samedi 21 décembre 2019

Noël: une fête dérangeante

Chronique de Denise Bombardier dans le Journal de Québec.

Il y a environ trente ans, je fus invitée à participer à une émission pour diffusion à Noël à la radio de Radio-Canada.

J’y suis allée sans hésiter croyant me retrouver dans une ambiance nostalgique où nous aurions l’occasion de réfléchir sur le sens de cette fête religieuse dans le Québec en voie de laïcisation.

L’émission était enregistrée et en studio j’ai vite découvert le pot aux roses. Les animateurs, se croyant affranchis, dirigeaient les échanges entre invités sur des thèmes aussi plombés que le suicide, la dépression, la sexualité et bien sûr le système capitaliste. Ces échanges étaient ponctués par des chansons, toutes déprimantes. Pas un chant de Noël.

Au bout d’une vingtaine de minutes de cette atmosphère délétère, j’ai quitté le studio non sans avoir interpellé les animateurs qui, eux, croyaient sans doute préparer un scandale médiatique qui les propulserait à l’antenne de la radio enfin libérée des « niaiseries » à caractère religieux.

J’ai décidé alors d’en informer la direction. Après avoir écouté le « chef d’œuvre » iconoclaste, un responsable en a annulé la diffusion.

Cette anecdote vécue, la romancière que je suis ne pourrait pas l’inventer. Car il est évident que les personnes qui ont baigné dans la culture chrétienne traversent rarement Noël et le jour de l’An dans l’indifférence.

D’abord, Noël raconte la naissance d’un enfant, ce qui nous ramène inévitablement à notre propre enfance. La nostalgie fait alors son œuvre. Une enfance malheureuse renvoie au malheur comme une enfance heureuse également. Car à l’âge adulte, qui peut prétendre à une vie sans souci, sans angoisses et sans échecs. Le bonheur à vif est par définition fugace. Et la lucidité fait aussi son œuvre. Il vaut mieux écouter Édith Piaf chanter « la vie en rose » que de croire qu’on peut la vivre au quotidien.

Et bien sûr Noël est une fête religieuse. L’Enfant dont il est question est Dieu pour les chrétiens. Nous sommes alors renvoyés à la foi de notre enfance, parfois à la perte de cette foi à l’âge adulte ou à l’absence de croyances religieuses chez plusieurs. Cela pose problème.

Au Québec, à la grande surprise de nombreux observateurs, une majorité de gens se déclarent encore croyants. Mais l’objet de leur foi n’est plus incarné uniquement par l’image du Dieu auquel la grande majorité adhérait autrefois. Comment définir sa foi dans notre culture catholique alors qu’elle était enrobée d’une moralité rigoriste, faite de péchés, d’interdits et de culpabilité ?

Noël est devenu une épreuve moins spirituelle que psychologique pour les Québécois de souche, orphelins des cérémonies liturgiques où la lumière des cierges, l’odeur de l’encens et les chants solennels, remplis d’espérance, émouvaient les cœurs des petits et des grands.

Le déni de nos racines religieuses ne mène qu’au refoulement identitaire. Tous les diktats de la foi religieuse, par contre, étouffent le désir de parvenir à concilier les croyances enfantines et l’angoisse de l’adulte devant la mort. Autrement dit, Noël est une épreuve pour tous où brille pour certains une lumière d’espérance.

Joyeux Noël et bonne année à tous.

« Il y a un retour de la censure »

François-Bernard Huyghe, politologue, essayiste français et auteur de ce livre « L’art de la guerre idéologique » (édition du Cerf) est l’invité d’André Bercoff sur Sud Radio. Pour lui, il y a un retour de la censure.




Présentation de l’éditeur du livre

Pourquoi les convictions des « élites » ne séduisent-elles plus les masses ? Comment une guerre idéologique, que les libéraux avaient l’habitude de remporter, a finalement basculé ? En quoi les nouvelles technologies ont-elles été les premiers outils de ce renversement ?

Pour comprendre ce phénomène à l’œuvre, François-Bernard Huyghe part d’un constat : la gestion économique de droite alliée à des références morales de gauche se heurtent au mécontentement populaire. Ce qui ne serait rien si ce couple ne menait à l’effondrement de la crédibilité des appareils politiques, culturels et médiatiques. C’est donc une « crise de la séduction » à laquelle nous assistons. Les promoteurs de « la société ouverte » ont accumulé des erreurs qui ont non seulement conduit à leur effacement, mais ont aussi détruit un logiciel idéologique qu’il leur faudra, à terme, renouveler.

