures doivent stimuler l’innovation et la compétitivité du pays. Pour d’autres, elles risquent plutôt de marginaliser une nouvelle fois les candidats locaux — en particulier les jeunes universitaires québécois — en augmentant la concurrence internationale sur des postes déjà rares.

Chômage des jeunes près du double que celui de la population générale

En 2025, le chômage des jeunes demeure nettement plus élevé que celui de la population générale au Canada comme au Québec. À l’échelle canadienne, les 15-24 ans affichent un taux d’environ 14,7 %, soit plus du double du chômage global qui tourne autour de 7 %. Au Québec, la situation est un peu moins tendue : les jeunes présentent un taux d’environ 9,9 % pour cette même tranche d’âge, comparativement à un chômage général avoisinant 6,3 %. Malgré des variations régionales, l’écart entre jeunes et adultes reste marqué, confirmant qu’en 2025 les nouveaux entrants sur le marché du travail demeurent beaucoup plus exposés à l’instabilité et aux difficultés d’intégration que le reste de la population active.

Conclusion


Entre objectifs officiels et chiffres réels, démarches parlementaires et nouvelles stratégies d’attraction internationale, le gouvernement libéral maintient une orientation résolument militante en faveur d'une immigration élevée (aucune mesure nataliste n'a été annoncée). Or, pour de nombreux Canadiens, cette approche accentue des pressions déjà fortes sur les services publics, le logement et les perspectives professionnelles locales.

16 novembre 1885, pendaison de Louis Riel par les Britanniques


 

Louis Riel est le chef des Métis lors de la rébellion de la Rivière Rouge en 1869. Il est à 7/8 e d’ascendance française et 1/8 e indienne. Louis Riel, ainé de onze enfants, y naît en 1844 de Louis Riel (père) (1817-1864) et de Julie Lagimodière (1822-1906). Les parents de Julie sont Marie-Anne Gaboury et Jean-Baptiste Lagimodière, tous deux considérés comme des pionniers de l’Ouest canadien et des Prairies. Louis Riel (fils) suit tout d’abord les cours dispensés par les prêtres catholiques de Saint-Boniface dans le Manitoba. Remarqué par l’évêque Alexandre Taché, qui promeut l’accession à la prêtrise pour les jeunes Métis les plus prometteurs, il part pour le petit séminaire du Collège de Montréal, au Québec (à plus de 2000 km à l’Est de Saint-Boniface). Les témoignages de cette époque laissent deviner un étudiant doué pour les langues, les sciences et la philosophie, mais de tempérament lunatique. Après un bref séjour de 1866 à 1867 aux États-Unis, Louis Riel revient à la rivière Rouge (du Manitoba) le 26 juillet 1868.

Il agit comme président du Comité national des Métis. Après avoir forcé l’arrêt du mesurage des terres du Nord-Ouest par les arpenteurs ontariens, les Métis s’emparent du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Upper Fort Garry. À titre de gouvernement provisoire, le Comité négocie l’adhésion des habitants du Nord-Ouest dans le nouveau « Dominion du Canada », ce qui aboutit en 1870 par la création de la province du Manitoba. Malheureusement, durant cette période, une cour martiale métisse condamne l’aventurier Thomas Scott à mort par peloton d’exécution. Scott, Irlandais d’origine, devient le martyr des anglophones protestants et orangistes et sa mort devient pour eux le symbole de l’hostilité des Métis envers l’Ontario.

Durant la décennie qui va suivre, Riel se réfugie aux États-Unis. Même s’il est élu député de la Chambre des communes, il ne pourra jamais y siéger étant contraint à l’exil en raison de sa condamnation pour le meurtre de Scott. Il est également atteint d’une forme de mysticisme religieux qui force ses proches à le faire interner dans des « hôpitaux pour lunatiques » du Québec entre 1875 et 1878. Il se rend ensuite au Montana jusqu’en 1884, date où il accepte de revenir dans le Nord-Ouest canadien. Convaincu qu’il est un prophète du Nouveau Monde, Riel organise et dirige la rébellion du Nord-Ouest. Après une série de batailles, Riel se rend aux éclaireurs de la Police à cheval du Nord-Ouest le 15 mai 1885.

Le 6 juillet suivant, Riel est accusé de trahison. Son procès se déroule à Regina. Bien que son avocat tente de plaider l’aliénation mentale, Riel réclame un procès politique. Amené à la barre, Louis Riel fait un discours virulent lorsqu’il s’adresse au jury. Il est finalement reconnu coupable ; les nombreux appels à la clémence ne peuvent le sauver. Son exécution est reportée trois fois, sous une pression populaire grandissante, surtout au Québec. Rien n’y fait, le verdict est maintenu en appel. Le 16 novembre 1885, Louis Riel est pendu à Regina. Depuis sa mémoire a été partiellement réhabilitée puisqu’il est considéré comme le fondateur du Manitoba et comme un des Pères de la Confédération.

Voir aussi

 22 janvier 1890 : le français aboli comme langue officielle et d’enseignement au Manitoba

 

vendredi 14 novembre 2025

Canada — 42,3 % des nouveau-nés en 2024 avaient une mère d'origine étrangère

En 2024, plus de 2 nouveau-nés sur 5 (42,3 %) avaient une mère d’origine étrangère ; cette proportion a presque doublé en un peu plus d’un quart de siècle. En outre, près de 3 nouveau-nés de mères âgées de plus de 40 ans sur 5 (57,0 %) avaient une mère d’origine étrangère en 2024.  

Parmi toutes les naissances survenues au Canada, la part attribuable à des mères nées en Inde a presque quintuplé de 1997 à 2024, passant de 2,1 % à 10,3 %, ce qui a fait de l’Inde, en 2024, le principal pays d’origine des nouvelles mères nées à l’étranger. Après l’Inde, le deuxième pays d’origine le plus fréquent parmi les mères d’origine étrangère en 2024 était les Philippines, représentant 3,1 % de toutes les naissances, suivi de la Chine (2,0 % de toutes les naissances).

Les provinces de l’Ontario et de la Colombie-Britannique (48,7 % chacune) ont enregistré la plus forte proportion de naissances de mères d’origine étrangère en 2024, tandis que la proportion la plus faible a été observée dans les provinces de l’Atlantique (23,6 %). Au Québec, ce chiffre s’établit à 32,8 %.

De 1997 à 2024, les hausses les plus importantes du nombre de naissances attribuables à des mères d’origine étrangère se sont produites en Saskatchewan (+437 %), dans les provinces de l’Atlantique (+298 %), en Alberta (+264 %) et au Manitoba (+206 %).

