jeudi 28 novembre 2024

Université — Votre maîtrise est-elle inutile ?

Dans les mois à venir, des millions d’étudiants dans l’hémisphère nord vont s’inscrire à des études de deuxième et troisième cycles. La plupart d’entre eux complèteront leur diplôme de premier cycle par une maîtrise d’un ou deux ans, dans l’espoir de se démarquer sur un marché de l’emploi encombré de licenciés (diplômés d’un baccalauréat au Québec).

« La première raison pour laquelle les gens obtiennent ces diplômes est l’insécurité », estime Bob Shireman de la Century Foundation, un groupe de réflexion de gauche sis à New York. « Ils ont le sentiment que s’ils veulent obtenir un emploi — ou le conserver —, ils ont besoin d’une maîtrise. » Pourtant, en moyenne, ces diplômes entraînent une augmentation salariale nettement moins importante qu’un diplôme de premier cycle. De plus, un nouveau corpus de données et d’analyses suggère qu’une proportion scandaleusement élevée de cours de maîtrise entraîne une détérioration de la situation des diplômés.

Aux États-Unis, près de 40 % des travailleurs titulaires d’une licence ont également obtenu un diplôme de deuxième ou troisième cycles. Au cours de la décennie jusqu’à 2021, le nombre d’étudiants de deuxième et troisième cycles a augmenté de 9 %, alors que le nombre d’étudiants de premier cycle a baissé de 15 %. Les doctorats exigés par les universitaires et les diplômes professionnels de longue durée, comme ceux dont ont besoin les médecins et les avocats, sont de plus en plus populaires. Mais ce sont les cours de maîtrise qui continuent de représenter la majeure partie de la croissance.

Ils représentent une activité encore plus importante pour les universités britanniques, qui délivrent quatre diplômes de deuxième et troisième cycles pour cinq diplômes de premier cycle. Cela s’explique en grande partie par l’explosion du nombre d’étudiants en maîtrise originaires de pays tels que l’Inde et le Nigeria. Les Britanniques ne sont pas en reste. Le nombre d’étudiants inscrits à des cours de maîtrise a augmenté d’environ 60 % en 15 ans.

Cette évolution s’explique en partie par le fait que les employeurs exigent des qualifications plus poussées à mesure que les emplois dans les domaines de la science et de la technologie, en particulier, deviennent plus complexes. Mais les universités ne sont pas en reste. En Grande-Bretagne, les frais d’inscription aux études de premier cycle sont plafonnés par le gouvernement et n’ont pratiquement pas augmenté depuis dix ans. L’inscription d’un plus grand nombre d’étudiants de deuxième et troisième cycles — qui peuvent être facturés en fonction du marché — est un moyen de faire face à la situation. Aux États-Unis, la population en âge d’aller à l’université commencera bientôt à diminuer. Les présidents des établissements d’enseignement supérieur américains espèrent que les diplômés qui poursuivent leurs études pourront maintenir leurs établissements à flot.

Depuis 2000, le coût des études supérieures aux États-Unis a plus que triplé en termes réels, selon le Centre on Éducation and the Workforce de l’université de Georgetown. L’emprunteur médian s’endette aujourd’hui d’environ 50 000 dollars pour obtenir son deuxième diplôme, contre 34 000 dollars 20 ans plus tôt (en dollars de 2022). Près de la moitié de l’argent que le gouvernement américain prête aux étudiants va aux étudiants de deuxième et troisième cycles, alors qu’ils ne représentent que 17 % des étudiants. En Grande-Bretagne, les étudiants nationaux en maîtrise paieront environ 9 500 livres sterling (13 000 dollars) par an en 2021, soit 70 % de plus qu’en 2011 après prise en compte de l’inflation.

