samedi 11 novembre 2017

Bobard — Erreurs sur les Croix-de-feu (un parti d'« extrême droite » des années 30)

Dans son numéro d’avril-mai 2017, GÉO Histoire (Groupe Bertelsmann, allemand) publiait un numéro à l’extrême droite française (1870-1984, cela permet d’inclure le Front national). C’est un classique : les élections approchaient, il fallait donc lutter contre toute tentation. À notre avis, ce numéro de belle facture amalgame dans l’extrême-droite un peu tous les mouvements radicaux passant des Croix-de-Feu, aux Boulangistes pour aller jusqu’à des figures comme l’ancien ouvrier métallurgiste Jacques Doriot, anticolonialiste et... communiste dans les années 30 qui devait plus tard collaborer avec les Allemands, eux-mêmes nationaux-socialistes.

Le numéro d’octobre-novembre 2017 est lui consacré à l’Iran et aux émeutes raciales de 1917 dans le Sud des États-Unis. Pas le centenaire de la révolution bolchevique d’octobre 1917...

Or, dans le numéro d’avril-mai, la revue illustre un de ses articles sur les Croix-de-Feu par la photo ci-dessous. GÉO Histoire prétend que cette image montre des Fils et Filles de Croix-de-Feu défilent à Paris. L’article de GÉO Histoire prétend aussi que le service d’ordre des Croix-de-feu avait l’allure d’une milice, utilisait le salut fasciste et que, lors des émeutes très violentes du 6 février 1934, les manifestants des Croix-de-Feu auraient convergé vers le cœur de l’émeute de la Concorde. Bref, comme le dit la légende de GÉO,  « leurs parades ont contribué à assimiler les ligues au fascisme et aux jeunesses hitlériennes ». Ce n’est donc pas GÉO qui fait de l’amalgame, mais les Croix-de-Feu qui sont coupables de cette assimilation.

En réalité, le chef des Croix-de-Feu, le colonel de La Rocque refusa le coup de force. À son appel, les Croix-de-feu se disperseront rapidement. Bien que proches du palais Bourbon, siège de la Chambre des députés, ils se refusent à occuper celui-ci. Par la suite, la manifestation tourna à l’émeute sur la place de la Concorde, faisant au minimum 15 morts (dont 14 parmi les manifestants), 31 voire 37 morts si l’on compte les décès ultérieurs, et plus de 2 000 blessés.


Une erreur du Berliner Verlag et de l’agence Alamy

GEO n’est pas seul à commettre cette erreur. Le Berliner Verlag indique même que la photo aurait été prise à Paris en 1936. Selon la végétation, en été donc. Or les Croix-de-feu furent dissoutes par le Front Populaire en juin 1936.



Or, c’est faux !

La photo n’a rien à voir avec les Croix-de-feu et ce n’est pas la seule erreur dans ce numéro. Il s’agirait plutôt d’une photographie prise en Europe centrale... Le Géo de ce mois a donc dû publier un rectificatif (en petits caractères), la revue en profite pour corriger d’autres erreurs qui lui permettaient de déclarer « leurs parades ont contribué à assimiler les ligues au fascisme et aux jeunesses hitlériennes » : les Croix-de-Feu avaient interdit le salut fasciste dans leurs défilés, elles n’avaient pas l’allure d’une milice (ni armes ni uniformes). Et l’uniforme des enfants des Croix-de-feu ressemblait à ceux des autres mouvements de jeunesse non fascistes comme les scouts et les guides, etc.



Qui étaient les Croix-de-Feu ?

Les Croix-de-Feu sont l’Association des combattants de l’avant et des blessés de guerre cités pour action d’éclat (1927-1936), Il s’agissait d’un mouvement d’anciens combattants français dirigé par le colonel François de La Rocque. Rappelons ce qui animait le parti du colonel La Rocque :
  • Droit de regard de l’ouvrier sur la gestion de l’entreprise.
  • Profession organisée : coopération des industries par type d’activité et réunion des travailleurs par branches.
  • Association capital-travail
  • Salaire minimum.
  • Congés payés.
  • Veille de la qualité des loisirs populaires.
  • Vote des femmes.
  • Réforme des procédés de travail parlementaire.

Dans son étude fouillée sur le mouvement, l’historien toulousain Guillaume Gros annonce le chiffre de 500 000 adhérents au mouvement des Croix-de-Feu.

La Rocque passe chez ses opposants pour l’incarnation du fascisme français, en dépit d’une hostilité affirmée et répétée à l’antisémitisme et au nazisme : sa défense de la nation française primait pour lui devant tout autre type d’idées, spécialement si elles provenaient de l’étranger. L’antisémitisme observé au sein de sections du Parti Social Français, en particulier en Alsace et Moselle et en Algérie aurait été chaque fois condamné dans les termes les plus fermes par le colonel de La Rocque. Selon de nombreuses sources, notamment René Rémond et les auteurs du rapport parlementaire sur le service d'ordre du Front National en 1999, cette accusation, encore relayée de nos jours par ceux qui affirment qu’un fascisme français a existé dans les années 1930, est fausse. Le mouvement Croix-de-Feu n’a jamais été mû par une idéologie fasciste et La Rocque dénonçait d’ailleurs la religion d’État, le racisme et la lutte des classes comme les principaux obstacles à la « réconciliation nationale » tant souhaitée (discours du 23 mai 1936).

Le Grand Rabbin Jacob Kaplan, encore profondément marqué par la Première Guerre mondiale, organise le 14 juin 1936 avec les Croix-de-feu une cérémonie religieuse à la mémoire des anciens combattants juifs, faisant suite aux cérémonies organisées chaque année depuis 1933. Pour cela, il sera très critiqué par la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme), et par de nombreux intellectuels de gauche. D’autre part, La Rocque sera attaqué par l’extrême droite, qui l’accusera d’être l’allié de la communauté juive.

Cela n’empêcha bien sûr pas le Front Populaire (socialistes, radicaux et communistes) de dissoudre les Croix-de-feu par un décret pris en conseil des ministres le 18 juin 1936, malgré un sursis du Conseil d’État. Et ceci en dépit du républicanisme des Croix-de-feu qui contrastait avec la plupart des ligues d’extrême droite réactionnaires ou fascisantes, dont La Rocque réprouvait l’activisme et l’anti-républicanisme systématique. La capacité du mouvement à mobiliser des foules nombreuses et organisées et le programme d’action sociale, très proche de celui du Front populaire, pouvaient séduire de nombreux militants parmi la classe ouvrière.