Haïti, l’Algérie, la France et le Maroc sont les pays d’origine les plus courants parmi les mères nées à l’étranger au Québec

Les pays d’origine les plus répandus des mères nées à l’étranger et vivant au Québec diffèrent considérablement du portrait national. En 2024, les sept pays de provenance les plus courants étaient les suivants, présentés en ordre décroissant d’importance : Haïti (2,6 %), l’Algérie (2,5 %), la France (2,1 %), le Maroc (2,0 %), la Chine (0,9 %), les Philippines (0,7 %) et le Liban (0,6 %). Ce profil particulier reflète en partie la sélection des migrants internationaux allant s’installer au Québec. Ces personnes sont sélectionnées en partie selon leur connaissance du français, et le français est la langue parlée par une importante proportion de la population dans plusieurs de ces sept pays. En 2022, cette proportion était estimée à 98 % en France, à 42 % en Haïti, à 38 % au Liban, à 36 % au Maroc et à 33 % en Algérie (Marcoux et coll., 2022).

La contribution combinée de ces sept pays d’origine maternelle aux naissances au Québec a progressé de 1997 (4,7 %) à 2024 (11,4 %), surtout en raison de la hausse des naissances de mères nées en Algérie, en France et au Maroc, ainsi qu’en Haïti dans les années plus récentes. Les naissances de mères nées en Haïti sont arrivées au premier rang en ce qui concerne leur proportion : en 2024, elle représentait plus d’une fois et demie la proportion de 1997 (2,6 % par rapport à 1,7 %, respectivement). De 1997 à 2024, la proportion des naissances attribuables aux mères nées en Algérie a octuplé (passant de 0,3 % à 2,5 %), elle a triplé chez les nouvelles mères nées en France (passant de 0,7 % à 2,1 %) et a quadruplé chez celles nées au Maroc (passant de 0,5 % à 2,0 %).

 
Proportion en pourcentage de naissances de mères nées à l’étranger selon la province de résidence (1997 à 2024)

Année Canada Prov. atlant. Québec Ontario Man. Sask. Alberta Col.-Brit.
proportion (pourcentage)
Notes : Les naissances dont le lieu de naissance de la mère est inconnu ont été réparties selon une imputation par donneur. Les données de 2024 sont considérées comme provisoires.
Sources : Statistique Canada, Base canadienne de données de l’état civil — Naissance (BCDECN).
1997 22,5 4,6 15,3 31,7 12,6 5,1 17,8 30,9
1998 22,7 4,2 15,5 31,7 12,1 4,7 18,0 31,3
1999 23,0 4,3 15,7 32,3 12,4 4,8 18,1 31,5
2000 24,2 4,6 16,5 33,8 13,7 5,3 18,8 33,3
2001 24,2 4,5 16,5 34,1 13,2 4,9 18,5 32,6
2002 24,9 4,6 17,3 35,0 13,8 4,8 19,1 33,2
2003 25,2 4,8 18,3 35,2 13,6 5,3 19,7 32,6
2004 25,9 4,5 19,1 36,0 14,4 5,0 20,2 33,2
2005 26,2 4,7 19,7 36,3 15,2 5,3 20,3 33,0
2006 26,6 4,9 20,3 36,7 15,2 5,7 21,5 32,6
2007 26,7 5,0 20,6 36,6 16,0 5,8 22,7 32,8
2008 26,7 5,2 20,5 36,3 17,0 6,6 24,3 32,2
2009 26,9 5,5 20,9 35,9 18,4 7,6 25,0 33,0
2010 27,4 6,0 21,8 36,2 19,0 9,2 26,6 32,5
2011 27,7 6,0 22,4 35,5 20,8 11,3 27,0 33,3
2012 28,7 6,6 23,1 36,1 22,3 13,1 28,9 35,4
2013 28,7 7,2 23,7 35,5 22,7 15,3 29,8 34,2
2014 29,4 7,4 24,1 35,5 24,3 17,2 31,7 35,1
2015 29,7 7,6 24,5 35,5 24,9 18,4 32,8 34,9
2016 30,9 8,6 24,9 36,8 26,9 19,6 34,3 36,3
2017 31,9 9,3 25,7 37,7 28,6 21,2 35,5 37,3
2018 32,9 10,6 26,6 38,7 29,6 22,3 36,4 38,5
2019 33,8 11,9 26,7 39,6 29,5 22,5 37,8 40,6
2020 34,2 13,4 26,1 40,3 30,6 23,0 38,4 40,6
2021 33,0 13,2 24,6 39,4 29,7 21,2 37,1 39,3
2022 35,8 15,3 27,7 42,5 30,8 21,9 39,6 42,1
2023 39,3 19,4 30,6 45,9 33,2 24,7 43,2 45,7
2024 42,3 23,6 32,8 48,7 36,3 27,2 46,4 48,7

jeudi 13 novembre 2025

Mali — Suspension des cours dans les écoles et universités pour cause de pénurie d'essence (m à j)


Billet du 27 octobre

Le ministre malien de l’Éducation a annoncé la suspension des cours dans les écoles et universités de tout le pays pour une durée de deux semaines.

Trente-huit mois après le départ des troupes françaises du Mali et l'arrivée au pouvoir d'un junte militaire hostile à la France, la situation se détériore.

Cette mesure intervient alors que des militants djihadistes ont imposé un blocus des importations de carburant à destination de Ouagadougou, provoquant une pénurie d’essence.

« Les cours seront suspendus sur l’ensemble du territoire national du lundi 27 octobre 2025 au dimanche 9 novembre 2025. Les cours reprendront le 10 novembre 2025. 

Cette décision est motivée par des perturbations dans l’approvisionnement en carburant, qui ont affecté les déplacements du personnel scolaire. Afin d’assurer la continuité de l’enseignement et l’achèvement des programmes d’études, des dispositions sont prises pour ajuster les calendriers scolaires et universitaires », a déclaré Amadou Sy Savané, ministre malien de l’Éducation, à la télévision nationale.

Les militants du groupe Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, soutenu par Al-Qaïda, ont annoncé début septembre l’interdiction des importations de carburant en provenance des pays voisins vers le Mali, mettant à mal l’économie fragile du pays enclavé et laissant des centaines de camions-citernes bloqués à la frontière.

Le Mali, tout comme ses voisins le Burkina Faso et le Niger, lutte contre l’insurrection menée par des groupes armés, dont certains sont alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique, ainsi que par des rebelles locaux.

Le départ des troupes françaises du Mali s'est achevé le 15 août 2022 après plus de neuf ans d'intervention, suite à la décision d'Emmanuel Macron du 17 février 2022. Ce retrait a été motivé par la dégradation des relations avec la junte malienne au pouvoir.

 

mardi 11 novembre 2025

Pierre-André Taguieff sur le déni d’existence du racisme anti-Blancs


Pour Pierre-André Taguieff, une des clés d’explication du déni d’existence du racisme anti-Blancs est liée à une vision simpliste du racisme. Le philosophe poursuit son analyse critique de l’emploi du terme “racisme”. Entretien paru dans Valeurs Actuelles. 


