jeudi 26 juin 2025

États-Unis — Pourquoi les diplômés d'aujourd'hui sont dans le pétrin

Pauvre jeune ambitieux. Pendant des décennies, le chemin vers une vie agréable était tout tracé : aller à l'université, trouver un emploi pour diplômé, puis regarder l'argent rentrer. Aujourd'hui, les jeunes qui travaillent dur semblent avoir moins d'options qu'auparavant.

Se lancer dans la technologie ? Les grandes entreprises suppriment des emplois. Et le secteur public ? Il est moins prestigieux qu'avant. Devenir ingénieur ? De nombreuses innovations, des véhicules électriques aux énergies renouvelables, voient désormais le jour en Chine. Devenir avocat ? L'intelligence artificielle va bientôt vous prendre votre emploi. Ne pensez même pas à devenir journaliste.

Dans tout l'Occident, les jeunes diplômés perdent leur position privilégiée ; dans certains cas, ils l'ont déjà perdue. Les données sur l'emploi laissent entrevoir ce changement. Matthew Martin, du cabinet de conseil Oxford Economics, s'est penché sur les Américains âgés de 22 à 27 ans titulaires d'une licence ou d'un diplôme supérieur. Pour la première fois dans l'histoire, leur taux de chômage est désormais systématiquement supérieur à la moyenne nationale. La hausse du chômage chez les jeunes diplômés est due à ceux qui recherchent un emploi pour la première fois.

Cette tendance n'est pas seulement observable aux États-Unis. Dans toute l'Union européenne, le taux de chômage des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur se rapproche du taux global pour cette tranche d'âge (voir graphique 1). La Grande-Bretagne, le Canada, le Japon... tous semblent suivre la même voie. Même les jeunes issus de l'élite, tels que les diplômés d'un MBA, sont touchés. 

En 2024, 80 % des diplômés de l'école de commerce de Stanford avaient trouvé un emploi trois mois après avoir quitté l'université, contre 91 % en 2021. 

Jusqu'à récemment, la « prime salariale universitaire », qui permet aux diplômés de gagner plus que les autres, était en hausse (voir graphique 2). Mais elle a récemment diminué, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada. À partir des données sur les jeunes Américains fournies par la succursale new-yorkaise de la Réserve fédérale, The Economist estime qu'en 2015, le salaire médian des diplômés universitaires était supérieur de 69 % à celui des diplômés du secondaire. L'année dernière, cet avantage était tombé à 50 %.

Les emplois sont également moins épanouissants. Une grande enquête suggère que l'écart de satisfaction entre les diplômés et les non-diplômés aux États-Unis, c'est-à-dire la probabilité pour les diplômés de se déclarer « très satisfaits » de leur emploi, est désormais d'environ trois points de pourcentage, contre sept points auparavant.

Est-ce une mauvaise chose que les diplômés perdent leurs privilèges ? D'un point de vue éthique, pas vraiment. Aucun groupe n'a un droit inné de surpasser la moyenne. Mais d'un point de vue pratique, cela pourrait l'être. L'histoire montre que lorsque les personnes intelligentes – ou celles qui se croient intelligentes – obtiennent des résultats inférieurs à ce qu'elles pensent mériter, ils s'en suit des événements négatifs.

Peter Turchin, scientifique à l'université du Connecticut, affirme que la « surproduction d'élites » a été la cause immédiate de toutes sortes de troubles au cours des siècles, les « contre-élites » menant la charge. Les historiens identifient « le problème de l'excès d'hommes instruits » comme ayant contribué aux révolutions européennes de 1848, par exemple. Luigi Mangione ferait partie de la contre-élite. M. Mangione, diplômé de l'université de Pennsylvanie, devrait mener une vie prospère. Au lieu de cela, il est jugé pour le meurtre présumé du directeur général d'une compagnie d'assurance maladie. Plus révélateur encore est le degré de sympathie que suscite son aliénation : M. Mangione a reçu des dons dépassant largement le million de dollars.

Pourquoi les diplômés perdent-ils leurs privilèges ? Peut-être que l'expansion considérable des universités a abaissé le niveau. Si les tours d'ivoire admettent des candidats moins talentueux, puis font un travail moins bon pour les former, les employeurs pourraient, à terme, s'attendre à moins de différences entre le diplômé moyen et le non-diplômé moyen. Une étude récente, menée par Susan Carlson de l'université d'État de Pittsburgh et ses collègues, suggère que de nombreux étudiants d'aujourd'hui sont fonctionnellement analphabètes. Un nombre inquiétant d'étudiants en anglais ont du mal à comprendre « La Maison d'Âpre-Vent » de Charles Dickens. Beaucoup sont déconcertés par la première phrase : « Michaelmas term lately over, and the Lord Chancellor sitting in Lincoln’s Inn Hall » (La session judiciaire qui commence après la Saint-Michel vient de s’ouvrir, et le lord chancelier siège dans la grande salle de Lincoln’s Inn).

