jeudi 7 janvier 2010

ECR — Un lien indéniable avec le multiculturalisme

Lettre ouverte de Guillaume Rousseau parue dans Le Devoir du 4 janvier :
Depuis la publication du rapport de la sociologue Joëlle Quérin, le débat sur le cours d’éthique et de culture religieuse (ECR) a repris de plus belle. Il faut dire que ce rapport fait l’objet de critiques vives, voire violentes, de la part des concepteurs de ce cours. Leur principale critique est la suivante : le rapport associerait injustement ce cours au multi­cul­tu­ralisme. Or l’histoire du droit nous révèle qu’il existe bel et bien un lien indéniable entre le multi­cul­tu­ralisme et le cours ECR.

Pour comprendre l’origine de ce cours, il faut savoir que l’enseignement religieux confessionnel est soupçonné d’être inconstitutionnel depuis l’adoption non pas de la Charte québécoise, mais bien de la Charte canadienne des droits et libertés. Et, en l’absence d’une clause dérogatoire, il est officiellement incons­ti­tu­tionnel depuis l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Re Corporation of the Canadian Civil Liberties Association et al. c. Ontario (Minister of Education), datant de 1990.

Évidemment, cette cour s’est basée sur la Charte canadienne des droits et libertés pour conclure que tout enseignement religieux confessionnel est incons­ti­tu­tionnel. Plus précisément, elle a invoqué l’article 2a) sur la liberté de religion et l’article 27, qui prévoit que : « Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valori­sation du patrimoine multi­culturel des Canadiens. » En effet, on peut lire ceci, dans ce jugement, à propos de l’enseignement religieux confessionnel : « [It] amounts to violation of s. 2(a) of the Charter, especially when viewed in the light of s. 27 of the Charter. »

C’est donc en se fondant sur l’article qui constitutionnalise le multi­cultu­ralisme que la Cour d’appel de l’Ontario interprète la liberté de religion et en vient à la conclusion que les cours d’enseignement religieux confessionnel sont inconsti­tutionnels. Plus intéressant encore, cette cour précise que, si l’enseignement religieux non confessionnel est incons­ti­tu­tionnel, en revanche l’enseignement religieux pluraliste et non confessionnel est parfaitement conforme à la liberté de religion interprétée à la lumière du multi­cul­tu­ralisme.

Comme ce jugement de la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas été renversé en Cour suprême, il a créé un précédent valable pour l’ensemble du Canada. C’est d’ailleurs depuis ce jugement que des cours d’enseignement religieux pluraliste et non confes­sionnel se multiplient au Canada. Et le Québec ne fait pas exception, puisque le cours ECR remplace justement l’ancien cours d’enseignement religieux confessionnel, de manière à respecter la liberté de religion au sens du droit consti­tutionnel canadien, et ce, afin d’éviter que le Québec ait à invoquer à nouveau la clause dérogatoire prévue dans la Charte.

À la lumière de cet historique du droit, il est indéniable qu’il existe un lien direct entre le multi­cul­tu­ralisme canadien et le cours ECR.

Nouvelle forme à trouver

Est-ce à dire que toute option autre que le retour de l’enseignement religieux confessionnel serait inévitablement multiculturaliste ? Non, puisque ce qui rend multi­cul­tu­raliste le cours ECR, ce n’est pas tant le fait qu’il remplace l’enseignement religieux confessionnel déclaré inconstitutionnel au nom de la Charte et de son multi­cul­tu­ralisme, mais plutôt le fait qu’il adopte la solution proposée par la jurisprudence canadienne en conformité avec cette charte.

En effet, le cours ECR est un cours d’enseignement religieux pluraliste et non confessionnel qui a notamment pour but d’expliquer et de justifier les accom­modements raisonnables créés par cette même jurisprudence. À l’inverse, si le Québec choisissait plutôt d’enseigner des connais­sances sur les religions à travers des cours d’histoire et de géographie, comme cela se fait en France dans le respect de la laïcité, cette solution ne pourrait être qualifiée de multi­cul­tu­raliste, et ce, même si elle serait sans doute valide constitutionnellement.

Est-ce donc là la solution au dilemme de l’enseignement religieux à l’école ? Peut-être que oui, mais il n’est pas certain que cela répondrait suffisamment à l’impératif de la transmission du patrimoine culturel québécois, que plusieurs veulent voir assurée par l’école.

Si le rapport Quérin a mis le doigt sur un malaise réel autour du cours ECR, c’est sans doute entre autres parce que ce dernier est bel et bien un produit du multi­cul­tu­ralisme canadien, une politique à laquelle n’adhèrent pas la majorité des Québécois.

Dès lors, ce rapport justifie pleinement que ce cours soit scruté à la loupe et que d’autres solutions soient envisagées, par exemple dans le cadre d’une commission parlementaire. Ainsi, les Québécois pourraient trouver une forme d’enseignement du religieux qui serait originale, à la fois laïque et respectueuse du patri­moine culturel québécois et de la place qui lui revient, bref une solution de rechange qui soit vérita­blement autre chose que du multi­cul­tu­ralisme.
Guillaume Rousseau - L’auteur détient une maîtrise en droits de la personne et diversité culturelle de l’Université McGill et est présentement doctorant en droit à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et à l’Université de Sherbrooke.

1 commentaire:

Homo paene sapiens a dit…

M. Rousseau se trompe il y avait plusieurs solutions constitutionnelles vis à vis des cours de religions dans les écoles québécoises.

Toutes les écoles publiques auraient pu être laïques, les écoles privées (même fortement subventionnées) auraient pu être confessionnelles : la liberté de conscience y aurait été respectée.

Les cours confessionnels et l’école confessionnelle sont conformes aux Chartes.

L'État québécois aurait pu privilégier la liberté de choix au même titre que la Grande-Bretagne , l’Espagne et la Belgique et permettre aux parents de choisir un cours confessionnel ou opter pour une école confessionnelle subventionnée à 100%.

Au lieu de quoi, l'État québécois et ses pontes ont préféré l'uniformité, le monopole et l'imposition de leur formation philosophique et morale préférée prétendant qu'elle satisferait tout le monde. D'ailleurs le programme en question ne dirait presque rien sur le contenu à enseigner et resterait vague sur des objectifs de « dialogue », de « vivre ensemble » et de « bien commun ». Imprécision qui permet beaucoup de choses, mais pas nécessaire une éducation réelle (avec du contenu encyclopédique honni), ni ne permet d'éviter que le cours ne se mute en école du politiquement correct qui sera vu comme la seule idéologie « respectueuse ».