Comme l’illustre le meurtre de Thomas Perotto à Crépol, le 19 novembre 2023, le racisme anti-Blancs fait débat dans la société française. L’observer revient à faire partie de l’extrême droite. En effet, explique le philosophe et historien des idées Pierre-André Taguieff, une « vision “coloriste”, privilégiant l’opposition entre “Blancs” et “Noirs”, est présupposée par la plupart des approches du racisme en tant que phénomène moderne ». Cette approche biaisée empêche de correctement appréhender la réalité. Le nouvel ouvrage de l’intellectuel propose de réexaminer les concepts afin de comprendre comment ce racisme contre les Blancs a même fait émerger un antiracisme anti-Blancs.

— Pourquoi le racisme anti-Blancs est-il taxé d’invention de l’extrême droite ?

— D’abord, parce qu’attribuer l’invention d’un phénomène social supposé fictif à “l’extrême droite”, catégorie floue et à géométrie variable, mais surtout instrument de disqualification de l’adversaire, est la manière la plus simple d’en nier l’existence. Ensuite, pour les nouveaux militants gauchistes qui se disent “progressistes”, cela permet de diaboliser tous ceux qui osent braver le politiquement correct en affirmant l’existence du racisme anti-Blancs. Ils sont ainsi classés parmi les “fascistes”, les “réactionnaires”, etc. Dans la guerre idéologique et culturelle, le simple fait de reconnaître, sur la base de nombreux indices, l’existence du racisme anti-Blancs fait de vous un ennemi de l’antiracisme et de l’antifascisme, atteint de “crispation identitaire”.

Enfin, c’est préserver la principale idée reçue sur le racisme, à savoir qu’il est nécessairement et exclusivement un “racisme blanc” dont les victimes sont des “non-Blancs”. Il s’agit de rendre inattaquable le postulat que le racisme est un instrument de domination, d’exploitation et de discrimination fabriqué par “les Blancs”, c’est-à-dire les peuples européens ou occidentaux et eux seuls, lesquels, en conséquence, sont coupables d’infériorisation et de déshumanisation des “autres”.

—  Que révèle cette volonté de ne dénoncer qu’un seul racisme, celui de “Blancs” à l’encontre des “non-Blancs”?

Il s’agit d’une mise en accusation des peuples “blancs”, dénoncés comme animés d’une “haine de l’autre” théorisée ou idéologisée, dont on ne trouverait aucune trace chez les non-Blancs. C’est là, selon les types d’accusateurs, un mythe, un mensonge de propagande ou l’expression d’une ignorance prétentieuse. Les intellectuels militants qui se veulent antiracistes, en disciples appliqués des universitaires d’extrême gauche à l’américaine, réduisent désormais la “blanchité” (whiteness) à une construction sociale occidentale, donc liée à la “domination blanche” et au “privilège blanc”. Certains néoantiracistes dénoncent le “pacte de blanchité” qui unirait tous les Blancs, soucieux d’assurer leur domination. D’où les usages exclusivement péjoratifs du mot, qui fonctionne ordinairement comme un terme polémique.

Il faut rappeler ici que de très nombreux ouvrages “antiracistes” sur le racisme parus aux États-Unis depuis les années 1980 soutiennent la thèse de “la nature indélébile du racisme blanc”. Traduisons : les Blancs ne peuvent cesser d’être racistes, car la “race blanche”, pour être une construction sociale, n’en est pas moins porteuse de racisme. La référence à la race n’a donc pas disparu. Le racisme est devenu l’attribut principal de la blanchité. Mais, alors que les Blancs sont accusés de racisme, ils seraient les seuls à l’être. D’où le rejet sans discussion de la notion de racisme anti-Blancs.

« Le caractère pluridimensionnel du racisme n’est pas pris en compte », observez-vous. Quelles conséquences ?

La complexité du phénomène nommé “racisme” est généralement méconnue, en particulier par ceux qui emploient le mot dans une intention polémique et ont intérêt à l’utiliser comme un mot-massue. La distinction entre le racialisme, vision de la diversité humaine en termes de races différentes et (le plus souvent) inégales, et le racisme, théorie et pratique d’un projet de domination ou d’exclusion, est un préalable obligé. Disons qu’en tout racialisme prévaut une visée cognitive s’accompagnant souvent d’illusions scientistes prises pour des explications scientifiques, alors qu’en tout racisme, ce sont les conclusions normatives et prescriptives qui prévalent, impliquant des appels à la haine et à la violence, à la discrimination, à la ségrégation ou à l’expulsion, voire à l’extermination.

Vous proposez de gagner en nuances…

Pour rompre avec le simplisme, j’ai construit le modèle des cinq dimensions du racisme, qui renvoient à autant de domaines où le racisme est observable et qui s’articulent entre eux de diverses manières. Le premier domaine concerne les attitudes (opinions, croyances, préjugés, stéréotypes), produits de divers héritages culturels ; le deuxième s’intéresse aux comportements individuels ou collectifs, qui vont de l’évitement à la discrimination, et de l’agression à la persécution, liés ou non à des mobilisations de masse ; le troisième se rapporte à la sphère dite institutionnelle, c’est-à-dire les fonctionnements institutionnels comme la ségrégation ou la discrimination, qui ne sont pas toujours reconnus comme tels, notamment lorsqu’ils se rencontrent sous de nouvelles formes (voilées, euphémisées, non revendiquées), dans ce qu’il est convenu d’appeler le “racisme systémique” ou dans le “racisme symbolique”, formation de compromis entre les valeurs-normes antiracistes et les attitudes racistes ; le quatrième englobe l’espace affectivoimaginaire, c’est-à-dire le monde des représentations, parfois délirantes — notamment complotistes —, associées à des investissements affectifs et se manifestant par des réactions émotives ou passionnelles négatives (peur, dégoût, haine, mépris, irrespect, etc.), s’exprimant le plus souvent par un imaginaire racialiste, comme c’est le cas du racisme anti-Blancs; enfin, la sphère des croyances structurées et des discours idéologiques explicites, celle donc des idéologies ou des doctrines racistes, constitue le cinquième domaine.

Les néo-antiracistes qui nient l’existence du racisme anti-Blancs refusent de reconnaître qu’il est observable dans les domaines des attitudes, des comportements, de l’imaginaire social et des idéologies, voire dans les mesures de discrimination dite positive prises pour combattre le racisme (supposé blanc), selon la formule magique qui, importée des États-Unis, traduit les trois valeurs-normes résumant le programme woke : diversité, équité, inclusion (DEI). Le néo-antiracisme se dévoile ainsi comme un pseudo-antiracisme tout en contribuant à banaliser la vision des Blancs comme ontologiquement racistes.

Vous montrez que le racisme anti-Blancs a généré un antiracisme anti-Blancs. En quoi ce dernier est-il inquiétant ?