Diagnostic lucide et sans concession, ce livre expose les moyens mis en œuvre par les deux camps idéologiques pour imposer leur hégémonie.

Docteur d’État, directeur de recherche à l’Iris, médiologue, spécialiste de l’influence, François-Bernard Huyghe est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages parmi lesquels La soft-idéologie, Maîtres du faire croire, ou encore Fake news.

Extrait du livre

Pendant une période qui suit la chute du Mur, beaucoup se persuadent, sinon comme Fukuyama, que l’Histoire est finie, du moins que toute opposition à la société ouverte est obsolète et qu’un modèle l’a emporté. Reste à liquider les dernières poches de résistance archaïques. Il faut aussi quelques interventions militaires (Golfe, ex-Yougoslavie…) pour aider les peuples à se libérer. Mais le sens de l’Histoire semble affaire assurée. Le démenti vient vite.

Nous avons vécu le soulagement postmoderne : chute de l’empire soviétique et déclin des doctrines conquérantes. Nous avons connu la « mélancolie démocratique », l’ennui de ne plus avoir d’ennemi. Nous avons cru à l’enchantement des technologies de l’information, remède à l’incertitude et au conflit. Puis nous avons déchanté. Ce que d’autres appelaient domination de la pensée unique se révéla n’être ni unique ni dominante. Elle se heurtait à une double contestation.

La première était « archaïque », identitaire, djihadiste, notamment. Après le 11 Septembre et la fin de la mondialisation heureuse, le spectre de la démocratisation tragique. Ce sera la guerre à la Terreur qui programme l’extension par la force, d’un modèle occidental. Le « tsunami démocratique » était censé gagner le monde depuis le Proche-Orient, comme pensaient les néoconservateurs, théoriciens de la Bonne Puissance. Elle a échoué que ce soit son volet militaire, guerre préemptive contre les États voyous, changements de régime… Elle a échoué dans son volet politique : démocratiser le Grand Moyen-Orient, assécher les sources du terrorisme qui sont les tyrannies et l’obscurantisme. Elle a échoué en termes de contagion des idées.

Quand se révèle la dimension du péril djihadiste, le premier réflexe est d’ailleurs d’en nier le projet pourtant explicite et argumenté. D’où la pauvreté de l’explication alternative par les Occidentaux : c’est un problème d’extrémisme violent ou de radicalisation. Des gens qui passent leur temps à dire qu’ils combattent pour réaliser un ordre divin, donneraient un alibi à leurs appétits de violence. Ils tomberaient dans le djihad comme on tombe dans l’alcoolisme, la délinquance ou la drogue, pour des raisons socio-économiques que nos systèmes régulent mal. La pauvreté de l’explication en révèle surtout sur ceux qui l’emploient.

Avec le djihad, la pensée unique libérale a rencontré l’altérité absolue. Elle refuse le fondement même d’une démocratie, condamné par la prééminence de la parole divine. Elle inverse l’idéal d’une expansion illimitée de l’individu, de ses jouissances et de ses droits et impose l’obéissance absolue et de dévouement illimité à la communauté. D’où l’extraordinaire inefficacité des arguments anti-djihadistes : c’est méchant, ce n’est pas vraiment dans le Coran, tu risques ta vie, tu t’épanouirais bien mieux chez nous après un petit stage, etc.

Au cours des premières années du millénaire, il faut aussi rappeler qu’il y a des milliards de Chinois, Russes, Indiens, Brésiliens, etc. qui ne désirent se soumettre ni au modèle ni au soft power [l’influence] occidental : l’enchaînement automatique libéralisme économique, État de droit, société ouverte, libéralisme culturel ne fonctionne pas. Ou ne séduit plus. Car il se produit une scission interne : les classes inférieures ou périphériques votant Trump aux États-Unis ou illibéral en Europe n’y croient plus. La soft-idéologie aura duré une génération. Le monopole du modèle occidental moins encore.

Les questions oubliées ressurgissent : l’identité, l’autorité, la protection. Face à cela, la pensée dominante a produit de nouvelles grilles d’explication et le macronisme en est le meilleur exemple. Son contenu positif n’est pas très différent de celui que professent la plupart des partis de gouvernement occidentaux : libéralisme économique et sociétal, européisme, transition écologique, rééquilibrage de l’État providence, libre-échangisme. Stratégiquement, le discours du « et en même temps » a très bien fonctionné pour rassembler droite traditionnelle et droite branchée, plus une gauche moderniste récupérable. Mais le macronisme est surtout remarquable par sa capacité d’évoquer les dangers contre lesquels il serait la seule protection : populismes, ambitions géopolitiques étrangères, idées extrémistes, tendance illibérales, etc.

