dimanche 22 juin 2025

La rue Trutch à Vancouver devient officiellement la rue Šxʷməθkʷəy̓əmsəm

La décision de Vancouver de renommer la rue Trutch en rue Šxʷməθkʷəy̓əmsəm s’inscrit dans un effort de promotion de l’histoire autochtone (indienne) de la région. Le nom original, Trutch, faisait référence à Sir Joseph Trutch, un ancien lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique connu pour ses politiques coloniales dont la réduction des terres occupées par les « Premières Nations » et des déclarations désobligeantes envers ces peuples autochtones. En changeant ce nom, la ville cherche à retirer les hommages à des figures associées à l’histoire britannique de la province et à honorer les cultures et les langues des Premières Nations locales, en l’occurrence la nation Musqueam, dont le territoire traditionnel englobe Vancouver.

Le nouveau nom, Šxʷməθkʷəy̓əmsəm, provient de la langue hən̓q̓əmin̓əm̓ anciennement parlée par les Musqueam. Ce changement reflète un mouvement croissant au Canada anglais. Cette initiative a suscité des discussions, certains y voyant un pas vers la justice sociale, tandis que d’autres s’interrogent sur l’effacement de l’histoire, mais elle reste un exemple concret de décolonisation des espaces publics.

Le changement de nom de la rue Trutch à Vancouver, désormais désignée Šxʷməθkʷəy̓əmsəm, suscite une controverse dont la portée dépasse le simple enjeu toponymique. Les critiques s’articulent principalement autour de deux axes : la perception d’un effacement historique et les difficultés pratiques liées à l’adoption d’un nom autochtone complexe pour les non-locuteurs.

1. L’effacement perçu du passé et la mémoire controversée

Certains résidents et observateurs estiment que l’effacement du nom de Joseph Trutch – figure historique du colonialisme britannique en Colombie-Britannique – équivaut à une forme de réécriture ou de négation du passé. Même si ses politiques envers les Premières Nations furent notoirement discriminatoires et rétrogrades, ces critiques soutiennent qu’un tel acte symbolique élimine une occasion d’enseigner et de confronter ces aspects problématiques de l’histoire locale.

Selon eux, maintenir le nom Trutch n’implique pas une glorification, mais plutôt un devoir de mémoire critique. Ce point de vue s’inspire d’approches muséales ou patrimoniales qui valorisent le contexte et l’explication plutôt que l’effacement. En renommant des lieux, notamment sans contrepartie éducative claire (panneaux explicatifs, programmes scolaires, etc.), la ville court le risque de substituer un oubli confortable à un inconfort pédagogique nécessaire.

2. Une décision perçue comme idéologique et clivante

Au-delà de la mémoire historique, certains dénoncent une instrumentalisation idéologique de la toponymie, accusant les autorités municipales d’imposer des décisions symboliques sans véritable consultation démocratique. Ce point de vue exprime une défiance envers ce qui est perçu comme un activisme institutionnalisé, qui imposerait des valeurs progressistes à une population diverse, sans nécessairement obtenir son assentiment.

La crainte sous-jacente est celle d’une polarisation communautaire : ces changements, au lieu de favoriser la réconciliation, risqueraient d’accentuer les lignes de fracture entre groupes culturels, en opposant un récit autochtone restauré à une mémoire collective plus large, jugée illégitime ou embarrassante.

3. Obstacles linguistiques et appropriation pratique

Par ailleurs, la complexité du nouveau nom, Šxʷməθkʷəy̓əmsəm, issu de la langue hən̓q̓əmin̓əm̓ autrefois parlée par les Musqueams, soulève des objections d’ordre pratique et linguistique. De nombreux citoyens rapportent des difficultés à le prononcer, l’écrire ou même s’en souvenir. Pour une population urbaine plurilingue qui n’a aucun contact préalable avec cette langue, l’usage quotidien devient ardu, et le nom risque de demeurer abstrait ou inaccessible, voire ignoré dans les usages courants.

Toutefois, il est également important de reconnaître que cette langue compte aujourd’hui moins de 10 locuteurs pleinement compétents, aucun locuteur natif, et environ 500 semi-locuteurs, malgré les efforts de revitalisation.