Le racisme anti-Blancs était naguère confiné dans les mouvements nationalistes dits de libération à l’époque de la décolonisation. Aujourd’hui, l’intégration de la thématique anti-Blancs dans le discours antiraciste militant, sous l’influence des idéologues décoloniaux, légitime et banalise la haine des Blancs.

Comment bien penser le racisme ?

En commençant par cesser de mettre le mot “racisme” à toutes les sauces pour les besoins de telle ou telle propagande politique. Dans la Force du préjugé, en 1988, j’ai identifié les deux grandes catégories de déni racisant, et appelé à distinguer clairement le déni d’humanité du déni d’identité. Le premier est à la source du racisme différentialiste, le second, à l’origine du racisme universaliste. La négation de l’appartenance au genre humain, la déshumanisation de “l’autre”, n’est pas le seul geste idéologique qui produit du racisme. La négation de l’identité collective dans laquelle se reconnaît un individu ou un groupe est tout aussi productrice de racisme. C’est là jouer brutalement et avec bonne conscience la carte de l’universel abstrait contre le particulier vécu, abaissé ou nié. Dans chaque situation concrète porteuse de conflits, il faut résoudre le difficile problème suivant : comment combiner le regard universaliste avec la reconnaissance du droit à la différence ?

D’où une double obligation morale : ne jamais se montrer aveugle à l’humanité incarnée par des individus ou des groupes perçus comme différents ou étrangers, et ne jamais nier ou considérer avec mépris les identités ethniques, culturelles ou politiques (telles les identités nationales) auxquelles tiennent les individus ou les groupes. Cette double référence à une vision positive de l’universalité et à un respect des identités particulières donne son sens et sa valeur à la vie humaine. 

Du racisme en général et du racisme anti-Blancs en particulier
par Pierre-André Taguieff,
paru le 15 octobre 2025,
chez H&O éditions, 
204 pages, 
ISBN-10 ‏ : ‎ 2845474334
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2845474338

Présentation de l'éditeur

Le racisme anti-Blancs n’existe pas. Telle est la thèse des néo-antiracistes pour qui le phénomène raciste est essentiellement lié à la « domination blanche » et à l’histoire prédatrice de la civilisation occidentale. Oser prétendre que différentes formes de racisme coexistent d’une façon conflictuelle fait de vous un complice objectif du fascisme et un « facho » vous-même.

Le racisme anti-Blancs est partout. Il prédomine dans nos sociétés et dans le monde tout entier. C’est la seule forme de racisme qui doive nous préoccuper, affirment, de leur côté, certains tenants de la droite extrême.

Alors, comment faire la part des choses dans ce débat truqué ? Comment expliquer, comprendre et évaluer correctement un phénomène que l’on nie ou dont on exagère l’importance ? Pour contourner ces biais idéologiques et cognitifs, Pierre-André Taguieff nous propose tout d’abord de revenir sur la définition même du racisme afin d’appréhender son caractère pluridimensionnel, dont la composante antisémite ne doit pas être sous-évaluée. Il examine ensuite comment le racisme blanc a enfanté l’antiracisme anti-Blancs, dans lequel il voit une forme masquée de racisme, et nous éclaire sur les raisons du déni que ce dernier engendre. Enfin, il nous alerte sur les limites et les effets pervers de ce nouvel antiracisme dévoyé.


lundi 10 novembre 2025

La BBC a trafiqué le discours de Trump au Capitole en faisant croire qu’il appelait à l’insurrection


Crèches universelles : la promesse et les dérives d’un modèle québécois exporté

L’idée d’un service universel de garde d’enfants séduit de plus en plus les pays riches. Dans un contexte de crise démographique et de pénurie de main-d’œuvre, la promesse de concilier maternité et carrière exerce une forte attraction politique. Aux États-Unis, plusieurs gouverneurs démocrates et le futur maire de New York, Zohran Mamdani, s’en inspirent ouvertement. Le Nouveau-Mexique vient d’étendre la gratuité complète des garderies à toutes les familles, quel que soit leur revenu. L’ambition affichée : soulager les ménages et permettre aux femmes de rester actives sur le marché du travail.

Ce virage s’appuie sur un précédent souvent cité comme modèle : le Québec, pionnier en la matière. En 1997, la province lança un vaste programme de garde subventionnée à cinq dollars par jour, inspiré des travaux du prix Nobel James Heckman et du célèbre Perry Preschool Project mené dans les années 1960 à Ypsilanti, aux États-Unis. Cette expérience pilote, menée auprès d’enfants défavorisés de trois ans, avait montré des effets spectaculaires : meilleure réussite scolaire, baisse de la criminalité et gains sociaux durables. Ces résultats ont servi de référence mondiale, notamment pour les politiques de Tony Blair au Royaume-Uni ou de Barack Obama aux États-Unis.

Mais, comme le rappelle The Economist, le Québec n’a pas reproduit les conditions de ces essais : il les a étendus à toute la population, dès la naissance, sans garantir la même qualité éducative. Les effets ont été rapidement mesurés. Une étude majeure signée Jonathan Gruber (MIT), Michael Baker (Université de Toronto) et Kevin Milligan (UBC) a suivi des cohortes d’enfants québécois sur plusieurs années à partir des données de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes. Le verdict est sévère : hausse nette de l’anxiété, de l’agressivité et de l’hyperactivité, baisse des compétences sociales et motrices. L’impact a été suffisamment marqué pour se traduire plus tard par une augmentation des crimes contre les biens et de la consommation de drogues chez les adolescents québécois.

Les chercheurs soulignent que le programme québécois a certes stimulé la participation féminine au travail – le taux d’emploi des mères a bondi de huit points pour atteindre aujourd’hui environ 87 %, l’un des plus élevés du monde – mais au prix d’un coût humain et social ignoré. En privilégiant la productivité à court terme, l’État a parfois compromis le bien-être des enfants et, paradoxalement, celui des familles.

Le trio a publié sa première étude en 2005, et les résultats étaient accablants. Le passage à la garde d'enfants universelle semblait entraîner une augmentation de l'agressivité, de l'anxiété et de l'hyperactivité chez les enfants québécois, ainsi qu'une baisse des capacités motrices et sociales. Les effets étaient importants : les taux d'anxiété ont doublé ; environ un tiers d'enfants supplémentaires ont été signalés comme hyperactifs. En effet, la différence entre les taux d'hyperactivité était plus importante que celle généralement observée entre les garçons et les filles.

Dix ans plus tard, lorsque les enfants étaient au secondaire, les auteurs ont poursuivi leur suivi. Le meilleur que l’on puisse dire est que le programme n’a eu aucun effet sur les résultats scolaires ni sur les capacités cognitives. En revanche, les enfants ont déclaré un niveau de satisfaction de vie plus faible. De plus, une hausse de la délinquance juvénile au Québec, comparativement au reste du Canada, laisse entendre qu’ils ont été condamnés pour environ un cinquième de crimes supplémentaires liés à la drogue et aux biens.