La nouvelle vulgate distingue deux camps, ouverts modernes versus radicalisés et loi des temps contre anti-pensée. L’idéologie est assimilée à un passé qui revient (autoritarisme, stalinisme, nationalisme) et à un inconscient qui remonte. Le retour de…, les thèses qui « oseraient » s’exprimer, et ceux qui « lèveraient un tabou ».

L’idéologue aujourd’hui, c’est l’anti. La montée d’idées anti-libérales, anti-européennes, anti-mondialistes, anti-système suscite des réflexes de défense. Leur succès ne s’expliquerait pas par le brio de ses théoriciens, par les intérêts objectifs de ceux qui y adhèrent, par des fractures sociales ou culturelles ou par des expériences historiques. L’incompréhension du Système est incompréhensible. Elle traduit un anachronisme, un inconscient ou une allergie à la vérité.



Entretemps, au Canada le gouvernement progressiste multiculturaliste annonce sa volonté de sanctionner les plateformes numériques qui ne luttent pas contre le « discours haineux »...

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Réflexions sur l'antichristianisme primaire en Occident

La chronique de Mathieu Bock-Côté dans le Figaro sur l’antichristianisme primaire en Occident.

L’agression contre une crèche vivante à Toulouse le 14 décembre dernier avait quelque chose de sidérant. On a compris qu’elle était le fait de militants radicaux déambulant à la fin d’une manifestation qui n’ont pu cacher leur hostilité devant cette expression de la religion populaire. Le catholicisme suscite apparemment chez eux une aversion irrépressible. « Stop aux fachos ! ». Le slogan lancé par ces manifestants apparemment anticapitalistes, aussi stupide soit-il, est révélateur de l’empoisonnement idéologique du vocabulaire politique par des termes n’ayant plus aucun rapport avec la réalité. L’homme de notre temps, lorsqu’il veut maudire quelque chose, est-il capable de ne pas la réduire au fascisme ?

 
Les agressions contre les crèches ne sont pas rares, après la crèche vivante de Toulouse, celle de Dijon vandalisée deux fois en quelques jours

Que l’attaque ait été préméditée ou non ne change rien à l’hostilité affichée à l’endroit de ceux qui témoignaient paisiblement leur foi, même si plusieurs médias ont voulu relativiser l’agression, en expliquant qu’elle n’avait pas vraiment eu lieu ou qu’elle ne serait finalement qu’un fâcheux incident. Comme d’habitude. Soyons toutefois sans crainte : s’il fallait un jour que des hooligans troublent les prières de rue musulmanes, on décréterait assurément la République en danger et les cortèges citoyens défileraient à Paris en disant « plus jamais ça », avec la classe politique au premier rang. Nous aurions alors droit aux discours les plus emportés sur le vivre-ensemble à sauver.

De même, le vandalisme contre les églises régulièrement rapporté ne semble pas émouvoir exagérément les médias, qui n’y voient généralement qu’une série de faits divers sans signification politique. On l’explique rarement, sinon jamais, par la haine, un sentiment apparemment réservé aux populations majoritaires, dans leurs rapports avec les minorités, toujours victimes de la société où elles se sont installées. Il est difficile de ne pas voir là une forme singulière d’asymétrie symbolique. Le moindre commentaire critique à l’endroit de l’islam est théâtralisé et transformé en scandale médiatique, alors que le procès systématique du catholicisme est banalisé.

Une statue de la Vierge Marie en bronze, d’un poids de quelque 200 kg de d’une taille de 1,75 m, a été volée dans une niche d’un mur de l’église catholique Sainte-Marie-Madeleine de Göteborg au tout début du mois de décembre. On l’a retrouvé le 5 décembre, mais brisée en six morceau dans un lieu de stockage près d’un transformateur.

Si l’antichristianisme ne prend pas toujours une forme aussi brutale, il semble toutefois bien imprégné dans le discours public dominant. On l’a encore vu dans une étrange publicité de Monoprix qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux cette semaine. À l’approche des fêtes de fin d’année, formule qui se substitue de plus en plus aux fêtes de Noël, l’entreprise invitait ses clients à réveillonner en s’affranchissant de la « tradition », qui ne tiendrait pas suffisamment compte de la diversité des situations familiales et qui nous enfermerait dans un calendrier usé, déphasé et désuet.



