mercredi 1 novembre 2017

Québec, faiblesse en français et valorisation de l'anglais

Nous l’avons déjà mentionné, le nombre d’heures de français (et de matière donnée en français) a sensiblement diminué ces dernières années pour faire place à plus d’anglais, on apprend que pour la majorité des élèves qui décrochent en cinquième secondaire, c’est leur échec en français qui les éloigne de leur diplôme. (Voir aussi Quatre cents heures d’anglais de plus, centaine d’heures de français de moins ?)

La société d’État Radio-Canada nous apprenait le 18 septembre dernier qu’en 2016, la moitié des futurs enseignants québécois avaient échoué le « test de certification en français écrit pour l’enseignement ».

Un enseignant nommé Sylvain Dancause dont le carnet est relayé par le Journal de Montréal mentionne « l’éléphant dans la pièce » (pour employer un calque de l’anglais !), le problème évident et pourtant tabou, soit la valorisation de plus en plus grande accordée à la maîtrise de la langue anglaise et son corollaire, la valorisation de moins en plus moins grande accordée à la maîtrise de la langue française dans le système d’éducation québécois.

M. Dancause affirme tout simplement que la l’importance de plus en plus grande accordée à toujours plus d’anglais depuis le primaire pour finir par un cégep envoie un message subliminal qui résonne fort chez les jeunes et leurs parents : « l’anglais c’est full important, le français ça ne l’est pas ».

M. Dancause ne manque pas de noter que la Politique sur la réussite éducative, dévoilée par le Ministre Proulx en juin 2017, est muette comme une carpe quant à la maîtrise du français chez les élèves du secondaire.

Extraits du billet de M. Dancause :

[...]

J’ai lu la grande nouvelle de la semaine passée : « À leur premier essai, près de la moitié des futurs enseignants québécois ont échoué à l’examen de français obligatoire pour l’obtention de leur brevet d’enseignement l’an dernier. »

[...]

[J] » ai lu à maintes reprises qu’il fallait augmenter la cote R (ingard) des étudiants admis au baccalauréat en enseignement. À ce propos, je partage en partie l’idée de Paul Journet qui affirme que « l’idée n’est pas inintéressante, mais son effet serait limité. » De mon côté, je considère que la plupart des qualités d’un excellent enseignant n’ont rien à voir avec la cote R.

Bref, tout comme Patrick Lagacé, « je refuse donc de jeter la pierre à ces enseignants : ils sont le produit d’une culture qui se fiche de l’école... »

Néanmoins, j’ajouterais un petit quelque chose : ils sont aussi le produit d’une culture qui se fiche de sa propre langue.

Le français, qu’ossa donne ?

J’aimerais vous souligner un détail important dans toute cette histoire : ces jeunes enseignants sont passés dans nos écoles au cours des années 2000. So what?
Vous avez remarqué la modification de l’offre de service des écoles depuis une quinzaine d’années ? La multiplication des projets particuliers est effarante. Le menu offert passe par toute la gamme des sports, des arts et de la technologie.

Toutefois, le domaine qui a connu la plus grande progression est sans aucun doute celui des programmes de langues (lire ici d’anglais). Force est de constater que le francophone colonisé est un fan de la langue de Shakespeare.

L’anglais intensif a fait son apparition au primaire. Au secondaire, il y a une panoplie de programmes que j’appellerais « variation sur un même thème » : anglais plus, anglais enrichi, EESL, etc. Sachez que certains programmes au secondaire offrent aux élèves des cours d’anglais à raison du tiers de leur horaire.
Vous croyez cela suffisant ? Non. « Une majorité de Québécois, même chez les francophones, est favorable à un assouplissement de la loi 101 pour faciliter l’accès aux écoles anglaises au primaire et au secondaire. »

Je sais, l’anglais, c’est full important. Par contre, comme société, vous voyez le message subliminal envoyé à nos enfants ? [kcuf el siaçnarf] Vous voyez le déséquilibre quant à l’importance accordée à l’enseignement de notre langue seconde par rapport à notre langue maternelle ?

Vous avez vu des publicités d’écoles qui font l’apologie de leur super programme de français enrichi ? Est-ce qu’on vous a déjà fait la promesse (comme argument de vente) que votre enfant découvrira les grands auteurs francophones ? Vous connaissez une école qui insiste sur l’importance de la production littéraire dans l’offre de ses cours ?

J’entends votre silence.