Interrogé par le New York Times, James Heckman lui-même a pris ses distances : « Ce que le Québec a créé, ce ne sont pas des écoles préscolaires de qualité, mais des entrepôts d’enfants », déclarait-il. Là où les expériences américaines misaient sur un encadrement intensif et une relation de confiance entre éducateurs et enfants, le Québec a choisi la quantité : un système massif, impersonnel, fonctionnant à coût réduit.

Cette dérive illustre la différence entre deux visions :

  • d’un côté, le modèle ciblé et qualitatif, limité aux enfants défavorisés, qui offre de réels gains éducatifs et sociaux ;

  • de l’autre, le modèle universel et extensif, qui prétend égaliser les chances mais finit souvent par niveler par le bas.

Ce constat résonne en France, où les crèches sont aussi fortement subventionnées – jusqu’à 85 % du coût pris en charge. Là encore, la recherche nuance les résultats. Des travaux de Lawrence Berger, Lidia Panico et Anne Solaz (Ined) montrent que les enfants confiés à une crèche dès l’âge d’un an présentent à deux ans davantage de troubles du comportement que ceux gardés par leurs parents ou une assistante maternelle. Autrement dit, plus la socialisation précoce est forcée, plus elle semble fragiliser le développement affectif.

Les premières années sont cruciales : le développement cognitif et émotionnel des bébés dépend avant tout d’un contact étroit et stable avec un adulte de référence. Ce besoin d’interaction intense explique pourquoi les économies d’échelle ne fonctionnent pas dans les garderies d’enfants en bas âge. Une éducatrice peut superviser vingt élèves à l’école, une douzaine à la maternelle, mais à peine deux ou trois nourrissons en crèche. Toute réduction du ratio qualité/présence adulte se traduit immédiatement par une baisse du bien-être des enfants.

Cette exigence de qualité rend le modèle extrêmement coûteux. La Finlande, qui maintient un système de garde très encadré et généreusement financé, dépense bien davantage que la moyenne de l’OCDE. À l’inverse, les pays qui cherchent à « universaliser » la garde sans moyens suffisants – comme le Québec ou désormais certains États américains – en paient le prix à long terme : dégradation du développement des enfants, pression budgétaire, et tensions sociales croissantes.

Enfin, un angle mort majeur du débat reste occulté : celui de la discrimination entre mères. Au Québec, une femme qui choisit de garder elle-même ses jeunes enfants ne reçoit aucune aide publique, contrairement à celle qui les confie au réseau subventionné. Cette iniquité, rarement discutée, traduit un biais idéologique : le modèle valorise le travail salarié féminin, mais pénalise la maternité à domicile. Il impose une norme économique plutôt qu’un véritable choix familial, marginalisant les femmes qui privilégient la présence auprès de leurs enfants durant leurs premières années.

Ainsi, la garde universelle, vantée comme moteur d’égalité et de prospérité, révèle un paradoxe : elle libère certaines femmes, mais en enferme d’autres dans une logique de conformité sociale. Le cas québécois, admiré à l’étranger, montre qu’une politique de la petite enfance ne peut se réduire à des chiffres d’emploi. Elle doit aussi considérer la qualité du lien, la diversité des parcours familiaux et la liberté réelle des parents.

Comme le conclut The Economist, les sociétés modernes se heurtent à un dilemme : soit renvoyer les mères à la maison sans soutien, soit les inciter à confier leurs bébés à des structures surchargées et mal adaptées. Entre ces deux extrêmes, il reste à inventer un modèle qui respecte à la fois le développement des enfants, la liberté des femmes et la justice entre familles.

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Cognitive and non-cognitive costs of daycare 0–2 for children in advantaged families 

 
 
 
 

La maternelle à 4 ans au Québec, étude : peu d’effets positifs

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dimanche 9 novembre 2025

« C'est l'Europe qui s'effondre économiquement aujourd'hui, pas l'industrie russe. »

« C'est l'Europe qui s'effondre économiquement aujourd'hui, pas l'industrie russe. C'est nous qui avons perdu un marché à l'export extrêmement commode et une énergie bon marché. Et ce n'est pas une histoire nouvelle, d'ailleurs. Ce n'est pas madame Merkel qui avait inventé ça, c'est toute l'histoire économique allemande et européenne, mais d'abord allemande, depuis la fin du XIXe siècle », observe l'historien Georges-Henri Soutou dans Points de Vue, ume émission du Figaro. Georges-Henri Soutou est l'auteur de «La Grande rupture (1989-2024) - De la chute du Mur à la guerre d'Ukraine» (Tallandier).

Émission au complet

samedi 8 novembre 2025

Les Carthaginois avaient peu de sang phénicien

À Acragas (Agrigente, Sicile), les temples de Héra et d’Héraclès portent encore les traces de l’incendie provoqué par les Carthaginois en 406 av. J.-C.. Grands rivaux des Grecs dans la Méditerranée occidentale, ils étaient aussi leurs partenaires commerciaux : l’huile sicilienne alimentait les marchés puniques.

Mais une étude récente menée par Harald Ringbauer et David Reich (université Harvard) bouleverse notre vision de ce peuple : avant 400 av. J.-C., les Carthaginois auraient partagé des origines génétiques proches de celles des populations de la mer Égée, plutôt que du Levant. Une découverte qui remet en question leur ascendance traditionnellement dite « phénicienne ».

Égéens, Grecs et Phéniciens : trois mondes distincts

Le mot « Égéen » désigne les civilisations installées autour de la mer Égée à l’âge du Bronze (env. 3000–1200 av. J.-C.). Ce monde comprend :
  • les Minoens de Crète, grands bâtisseurs et navigateurs, parlant une langue non grecque,
  • puis les Mycéniens, ou Achéens des poèmes d’Homère, installés sur le continent grec, qui parlaient déjà une forme ancienne de grec.
Les Mycéniens sont donc à la fois des Égéens et les premiers Grecs historiques.

Après l’effondrement du monde mycénien vers 1200 av. J.-C., de nouvelles populations grecques, les Doriens, migrent vers le sud. Elles marquent le passage à l’âge du Fer et à la Grèce classique.

Ainsi, parler d’un « fonds génétique égéen » revient à évoquer un héritage ancien, issu des peuples du monde mycénien (grec ancien) et de leurs proches voisins des îles, antérieur à la Grèce historique.

Les Phéniciens, en revanche, formaient un peuple sémitique du Levant (Liban et Syrie actuels). Leur langue, leur écriture et leur culture étaient très différentes, bien que leurs routes maritimes aient croisé celles des Grecs dès le IIe millénaire av. J.-C.

Or, la tradition raconte que Carthage fut fondée par des Phéniciens venus de Tyr, sous la conduite de la reine Didon, en 814 av. J.-C. : on les pensait donc naturellement descendants de Phéniciens.