Étrange formulation, qui présente la tradition à la manière d’une contrainte symbolique dont les hommes de notre temps devraient s’affranchir pour vivre enfin libres. Le pragmatisme commercial masque ici une forme de relativisme déconstructeur. Que des publicitaires aient pu imaginer une telle manière de vendre leurs produits en dit beaucoup sur l’image qu’ils se font de la société française. Un jour, on en trouvera pour vouloir effacer toutes les références chrétiennes du calendrier, pour éviter qu’il ne soit discriminatoire envers ceux qui ne s’y reconnaissent pas. Pourquoi s’entêter à fêter Noël le 25 décembre ? Et pourquoi continuer de confondre l’an zéro avec la naissance du Christ ?

Ces manifestations d’antichristianisme primaire ont bien moins à voir avec la poursuite de la laïcité, dont nul ne contestera la nécessité pour reconstituer un monde commun dans une société fragmentée, qu’avec une forme d’aversion décomplexée à l’endroit de tout ce qui ressemble d’une manière ou d’une autre aux symboles historiques distinctifs de la civilisation occidentale. On prétend construire une société inclusive ouverte à toutes les croyances : en fait, on prépare un monde vide, hostile à son héritage, devenu étranger à lui-même.

Faut-il vraiment rappeler que le catholicisme, en France [et au Québec], n’est pas qu’une religion mais la matrice d’une civilisation ? Et si l’État doit sans le moindre doute être neutre devant les convictions de chacun, il ne saurait l’être par rapport à l’identité historique qui le fonde, à moins de consentir à sa désincarnation. On pourrait consacrer un long développement pour rappeler cette évidence mais il suffit de rappeler la portée symbolique de l’incendie de Notre-Dame de Paris en avril dernier pour s’en convaincre. Qu’il soit devenu audacieux de mentionner les racines chrétiennes de la France a quelque chose d’absurde.

L’antichristianisme primaire si complaisamment ignoré par les médias n’est peut-être rien d’autre qu’un autre symptôme de cette passion morbide bien singulière qu’est la haine de soi. Comme si une société progressait en s’effaçant. Comme si elle s’humanisait en se dénoyautant. Comme si elle grandissait en se déracinant.

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Unanimité, signe d'une erreur potentielle ?

Le sociologue Christian Morel, auteur de plusieurs ouvrages sur les décisions absurdes et comment la division du travail et la technocratie en crée sans doute davantage, le rappelle :

Dans le Talmud, il est question d’un tribunal, le Sanhédrin. Composé de 23 juges, il intervient en matière pénale avec une règle fort étrange à première vue : si les 23 magistrats décident la condamnation à mort d’un accusé, donc à l’unanimité, l’accusé est automatiquement acquitté. Parce que les sages juifs de l’Antiquité se sont dit : « Si tout le monde est d’accord, c’est qu’il n’y a pas eu véritablement discussion, donc que l’erreur n’est pas loin. »

C’est en quelque sorte comparable au principe de l’avocat du diable, présent dans la religion catholique pour la béatification de saints, mais aujourd’hui utilisé pour éviter les décisions absurdes.

Lorsque les Israéliens ont failli perdre la guerre du Kippour parce que le renseignement militaire a dysfonctionné, ils ont créé au sein même de l’armée israélienne un bureau des avocats du diable composé de deux colonels chargés de porter un regard critique sur les informations qui venaient du terrain et les analyses qui en étaient faites pour voir si on ne s’était pas fourvoyé. Au fond, exercer le contradictoire réduit le risque d’erreur.

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Comment Pauline Marois modifie une constitution... et une charte (à l’unanimité et à toute vapeur, malgré des promesses contraires faites au préalable)


Divergences au sommet de l'Église catholique

Extraits d’un article de Constance Colonna-Cesari dans Marianne, magazine en rien de droite, avec quelques corrections éditoriales et des remarques supplémentaires.

À quelques jours des fêtes et de son traditionnel discours de Noël, le premier pape issu du continent américain doit faire face à une vague d’attaques sans précédent.

[Alors que la fréquentation du culte est demeurée constante dans les églises protestantes, celle de la messe s'est effondrée sous le pape argentin. Pour plus de détails, voir Religion — baisse de la fréquentation de la messe sous le pape François, stabilité chez les protestants.