Si les étudiants supportent ces frais, c’est en partie parce qu’ils partent du principe que des diplômes prestigieux augmenteront généralement leurs revenus. « L’obtention d’un rendement financier n’est pas la seule raison de poursuivre des études », reconnaît Beth Akers, de l’American Enterprise Institute, un groupe de réflexion de droite. Mais « pour la grande majorité des étudiants, c’est l’ambition ». À première vue, ils font un pari raisonnable. Aux États-Unis, les travailleurs à temps plein titulaires d’une licence gagnent environ 70 % de plus que les diplômés de l’enseignement secondaire. Et ceux qui ajoutent une maîtrise peuvent espérer gagner 18 % de plus.

Cependant, les revenus varient énormément en fonction de la matière et de l’établissement. En outre, les diplômés de second et troisième cycles sont généralement issus de familles plus aisées et ont obtenu de meilleures notes que leurs camarades au cours de leurs études de premier cycle. Ils ont donc tendance à bien réussir dans la vie, indépendamment de leurs diplômes supplémentaires. Pour déterminer le rendement réel, il faut comparer les résultats de cette cohorte de doués avec ceux de personnes tout aussi impressionnantes qui ont décidé de ne pas poursuivre leurs études.

De ce point de vue, l’étudiant moyen en maîtrise ne gagnera pas plus de 50 000 dollars de plus au cours de sa vie grâce à son diplôme, estime Preston Cooper, analyste du FREOPP, un groupe de réflexion d’Austin, au Texas, qui a également pris en compte les frais de scolarité et les revenus potentiels perdus pendant les études. Pire encore, les étudiants inscrits à environ 40 % des cours de maîtrise américains ne gagneront pas d’argent supplémentaire ou subiront une perte financière. Il s’agit d’un risque plus élevé que pour les cours de premier cycle, qui, selon M. Cooper, offrent un rendement positif dans environ 75 % des cas.

Les données américaines étant encore assez fragmentaires, il faut encore beaucoup de suppositions pour parvenir à de telles conclusions. Les choses sont un peu plus claires en Grande-Bretagne, où les chercheurs qui le demandent gentiment peuvent exploiter une base de données croisant les déclarations d’impôts et les résultats scolaires de millions de jeunes adultes. En 2019, les analystes de l’Institute for Fiscal Studies, un groupe de réflexion londonien, ont conclu qu’un cinquième des étudiants de premier cycle (licence donc) s’en sortiraient mieux s’ils ne fréquentaient pas l’université.

Plus récemment, l’institut a étudié le rendement des cours de maîtrise, avec des résultats encore plus frappants. Il a constaté qu’à l’âge de 35 ans, les titulaires d’une maîtrise ne gagnent pas plus que les titulaires d’une simple licence (compte tenu de leur milieu plus aisé et de leur niveau d’études plus élevé). Ce résultat est « réellement surprenant », déclare Jack Britton, l’un des auteurs de l’étude. Elle diffère aussi nettement des recherches utilisant des données moins précises.

Des deux côtés de l’Atlantique, le choix de la matière est le facteur le plus important pour déterminer si une formation de maîtrise augmente les revenus. En Amérique, les gains sont particulièrement importants dans les domaines de l’informatique et de l’ingénierie. Ils sont légèrement inférieurs dans d’autres disciplines scientifiques, en partie parce qu’un diplôme de premier cycle dans ces domaines fait déjà grimper les salaires de manière significative. Les enseignants titulaires d’un diplôme d’études supérieures en éducation ont tendance à gagner davantage, même si les salaires de l’ensemble de la profession sont assez bas, parce que de nombreux districts scolaires américains augmentent automatiquement le salaire de ceux qui sont titulaires d’un tel diplôme.

Ce qui est encore plus frappant, c’est l’importance des rendements négatifs dans certaines matières. Les Britanniques qui obtiennent une maîtrise en politique gagnent 10 % de moins au milieu de la trentaine que leurs homologues qui étudient la même matière au niveau de la licence uniquement. Pour l’histoire, l’impact sur les revenus est d’environ 20 % ; pour l’anglais, il est proche de 30 % (voir graphique ci-dessous). Beaucoup de ceux qui suivent ces cours se destinent à des carrières dont ils savent qu’elles seront peu rémunératrices, mais qu’ils pensent apprécier, explique le Dr Britton. Mais d’autres s’orientent vers des études supérieures parce qu’ils n’ont pas encore décidé de la profession qu’ils allaient exercer. Il n’est sans doute pas surprenant que ces personnes aient tendance à gagner moins à moyen terme que leurs homologues qui sont passés directement de la licence à l’emploi.