Les chercheurs se sont procurés 398 génomes provenant de nombreux sites carthaginois du bassin méditerranéen occidental et de plusieurs populations anciennes contemporaine des Puniques à fins de comparaison.


Quand la génétique contredit l’histoire

Les travaux de Harvard remettent ce récit en cause. Une première étude menée à Kerkouane (Tunisie) avait déjà révélé une absence d’ascendance phénicienne parmi douze individus puniques.

Les chercheurs ont alors élargi l’échantillon à 398 génomes issus de 14 sites carthaginois de Sardaigne, Sicile, Afrique du Nord et Levant. Après datation, 128 individus clairement de culture punique ont été analysés.

Les résultats sont frappants : les Carthaginois se situent génétiquement entre les populations nord-africaines et les Égéens, mais très proches de ces derniers, et éloignés des Levantins.

Autrement dit, le peuple punique semble lié biologiquement au monde égéen, c’est-à-dire à l’ancien substrat mycénien et insulaire grec, plutôt qu’à la Phénicie.

Les origines possibles d’un tel métissage

Comment expliquer qu’un peuple de culture phénicienne ait un ADN d’origine égéenne ?
Les chercheurs envisagent deux scénarios :

L’hypothèse chypriote
  • Au Bronze final, Chypre était un carrefour entre Égée et Levant : on y trouvait des communautés parlant grec mais influencées par les Phéniciens. Des Chypriotes d’origine égéenne auraient pu adopter la culture phénicienne avant de fonder Carthage. Ils auraient donc exporté en Afrique du Nord une culture levantine, mais avec un fond biologique égéen.

L’hypothèse du métissage commercial
  • Une petite élite phénicienne, venue de Tyr, aurait établi Carthage, mais, isolée de sa région d’origine, elle se serait rapidement mêlée aux populations méditerranéennes déjà présentes dans les réseaux grecs et siciliens.
  • La forte diversité des chromosomes Y chez les Carthaginois indique d’ailleurs une circulation intense d’hommes entre les colonies puniques (Afrique, Sicile, Sardaigne, Ibérie). Ce brassage aurait produit un peuple mêlé, culturellement phénicien, mais génétiquement méditerranéen.

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Reportés dans le plan des composantes principales élaborées par les chercheurs, les génomes carthaginois s’étirent entre ceux des Nord-Africains et ceux des Égéens, mais sont massés près de ceux de ces derniers, indiquant une origine génétique commune. Ils se distinguent clairement de ceux des Européens (à gauche) et de ceux des Levantins (à droite).


Une civilisation méditerranéenne hybride


Ce mélange expliquerait pourquoi les Carthaginois apparaissent à la fois proches des Grecs par leurs gènes et distincts par leur langue et leur culture.

Leur fond égéen aurait été entretenu par les échanges constants entre les deux rives : commerce, mariages, esclavage et alliances locales.

Ainsi, les grandes cités puniques auraient formé un monde propre, relié mais indépendant, où circulaient les mêmes marins, artisans et marchands que dans les cités grecques voisines.

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vendredi 7 novembre 2025

École catholique subventionnée en France : un enseignant doit-il pouvoir prier en classe avec ses élèves ?


Pour Anne Coffinier, présidente de Créer son école, les établissements catholiques sous contrat sont aujourd’hui menacés dans leur identité même. Face à une offensive politique et idéologique, elle défend le droit de ces écoles à rester fidèles à leur caractère propre, tel que garanti par la loi Debré. Son texte paru dans Famille chrétienne est repris ci-dessous.

Le temps n’est pas au beau fixe pour les écoles catholiques sous contrat, qui sont sous le feu des critiques croisées de l’extrême gauche et des milieux anticléricaux traditionnels. Il faut dire que la baisse de la population scolaire alimente ce regain de tension : il suffit actuellement de quelques élèves en moins pour qu’une classe voire une école publique ferme. Dans ce contexte de pénurie d’élèves, les défenseurs de l’école publique sont tentés de faire de l’école catholique sous contrat un bouc-émissaire. À lire aussi

Tout en tenant bon sur ce qui le différencie, l’Enseignement catholique doit trouver les outils pour rejoindre les élèves sur les questions actuelles.


Des contrôles à charge 
 
Au lendemain du scandale des abus sexuels dans l’Eglise mis en exergue par la CIASE en 2021 puis de son pendant dans l’Enseignement catholique cette année, notamment avec l’affaire Bétharram, les tenants et acteurs de l’école catholique rasent les murs et les ennemis historiques de l’école catholique mettent à profit ce moment favorable, ce kairos, pour mener leur guerre scolaire. Le député LFI Paul Vannier est l’emblème de cette offensive acharnée qui touche autant au financement de l’école catholique qu’à la nature des libertés spécifiques qui font la force et, au fond, la raison d’être de ces écoles catholiques. 

C’est ainsi que des contrôles « à charge » se sont abattus sur de nombreux établissements catholiques sous contrat partout en France, sans même que le cadre juridique de ces contrôles n’ait été préalablement fixé. Les inspecteurs de l’Éducation nationale manquent cruellement de culture de ce qu’est une école libre avec des classes sous contrat. La loi Debré de 1959 n’est pour eux qu’un vague souvenir et la plupart d’entre eux sont enclins à nier le droit au respect du caractère propre des écoles catholiques, vu qu’ils ont oublié la raison d’être de sa sanctuarisation constitutionnelle. 
 
Le droit de prier, pas l'obligation 
 
Mais de quoi s’agit-il ? Le caractère propre est reconnu par la loi Debré, qui est la loi voulue par le général de Gaulle pour organiser la place des écoles catholiques dans le paysage éducatif français. Les classes qui ont passé le contrat avec l’État doivent admettre les enfants de toutes origines et ne pas les contraindre à poser des actes de foi personnels (c’est ce qu’on appelle le respect de la liberté de conscience), et respecter les programmes scolaires définis par l’Éducation nationale dans le cadre des heures financées par l’État pour les dispenser. En échange de cela, les classes sous contrat reçoivent un financement total de leurs enseignants, et doivent percevoir une couverture de leurs frais de fonctionnement équivalente à celle que perçoivent les écoles publiques du même territoire.

Mais ces classes ont aussi droit au respect de leur caractère propre dans toutes les dimensions de la vie de l’établissement y compris l’enseignement des matières scolaires, et ce point est capital. Elles peuvent organiser des cours d’instruction religieuses obligatoires et des cours de catéchisme (ou éveil à la foi) facultatifs. Les enseignants du privé sous-contrat ne sont pas soumis au principe de neutralité des fonctionnaires (qu’ils ne sont pas) et encore moins à celui de la laïcité. Les enseignants, s’ils le souhaitent et dans le respect de leur liberté de conscience, ont ainsi le droit – pas l’obligation !- de prier et de faire prier les élèves en classe. 
 