Il est certain que certaines universités proposent des cours médiocres à des candidats qui n'y ont pas leur place. D'un autre côté, il y a peu de corrélation entre le nombre de diplômés et la prime salariale à long terme : les deux ont augmenté aux États-Unis dans les années 1980, par exemple. De plus, si vous discutez avec des étudiants de la plupart des universités, en particulier celles d'élite, vous vous rendrez compte qu'ils ne sont pas stupides. Ceux de Stanford sont extrêmement intelligents. Beaucoup d'étudiants d'Oxford et de Cambridge passaient autrefois leur temps à flâner et célébraient même leur « gentleman's third » (note de passage minimale, obtenue sans trop d'effort) s'ils avaient cet honneur. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Un nouvel article rédigé par Leila Bengali, de la succursale de San Francisco de la Fed, et ses collègues, est une autre raison de remettre en question l'explication selon laquelle les diplômés sont trop nombreux. Ils constatent que l'évolution de la prime salariale universitaire reflète principalement « des facteurs liés à la demande, en particulier un ralentissement du rythme des changements technologiques favorisant les travailleurs qualifiés ». En clair, les employeurs peuvent de plus en plus faire appel à des non-diplômés pour occuper des emplois qui étaient auparavant réservés aux diplômés.

Une mention très bien ? Tout le monde s'en fiche

Cela est particulièrement vrai pour les emplois qui nécessitent une utilisation rudimentaire de la technologie. Jusqu'à récemment, beaucoup de gens ne pouvaient se familiariser avec un ordinateur qu'en fréquentant l'université. Aujourd'hui, tout le monde possède un téléphone cellulaire, ce qui signifie que les non-diplômés sont eux aussi à l'aise avec la technologie. Les conséquences sont claires. Selon Indeed, un site web consacré à l'emploi, les exigences en matière de formation deviennent moins strictes dans presque tous les secteurs de l'économie. Le secteur américain des services professionnels et commerciaux emploie plus de personnes sans diplôme universitaire qu'il y a 15 ans, même si ces personnes sont moins nombreuses.

Les employeurs ont également réduit le nombre d'emplois dans les secteurs favorables aux diplômés. Dans l'ensemble de l'UE, le nombre de jeunes âgés de 15 à 24 ans employés dans la finance et l'assurance a diminué de 16 % entre 2009 et 2024. Les États-Unis ne comptent que légèrement plus d'emplois dans les « services juridiques » qu'en 2006. Jusqu'à récemment, la voie évidente pour un étudiant britannique souhaitant gagner de l'argent était un programme interne pour diplômés dans une banque. Depuis 2016, cependant, le nombre de jeunes de 20 à 30 ans dans le domaine du droit et de la finance a diminué de 10 %. À la troisième saison de « Industry », une série télévisée sur les jeunes loups diplômés d'une banque londonienne, une grande partie du distribution originale a été écartée (ou est décédée).

Il est tentant de blâmer l'IA pour cette diminution des perspective d'emploi. La technologie semble capable d'automatiser les tâches « intellectuelles » de base, telles que le classement ou les tâches parajuridiques. Pourtant, les tendances décrites dans cet article ont commencé avant ChatGPT. De nombreux facteurs contingents sont responsables. De nombreux secteurs qui employaient traditionnellement des diplômés ont connu des difficultés ces derniers temps. Des années d'activité modérée dans le domaine des fusions et acquisitions ont réduit la demande d'avocats. Les banques d'investissement sont moins dynamiques qu'avant la crise financière mondiale de 2007-2009.

Les études universitaires en valent-elles donc la peine ? Les Américains semblent avoir décidé que non. Selon les données de l'OCDE, entre 2013 et 2022, le nombre d'étudiants inscrits en licence a baissé de 5 %. Pourtant, dans la plupart des pays riches, où l'enseignement supérieur est moins cher car l'État le subventionne davantage, les jeunes continuent d'affluer vers les universités. Hors États-Unis, les inscriptions dans l'OCDE sont passées de 28 millions à 31 millions au cours de la décennie précédant 2022. En France, le nombre d'étudiants a augmenté de 36 % ; en Irlande, de 45 %. Les gouvernements subventionnent des diplômes inutiles, encourageant les jeunes à perdre leur temps à étudier.

Les étudiants ne choisissent peut-être pas non plus les bonnes matières. En dehors des États-Unis, la part des arts, des sciences humaines et des sciences sociales augmente en général. Il en va de même, de manière inexplicable, pour les inscriptions aux cours de journalisme. Si ces tendances reflètent les idées des jeunes sur l'avenir du travail, ils sont vraiment en difficulté. 

Source : The Economist

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