Le choix de l’établissement a son importance, mais dans la plupart des cas moins que ce que l’on croit généralement. Aux États-Unis, les coûts varient considérablement d’une université à l’autre. Mais selon Tomás Monarrez et Jordan Matsudaira, du ministère américain de l’Éducation, il n’y a pas de lien fort entre le prix d’une maîtrise et le salaire de ses diplômés (voir graphique ci-dessous). « Les écoles de renom ont compris qu’elles pouvaient tirer parti de leur réputation pour proposer des programmes très prestigieux sur le papier, explique M. Cooper, mais dont les résultats ne justifient pas l’engouement qu’ils suscitent. »

Les cours de Maîtrise en administration des affaires constituent une exception notable : les diplômés des établissements les plus célèbres gagnent beaucoup plus que les autres. Mais dans d’autres domaines de la vie, l’acquisition de contacts, d’un carnet d’adresses, prestigieux pendant les études n’est pas aussi cruciale pour la réussite. Il en résulte qu’il vaut mieux opter pour un cursus bien rémunéré dans un établissement peu huppé plutôt que de dépenser de l’argent dans une université d’élite.

Les femmes ont plus de chances que les hommes de voir leurs revenus augmenter grâce à une maîtrise. L’étude britannique révèle que ces qualifications augmentent les revenus des femmes dans 14 des 31 domaines étudiés, alors que les hommes ne le font que dans six d’entre eux. Cela peut paraître surprenant : le salaire horaire des hommes est supérieur à celui des femmes et l’écart se creuse avec le niveau d’études. Mais les femmes plus qualifiées s’en sortent mieux que les autres, car elles ont aussi tendance à travailler plus longtemps, en particulier lorsqu’elles deviennent parents et qu’elles sont contraintes de passer à temps partiel ou d’arrêter de travailler.

Le faible rendement de nombreuses maîtrises devrait inquiéter les candidats. Mais ils soulèvent également des questions épineuses pour les gouvernements. En Europe et aux États-Unis, les responsables politiques ont été accusés de faire augmenter les coûts par inadvertance. En 2016, les étudiants britanniques en maîtrise ont pu bénéficier de prêts garantis par l’État et assortis de conditions de remboursement généreuses. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral limite le montant des prêts accordés aux étudiants de premier cycle, mais depuis 2006, il permet aux étudiants de deuxième ou troisième cycle d’emprunter le montant que leurs universités choisissent de facturer. Dans les deux cas, l’argent facile a entraîné une inflation des prix.

Un débat connexe porte sur la question de savoir si les gouvernements devraient être plus pointilleux sur les cours de deuxième et troisième cycles qu’ils financent. En Amérique, le crédit est offert aussi librement aux personnes qui étudient la « vannerie sous-marine » qu’à celles qui étudient le droit, déclare M. Akers. En 2026, les universités à but lucratif pourraient être empêchées d’inscrire les étudiants qui empruntent de l’argent fédéral dans des cours ayant entraîné un endettement ingérable pour les diplômés ou n’ayant pas augmenté leurs revenus. Mais les nouvelles règles ne s’appliqueront pas aux universités publiques et à but non lucratif, qui accueillent la plupart des étudiants. Ces établissements devront simplement avertir les candidats des cours peu rentables.

Les Américains, qu’ils soient de droite ou de gauche, s’accordent à dire que les études supérieures sont « un peu hors de contrôle », déclare M. Shireman. Il pourrait donc être plus facile de modifier, par exemple, le système de prêts aux étudiants de deuxième et troisième cycles. Mais il reste à voir comment l’administration entrante choisira de traiter ces questions, selon Mme Akers.

Source : The Economist

 


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