Un enrichissement précieux

Ces prières sont brèves et il est aisé de compenser le temps en empiétant sur la récréation pour ne pas mordre sur le temps des cours imposés et financés par l’État. Ceux qui ne veulent pas prier doivent avoir tout loisir de s’en dispenser, rêver, lire à la place…. Ce n’est en tout état de cause pas un drame d’entendre une prière voire d’assister à une cérémonie religieuse, dès lors que ces familles ont choisi sciemment une école catholique. N’est-ce pas l’occasion d’un enrichissement culturel précieux ou d’une pause méditative bienvenue, dès lors qu’on ne contraint évidemment pas l’enfant à prononcer des prières, se confesser, communier, ou à poser des actes publics de foi ? L’ampleur des difficultés de l’Éducation nationale doit pousser ses protagonistes et défenseurs à concentrer tous leurs efforts sur son relèvement, au lieu de regarder dans l’assiette du voisin et de mener une guerre d’arrière-garde contre les libertés de l’enseignement libre ! 

jeudi 6 novembre 2025

Cette « réconciliation » avec les Premières Nations est un désastre pour le Canada

Mise à jour 7 novembre 

L'Assemblée des Premières Nations (APN), l'Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) et le Conseil national des Métis (CNMW) ont soumis individuellement des demandes budgétaires au gouvernement fédéral avant le budget du 4 novembre, qui totalisent 443 milliards de dollars sur au moins les 10 prochaines années.

L'APN a également demandé 367 milliards de dollars sur 10 ans en investissements en capital pour diverses infrastructures communautaires, notamment l'eau potable, les routes et la connectivité Internet, ainsi que 139 milliards de dollars uniquement pour le logement dans les communautés des Premières Nations.

Selon les données de Statistique Canada et de l'Agence du revenu du Canada, les Autochtones, dont les Premières Nations représentent environ 70 % des 1,8 million d'individus, contribuent chaque année à hauteur d'environ 11 à 14 milliards de dollars au Trésor public fédéral, principalement par le biais des impôts sur le revenu et de la TPS/TVH. En 2021, le revenu moyen des Autochtones était de 44 300 $, contre 53 300 $ pour les non-Autochtones. Plus de 55 % des Autochtones sont pleinement imposables en raison de leur résidence hors réserve ou de leur emploi non exempté en vertu de la section 87 de la Loi sur les Indiens.


Billet du 6 novembre

Des milliards de dollars versés au titre des accords de règlement. Des prières pour reconnaître les droits fonciers amérindiens avant chaque événement gouvernemental. Un accès exclusif à des parcs autrefois publics. Bientôt, peut-être, la cession de propriétés privées ordonnée par les tribunaux. Telle a été la recette du gouvernement fédéral pour la réconciliation avec les peuples autochtones au cours des dix dernières années. Recette désastreuse. 

Selon Le National Post, le Canada doit expier le traitement qu’il a réservé à ses citoyens autochtones au cours de l’histoire. Mais cela ne devrait pas impliquer de se plier aux exigences extrêmes de la gauche « Retour des Terres », solution à cette réconciliation jusqu’à présent.

Depuis des années, le discours sur la restitution des « terres volées » est populaire sur les ondes de la CBC (le diffuseur public anglophone), entre autres médias progressistes. Mais ce n’est qu’en 2025, avec la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique concernant les tribus Cowichan, qui a jugé que la propriété foncière pleine et entière (entre blancs) ne remplace pas le titre aborigène, que la réalité de la restitution des « terres volées » s’est imposée.

Concrètement, cela se traduit ainsi : les propriétaires fonciers en Colombie-Britannique se voient dire par leur maire que la revendication autochtone sur leurs terres « pourrait compromettre le statut et la validité de (leur) propriété » ; les entreprises affirment se voir refuser des prêts pour des projets dans la zone concernée ; les agents immobiliers font état d’une incertitude en matière d’hypothèques.

Leurs terres ne seront pas saisies demain, et les défenseurs de la décision Cowichan Tribes vous rappelleront que les demandeurs autochtones ne l’ont pas demandé. Mais, dans ce cas-ci. les plaignants autochtones ont demandé comme réparation des terres appartenant au gouvernement et le tribunal a ordonné la remise de ces terres. À moins qu’un appel ne parvienne à renverser la nouvelle interprétation du tribunal sur le fonctionnement du droit immobilier, ces propriétaires fonciers n’auront pas beaucoup de moyens de défense.


Des centaines de personnes assistent à la séance d’information sur la décision Cowichan à l’hôtel Sheraton Vancouver Airport à Richmond, en Colombie-Britannique, le 28 octobre 2025. 

La saisie de terres est un risque réel : au Nouveau-Brunswick, où toute la province fait l’objet de revendications des Premières Nations, un juge a suggéré que les tribunaux pourraient ordonner à la Couronne de saisir des propriétés privées au nom d’un groupe autochtone et d’indemniser les propriétaires fonciers en retour. Les Québécois devraient également s’inquiéter, car les Algonquins viennent de déposer une revendication de titre sur de vastes étendues de la province.

Pour Adam Pankratz dans le National Post, la décision Cowichan provoque déjà une panique autour des droits de propriété en Colombie-Britannique.

mercredi 5 novembre 2025

« La France est-elle encore chrétienne ? »

Débat exclusif entre Éric Zemmour et Jérôme Fourquet dans le Figaro Magazine.  Autrefois qualifiée de « fille aînée de l’Église », la France est un des pays les plus déchristianisés d’Occident. Mais est-ce irrémédiable ?   La citrouille d’Halloween va-t-elle définitivement l’emporter sur le chrysanthème de la Toussaint ? « La messe n’est pas dite », répond Éric Zemmour dans son nouvel essai. Le président de Reconquête en appelle à un sursaut spirituel, seul moyen selon lui de préserver l’identité de la France face à un islam conquérant.  Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’IFOP et analyste lumineux de la société française, observe pour sa part des signes d’un regain d’attrait pour le catholicisme, mais doute qu’une rechristianisation du pays soit pour autant possible. Ils ont accepté de confronter leurs points de vue pour Le Figaro Magazine.

Question. — Comment qualifieriez-vous la situation du christianisme en France ?

Éric Zemmour. — Je commencerai par rappeler une réalité historique : c’est le christianisme qui a fait la France. Le général de Gaulle disait : « L’histoire de mon pays a commencé avec la conversion de Clovis au catholicisme. » Au cours de mille ans d’histoire, l’Église a fait les rois, les rois ont fait la nation et la nation a fait la République. Mais, dès le milieu du XVIIIe siècle, avant même la Révolution française donc, un phénomène de déchristianisation colossal s’est amorcé avec les Lumières. Je cite dans mon livre cette phrase magnifique de Chateaubriand : « Voltaire eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode… » Il y a eu des vagues de rechristianisation très puissantes, en général d’ailleurs après nos catastrophes militaires, en 1815, 1870 ou 1940, mais qui n’ont pas arrêté la déchristianisation du pays. Dans une période plus récente, je pense que Vatican II a accéléré ce mouvement. La chanson de Brassens : « Sans le latin la messe nous emmerde » résume, sur un registre évidemment rigolard, le sentiment général. De façon un petit peu plus savante et malheureusement moins talentueuse, je dirai que l’Église a protestantisé le catholicisme. Là où le christianisme avait eu le génie depuis 2000 ans de fonder la liturgie sur l’émotion, la hiérarchie catholique a fait sienne la philosophie du protestantisme qui est de faire appel à la raison. Et je pense que ce fut une erreur historique.