]


Alors que les finances du Vatican sont en berne, ses positions en faveur des migrants, sa volonté de dialogue avec l’islam et son discours antilibéral lui valent la haine tenace d’une partie de l’épiscopat.

Jorge Mario Bergoglio, qui a soufflé ses 83 bougies le 17 décembre 2019, subit des attaques comme jamais aucun pape avant lui. Et la fatigue commence à se lire sur son visage. Triste Noël, que rien n’évoque à Rome, mis à part le sapin et la crèche récemment installés sur le parvis de Saint-Pierre. Au moins n’ont-ils pas été facturés 300 000 €, comme il y a quelques années !

C’est ce qu’avait révélé un certain Mgr Vigano, alors un inconnu. Il ne l’est plus depuis que, au mois d’août 2018, cet ancien nonce apostolique aux États-Unis a fait paraître une lettre ouverte, véritable bombe contre le pontife élu concernant sa campagne de « tolérance zéro » anticorruption et antipédophilie. Carlo Maria Viganò y dénonçait la responsabilité supposée du pape dans la protection du cardinal McCarrick, ancien archevêque de Washington, en affirmant l’avoir informé, en personne, des innombrables abus et harcèlements commis par ce prélat sur de jeunes séminaristes ainsi que sur deux mineurs.

Selon Jean-Pierre Dickès, « Le 4 octobre au Vatican, le pape a fait organiser un raout avec des Indiens de l’Amazonie ; il y fit une déclaration à la fois syncrétiste (toutes les religions méritent d’exister : air connu depuis la réunion à la mosquée du Caire) et panthéiste (Dieu est dans tout, c’est le culte à Gaïa). Après que François ait planté un chêne, les cardinaux se sont regroupés pour faire leurs dévotions d’adoration à la déesse Pachamama avec les Indiens, quelques Blancs et un moine ».

Voix hostiles

Conclusion de son « J’accuse ! » : une demande de démission de François, démarche sans précédent ! McCarrick sera réduit à l’état laïque, mais trop tard. Les fonds de Legatus, de la Fondation Centesimus annus, de la Papal Foundation, richissimes organismes caritatifs américains, n’arrivent plus au Saint-Siège : un déficit de plusieurs centaines de millions d’euros, soit 50 % de recettes en moins, avec pour conséquence la soudaine paralysie de certains secteurs clés de l’activité de l’Église.

Quant à l’affaire de détournement des dons des fidèles ayant débouché, début octobre, sur l’arrestation, à la secrétairerie d’État du Vatican (la plus haute instance du gouvernement central de l’Église), de cinq personnes soupçonnées d’opaques placements spéculatifs, elle tombe mal elle aussi. Quoi que le pape en dise, notamment lorsqu’il précise que, pour la première fois, cela ne vient pas de l’extérieur, mais que l’enquête a été diligentée de l’intérieur : cette unique ligne de défense ne peut suffire à redorer ni son blason ni les finances de son État…

L’argent est le nerf de cette guerre anti-François, mais pas seulement. Frondes doctrinales, menaces de schisme, accusations d’hérésie, voire d’apostasie, instrumentalisation effrénée des scandales de pédophilie, tout est désormais bon pour tirer sur le pape argentin. Ainsi, sur la scène politique italienne, Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue, l’attaque sans relâche, un chapelet à la main, ou revêtu d’un tee-shirt au slogan clair comme de l’eau bénite : « Mon pape, c’est Benoît ! »

Pour Matteo Salvini, chef de file de la droite italienne, son pape est Benoît.



Difficile de ne pas entendre toutes ces voix hostiles. Elles portent loin et font mal. Même le cardinal Parolin, le secrétaire d’État du Vatican, l’a reconnu implicitement, en le déplorant, lors d’une audience à une délégation de chefs d’entreprise français, fin novembre. On dénaturerait le message du pontife, s’est-il désolé. C’est ce que répète aussi Mgr Duffé, le secrétaire du dicastère (l’équivalent d’un ministère) pour le Développement humain intégral, officieusement le nouveau centre de gravité du pontificat, puisque c’est là que se déploie cette double priorité de l’accueil des migrants et de l’écologie. 

Priorité du pape François : les immigrants, en grande partie musulmans



[...]