Dans ce contexte, certains résidents s’interrogent : dans quelle mesure un nom de rue peut-il devenir un outil de reconnaissance partagé s’il est pratiquement inemployable par la majorité des citoyens, y compris ceux des communautés autochtones locales ? Pour beaucoup, cette décision peut donner l’impression d’un geste hautement symbolique mais faiblement intégré dans la vie réelle, risquant de créer une fracture entre l’intention politique et la réception populaire.

4. Un déficit de participation citoyenne

Enfin, plusieurs critiques pointent un manque de transparence et de concertation dans le processus de décision. Si la démarche entend honorer la langue et la culture des Premières Nations, elle semble avoir été perçue par certains comme un processus unilatéral, vertical, excluant les résidents concernés. Ce déficit démocratique alimente un sentiment de dépossession symbolique : les citoyens ont vu leur espace urbain renommé sans avoir été pleinement consultés, voire entendus.

À Montréal aussi, un nom imprononçable et une appropriation partiale du passé autochtone

À Montréal, en 2019, la rue Amherst (nommée d’après Jeffery Amherst, général britannique associé à des massacres envers les Autochtones) a été renommée Atateken, un mot issu de la langue des Agniers (Mohawks), pourtant alliés des Anglais, signifiant « fraternité », « groupe de personnes vivant ensemble dans l’harmonie ». Nom intéressant pour un peuple aussi guerrier (voir la liste des nations détruites ou dispersées par les Agniers ci-dessous).

Or, une proposition circulait pour remplacer le nom d'Amherst (ou celui de Wolfe) par celui de « Pontiac », en hommage au grand chef autochtone Odawa Pontiac, qui mena une coalition de nations autochtones contre la domination britannique après la conquête, notamment en riposte directe aux actions de Wolfe et Amherst. 

Pour de nombreux observateurs, renommer la rue Wolfe ou Amherst en Pontiac aurait offert : une symétrie historique puissante (l’oppresseur remplacé par le résistant)  et un nom facile à prononcer et à mémoriser pour l’ensemble des Montréalais, y compris les nouveaux arrivants.

Depuis juin 2017, le sommet de la colline d’Outremont (Mont Royal) se voit imposer un nom mohawk : Tiohtià:ke Otsira’kéhne, Rappelons que malgré les prétentions de l'administration de la ville de Montréal, Montréal n'est pas en territoire traditionnel agnier (mohawk). 

Au moment de la fondation de Ville-Marie (1642), les Mohawks habitaient surtout la vallée de la Mohawk, dans l’actuel État de New York. Ils n’étaient pas établis à Montréal, mais y faisaient des incursions — souvent guerrières... Ce sont en fait les Français qui, après les guerres iroquoises, ont permis aux Mohawks catholiques convertis (les Agniers) de s’établir à proximité de Montréal, notamment à Kahnawake, au sud de Montréal. En 1760, pendant la guerre de la Conquête (sept Ans), les Mohawks catholiques de Kahnawake ont trahi les Français, alors même qu’ils avaient été protégés et installés par eux un siècle plus tôt. Ces Agniers ont choisi de ne pas soutenir Montréal lors de l’attaque britannique. Ils ont permis aux Britanniques d’approcher sans opposition, en s’abstenant de défendre et d'avertir leurs anciens alliés. 

Agnier est le nom (transcrit par une oreille française) que les Mohawks se donnent dans leur propre langue, Kanien'kehá:ka, qui signifie « peuple du silex » ou « peuple de la pierre à feu ». Mohawk est le nom que les Anglais leur donnent, il viendrait probablement d'un mot algonquin, mohowawog, signifiant « mangeurs d'hommes », un nom donné par leurs ennemis pour les décrire comme des guerriers redoutables.

Voici la liste des principales nations disparues ou largement détruites lors des guerres avec les Agniers/Mohawks (et plus largement les Iroquois) :

  • Iroquoiens du Saint-Laurent
  • Hurons-Wendats (réduits de 60 % à 90% puis dispersés)
  • Neutres (Attawandaron)
  • Ériés
  • Petun (Tionnontatés)
  • Susquehannocks (Andastes)
  • Mahicans (en grande partie absorbés)
  • Algonquins de l'Est (en recul ou déplacement)
  • Illinois (en partie détruits ou repoussés)
  • Shawnees (forcés à migrer à plusieurs reprises)
  • Tionnontouans indépendants (groupes iroquoiens non affiliés)
  • Réfugiés mixtes autour des missions françaises (dispersés ou intégrés)

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