Jérôme Fourquet. — Je partage le constat d’Éric Zemmour sur la déchristianisation de la France. En ce qui concerne Vatican II, je ferais volontiers un parallèle avec ce qu’avait tenté Gorbatchev en Union soviétique. Voyant que les lézardes dans le barrage étaient de plus en plus importantes, la hiérarchie catholique comme les dirigeants soviétiques ont essayé de relâcher la pression en desserrant le carcan. Et ce faisant, on n’a fait qu’accélérer un mouvement qui était déjà entamé et qui a finalement tout emporté. L’historien Guillaume Cuchet raconte comment les éléments de piété populaire, faire maigre le vendredi par exemple, ont été abandonnés, parce qu’on préférait que les églises soient moins remplies, mais avec des gens ayant vraiment la foi. Tout cela n’a fait qu’accélérer la déchristianisation. Aujourd’hui, 5 % de la population française va encore à la messe le dimanche. C’était 35 % avant Vatican II. 30 % des enfants sont baptisés à la naissance, contre 70 % au début des années 1980. Les constantes vitales du catholicisme en France sont donc très dégradées. Mais de surcroît, le soubassement culturel et anthropologique judéo-chrétien s’est lui-même disloqué. La citrouille d’Halloween n’a pas encore complètement remplacé le chrysanthème, mais on s’en approche. Dans nos enquêtes récentes, plus personne ou presque ne connaît les fondements de la doctrine chrétienne comme l’Assomption ou la Pentecôte. Le substrat chrétien est en voie d’effacement en ce qui concerne par exemple le rapport au corps, l’institution du mariage, la hiérarchie homme-animal ou les rites funéraires, etc. En 1980, 1 % des obsèques donnaient lieu à une crémation en France. On est à 45 % aujourd’hui. Un autre signe de la déchristianisation est l’évolution des prénoms : en 1900, 20 % de petites filles s’appelaient Marie, c’est 0,2 % aujourd’hui. Le catholicisme, comme les autres religions est non seulement une foi, mais également une identité culturelle, qui est en voie de disparition.

Disparition du prénom Marie en France

Les Américains pensent de plus en plus que le sexe et le genre sont déterminés à la naissance

Les données de 2025 suggèrent que la tendance américaine à croire que les hommes sont des mâles et les femmes des femelles se poursuit.


En 2017, près de la moitié des adultes américains pensaient qu'une personne pouvait être un homme ou une femme indépendamment de son sexe biologique à la naissance.

Sources : Pew, AP Norc


L’Université de Chicago, victime de sa course au prestige


Des ambitions dignes des Ivy League, une facture astronomique


Célèbre pour avoir formé Milton Friedman et plus d’une trentaine de lauréats du Nobel, l’Université de Chicago traverse une grave crise financière. Après quatorze années de déficits budgétaires consécutifs, l’établissement est contraint de réduire la voilure : gel des embauches, suspension de près de vingt programmes de doctorat, et coupes de 100 millions de dollars annoncées cet été.

Cette institution du Midwest, longtemps considérée comme un bastion de rigueur intellectuelle, a voulu rivaliser avec les prestigieuses universités de la côte Est. Sous la présidence du mathématicien Robert Zimmer (2006–2021), l’université s’est lancée dans une série d’investissements colossaux : laboratoires ultramodernes, nouvelles résidences, centre d’arts occupant tout un pâté de maisons, et même un campus flambant neuf à Hong Kong. Objectif : attirer davantage d’étudiants et hausser son profil international.

La dette d’un rêve

Ces projets ont dopé l’attractivité de l’université : le nombre d’étudiants de premier cycle a doublé en vingt ans et le taux d’admission est tombé à moins de 5 %. Mais le rêve a un prix : la dette totale atteint aujourd’hui 4,5 milliards de dollars, un niveau comparable à celui de Princeton ou Yale, bien que Chicago dispose de deux fois moins d’actifs.

Pour financer cette expansion, l’université a souvent recouru à des emprunts à taux élevés, voire à des prêts destinés à couvrir ses frais de fonctionnement — une pratique rare dans l’enseignement supérieur. En parallèle, les frais de scolarité ont explosé : plus de 71 000 dollars par an, soit deux fois plus qu’au début des années 2000.

Malgré une campagne de levée de fonds record (plus de 5 milliards de dollars) et un milliard supplémentaire collecté en 2025, le déséquilibre demeure. Les agences de notation, de Moody’s à Fitch, signalent un secteur universitaire « sous tension » et jugent la situation de l’université « stable mais fragile ».

L’ombre d’un modèle à bout de souffle

Les causes du malaise dépassent le cas de Chicago. Dans tout le pays, les universités prestigieuses sont piégées par une spirale d’endettement née des taux d’intérêt historiquement bas des années 2010. La concurrence pour attirer étudiants et mécènes a déclenché une frénésie de construction et de communication coûteuse, sans garantie de rentabilité.

À Chicago, les rendements du fonds de dotation sont inférieurs à ceux des Ivy League, tandis qu’une grande partie de l’argent reste bloquée dans des placements privés peu liquides. La hausse du coût du travail et la stagnation des subventions fédérales n’ont fait qu’aggraver la situation.

Tensions sur le campus

Sur le terrain, la grogne monte. Des tracts circulent sur le campus : « UChicago : vous dépensez nos frais de scolarité pour réparer vos erreurs », dénoncent des étudiants. Des enseignants fustigent des décisions prises sans concertation, notamment la suspension d’admissions en doctorat.

Les humanités sont les plus touchées. « Nous devons décider quel type d’université nous voulons être », résume la professeure de lettres classiques Carolina López-Ruiz, qui craint une réduction durable des ambitions de recherche au profit de l’enseignement de masse.

Quand l’élitisme se heurte à la réalité financière

L’Université de Chicago n’est pas seule à faire face à ce mur budgétaire : New York University ou l’Université de Californie du Sud affichent elles aussi des déficits croissants. Mais dans le cas de Chicago, symbole de l’excellence académique américaine, le contraste est saisissant : des dépenses d’apparat, une dette colossale et un avenir incertain.

Derrière la façade d’un campus rénové à coups de milliards se profile une question que tout l’enseignement supérieur américain devra affronter : jusqu’où peut-on acheter du prestige avant que la facture ne devienne insoutenable ?