Benjamin Harnwell est l’associé anglais de Steve Bannon (ex-conseiller de Trump et figure de la droite américaine), pour lequel François est l’ennemi juré. À deux pas de Rome, il a fondé Dignitatis Humanae, un réseau pensant conservateur dans lequel gravitait jusqu’à peu le cardinal américain Raymond Burke, l’opposant numéro un du pape à la curie. À cet institut est adossé le projet de fondation d’une école de formation des élites populistes européennes dans la chartreuse médiévale de Trisulti, à une centaine de kilomètres à l’est de Rome, dans le Latium, où réside Harnwell. Ce dernier, tout comme Bannon, est en croisade pour la défense de la vie et de la famille, et la sauvegarde des fondements de l’Occident judéo-chrétien. « Salvini a raison : l’Italie aux Italiens », tonne cet Anglais qui a voté pour le Brexit. Parmi ses pires griefs : le combat pontifical en faveur des migrants, son dialogue avec l’islam ou ses préoccupations écologiques, mais aussi les attaques de François contre « l’économie qui tue », un discours antilibéral irrecevable pour les Anglo-Saxons. « L’Église doit s’occuper de sauver les âmes, pas se mêler de politique, dit-il. Le pape se trompe sur le capitalisme, sur le climat et sur l’islam, qu’il continue de regarder comme s’il s’agissait d’une religion pacifique ! » Autre voix largement relayée, celle de Roberto de Mattei, l’historien à la tête de la Fondation Lepante, un mouvement de reconquête catholique abrité dans une église des premiers siècles sur le mont Aventin. Pour ce leader d’opinion de la galaxie traditionaliste, François menace depuis le début de son règne l’avenir de l’Église et celui de l’Europe. [Europe que le pape François n'aime pas selon Odon Vallet, voir vidéo ci-dessous.]





Menace de schisme

[...  Le] dernier acte [du pape], le Document sur la fraternité, un engagement signé en février 2019 aux Émirats arabes unis entre le pape et le recteur de l’université Al-Azhar du Caire, plaidoyer pour un dialogue islamo-chrétien plus ouvert que jamais, engagerait l’Église trop loin. « Moi, catholique militant romain, je ne veux pas d’un schisme, mais je le vois pourtant venir », avertit le professeur, dont les voyages aux États-Unis se multiplient. À l’unisson des évêques de ce pays, ou de l’archevêque d’Astana, au Kazakhstan, Roberto de Mattei égrène la longue série d’hérésies pontificales, dont celle contenue dans l’exhortation apostolique Amoris laetitia de 2016 consacrée à l’amour dans la famille : selon lui, un premier coup de canif au magistère de l’Église et aux sacrements du mariage. C’est à sa suite que quatre cardinaux de la curie, dont Burke, avaient émis des dubia (« doutes »), puis des correctio, soit, en d’autres termes, une menace de schisme.

Le récent synode sur l’Amazonie a réactivé toutes les inquiétudes dans ce camp de l’Église. Ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, remercié en 2017, le cardinal allemand Gerhard Ludwig Müller en parle avec d’autant plus de réticence que ce sont les fonds de l’Église allemande qui ont financé l’événement, en mettant à son agenda la question de l’ordination possible dans cette région d’hommes mariés (viri probati) comme celle de femmes diacres. Cela, afin d’ouvrir une brèche visant à introduire ces sujets sensibles dans le propre synode de l’Église allemande, prévu pour débuter en janvier. Une Église allemande décidément bien trop audacieuse et progressiste pour Müller, ancien gardien du dogme.

Les statuettes de la Pachamama, installées dans une église de Rome pour les représentants amazoniens du synode, puis dans les jardins du Vatican, et enfin dans la basilique Saint-Pierre, avant d’être volées par un jeune et fervent catholique autrichien, qui s’est filmé en les jetant dans le Tibre, ont créé un ramdam sur Internet. Pour Roberto de Mattei, intervenant dans une vidéo défendant l’acte de l’Autrichien, cette adoration idolâtre d’un autre culte admise sous la coupole de Saint-Pierre relève de l’apostasie… [plus de détails ici].

La fin de règne de François pourrait être agitée alors que le prochain conclave se fomente déjà et que de puissants lobbys médiatico-financiers américains y travaillent avec beaucoup de moyens. Baptisé « Red Hat report », leur projet promet une campagne à l’américaine, avec investigations et révélations des moindres éventuelles « casseroles » de tout cardinal de la ligne « bergoglienne » ayant un profil de papabile. Pour cette Amérique [...] la plus va-t-en-guerre contre François, le pape péroniste, sinon même marxiste, il serait bon que son successeur soit ouvertement pro-vie, moins pro-homo, qu’il ne se mêle ni des questions migratoires ni du réchauffement climatique et qu’il arrête de dialoguer avec l’islam. [...]

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