Je ne veux surtout pas en rajouter, mais « alors que le nombre de cégépiens faibles en français ne cesse d’augmenter, la politique sur la réussite éducative reste muette sur les objectifs et mesures à mettre en place pour améliorer la maîtrise du français chez les élèves du secondaire. »

Le plus sérieusement du monde, les hautes instances universitaires demandent depuis deux ans au ministère de l’Éducation de restreindre à quatre le nombre de passations à l’examen de français : « On ne veut pas que les étudiants le réussissent à l’usure. On veut qu’ils comprennent l’importance qu’on accorde à la qualité de la langue. »

Are you kidding me?

Les jeunes habitants de mon « village d’enseignants » ne sont pas différents de ceux des autres villages. Très tôt, ils assimilent le message envoyé par leur société à l’égard de leur langue maternelle.

Albert Camus disait : « Ma patrie, c’est la langue française ». Eh bien, ma patrie à moi, elle est maganée et elle rêve en anglais.

L’ingénieur Pierre Cliche est revenu sur cette fascination (et culpabilisation constante) des francophones pour l’anglais au Québec (extraits) :
Dimanche dernier, à l’émission Tout le monde en parle, l’entrepreneur Mitch Gerber a mis en opposition les statistiques suivantes : alors que 80 % des Anglo-Québécois parleraient le français, seulement 40 % des Québécois francophones parleraient l’anglais. Souhaité ou non par M. Gerber, le résultat de cette boiteuse comparaison est le même : le constat que les Québécois francophones sont encore et toujours les cancres de la classe dans le domaine linguistique. Serait-ce une autre façon pernicieuse de nous asséner ce foutu « speak white » dont nous n’arriverons jamais à nous libérer, semble-t-il ?

La comparaison de M. Gerber, dont le fondement est vicié, aurait pu s’énoncer de façon tellement plus pertinente si ce dernier s’en était donné la peine ou en avait eu la volonté. Formulé autrement, voici ce que cela aurait pu donner : alors que les Franco-Ontariens (à 500 000, presque aussi nombreux que les Anglo-Québécois) et les Acadiens parlent pratiquement tous anglais, il n’y a que 80 % des Anglo-Québécois qui parlent français. Ou encore : alors que 40 % des Québécois francophones parlent anglais, moins de 10 % des anglophones hors Québec parlent le français. Ainsi énoncées, ces comparaisons donnent un portrait éminemment plus fidèle et surtout plus juste de nos compétences linguistiques qui, vues sous cet angle, se comparent très avantageusement avec la plupart des peuples.

[...]

Cela étant posé, il serait peut-être temps de cesser de nous faire croire que 100 % des Québécois francophones sont ou devraient être mus par un mystérieux attrait irrésistible pour l’apprentissage de l’anglais. Si tel était le cas, nous serions bien le seul peuple sur Terre à avoir collectivement un tel engouement qui ferait de nous, linguistiquement parlant, un peuple élu. Malheureusement, la réalité étant toute autre, efforçons-nous donc d’être tout simplement un peuple normal et heureux de l’être.

Ce constat établi, j’aimerais que l’on me dise pourquoi un Québécois francophone, au même titre qu’un Anglo-canadien, qu’un Français ou qu’un Italien, ne pourrait pas vivre une vie agréable et satisfaisante même s’il ne se sent pas tenu à apprendre une autre langue, poussé par une des nombreuses motivations qui incitent habituellement certaines gens à le faire ? Ce Québécois n’est pas pour autant moins honorable et respectable que les bilingues et trilingues qui ont fait ce choix par ambition professionnelle, par sens pratique, ou simplement par goût ou curiosité des autres langues et des autres cultures.

Bien que libéré depuis belle lurette de toute forme de colonialisme (britannique ou anglo-canadien), il est étonnant et navrant de voir à quel point les Québécois francophones souffrent toujours de ce qu’on pourrait qualifier de « colonialisme linguistique » lorsqu’il est question de l’anglais. Cette incapacité que nous avons d’en évaluer froidement sa nécessité et sa pertinence, cela, en tenant compte des goûts, aspirations et besoins de chacun est désolante et fausse le débat sur son importance et sa nécessité dans nos vies personnelles respectives. Malgré le contexte linguistique particulier du Québec, il serait tellement plus souhaitable de faire en sorte qu’il soit possible de vivre et de travailler en français au Québec, et ce, sans que ce soit un handicap pour les unilingues francophones.

Pourtant, bilingues (français, anglais) à 40 %, les Québécois francophones sont parmi les peuples les plus bilingues de la planète. Mais cela sera toujours insuffisant aux yeux des anxieux et des complexés de la langue. Malheureusement, la normalité n’est pas suffisante pour ces gens-là.